Antihypertenseurs et grossesse : une ITG évitable

Tout sur la gestion des risques en santé
                et la sécurité du patient

Antihypertenseurs et grossesse : une ITG évitable - Cas clinique

  • Réduire le texte de la page
  • Agrandir le texte de la page
  • Facebook
  • Twitter
  • Messages0
  • Imprimer la page

Prescription d'antihypertenseurs : à partir du moment où un médecin généraliste décide de suivre une grossesse, la vigilance s’impose... 

  • Médecin
Auteur : Dr C. LETOUZEY / MAJ : 20/05/2016

Cas clinique

Cette femme, née en 1981, est régulièrement suivie par son médecin traitant, pour divers problèmes sans gravité, sur un terrain anxieux.

En 2009, après une grossesse sans incident, elle a accouché par césarienne, du fait d’une présentation du siège, d’un enfant de 3,6 kg, en bonne santé.

Après cette première grossesse, le constat de chiffres élevés de tension artérielle (145/85 mm Hg, 150/90 mm Hg) a conduit son médecin généraliste à la prescription de Propranolol 40 mg deux fois par jour. Les parents de cette patiente sont hypertendus et sa grand-mère maternelle est décédée d’une amylose cardiaque. Elle pèse 84 kg à 88 kg pour 1 m 65.

Ce traitement a été remplacé un an plus tard, du fait d’effets secondaires et du constat d’une hypertension à 180/100 mm Hg, par de l’Atacand® 4 mg/jour puis augmenté à 8 mg/jour, traitement régulièrement poursuivi et renouvelé tous les 4 mois et notamment mi-décembre 2013.

La contraception, prescrite une fois par an par son MG (Méliane®) qui la suit sur le plan gynécologique, est stoppée par la patiente qui désire une nouvelle grossesse. Ce désir de grossesse n’est pas mentionné dans le dossier du MG alors que la patiente dit l’avoir évoqué lors de cette consultation en décembre 2013.

Quoiqu’il en soit, elle consulte le 2 février 2014 pour une grossesse en cours ((DDR le 03/12/2013) et une échographie de datation estime le début de grossesse au 30/12/2013. Les examens habituels sont prévus et réalisés. L’échographie du premier trimestre, à 13 SA +6 jours, réalisée le 10 mars 2014, montre une biométrie en rapport avec le terme, aucune anomalie morphologique. La clarté nucale est à 18 mm. Le triple test est négatif.

La patiente revoir son MG tous les mois : la tension artérielle est bien équilibrée, la prise de poids tolérable, la sérologie de la toxoplasmose (négative) est renouvelée.

L’échographie morphologique, réalisée à 22 SA, est normale ; elle estime le poids fœtal à 430 g, l’index amniotique à 93 mm (normal).

Le 23 mai, dernière consultation par le MG, au 6 ème mois : la TA est à 140/85 mm Hg à 4 mesures, le poids à 95 Kg. Il est prévu un renforcement de la surveillance tensionnelle et un contrôle échographique de la croissance fœtale. Le traitement antihypertenseur est majoré (Atacand® augmenté à 16 mg/jour).

Le 4 juin, première consultation au CH auprès de l’obstétricien devant assurer la fin de la surveillance de la grossesse et l’accouchement.

D’après la patiente, il vérifie dans le Vidal la notice de ce médicament (Antagoniste des récepteurs de l’Angiotensine II, ARA II) qui confirme les risques de fœtopathie iatrogène qu’il partage avec les Inhibiteurs de l’enzyme de conversion, IEC.

Il réalise immédiatement une échographie qui met en évidence un oligo-amnios et une dysmorphie crânienne. La patiente est orientée vers le Centre pluridisciplinaire de Diagnostic Prénatal du CHU. Le traitement par Atacand ® est stoppé et remplacé par Aldomet® 250 mg, deux comprimés/jour.

