Oubli d’un examen bactériologique

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Oubli d’un examen bactériologique

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Monsieur R., 76 ans, consulte son médecin traitant car ses urines sont de couleur rouge depuis plusieurs semaines…

  • Paramédical
Auteur : Bruno FRATTINI / MAJ : 12/09/2018

Présentation du contexte

  • Monsieur R. consulte son médecin traitant, car il a des urines rouges lors des mictions, par intermittence. Comme cela fait plusieurs semaines qu’il présente cette particularité, il décide de consulter son médecin traitant sur l’insistance de son épouse.
  • Lors de sa visite chez son praticien, la bandelette urinaire met en évidence une hématurie. Une consultation auprès d’un urologue est proposée et acceptée.
  • L’urologue met en évidence au cours de l’interrogatoire que les urines sont souvent rouges, un rouge variable en intensité en fonction des volumes et fréquences de miction, et le patient précise que depuis 3 semaines, il lui est arrivé d’avoir quelques difficultés mictionnelles. Une échographie pelvienne et une cystoscopie vésicale sont proposées, planifiées.
  • Ces examens mettent en évidence une tumeur assez volumineuse de la vessie, et les biopsies réalisées précisent la nature carcinologique de la masse. Après avoir donné les informations au patient, le chirurgien urologue explique qu’une résection des lésions est nécessaire, que la voie anatomique au vu des examens d’imagerie médicale est possible. Les complications potentielles sont précisées.
  • Le malade accepte la stratégie thérapeutique et l’intervention est programmée. La consultation d’anesthésie ne trouvera pas de contre-indications à la réalisation d’une anesthésie générale.
  • La veille de l’intervention, le patient est admis dans le service de chirurgie. Il arrive tardivement en soirée, vers 17h45 alors qu’il lui avait été demandé de rentrer vers 16h30. La vérification du dossier médical montre l’absence d’Examen Cyto Bactériologique des Urines (ECBU). Un échantillon d’urines est prélevé immédiatement, une bandelette urinaire est pratiquée qui retrouve des leucocytes. L’échantillon d’urine est donc envoyé au Laboratoire de Biologie Médicale (LBM).
  • Le lendemain matin, vers 11h30, le patient est conduit au Bloc Opératoire avec seulement 20 minutes de retard par rapport à la planification. Il est opéré, l’intervention se déroule sans problème particulier, le séjour en Salle de Surveillance Post-Interventionnelle objective des suites immédiates simples. Mr R. est remonté dans sa chambre vers 15h15, en normothermie, non algique et avec un lavage vésical en continu sans particularités, et des urines claires.
  • Les 2 premiers jours post-opératoires sont sans particularité, avec un lavage vésical qui peut être diminué au fil des heures, les urines étant légèrement rosées. La décision est prise de retirer la sonde urinaire le lendemain matin et de vérifier l’absence de globe vésical les 48 heures suivantes.
  • Le soir de J+3, soit 10 heures après l’ablation le patient présente un début de fièvre à 38°C. Le lendemain matin, la température a encore monté à 39,2°C. Un ECBU est prélevé, ainsi qu’une NFS et une CRP. Les premiers résultats objectivent une infection urinaire, avec une CRP à 295 et 3500 leucocytes avec 90% de Polynucléaires. La température est toujours à 39°C, la Fréquence Cardiaque est à 125, une Pression Artérielle à 95/60, et une Fréquence Respiratoire à 30 cycles par minute. Un traitement antibiotique parentéral probabiliste est immédiatement mis en œuvre.
  • Le chirurgien effectue une revue du dossier du malade, et retrouve les résultats de l’ECBU réalisé la veille de l’intervention, et qui était positif. L’examen direct des urines, réalisé la veille au LBM confirmait la présence de leucocytes et précisait la présence de germes ; le prélèvement a été mis en culture. L’intervention chirurgicale des voies urinaires a été réalisée sur des urines septiques.
  • L’antibiothérapie sera adaptée dès l’arrivée de l’antibiogramme. Le patient restera fébrile jusqu’à J+6, l’antibiothérapie sera poursuivie jusqu’après la sortie du patient. Le malade rentrera à son domicile au 9° jour post-opératoire. Il reverra le chirurgien une semaine plus tard. Mr R. va bien. Les résultats de l’anapathologie confirment la nature carcinologique de la lésion retirée. Le dossier de Mr R. sera inclus dans la prochaine Réunion de Concertation Pluridisciplinaire, pour adapter son traitement au mieux de sa situation clinique.

