Lipectomie après By pass : suites catastrophiques

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Lipectomie après By pass : suites catastrophiques - Cas clinique

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Une patiente venue pour une lipectomie supposée sans risque, va mourir d'une surveillance post opératoire largement déficiente. Le ‘failure to rescue’ et le travail en équipe au centre des difficultés.

  • Chirurgien
  • Travail en équipe, communication
  • Bloc opératoire
Auteur : Catherine LETOUZEY / MAJ : 20/05/2016

Les faits

  • Une patiente de 57 ans a été opérée d’un by pass en octobre 2011 (IMC de 35), suivi d’une perte de poids importante. Dans ses antécédents, on notait alors trois accouchements dont une césarienne, une hystérectomie et une HTA en cours de traitement.
  • Six mois plus tard, elle consulte de nouveau son chirurgien. Elle pèse 65 kg pour 1 m 60. Son traitement antihypertenseur a été notablement diminué. Il écrit « elle avait en pré opératoire une hernie ombilicale qui la gêne et j’en profiterai pour retirer son surplus graisseux ».
  • Avec l’accord de la patiente, il est donc prévu une lipectomie et la mise en place d’une plaque par voie conventionnelle de Pfannenstiel.
  • Après signature d’un consentement, un examen cardiologique sans particularité, une consultation anesthésique (ASA 2) et un bilan sanguin complet, elle est opérée un mercredi après-midi.
  • Le CRO est intitulé : « éventration ombilicale, cure par mise en place d’une plaque par voie conventionnelle, résection cutanéo-graisseuse excédentaire, fermeture avec plastie de transition ». Aucune difficulté technique n’est décrite. L’intervention dure une heure. Deux redons sont mis en place ainsi qu’une ceinture de contention. Il est prévu une prophylaxie antithrombotique par Lovenox®.

 

J1

  • Le lendemain matin, jeudi, le bilan sanguin est satisfaisant avec une hémoglobine à 12,1g/dl (13,1 g/dl la veille), des plaquettes à 121 000/mm3. Le TCA est à 1,29. Il est noté dans les transmissions ciblées (sans horaire) « est tombée ce matin vers 10 h en essayant de se lever seule, douleurs du dos comme avant, TA 9/6, pouls 57….. Saignement au niveau du pansement ; redon très productif. Chirurgien prévenu qui a dit de « casser le vide » des redons, de renforcer le pansement et de laisser la ceinture.
  • Il est également noté : « vertige, malaise à 10 h 30 en essayant de se lever seule, TA prise, ARE prévenu 10 minutes plus tard, aucun examen demandé, examen vers 17 h 30 par ARE mais RAS. A 18 heures, se plaint de douleurs du coccyx. ARE appelé, passer les antalgiques prescrits. Appel du chirurgien : radio prescrite ».
  • A 17 h 20, il est également noté : « ….320 ml dans le redon depuis ce matin ; arrêt du vide ».
  • A 20 heures, le chirurgien note « peut boire, NFS demain ». La tension est alors à 10/6, le pouls à 69, le redon n’est pas productif. La surveillance est notée et identique sur le plan tensionnel à trois reprises jusqu’à 23 heures. A cet horaire, il est noté un saignement au niveau du pansement.

 

J2

  • Le vendredi, il n’y a pas de note sur le « suivi médical » mais sur un feuillet libre et dans les transmissions, il est inscrit : « malaise en fin de matinée lors de la tentative de lever ; TA à 10/8, pouls à 103 ; passage du chirurgien et suppression du pansement compressif ; redon remis en aspiration ; ablation de quelques agrafes, évacuation d’hématome. Sera reprise cet après-midi. Vers 15 h, résultat de la NFS : hémoglobine à 5,5g/dl, 104.000 plaquettes ; ARE prévenu et commande de sang faite. Départ bloc 16 h 30 et retour 19 H 45, scopée, TA à 10/6, pouls à 53, redons productifs (100 ml et 140 ml).
  • Le CRO de cette reprise note « Redons très productifs, hématome sous cutané, décision d’évacuation de l’hématome, drainage ». Ouverture de l’incision à gauche..Après l’évacuation de nombreux caillots, il n’est pas constaté d’hémorragie active, remise en place de deux redons aspiratifs, pansement compressif ». Trois culots globulaires sont transfusés en per opératoire et 1en SSPI ainsi que 3 PFC.
  • On retrouve la trace d’un hémocue à 19 h au bloc opératoire : 8,3 g/dl, puis à 8,2g/dl à 22h 23.
  • Le suivi après le retour fait apparaitre la prise de constantes à 20 h (TA à 10/6 et pouls à 53), à 20 h 30 (TA à 97/60 et pouls à 96). Les redons donnent 160 cc à 20 h 30.
  • A 22 heures, l’ARE note «elle est stable » et quitte l’établissement. Le dernier culot globulaire est prévu et doit être administré sous la surveillance du médecin de garde.
  • Il est difficile de s’y retrouver dans le dossier transfusionnel mais il semble que ce culot ait été administré vers 22 h 30.

