"Malaise" après une matinée de ski

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"Malaise" après une matinée de ski chez un homme de 26 ans

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  • skieur

Un jeune homme de 26 ans, après un diagnostic de gastroentérite par le médecin de la station, décède brutalement dans l'après-midi...

  • Médecin
Auteur : Christian SICOT / MAJ : 24/01/2017

Cas clinique

  • Le 17 mars 2008, un homme de 26 ans, skieur confirmé, rentre "fatigué" d'une matinée de ski effectuée en compagnie de son beau-frère. Depuis 10 jours, en compagnie de leurs femmes, tous deux ont loué un appartement dans une grande station alpine et skient quotidiennement, sans aucun problème. Ce jeune ingénieur commercial n'a pas d'antécédent médical en dehors d'un surpoids apparu après sa majorité. Au moment des faits, il pèse 110 kg pour une taille de 1,94 m.
  • Cette fatigue de leur proche, n’alerte pas immédiatement l’entourage. Mais, au moment du déjeuner, il refuse de se mettre à table et vomit des glaires, devient très pâle et se plaint d'une sensation de malaise important. Il décrit une oppression thoracique, voire une douleur thoracique. Devant la survenue brutale de ces symptômes, sa famille s'inquiète et sa belle-sœur appelle le SAMU départemental.
  • Lors de l'instruction de la plainte, la permanencière qui avait reçu l'appel déclarait qu' (...) Au vu des informations orales communiquées, elle avait ressenti l'appel comme en rapport avec une pathologie bénigne. Elle n'avait pas transmis la communication au médecin régulateur mais avait communiqué à la personne qui appelait, les coordonnées du cabinet médical de la station (...)
  • " Mais, la retranscription de l'appel téléphonique qui avait été enregistré, était la suivante : " (...) J'ai un de mes parents qui ne se sent pas bien, en fait qui se sent oppressé, il a eu envie de vomir, donc de s'efforcer de vomir. Il était blanc. En fait oui, ça lui fait une douleur au niveau, ben quoi, pulmonaire, au niveau de la poitrine (...) "
  • Appelé par téléphone, le médecin de la station indique qu'il ne se déplacerait pas et que le patient doit venir au cabinet médical. Accompagné par sa femme et son beau-frère, le patient se rend donc au cabinet médical.
  • Après une courte attente, il est reçu par le médecin. D'après la famille,"(...) L'examen est fait de manière brève, avec une prise de tension, l'absence d'auscultation cardiaque et la rédaction assez rapide d'un traitement symptomatique pour gastroentérite. L'ensemble de la consultation aurait duré moins de 10 minutes (...)".
  • La fiche d'examen réalisée par le médecin généraliste mentionne: "(...) Vomissements depuis la fin de la nuit, céphalées légères, asthénie, apyrétique, pas de vertige. TA : 12/8, bruits réguliers bien perçus 80/min. Examen : abdomen souple, sensible, neuro pas de déficit sensitivo moteur, RAS, pneumo OK, ATCDT= 0, TRT =0 (...)" Dans une lettre rédigée a posteriori à la demande de l'expert (expertise faite sur pièces), le médecin précisait que : "(...). Mon traitement était celui d'une gastroentérite débutante : Primpéran®, Ercefuril®, Debridat® ,Smecta® (...)"
  • Revenu à l'appartement vers 15 h 00, le patient regagne sa chambre, restant avec sa belle-sœur, sa femme et son beau-frère partant skier. Vers 15 h 30, le patient sort de sa chambre et sa belle-sœur (préparatrice en pharmacie) lui donne un comprimé de Motilium® venant de sa trousse de secours, car elle n'a pas encore pu aller à la pharmacie qui est fermée. Elle constate qu'à ce moment là, " il n'était pas essoufflé mais très algique, se tenant l'hémithorax gauche ". Le patient regagne alors sa chambre pour se recoucher.
  • Son épouse rentrée vers 16 h 30, avant la fermeture des pistes, car elle est inquiète pour son mari, ouvre précautionneusement la porte de leur chambre et constate que son mari est dans sa position habituelle de sommeil, c'est à dire sur le ventre, légèrement tourné vers le côté. Ne remarquant rien d'inquiétant, elle repart.
  • Elle revient le voir 3/4 d'heure plus tard, vers 17 h 15, jette un coup d'œil rapide et ne voyant rien d'anormal, ressort.
  • Vers 18 h 30, elle retourne voir son mari et là, constate une odeur particulière (urines?) Elle appelle, alors, sa belle-sœur et toutes deux s'aperçoivent que le bras du patient est raide
    .
  • Immédiatement prévenus, les pompiers ne peuvent que constater le décès du patient, et ne tentent pas de manœuvres de réanimation, compte-tenu du délai écoulé.
  • Le médecin de permanence conclut à un décès de cause naturelle, survenu vers 17 h 15. Il explique à la famille :" (...) En raison des symptômes présentés, il fallait, à l'évidence, retenir un diagnostic d'infarctus aigu du myocarde (...)"

