Erreur médicamenteuse au bloc opératoire

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Erreur médicamenteuse au bloc opératoire : retour d'expérience paramédical

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Mme F. est prise en charge au bloc opératoire pour une césarienne programmée. Elle est enceinte de son troisième enfant et l'obstétricien qui suit cette parturiente lui propose ce mode d'accouchement car le bébé est en siège décomplété.

  • Paramédical
Auteur : Bruno FRATTINI / MAJ : 13/09/2018

Le contexte

Mme F. est prise en charge au Bloc Opératoire pour une césarienne programmée …

•    Mme F. entre à l’Hôpital, en service Maternité, pour bénéficier d’une césarienne, dans le cadre d’une intervention programmée. Elle est âgée de 34 ans et elle est enceinte de son 3° enfant. L’obstétricien, qui suit cette parturiente, lui a proposé ce mode d’accouchement, car le bébé est en siège décomplété et la pelvimétrie par tomodensitométrie montre une inadéquation entre les structures osseuses et le passage du fœtus.

•    Ce mode d’accouchement a été accepté par la parturiente. A son entrée, elle est prise en charge par une sage femme, qui confirme la présentation de l’enfant en intra-utérin, lors d’une échographie de contrôle et réalise un monitoring qui montre un rythme fœtal sans particularité. La jeune femme est donc transférée au Bloc Opératoire et prise en charge par une équipe pluridisciplinaire.

•    L’équipe d’Anesthésie (composée d’un Médecin anesthésiste Réanimateur (MAR) et d’un Infirmier Anesthésiste I(ADE)) l’installe sur la table d’opération pour pouvoir bénéficier d’une rachianesthésie (technique anesthésique proposée à la patiente et validée par elle). L’anesthésie une fois réalisée sans difficulté particulière, Mme F. est positionnée sur la table d’opération en Décubitus Dorsal avec un « roulis à gauche » et les paramètres vitaux sont surveillés, et notamment la Tension Artérielle ; un mélange Ephédrine* - Néosynéphrine* est administré en Quantité Suffisante pour maintenir le chiffre tensionnel de référence.

•    Le conjoint de la patiente est alors autorisé à venir rejoindre son épouse pour lui permettre d’assister ensemble à la naissance de leur enfant.

•    Le MAR demande à l’IADE de lui donner la seringue contenant l’antibioprophylaxie et lui administre. Quelques secondes plus tard, la parturiente perd connaissance et la saturation en oxygène baisse à 90%. Les mesures conservatoires sont immédiatement mises en œuvre pour palier à cette défaillance respiratoire, et l’on demande au conjoint de sortir de la salle d’opération en lui expliquant que son épouse a un malaise et que sa présence n’est plus possible dans ce contexte (explications données en amont par le MAR sur cette attitude en cas de complications).

•    Le MAR constate dans sa recherche d’explications à cette situation que la seringue que lui a tendu l’IADE était en fait une seringue de Thiopental*, narcotique qui constitue la dotation médicamenteuse préparée tous les matins dans le cadre de la procédure de préparation du site d’anesthésie du secteur d’anesthésie.

•    L’anesthésie s’est donc convertie en Anesthésie Générale avec intubation orotrachéale, la césarienne s’est déroulée sans problème particulier, le bébé est né avec un score d’Apgar de 10, et il a été amené auprès de son papa très rapidement. Ce dernier a été également rassuré sur l’état de santé de la maman. La patiente s’est réveillée en fin d’intervention chirurgicale, et le rapprochement de la famille a été organisée aussitôt que possible pour rassurer tout le monde.

•    Au final, la maman va bien, le bébé également et le papa est rassuré.

Conséquences

Cet incident n’a pas généré de prolongation d’hospitalisation ou de séjour en soins intensifs, ni pour la maman, ni pour le bébé, mais l’annonce d’un dommage associé aux soins à expliquer à la famille dans ce contexte particulier n’a pas été facile.

La restauration d’un climat de confiance avec la famille a été compliquée à mettre en œuvre. La transparence et les explications des soignants dans cette situation ont permis de faire baisser le niveau de tension palpable : le couple était très déçu de n’avoir pu vivre cette naissance comme ils l’avaient imaginé, sachant que les 2 premiers enfants étaient nés par voie basse sans difficulté particulière.

Cet Événement Indésirable Grave (EIG) a questionné l’ensemble des acteurs de santé impliqués dans la prise en charge de Mme F., et la décision de confier l’enquête sur cette situation à la Gestionnaire de Risques de la structure a permis de rendre les conclusions suivantes.

Analyses des causes

La méthode ALARM, recommandée par la Haute Autorité de Santé, est retenue.

  • Causes immédiates

Erreur médicamenteuse : générant la mise en œuvre de mesures conservatoires face à une dépression respiratoire et un changement de protocole anesthésique imprévu.

  • Causes profondes

Facteurs de la
grille ALARM

Causes identifiées

Facteurs liés au patient

  • Parturiente demandeuse d’une Anesthésie Loco Régionale afin de « participer » à cette 3° naissance.

  • Maman très impliquée dans la gestion de cet événement.

Facteurs liés aux tâches à accomplir

  • Prise en charge de cette césarienne selon la procédure habituelle. Maternité qui a l’habitude de ce type de prise en charge avec un volume de naissance de plus de 3500 par an.
  • Les médicaments ont été préparés selon le protocole en vigueur, toutes les seringues ont été soigneusement  identifiées.