 

NUIT de J2 à J3

  • La surveillance apparait sur deux supports. Certaines valeurs apparaissent sur une « fiche de surveillance de l’acte transfusionnel », rapportées régulièrement toutes les 30 minutes de 22 h 30 à 1 h 20 du matin, puis les suivantes à 2 h 20 et 4 h 20.  La pression artérielle est d’environ 90/60, sauf à 2 h 20 où elle est notée à 106/48 mm Hg.
  • Le pouls est aux environs de 100/min. La saturation est à 100%.
  • Un appel du chirurgien ou de l’IDE est noté à 0 h 30 : « casser le vide », numération impossible.
  • Un hémocue, à 1 h 20 est à 8g/dl.
  • A 4 h 20, la TA est à 70/40 avec un pouls à 103 et le médecin de garde est appelé. Il prescrit un « Ringer lactate » en plus des 2 litres de « réa de base » qui étaient prescrits. Il ne note rien sur le dossier de cette patiente pour lequel il était intervenu, peu après le départ de l’ARE vers 22 h pour apporter le dernier culot globulaire prescrit.
  • Il est noté sur une autre feuille une prise de TA à 6 h (TA à 106 /84 et pouls à 59) et une à 7 h (TA à 100/70 avec pouls à 99 ????).
  • Le médecin de garde n’est rappelé qu’à 7 heures10 du matin, devant le constat par les IDE d’un arrêt cardio-respiratoire. Il pratique un massage cardiaque, une ventilation avec une Guedel.
  • Le cardiologue, appelé également, dit avoir trouvé la patiente au sol, sans pouls ni tension. Il a demandé de la remplir, l’a intubée avec difficulté, a prescrit des amines pressives pour qu’elle soit transportée le plus rapidement possible au bloc. Un des praticiens pose un cathéter central. La situation a été rétablie vers 7 h 40.
  • Il est également noté que l’ARE a été appelé vers 7 h 10 ; à son arrivée, la patiente est intubée, ventilée, un cathéter jugulaire est posé : il commande du sang + PFC et prévoit un bilan d’hémostase. La patiente est au bloc à 8 h.
  • Vers 9 heures, la patiente est en SSPI pour suite de la surveillance : elle se mord la langue à la suite d’un réveil après avoir éjecté la canule. La tension systolique est entre 70 et 90 mm Hg.
  • En peropératoire, après le premier culot globulaire, la NFS  montre une hémoglobine à 8,2, des plaquettes à 45 000 et des troubles des facteurs de la coagulation TP 31%, fibrinogène 1,06 (normale 2 à 4,5), TCA 169/32.
  • Le CRO indique : «  évacuation d’un hématome volumineux et des caillots, point en X.sur une hémorragie active. En l’absence de persistance d’une hémorragie active, il est réalisé un packing par deux champs abdominaux et une fermeture d’incision en un plan par surjet. La morsure de langue, ayant donné une hémorragie buccale de l’ordre de 500 cc, est  suturée ».
  • Sur le plan médical, il existe un saignement aux points de ponction nécessitant un remplissage vasculaire et une transfusion massive (11 CGR, 3 PFC, 1 CAP) ; une instabilité hémodynamique associée nécessite des catécholamines (adrénaline augmentée jusqu’à 8 mg/l).
  • Elle est transférée par SAMU en réanimation et décède le lendemain dans un tableau de défaillance multiviscérale et d’ischémie mésentérique au-delà de toute ressource thérapeutique.
  • La conclusion est explicite : décès des conséquences d’une hémorragie grave avec choc hémorragique dans les suites d’une lipectomie.

La famille saisit la CCI, mettant dans la cause le chirurgien, l’anesthésiste et l’établissement.

Dans un second temps, le médecin de garde et le cardiologue seront également concernés par cette expertise.

Analyse et jugement

Jugement

EXPERTISE CCI (2014)

Les experts (chirurgien viscéral et anesthésiste) ont eu des difficultés à retracer le plus exactement possible la succession des événements et ont diligenté deux réunions d’expertises, souhaitant entendre également le médecin de garde et le cardiologue.  