Le 10 juin 2014, les conjoints consultent, au CPDPN, un professeur référent. L’échographie se confirme être pathologique avec un anamnios, une dolicocéphalie majeure avec un BIP inférieur au 3ème percentile, un périmètre céphalique proche du 10 ème percentile. Les deux reins sont vus avec une bonne différentiation cortico médullaire. La vessie n’est pas visualisée.

Un Prom-test affirme l’absence de rupture prématurée des membranes.

Les parents sont informés de l’éventuelle fœtopathie due au médicament Atacand® : hypoplasie des os de la voute du crâne et insuffisance rénale non curable.

Un contrôle effectué, une semaine plus tard par un autre praticien référent, confirme l’anamnios, l’absence de visibilité de la vessie, des reins d’aspect différenciés mais hyper échogènes.

Le tableau présenté est tout à fait évocateur d’une dysgénésie tubulaire rénale aigue qui est la complication possible de la prise d’ARA II pendant la grossesse. Cette pathologie est incurable.

Il est proposé aux parents l’avis d’un spécialiste pédiatre néphrologue mais leur décision est prise.

Le CPDPN donne un avis favorable à la demande d’interruption de grossesse pour motif fœtal.

L’interruption de grossesse, selon un protocole spécifique dans ce contexte d’utérus cicatriciel, a lieu une semaine plus tard. L’autopsie du fœtus est acceptée par les parents.

Analyse et expertise

Analyse

Télécharger l'exercice

 

EXPERTISE CCI (2015)

L’expert, gynécologue obstétricien, répertorie les faits documentés lors du suivi de cette grossesse par le MG et les différents praticiens ultérieurs.

L’interruption de grossesse est détaillée dans ses modalités : sous péridurale et dilatateurs du col, foeticide, présentation du siège, naissance d’un nouveau-né viable pesant 1020 g, mort-né. Délivrance incomplète. Révision utérine (rétention de membranes et de caillots), mise en évidence de façon digitale par l’interne d’une déhiscence de la cicatrice de césarienne ; avis du sénior : probable rupture sous séreuse. Indication d’une césarienne avant travail lors d’une éventuelle nouvelle grossesse.

L’autopsie du fœtus a confirmé une séquence de Potter (dysmorphie faciale, pieds mal posés, coudes ankylosés, sans hypoplasie pulmonaire constituée),  une dolichocéphalie par hypo développement majeur des os de la voute du crâne, une bicuspidie aortique et pulmonaire avec anomalie d’implantation des coronaires. L’examen rénal a mis en évidence une néphromégalie bilatérale avec un aspect hyperlobulé, de nombreuses dilatations des tubes contournés distaux à l’origine d’un aspect microkystique, une paucité des tubes contournés proximaux et un respect de l’organisation cortico-médullaire. Un avis rénal complémentaire a été demandé à un spécialiste. Le caryotype de l’enfant est normal.

Malgré leurs demandes réitérées, les parents ne seront jamais informés de cet avis définitif sur le plan rénal.

Les suites de cette interruption de grossesse ont été simples sur le plan physique maternel ; la tension est bien équilibrée avec de l’Aldomet.

La patiente exprime ses inquiétudes pour un futur accouchement.

Le couple exprime sa souffrance psychique et le retentissement psychologique chez leur premier enfant âgé de 5 ans.

Cette expertise est l’occasion d’une rencontre entre les parents et le MG, non revu depuis les faits, médecin qui a pu exprimer sa compassion et ses très grands regrets que sa faute ait eu de telles conséquences sur l’issue de la grossesse.

L’expert confirme que cette fœtopathie est due à une néphropathie tubulaire bilatérale responsable d’une insuffisance rénale définitive avec d’autres anomalies fœtales dues en particulier à l’anamnios.

D’après les données de la littérature, et celles du VIDAL, il existe un lien direct et certain entre la prise d’Atacand® au-delà du troisième mois de grossesse  et ce défaut de développement des tubules rénaux et des os de la voute du crâne.

Dans le VIDAL 2014, il est bien noté que « l’utilisation des ARA II est déconseillée pendant le premier trimestre de la grossesse et contre indiquée aux deuxième et troisième trimestre.

