Retard d'hospitalisation d'un nourrisson fébrile (âgé de 3 semaines)

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Retard d'hospitalisation d'un nourrisson fébrile (âgé de 3 semaines) - Cas clinique

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Première grossesse chez un couple jeune (20 ans). Le 2 mai, à 37 SA, accouchement normal d’une petite fille pesant 2 kg 630 (expulsion rapide et spontanée à 23h50). Compte tenu d’un portage vaginal streptococcique, un traitement antibiotique intraveineux était réalisé chez la mère durant le travail...

  • Médecin
Auteur : La Prévention Médicale / MAJ : 17/06/2020

Cas clinique

  • Première grossesse chez un couple jeune (20 ans).  
  • Le 2 mai, à 37 SA, accouchement normal d’une petite fille pesant 2 kg 630 (expulsion rapide et spontanée à 23h50). Compte-tenu d’un portage vaginal streptococcique, un traitement antibiotique intraveineux était réalisé chez la mère durant le travail (Clamoxyl® : 3 injections le 2 mai : 2 g à 15 h, 1 g à 19hoo et à 23hoo ). En raison du risque d’infection materno-fœtale à streptocoque, il est réalisé, chez l’enfant, une NFS et des prélèvements à visée bactériologique (sang, oreille, liquide gastrique) avec prescription d’une antibiothérapie intraveineuse (Pipéracilline : 3 injections de 270 mg le 3 mai à 01 h, à 12 h et 23 h).  
  • Le 3 mai, matin suivant la naissance, l’examen clinique du pédiatre ne retrouve aucun signe anormal.  
  • Le 5 mai, l’antibiothérapie est arrêtée en raison de la négativité des prélèvements bactériologiques.  
  • Le 8 mai, un ictère physiologique nécessite une séance de photothérapie.  
  • Le 9 mai, compte-tenu du bon comportement clinique de l’enfant et d’une reprise de poids satisfaisante (2 kg 490), sa sortie est autorisée.  
  • Le 18 mai (J16) l’enfant est revue par le pédiatre en consultation externe avec un examen clinique normal (poids : 2 kg 680).  
  • Le samedi 23 mai (J21), la mère appelait le médecin généraliste de garde car son enfant lui paraissait gênée sur le plan respiratoire. Ce dernier notait sur le carnet de santé : « Température 37° 2. Examen clinique et, notamment, auscultation pulmonaire normale. Traitement symptomatique (Doliprane®, Bronchorectine®suppositoire, lavage du nez avec Prorhinel®) ».  
  • Le 25 mai, la mère rappelait le médecin de garde car sa fille était fébrile. Celui-ci envisageait l’hospitalisation et, de fait, rédigeait une lettre à l’attention du pédiatre de l’hôpital : « Je vous confie l’enfant, A…, ( 3 semaines, 38°6 ce matin) pour un syndrome fébrile à 38°2. Compte-tenu de son petit âge, je préfère la laisser sous votre surveillance ».  
  • La mère ne tenait pas compte de cet avis et décidait de prendre conseil auprès de son médecin traitant qui examinait l’enfant l’après-midi, vers 15h00. Sur sa fiche d’examen, ce médecin notait : « Etat général correct, teint rosé ; abdomen dépressible, pas de déshydratation, bon tonus, fébricule à 37°7 ; auscultation pulmonaire : pas de râles, pas de tirage ; oreilles RAS ; est déjà sous Doliprane® ». Ces données n’étaient pas, toutefois, transcrites sur le carnet de santé où, à la date du 25 mai, ne figurait que le tampon du médecin traitant.  
  • A partir de ces constations rassurantes, l’hospitalisation n’était pas envisagée et le traitement antipyrétique était maintenu. Dans les heures qui suivaient, notamment durant la nuit, l’état de l’enfant n’apparaissait pas inquiétant.  
  • Le mardi 26 mai à 14 h, la mère amenait sa fille aux urgences de l’hôpital car elle avait présenté brutalement, alors qu’elle était dans ses bras, un malaise avec résolution musculaire, révulsion oculaire et accès de pâleur suivi de cyanose. D’emblée, l’état de l’enfant était jugé très grave : température à 37°2 ; teint grisâtre avec cyanose généralisée, marbrures cutanées, temps de recoloration cutanée supérieur à 3 sec, tachycardie à 195 / min, fluctuation tensionnelle ; polypnée avec thorax bloqué en inspiration, nette diminution du murmure vésiculaire surtout à droite, désaturation à 90 % ; ventre ballonné avec hépatomégalie ; enfant très hypotonique , aréactive avec regard fixe.  
  • Des mesure de réanimation respiratoire et cardio-circulatoire étaient immédiatement prises avant de transférer l’ enfant par hélicoptère dans le service de réanimation pédiatrique du CHU où elle arrivait à 17h30 . Le diagnostic évoqué était celui de « syndrome respiratoire aigu sur pneumopathie du poumon droit avec état septique chez un bébé de 23 jours ». Les données bactériologiques (isolement d’un Staphylococcus aureus methisensible dans les hémocultures, les aspirations bronchiques et le liquide pleural), et les radiographies pulmonaires (image de pneumopathie bulleuse droite avec pleurésie) confirmaient le diagnostic d’infection invasive à S.aureus avec septicémie et localisation pleuro-pulmonaire.  
  • L’évolution se compliquait d’un pneumothorax suffocant nécessitant un drainage d’urgence mais progressivement, l’état respiratoire se stabilisait.
  • Le 2 juin, l’enfant récupérait une autonomie respiratoire alors que l’antibiothérapie (Bristopen® 200mg/kg/j ) avait permis de maitriser le processus infectieux. Mais, à l’arrêt de la sédation nécessitée par la ventilation assistée, le comportement de l’enfant apparaissait inquiétant : trémulant, hypertonique, geignard. L’EEG montrait des activités paroxystiques bilatérales et la scanographie cérébrale, une ischémie bi-hémisphérique ne respectant que les lobes frontaux.  
  • Le 12 juin, l’enfant regagnait l’hôpital où elle avait été initialement admise.  
  • A partir d’octobre, elle était régulièrement suivie en neuro-pédiatrie.  
  • Trois ans plus tard, un décalage des acquisitions psychomotrices était noté.  
  • En septembre de la sixième année de vie, hospitalisation pour des absences avec pertes de connaissance brèves. Le diagnostic d’épilepsie était confirmé par les examens complémentaires et un traitement par Dépakine® était institué.  
  • Lors de l’expertise d’août 2009, il n’existait pas de handicap moteur sévère (monoparésie distale du membre supérieur droit) et l’autonomie locomotrice et manuelle était normale. Mais la présence constante d’une tierce personne était, toutefois, nécessaire. L’enfant accusait, en effet, un retard mental important centré sur la compréhension et surtout la communication avec désorientation temporo-spatiale. La comitialité, équilibrée à cette date par le traitement, était, toutefois, d’après l’avis de l’expert, susceptible d’évoluer avec aggravation de l’état neurologique.