Ils ont eu des difficultés initialement à retracer les événements de la nuit du vendredi au samedi car les données hémodynamiques étaient inscrites sur le dossier transfusionnel dont ils n’avaient pas connaissance initialement. Puis, il manque de données chiffrées pour la nuit du samedi au dimanche, de l’observation du médecin de garde (non anesthésiste) et de la traçabilité de l’échange téléphonique qui aurait eu lieu entre le chirurgien et l’IDE à 2 h du matin (celle de 0 h 30 étant mentionnée).

Le chirurgien déclare que l’intervention « n’était pas majeure » et sans difficulté technique. Le lendemain, il a stoppé le vide pour diminuer le saignement. Il n’a pas soulevé le panty ; le soir, « elle paraissait bien ».

Le lendemain, la patiente était tachycarde, elle avait fait un second malaise. Il a évacué un hématome après avoir enlevé quelques agrafes et décidé de la reprise. Il a ouvert la partie gauche de la cicatrice mais a pu voir tout le décollement et faire l’hémostase d’un vaisseau par un point en X. Lors de la deuxième réunion, il déclare qu’il a ouvert la cicatrice de gauche à droite.  Dans la nuit, il déclare que l’infirmière qu’il connait bien l’aurait appelé vers 0 h 30 (ce qui est noté dans le dossier) car elle était inquiète que le redon soit productif. Il lui aurait demandé de casser le vide, de faire un hémocue et de le rappeler vers 2 heures. Elle lui aurait dit alors que la situation était stable.

L’anesthésiste déclare qu’il a transfusé la patiente avant la première reprise, qu’il a revu la patiente entre 21 h et 22 h ; le pouls était à 80, la TA à 13/8, l’hémocue à 8,2. Il a prescrit du Ringer lactate en garde veine et a demandé que l’on passe un cinquième culot globulaire. Il a demandé que le Lovenox® ne soit pas injecté. Lorsqu’il est arrivé le lendemain matin, la patiente était intubée, en rythme sinusal, scopée, avec un cathéter de gros calibre qui permettait le remplissage. Il évoque des troubles de l’hémostase, ce qui sera confirmé par les prélèvements.

Le médecin de garde fait un compte rendu de ses interventions : culot globulaire, prescription de remplissage à 4 h 30.La patiente était scopée. Il n’a pas été rappelé.

« Le choc hémorragique fait suite à un saignement itératif, provenant de vaisseaux perforants. Ce saignement a été provoqué par la nécessité d’une dissection poussée avec de larges décollements pour réaliser d’une part une dermo-lipectomie, d’autre part pour placer une prothèse pariétale de réparation d’une hernie ombilicale. Une première hémostase n’a pas suffi à prévenir le saignement nécessitant une seconde intervention, dans un contexte de choc hémorragique gravissime. Si l’hémorragie est une complication répertoriée de toute chirurgie, a fortiori s’il est nécessaire de faire de grands décollements et ne peut pas, à ce titre être considérée comme une maladresse, la prise en charge de cet accident n’a pas été en tout point conforme aux règles.

Il n’apparaît pas clair de savoir s’il s’agissait bien d’une hémorragie du même vaisseau ou de deux vaisseaux différents. Les déclarations du chirurgien ont varié entre les deux réunions ».

Les experts constatent que « la TA systolique était à 70 mm Hg à 4h30 du matin alors que les valeurs étaient sub normales à 6 h avec un remplissage par un cristalloïde modéré et non rapide passé à priori entre 4h30 et 7h du matin.

Entre 4h30 et 7h, il n’y a aucun relevé des paramètres de surveillance.

Compte tenu de la situation d’hypotension, avec une pression artérielle moyenne inférieure à 70 mm Hg à partir de 1 h 20, expression d’une hypovolémie, une surveillance plus rapprochée s’imposait. Ce n’est pas une seule valeur qui permet d’affirmer que la situation était stabilisée.

Il n’y a pas eu de surveillance biologique, pas d’hémocue et de ce fait pas de remplissage en urgence y compris par des culots globulaires.

En l’absence de place en USC, la surveillance scopique s’imposait, les tracés ne sont pas disponibles ce qui gêne considérablement l’analyse de cette période charnière. Il était peut-être encore possible d’éviter le choc à 4 h 30 du matin.