Absence d'autopsie

Une plainte pénale pour homicide involontaire est déposée par les parents du patient (juin 2008).

Expertise (mars 2011)

L’expert, professeur de médecine légale, estimait que : " (...) L'on devait s'orienter vers un très probable infarctus du myocarde ...En fonction de l'ensemble des pièces du dossier, le patient avait bien présenté une oppression thoracique et des douleurs dans l'aire thoracique... Même, s'il existait des nausées et des vomissements, il n'avait pas tous les symptômes d'une gastroentérite aiguë...

Le médecin généraliste n'a pas établi le bon diagnostic. Il a prescrit un traitement symptomatique banal...Il aurait dû, pour le moins, prendre des sécurités et faire transporter le patient par ambulance vers le centre hospitalier distant de 30 km, pour qu'un bilan cardiologique soit entrepris et qu'un traitement adapté soit mis en œuvre. Le jour de l'accident, la route était enneigée, mais le délai pour atteindre cet établissement équipé pour les urgences graves, n'aurait pas dû excéder plus d'une heure. La question est, toutefois, de savoir si cet infarctus aurait été accessible à un traitement de type revascularisation...

Il est aussi possible que le patient ait présenté un trouble du rythme de type fibrillation ventriculaire. En effet, dans le cadre d'un bilan cardiologique systématique entrepris, au décours de cet accident, dans la fratrie du patient, un syndrome de Brugada a été découvert chez son frère (...)"
(voir commentaire 1.2)

Après le dépôt de l'expertise,
Classement sans suite de la plainte pénale par le parquet (mai 2011), confirmé par le parquet général de la cour d'appel (décembre 2012)
Les parents du patient décidaient, alors, d'assigner le médecin généraliste devant le tribunal de grande instance pour obtenir réparation du préjudice qu’ils avaient subi (novembre 2014)

Jugement du TGI (avril 2016)

Les magistrats rappelaient que : " (...) Les fautes de technique médicale ayant trait à l'acte diagnostique peuvent être classées en trois catégories : celles commises lors de l'analyse des symptômes observés ; celles résultant de la mise en œuvre de moyens d'investigation insuffisants ; et, enfin, celles consistant à ne pas s'entourer de l'avis éclairé d'autres médecins face à un diagnostique difficile...

Les notes prises par le médecin lors de la consultation, comportent une approximation et une omission qui apparaissent importantes :
- les vomissements sont notés "depuis la fin de la nuit " alors que l'entourage a toujours indiqué que le malaise avait débuté après une matinée de ski. Or la survenance de vomissements après un effort physique pouvait être interprétée différemment qu'après une nuit de sommeil
-rien n'est noté concernant les sensations du patient. Le médecin soutient que des " douleurs au ventre " lui auraient été signalées par ce dernier. Or, l'entourage parle unanimement d'une " douleur thoracique ", ou d’une " sensation d'oppression " ou d'un " mal au cœur " alors que ces sensations ne peuvent avoir été décrites que par la victime et qu'il n'y a aucune raison pour que le patient ait employé des mots différents pour ses proches et pour le médecin qui l'examinait

Il ne peut qu' en être conclu que le médecin n'a pas écouté avec suffisamment d'attention les symptômes signalés par son patient et qu'il a accordé une importance démesurée à deux éléments,
-le fait que le centre de régulation du SAMU ait " dit à ces personnes qu'elles étaient en mesure de se déplacer au cabinet " dont il avait conclu hâtivement une absence de gravité de la pathologie alors qu'aucun examen médical n'avait eu lieu et le déplacement justement à pied jusqu'au cabinet.