Conséquences

Cet événement a eu comme conséquences :

- une complication post-opératoire prévisible et évitable,

- une prolongation de l’hospitalisation de 4 jours, avec une gestion prévisionnelle des lits rendue difficile au vu des objectifs d’efficience devenus nécessaires pour la pérennité des Etablissements de Santé,

- un traitement antibiotique par voie parentérale onéreux évitable,

- des explications délicates à formuler au patient,

- des équipes paramédicales dans le questionnement, voire la culpabilisation pour ce défaut de contrôle du dossier patient.

Les Responsables de Service de Chirurgie Urologique et d’Anesthésie, alertés par leur confrère respectif et la Cadre de Santé du secteur, ont déclaré l’incident par le biais du système de signalement institutionnel et ont sollicité le Gestionnaire de Risques de la structure pour réaliser une analyse de cet Evénement Indésirable Grave (EIG) et pour organiser une restitution aux acteurs de santé. Les responsables ont décidé de réaliser une analyse afin de comprendre la genèse de cet événement.

Méthodologie et analyse

Une analyse de risque a postériori est donc réalisée.

La méthode ALARM, recommandée par la Haute Autorité de Santé, est retenue.

 

  • Les facteurs contributifs discutés en équipe :

Facteurs liés aux patients :

Le patient est arrivé en retard par rapport à l’horaire fixé (un peu plus de 1h15).

De plus, il est arrivé sans avoir réalisé l’ECBU prescrit par son chirurgien et faisant partie des consignes pré-opératoires écrites données au patient.

Le patient est globalement passif dans sa prise en charge. Il se repose sur sa conjointe et les équipes soignantes, et n’est pas très coopérant. Il a reconnu avoir oublié la nécessité de réaliser l’examen bactériologique avant l’intervention.

 

Facteurs liés aux tâches à accomplir :

La procédure précisant les pré-requis de cette intervention (et notamment la réalisation obligatoire d’un ECBU avant toute intervention chirurgicale en urologie) est écrite et disponible pour tous dans le service d’hospitalisation, au Bloc Opératoire.

Il n’existe pas de check list détaillée permettant le contrôle des éléments nécessaires au transfert du patient au Bloc Opératoire.

La traçabilité informatique du serveur de résultats du LBM a permis d’objectiver la mise à disposition des résultats de l’examen direct à 20h15, alors que son arrivée a été enregistrée à 18h15. Il n’y a eu aucun retard dans la réalisation de l’examen.

 

Facteurs liés à l’individu (professionnel impliqué) :

On relève de manière générale une Insuffisance de communication entre les équipes :

- le technicien de laboratoire qui a réalisé l’examen n’a pas appelé le service pour signaler le caractère pathologique du résultat du direct,

- l’infirmière d’après midi a oublié de transmettre oralement et par écrit qu’elle avait du faire l’ECBU en urgence à l’arrivée du patient ; elle n’a pas signalé à sa collègue de nuit la nécessité de récupérer les résultats de l’examen direct ; elle n’a signalé l’incident ni à l’interne de garde, ni au chirurgien en charge du patient.

On relève également une insuffisance de contrôle du dossier à nombreuses étapes de la prise en charge :

- au départ pour le Bloc Opératoire : l’infirmière du service en charge du patient n’a pas vérifié la complétude du dossier,

- à l’arrivée au Bloc Opératoire :

  • l’Infirmière de Bloc n’a pas vu l’absence de l’examen,
  • l’équipe d’Anesthésie également,
  • l’interne n’a pas vérifié le dossier,
  • le chirurgien également.