(C’est d’ailleurs une mention qui figure depuis au moins 1999, note du rédacteur)

Les données épidémiologiques disponibles concernant le risque de malformations après exposition aux IEC au premier trimestre de la grossesse ne permettant pas de conclure. Cependant une petite augmentation du risque ne peut être exclue. Il n’existe pas de données épidémiologiques contrôlées disponibles concernant le risque d’utilisation des ARA II. Cependant un risque similaire aux IEC peut exister pour cette classe de médicaments. A moins que le traitement aux ARA II ne soit considéré comme essentiel, il est recommandé de modifier le traitement antihypertenseur chez les patientes qui envisagent une grossesse pour un médicament ayant un profil de sécurité établi pendant la grossesse. En cas de diagnostic de grossesse, le traitement par ARA II doit être interrompu immédiatement  et, si nécessaire, un traitement alternatif débuté. L’exposition aux ARA II au cours des deuxièmes et troisièmes trimestres de la grossesse  est connu pour entrainer une fœtopathie (diminution de la fonction rénale, oligoamnios, retard d'ossification des os du crane) et une toxicité chez le nouveau-né (insuffisance rénale, hypotension, hyperkaliémie). En cas d’exposition à partir du deuxième trimestre de la grossesse, il est recommandé de faire une échographie fœtale afin de vérifier la fonction rénale et les os de la voute du crâne.

La physiopathologie de cette molécule n’est pas une action tératogène mais de fortes altérations de vascularisations fœtales et notamment rénales durant les deuxième et troisième trimestres de grossesses, responsables des anomalies anatomiques constatées en histologie et de l’insuffisance rénale organique périnatale avec anamios. ».

Des commentaires sont faits sur cette possible rupture utérine sous séreuse, dont l’expert retient qu’elle n’est pas établie.

Il conclut :

« Certes le médecin traitant est moins à même d’être sensibilisé qu’un spécialiste à ces accidents rares en France, d’autant qu’il s’agissait de renouvellements d’une prescription initiée quatre ans auparavant et qu’il a, de ce fait, été moins vigilant sur la nécessité de lire les recommandations et contre-indications dans le Vidal pour cette famille de médicament très fréquemment utilisée dans l’hypertension artérielle et l’insuffisance cardiaque.

Le renouvellement de la prescription en mars et avril 2014 et l’augmentation de la posologie de l’Atacand® sont fautives.

La pathologie hypertensive n’était pas d’une gravité telle qu’aucune substitution d’un médicament ayant « un profil de sécurité établi pendant la grossesse » n’était impossible. Cette erreur correspond à la méconnaissance des effets secondaires fœtotoxiques de la molécule par un MG suivant peu de grossesses chaque année. Les médecins sont plus souvent sensibilisés aux médicaments ayant un effet néfaste pour l’embryon (effet tératogène du premier trimestre)  qu’aux effets plus tardifs des IEC et ARA II. De telles fœtopathies par défaut de remplacement de ces médicaments antihypertenseurs sont connues mais sont extrêmement rares.

 

Décision de la CCI (2015)

La faute du médecin généraliste n’est pas contestée. Le lien de causalité non plus, l’hypothèse d’une cause génétique étant très peu vraisemblable.

La CCI confirme que les manquements du MG sont fautifs et ont conduit à l’interruption de grossesse. En revanche, La commission ne retient pas de lien de causalité direct et certain entre l’interruption de grossesse et l’éventuelle rupture utérine dont la réalité n’est pas démontrée.

Aucune indemnisation au titre de la solidarité nationale n’est retenue mais celle,

pleine et entière, du MG (médecin généraliste).

L’indemnisation des préjudices (moral de la mère y compris des victimes par ricochet, des souffrances endurées à 6/7…) est à la charge de l’assureur.

Une transaction amiable a été ultérieurement conclue entre la patiente et l’assureur représentant le MG.

Commentaires et bibliographie

Nous avons déjà publié sur ce site une observation comparable datant de 2003 (naissance d’un enfant ayant de multiples malformations dues aux médicaments anti hypertenseurs contre indiqués pendant la grossesse dont les ARA II et ce, malgré un suivi en centre hospitalier).