Dans ce cadre, l'interprétation des symptômes observés par le médecin était inexacte au regard des données acquises de la science, de sorte que l'erreur de diagnostic qui en découle, constitue bien une faute de technique médicale.
Le patient a donc, perdu une chance de voir établir un diagnostic de "probable infarctus du myocarde ", ce qui aurait, peut-être, permis de le prendre en charge de façon adaptée.
Pour autant, la probabilité pour que la victime ait pu survivre, apparaît assez faible, dans la mesure où il existait des délais de route réels, avant que l'hospitalisation puisse être réalisée, et que le décès est survenu rapidement (...) "

Perte de chance de survie évaluée à 25 %

Indemnisation de 12 200 € dont 5 000 € attribués à chacun des deux parents au titre de leur préjudice d'affection

Commentaires

1) Le décès brutal du patient durant son sommeil est vraisemblablement dû à un trouble du rythme ventriculaire qui peut avoir plusieurs causes.

1.1- La première hypothèse est que cette complication soit la conséquence directe du syndrome coronarien aigu (infarctus du myocarde ?) dont il était vraisemblablement atteint. Il est bien connu que les troubles du rythme ventriculaire sont plus fréquents dans les premières heures d'un infarctus du myocarde qu'au delà.

1.2- La seconde hypothèse est que le patient, comme son frère, ait été atteint d'un syndrome de Brugada.
" (...) Le syndrome de Brugada est caractérisé par la survenue de syncopes ou de morts subites en rapport avec des tachyarythmies ventriculaires chez des patients ayant un cœur structurellement normal avec un aspect de bloc de branche droit et un sus-décalage du segment ST dans les dérivations précordiales droites (V1 à V3) à l'ECG. La prévalence est estimée à 1 sur 1 000 dans les pays asiatiques mais elle est vraisemblablement plus faible ailleurs. La transmission se fait sur un mode autosomique dominant avec une pénétrance variable. Ces anomalies génétiques sont responsables d'une réduction de la densité du courant sodique et expliquent l'aggravation des anomalies ECG engendrées par les anti-arythmiques bloqueurs des canaux sodiques. Le pronostic est grave chez les patients symptomatiques et repose sur la prévention de la mort subite par l'implantation d'un défibrillateur automatique (...)" (référence 1)
Mais il n'y a, évidemment aucun moyen de confirmer cette hypothèse chez le patient

1.3 En revanche, la troisième hypothèse mérite d'être prise en compte. Vers 15 h 30, sa belle-sœur (préparatrice en pharmacie) a donné, au patient, un comprimé de dompéridone (Motilium®), vraisemblablement pour calmer ses nausées. Or, l'AMM de ce médicament signale que "(...) Des études épidémiologiques ont mis en évidence que la dompéridone est associée à un risque accru d'arythmies ventriculaires ou de mort subite. En conséquence, la dompéridone est contre-indiquée chez les patients ayant un allongement connu des intervalles de conduction cardiaque, notamment QTc (...)".

Le 3 avril 2015, la revue "Prescrire" a publié l'information suivante :" (...) Selon une estimation de l'épidémiologiste Catherine Hill, spécialiste de la question, la dompéridone aurait été responsable, d'environ 200 morts subites en France au cours de l'année 2012.
En avril 2015, la dompéridone, est encore en vente et remboursable en France. Suite à une décision européenne, les formes orales dosées à plus de 10 mg ont été retirées du marché à l'automne 2014, mais les patients sont encore exposés au dosage à 10 mg le plus couramment utilisé dans les nausées-vomissements. Le danger mortel de la dompéridone est injustifié par son efficacité, symptomatique et incertaine au delà d'un effet placebo. Les médicaments tels la métopimazine (Vogalène® ou autre) et le métoclopramide (Primpéran® ou autre) sont voisins de la dompéridone et sont dangereux aussi.
En pratique, sans attendre un "déremboursement" par l'assurance maladie et surtout un retrait du marché européen, les patients ont intérêt à être informés des dangers de la dompéridone et des médicaments voisins (...)"