Assignation du médecin traitant par la mère de l’enfant en réparation du préjudice que cette dernière avait subi.

Analyse

Ce matériel est réservé à un usage privé ou d’enseignement. Il  reste la propriété de la Prévention Médicale, et ne peut en aucun cas faire l’objet d’une transaction commerciale.

Jugement

Expertise (août 2009)

 

L’expert, professeur des universités, chef de service de pédiatrie, estimait que l’enfant avait été victime d’un accident infectieux « occasionnel » à germe très agressif surtout à cette période de la vie (immaturité immunologique), accident qui ne pouvait être en relation avec la suspicion d’infection materno-fœtale de la période néo-natale et qui ne pouvait pas être rattaché à une origine nosocomiale. La prise en charge thérapeutique de cette pathologie infectieuse avait été adaptée et conforme, tant à l’hôpital d’admission qu’au CHU. Elle  avait permis de sauvegarder les fonctions vitales, notamment respiratoires, mais des lésions neurologiques s’étaient constituées, inhérentes à la détresse respiratoire avec hypoxie, aux troubles hémodynamiques et aux convulsions. Selon l’expert : « (…) Initialement l’enfant avait été atteint d’une infection d’origine virale banale avec état subfébrile et encombrement nasal, sans caractère de gravité mais qui avait incité le médecin de garde devant la persistance d’un état subfébrile et l’âge de l’enfant à envisager le lundi 25 mai, une hospitalisation. La mère ne suivait pas cet avis et décidait de consulter un autre généraliste, son médecin traitant. Ce dernier (qui disait ne pas avoir eu connaissance de la lettre d’hospitalisation du médecin de garde) décidait  sur ses constations cliniques de ne pas hospitaliser l’enfant et de maintenir letraitement symptomatique. C’était probablement dans la matinée du 26 mai que la dissémination bactérienne s’était installée avec apparition en quelques heures des  difficultés respiratoires. L’apparition de convulsions généralisées (malaise avec révulsion oculaire et hypotonie) avait amené la mère à consulter aux urgences (…) »

La prise en charge thérapeutique de l’enfant devait-elle être plus précoce ? D’après l’expert, «(…) le médecin traitant ne pouvait évoquer le diagnostic de staphylococcie pleuropulmonaire et donc, il n’avait pas à  envisager d’hospitalisation immédiate  ou à proposer, de traitement complémentaire. On ne pouvait donc pas parler de fautemédicale, mais on retiendra un manque d’attitude clinique préventive pour évaluation et surveillance en hospitalisation. Il s’agissait, en effet d’un bébé de 21 jours, subfébrile depuis 48 h avec antécédents de suspicion d’infection materno-fœtale (…) »