  • Pas de code couleur sur les étiquettes des seringues par famille de médicaments.
  • La salle d’opération a été vérifiée selon la procédure de service.
  • Cette intervention était programmée, sans aucune notion d’urgence.

Facteurs liés à l’individu (personnel de la structure)

  • Le MAR et l’IADE en charge de cette intervention sont des personnels fixes, qui avaient déjà travaillés ensemble à de nombreuses reprises (binôme expérimenté).
  • Equipe anesthésique qui avait été sollicité par l’obstétricien pour « enchainer vite, car il a une consultation en cours ».
  • L’IADE a reconnu ne pas avoir pris le temps de lire soigneusement l’étiquette de la seringue avant de la donner au MAR car il était sollicité pour accrocher le champ opératoire au même moment.
  • Le MAR a reconnu la même pratique (a fait confiance à l’IADE) et pour le même motif. Il souhaitait faire l’antibioprophylaxie avant l’incision chirurgicale.

Facteurs liés à l’équipe

  • Bonne communication entre les équipes qui ont l’habitude de travailler ensemble.
  • Lors de la visite pré-anesthésique, la parturiente avait reçu d’ultimes explications sur le déroulement de l’anesthésie et de l’intervention : nombreuses questions ..

  • L’enchaînement des gestes techniques s’est déroulé sans difficulté particulière.
  • Pas de difficulté de communication rapportée dans le binôme d’anesthésie.
  • La check list HAS n’a pas été réalisée dans le cadre d’une concertation pluridisciplinaire sur un temps dédié.

Facteurs liés à l’environnement de travail

  • Pas de manque de matériel noté.
  • Le dossier patient avait les informations nécessaires à la bonne prise en charge de la patiente.
  • L’ensemble de l’équipe intervenant au Bloc Opératoire est en phase pour dire que le chirurgien souhaitait « aller vite » car il avait une consultation en cours. Tout le monde s’est mobilisé pour répondre à cette sollicitation.

Facteurs liés à l’organisation et au management

  • L’encadrement du Bloc Opératoire savait que le chirurgien avait une consultation planifiée sur cette demi  journée opératoire et a convenu avec ce dernier de l’appeler au dernier moment pour souci d’efficience.
  • Achat : les étiquettes d’identification des seringues venaient d’être changées pour des étiquettes « artisanales » sans code couleur.

Facteurs liés au contexte institutionnel

  • Contexte financier fragile.

Analyse des barrières

Barrière qui a arrêté l’incident : barrière de récupération et d’atténuation

  • Détection rapide de la perte de connaissance et mise en œuvre immédiate des mesures conservatoires car toutes les conditions techniques étaient réunies (vérification soignée du site d’anesthésie comme chaque jour).

Barrières qui n’ont pas fonctionné

  • Barrière de prévention : double contrôle (IADE et MAR) de l’étiquette de la seringue.
  • Barrière de prévention : réalisation de la Check List HAS dans un temps de concertation.
  • Barrière de prévention : programmation d’une intervention sur un créneau de consultations : contexte connu de l’encadrement du Bloc Opératoire.

Les pistes de réflexion et/ ou d’amélioration identifiées

L’analyse de cette situation a conduit les professionnels à réfléchir sur les points suivants :

  • réaffirmer et réexpliquer l’intérêt de la check list HAS,
  • aborder la thématique de programmation en conseil de Bloc et obtenir des opérateurs qu’une intervention ne puisse être programmée que si le volume ou la planification des consultations le permet, sans charge de travail surajoutée,
  • revoir la problématique d’achat des étiquettes d’identification des seringues qui étaient un élément de sécurisation dans les habitudes de travail des professionnels.
  • rappeler les fondamentaux et l’intérêt des doubles contrôles des formes médicamenteuses avant leur administration.
  • réfléchir sur l’intérêt parfois contestable et contesté de préparer les produits médicamenteux à l’avance, et favoriser plutôt une préparation extemporanée (préparation et administration immédiate).
  • adopter immédiatement le principe de dissocier un plateau de médicaments pour les urgences obstétricales et un plateau de médicaments pour l’intervention en cours,
  • revoir la procédure de préparation du site d’anesthésie et réfléchir sur certaines simplifications surtout pour ce qui concerne la préparation des médicaments liés à la prise en charge des urgences obstétricales.

Conclusion

Une nouvelle erreur humaine à l’origine de cet incident, qui n’a eu aucune conséquence sur le pronostic vital de la parturiente, mais qui a généré une grande déception pour ce couple qui avait imaginé la naissance de ce 3° enfant autrement. Beaucoup d’amertume, de frustration et d’inquiétude pour le conjoint qui n’avait pas compris la situation.
Si cette analyse a mis en lumière un certain nombre de facteurs contributifs à la survenue de cet événement indésirable, nous pouvons retenir néanmoins que sa raison première est l’absence des vérifications habituelles à toute administration.
Le respect des fondamentaux, notamment de sécurité, dans les pratiques de soins reste le point essentiel pour éviter cette typologie d’incident, car chacun s’accordera à dire qu’il était évitable.

A lire aussi :

Le risque post-opératoire

Evénement Porteur de Risque (EPR) lors d’une administration médicamenteuse

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