 

Facteurs liés à l’équipe :

Il n’y a pas de problème de communication décrit dans le service. L’ambiance est globalement bonne, mais l’équipe signale des sous-effectifs de plus en plus fréquents, générant des surcharges de travail et des oublis de tâches réguliers.

Le contrôle des dossiers notamment est une tâche planifiée, mais réalisée parfois superficiellement (verbatim de 3 IDE de l’équipe). A la question, existe t-il un double contrôle de ces dossiers des futurs opérés, la réponse est négative.

 

Facteurs liés à l’environnement de travail :

L’infirmière du service précise qu’il manquait une collègue IDE ce jour là. Elles étaient 2 IDE au lieu de 3 pour 36 lits ouverts et 34 patients présents.

 

Facteurs liés à l’organisation et au management :

Les sous-effectifs dans ce secteur sont décrits comme réguliers. Décision a été prise de ne plus remplacer toutes les absences comme avant. L’adéquation entre effectifs et charge de travail n’est pas un principe de management habituel pour ce service.

 

Facteurs liés au contexte institutionnel :

Cet établissement de santé est organisé pour prendre en charge ce type de pathologie.

 

  • En résumé : ce qu’il faut retenir

- une insuffisance de communication entre acteurs de santé : technicien de labo, IDE du secteur d’hospitalisation, …

- une insuffisance de contrôle de manière globale, et à de trop nombreuses étapes du processus de prise en charge : départ pour le Bloc Opératoire, début de prise en charge au BO, …

- une absence de check-list pour le contrôle des dossiers des futurs opérés avant leur départ au BO,

- une politique de management ne prenant pas en compte de manière pérenne la charge de travail pour le dimensionnement des équipes soignantes,

- un patient passif dans sa prise en charge.

Les pistes de réflexion et/ ou d’amélioration

L’analyse de cette situation a conduit les professionnels médicaux et paramédicaux à réfléchir sur plusieurs points concernant le process de contrôle des dossiers des futurs opérés.

Les axes d’amélioration préconisés par la gestionnaire de risques, en accord avec les différents acteurs ont été :

  • une procédure de contrôle des dossiers des futurs opérés réactualisée, avec l’établissement d’une check-list pour objectiver la présence de toutes les pièces administratives et médicales nécessaires à la réalisation de l’intervention chirurgicale.
  •  le double contrôle doit devenir la règle pour éviter tout oubli. Les équipes de nuit sont sollicitées pour le réaliser.
  • revoir le système d’alerte en cas de pièces manquantes.
  • pour toutes ces décisions, il sera demandé à l’équipe en charge du développement du Dossier Patient Informatisé d’étudier la possibilité de paramétrer cette check-list, avec une alerte chaque fois qu’un élément sera manquant.
  • la constitution d’un groupe de professionnels, pour construire un outil de calcul de charge de travail permettant de dimensionner les équipes soignantes en adéquation avec cette dernière.

Conclusion

Cet exemple concret montre ou démontre une fois encore qu’un système complexe a des faiblesses. L’ensemble des acteurs a commis la même erreur. La non récupération des ces erreurs patentes a eu des conséquences importantes pour le patient, mais également pour le système de soins.

La surveillance clinique et paraclinique du patient dans les suites post-opératoires a permis de traiter la complication infectieuse du patient. Les défenses en profondeur ont donc fonctionné.

Les actions d’amélioration préconisées permettront d’améliorer les organisations, mais celle qu’il ne faut pas occulter est le dimensionnement des effectifs en fonction de la charge de travail. 

1 Commentaire
  • ALAIN f 16/01/2016

    Et la liste pré opératoire obligatoire pour le chirurgien et l'anesthésiste !

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