2) Comme l'ont souligné les magistrats, le fait que ce soit le Centre de régulation du SAMU qui ait conseillé au patient d'appeler le cabinet du généraliste, a vraisemblablement conduit ce dernier à ne pas considérer que le "malaise" dont il se plaignait, puisse être potentiellement grave. Mais la régulation de l'appel passé au SAMU avait été faite par la permanencière, et non par le médecin régulateur. Comme le rappelle M. Giroud, ancien président de SAMU-Urgences de France,» (...) La régulation médicale est un acte médical pratiqué au téléphone par un médecin d'un centre dédié aux urgences. Le médecin régulateur détermine et déclenche la réponse la mieux adaptée à l'état du patient, puis, si nécessaire oriente le patient directement vers une unité d'hospitalisation appropriée... Par exemple, le SAMU-Centre 15 envoie immédiatement un SMUR devant une douleur thoracique pouvant faire évoquer un syndrome coronarien aigu, puis oriente directement le patient dans l'unité de coronarographie en mobilisant le coronarographiste d'astreinte, dès avant l'arrivée du patient à l'hôpital (...) " (référence 2)
Si la faute commise par la permanencière, qui a outrepassé les limites de son statut (références 3 et 4), n'excuse en rien l'erreur du généraliste, en revanche, elle peut, en partie l'expliquer.

Références

1) Denjoy I et coll. Syndrome de Brugada ; Encyclopédie Orphanel . Mai 2007
2) Giroud M. La régulation médicale en médecine d'urgence ; Réanimation 2009,18,737-41
3) Recommandations de Bonne Pratique - HAS mars 2011 ; Modalités de prise en charge d'un appel de demande de soins non programmés dans le cadre de la régulation médicale
4) Rouillard A. Les permanencier(e)s auxiliaires de régulation médicale de SAMU (PARM) ; Paris-Samu de France 2004 ; http://www.urgencesserveur.; fr/IMG/pdf/permanencier_auxiliaire.pdf

7 Commentaires
  • CHRISTIAN SICOT . 12/04/2017

    Réponse à Emmanuel R. : Les parents du patient ne s'étaient pas retournés contre le Centre 15 mais avaient déposé une plainte pénale pour connaître les causes de la mort de leur fils. Le procureur avait désigné un expert (professeur de médecine légale) avec, entre autres missions, de renseigner sur les causes de la mort du patient et sur l'adéquation des soins prodigués avec la pathologie présentée par le patient. Dans une expertise réalisée sur pièces (sans audition des différents intervenants), l'expert signalait que la permanencière du SAMU n'avait pas transmis l'appel de la belle-sœur du patient, au médecin régulateur mais n' évoquait pas de faute à son égard. Dans le cas contraire, encore aurait-il fallu prouver pour engager la responsabilité de la permanencière, que la faute retenue à son égard, avait, conformément au droit pénal, un lien certain avec le décès du patient, ce qui n'apparaît pas compatible avec les faits.
    Après le classement sans suite par le parquet de la plainte qu'ils avaient déposée, les parents ont engagé une procédure civile devant le tribunal de grande instance qui a reconnu la responsabilité du généraliste et l'a condamné.
    Mais ce tribunal était incompétent pour juger de la faute de la permanencière qui relevait du tribunal administratif, le SAMU départemental étant un organisme public

  • O I 11/04/2017

    Je plussoie Jean Paul B, pourquoi pas une EP

  • jean paul b 06/03/2017

    et pourquoi pas une embolie pulmonaire ?

  • Emmanuel R 03/03/2017

    Pour info, savez-vous si la famille s'est ultérieurement retournée contre le Centre 15 (faute de la permanencière, qui n'a pas sollicité l'avis d'un médecin régulateur)? Et si oui, pour quel résultat? Merci

  • Kamal G 20/02/2017

    Étonnant que l'hypothèse d'un syndrome de Boerhaave n'ait pas été évoquée( apparemment). Certes,En l'absence de transit œsophagien + ou - scanner thoracoabdominal, impossible à confirmer! A contrario il n'y a pas d'ECG... ,sauf erreur de ma part,pour affirmer l'IDM! Or la rupture spontanée de l'oesophage peut entraîner la symptomatologie décrite, Et simuler un IDM, une péricardite ....

  • Clément C 20/02/2017

    Et non, la dompéridone c'est bien la DCI du Motilium, la DCI du Primpéran est le métoclopramide....

  • ANDRE R 20/02/2017

    la Dompéridone c'est du Primpéran et non du Motilium

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