Il devenait particulièrement difficile de lutter après 7h du matin conte les conséquences de ce choc après arrêt circulatoire.
Les experts précisent que les évènements de cette nuit sont la suite d’une période de 24 h, nuit du J1 à J2 et matinée de J2, durant laquelle une anémie aigue a été constatée et a nécessité une ré intervention d’hémostase et des transfusions. Des lors que la situation était agitée et nécessitait de multiples interventions médicales, la patiente devait être suivie, avec des règles de surveillance précises, dans une unité appropriée; une surveillance électronique dans une chambre conventionnelle ne peut être considérée comme une situation similaire à une USC ou à une USI (personnel expérimenté, médecin dédié). En l’absence de place, un transfert devait être envisagé.

La complication n’a pas été prise en compte suffisamment rapidement et son importance sous-estimée. Tous les moyens n’ont  pas été mis en œuvre pour une surveillance optimale dans la nuit de J2 à J3 ».

Du fait de cette prise en charge non en tout point conforme, la perte de chance d’éviter le décès est comprise entre 60% et 80%.

Ils suggèrent la répartition suivante des responsabilités.

25% pour le chirurgien : reprise seulement partielle de la cicatrice ne permettant pas une exposition optimale, pas de décision de transfert avec l’ARE d’autant qu’il a été appelé vers  00 h 30 par l’IDE alors que les redons donnaient du sang.

25% pour l’anesthésiste, pour ne pas avoir décidé un transfert en unité de soins appropriée, ne pas avoir directement informé le médecin de garde de la situation complexe, d’avoir décidé d’une surveillance électronique en chambre mais sans préciser la régularité de cette surveillance et sur les seuils d’alerte (la surveillance électronique permet des alarmes sur les différents paramètres).

50% pour le médecin de garde : non prescription de contrôles sanguins, non suivi du remplissage et non prescription d’une surveillance rapprochée, aucune traçabilité d’examen clinique, pas de notion des pertes par le redon ni de précisions sur le pansement, pas d’appel à l’anesthésiste ou au chirurgien.

Le risque hémorragique concernant cette double intervention était de l’ordre de 10 %, le risque de décès d’une telle hémorragie extrêmement faible, les grandes séries de la littérature n’en mentionnant le plus souvent aucun (risque inférieur à 0,1%). La patiente n’était pas particulièrement exposée au risque de décès par hémorragie (IMC=24, pas de trouble de l’hémostase connu, bilan pré opératoire normal).

AVIS de la CCI (2015)

La CCI retient que le décès est imputable à la survenue d’un choc hémorragique secondaire à la lipectomie.

Conformément au rapport d’expertise, les membres de la Commission retiennent la responsabilité des trois praticiens.

Ils reprochent au chirurgien de ne pas avoir prescrit de surveillance renforcée dans les suites de la reprise, chez cette patiente à haut risque porteuse d’un by pass et victime d’une hémorragie post opératoire. Ils estiment qu’il résulte des feuilles de transmission que le chirurgien ne s’est pas déplacé suite à l’appel de l’IDE (à minuit et 2 heures) et qu’il n’a pas requis le transfert en unité de soins continus.

Ils reprochent à l’anesthésiste de ne pas avoir prescrit de surveillance renforcée alors que l’hémorragie était importante, de ne pas avoir tenu le médecin de garde informé de la situation et de ne pas avoir organisé le transfert en soins continus.

Ils lui reprochent également de ne pas s’être déplacé immédiatement lors de l’appel à 7 h le matin (ce qu’il a vigoureusement pourtant contesté, dossier à l’appui).

Ils reprochent au médecin de garde, appelé dans la nuit, de ne pas avoir prescrit un contrôle sanguin ni de suivi particulier des constantes, ni de surveillance rapprochée. De même, il n’a pas organisé le transfert ni prévenu le chirurgien ou l’anesthésiste de la situation.

Contrairement au rapport d’expertise et suite à leur analyse et aux dires échangés lors de la réunion, ils répartissent différemment la responsabilité, majorant celle du chirurgien et minorant celle du médecin de garde. Ils considèrent que la responsabilité du chirurgien est engagée pour 50%, celle de l'anesthésiste et celle du médecin de garde pour 25% chacun.

Ils concluent « qu’il convient néanmoins de tenir compte de l’état antérieur de la patiente et d’évaluer ses chances de survie à 80% ».

Il leur appartiendra de faire une offre d'indemnisation aux ayant droits du patient décédé.

Bibliographie et annexes

Complications des abdominoplasties : particularités des patients post-bariatriques à propos de 238 patients, thèse de Ludovic LIEVAIN, 2012, avec bibliographie.

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