Lire le cas clinique : Une prescription "inopportune" chez une femme enceinte

On peut comprendre que ces cas rares de risques malformatifs iatrogènes puissent échapper à des médecins généralistes, mais, à partir du moment où ils décident de suivre une grossesse, la vigilance s’impose et le recours au Vidal, la « bible » des médecins demeure trop souvent un réflexe inusité.  Les médecins ont-ils sur leur bureau la version « papier » de cette « bible » ou la version « internet » qu’il faut alors rechercher dans « ses documents »… Certains logiciels de suivi des dossiers au cabinet intègrent pourtant des possibilités (souvent non exploitées) de connexion avec des références sur les contre-indications médicamenteuses.

Il est d’ailleurs possible que le premier obstétricien consulté n’ait pas, lui non plus, connu  cette molécule, mais son réflexe a été le bon : il a regardé dans le Vidal !

L’analyse de dossiers a posteriori, dans mon expérience toute relative, me parait mettre en exergue le fait que de nombreux patients « à risque » (quelque soit le risque) sont en fait surveillés comme des patients exempts de tous facteurs de risque. Qu’il s’agisse d’une douleur thoracique, d’une suspicion de phlébite, d’un antécédent  de chirurgie bariatrique d’une diarrhée au retour des tropiques… ou d’une grossesse.

Or cette grossesse, en dehors du fait qu’elle survenait sur un utérus cicatriciel, survenait chez une femme hypertendue connue, en surpoids/obèse et aurait peut-être pu bénéficier d’une prise en charge plus « encadrée » par des spécialistes…encore que leur avis n’est pas toujours la solution et que dans le cas présent ce n’est pas la gestion de l’hypertension qui est en cause mais la molécule employée pour poursuivre le traitement d’une hypertension pré existante.

Ayant parcouru les multiples recommandations de l’HAS sur le suivi de grossesses, on peut comprendre que la lecture de ces documents volumineux ne fasse pas partie du quotidien d’un médecin, même si elles sont indispensables en santé publique.

Peu de situations finalement en médecine praticienne représentent des risques graves ou mortels : encore faut-il qu’elles soient bien détachées du « fatras » des considérations générales qui entourent toute bibliographie quelle qu’elle soit, ou explicitées lors d’une formation continue, et qu’elles apparaissent immédiatement lisibles pour un médecin confronté quotidiennement aux aléas de la gestion de ses nombreux rendez-vous, même s’il a à cœur de poursuivre sa formation.

BIBLIOGRAPHIE 

  • Cités par l’expert :

Martinovic J and al: fetal toxic effects and angiotensin II receptor antagonists. Lancet 2001: 358 (9277:241-2),

Quan A: fetopathy associated with exposure to angiotensin converting enzyme inhibitors and angiotensin receptor antagonists. Early Hum Dev, 2006; 82 (1): 23-8  

  • Autres Références Bibliographiques :

Quel antihypertenseur choisir en cours de grossesse

Antihypertenseurs : la grossesse impose des choix spécifiques (revue Prescrire)

Recommandations sur deux classes de médicaments antihypertenseurs au cours de la grossesse (2008) ansm.sante.fr ›  

Médicaments et grossesse ansm.sante.fr 

Quel suivi pour une femme enceinte hypertendue ? 

HTA de la grossesse: un marqueur de risque ... - SFHTA

Grossesses à risque - Argumentaire - HAS  

Experts HTA et grossesse. - SFHTA

L’hypertension artérielle gravidique : L’information donnée durant la grossesse - Comment la transmettre et développer les compétences des patientes (Mémoire présenté et soutenu par :
Anne-Hélène MERSCH)

Bibliographie sur l’information des patients dont :

Haute Autorité de Santé, Éducation thérapeutique du patient, définitions, finalités et organisation, rapport de juin 2007

Haute Autorité de Santé, Comment mieux informer les femmes enceintes, rapport de 2005. 

0 Commentaire

Publier un commentaire