Parallèlement, l’expert remarquait que (…) Le comportement de la mère de l’enfant était à souligner : cette jeune maman n’avait pas accepté la décision du médecin de garde et avait décidé de prendre l’avis d’un autre médecin généraliste et non pas d’un médecin pédiatre. Dans la matinée, l’état clinique  de l’enfant allait nettement s’aggraver mais ce n’est qu’à 14h  que sa mère l’amenait aux urgences (…) »

Au total, l’expert retenait une latence dans la prise en charge de l’enfant, inhérente en partie à un défaut d’attitude préventive du médecin traitant mais surtout  au comportement maternel. Mais, il ajoutait qu’ « (…) une hospitalisation plus précoce (la veille) n’aurait paspermis d’enrayer rapidement et complètement leprocessusinfectieux. L’infection invasive à staphylocoque constitue un accident infectieux très grave, silencieux en phase pré-invasive puis rapidement évolutif lors de la diffusion bactérienne et le pronostic vital même aujourd’hui encore reste réservé. En revanche, l’hospitalisation dès le début de la matinée du 26 mai voire la veille aurait pu limiter le risque neurologique engendré par l’hypoxie. On peut parler de perte de chance mais il est impossible d’en donner une évaluation chiffrée (…) »

Concernant l’IPP, l’expert estimait qu’ « elle ne pouvait être fixée à ce jour car, compte-tenu des données cliniques actuelles, de l’âge de l’enfant et d’une évolution neurologique ultérieure possible, il ne pouvait être envisagé de mesures de consolidationUne réévaluation de l’état clinique devait être proposée dans un délai de 5 ans en phase post-pubertaire. Mais, le taux d’IPP ne serait pas inférieur à 50 %. »

 Tribunal de Grande Instance  (décembre 2010)

Se fondant sur le rapport d’expertise, les juges estimaient qu’ « (…) Au moment de la consultation du médecin généraliste de famille, si le diagnostic de staphylococcie pleuro-pulmonaire ne pouvait être porté, l’hospitalisation aurait dû être décidée pour évaluation et surveillance compte-tenu du très jeune âge de l’enfant, de sa situation subfébrile depuis 48 heures et des antécédents de suspicion d’infection materno-fœtale. L’absence de décision  d’hospitalisation constituait alors bien, une faute qui lui était imputable…Toutefois, l’hospitalisation plus précoce de l’enfant n’aurait pas permis d’éviter la complication infectieuse et aurait seulement pu influencer le risque de souffrance neurologique dans une proportion , impossible à chiffrer….Dès lors, lafaute commise par le médecin traitant n’a pas été de manière directe et certaine à l’origine des dommages subis par l’enfant, mais a généré pour elle, une perte de chance d’éviter ou de réduire les séquelles neurologiques dont elle est atteinte (…) »

Perte de chance fixée à 50 %.

Indemnisation provisionnelle de 280 000 €

Pour aller plus loin

Références pour aller plus loin

Prise en charge (notamment médicamenteuse) de la fièvre chez l’enfant  : références 1 et 2 (afssaps) 

1) http://ansm.sante.fr/var/ansm_site/storage/original/application/8a3e72e8fec9c0f68797a73832372321.pdf
2) http://ansm.sante.fr/var/ansm_site/storage/original/application/b439d55ee299ae83db7bd9008c1eb267.pdf

3) Liste des paramètres sociaux à contrôler avant d’envisager la prise en charge ambulatoire d’un nourrisson fébrile de moins de 3 mois :

- Téléphone au domicile
- Véhicule disponible
- Maturité suffisante des parents
- Compréhension des consignes médicales (réévaluation à 24 h)
- Thermomètre au domicile
- Domicile proche de l’hôpital 

http://www.seminairesiris.be/semrispdf/1112/FIEVRE3mois%20mars2012%20version1.pdf

4) http://www.lesjta.com/article.php?ar_id=1248

5) http://www.doc-dz.com/t2312-conduite-a-tenir-devant-une-fievre-du-nourrisson-de-moins-de-3-mois

Les références 3,4,5 et 6 rappellent :
- qu'en cas de signe(s) de gravité, l’hospitalisation s’impose quel que soit l’âge
- qu'en l’absence de signe de gravité, l’hospitalisation s’impose chez le nourrisson de moins d’un mois et la pratique d’examens complémentaires est nécessaire chez les nourrissons de moins de 3 mois pour juger d’une éventuelle hospitalisation

1 Commentaire
  • sara s 30/09/2018

    c est très intéressant

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