Occlusion du grêle à répétition... Intervenir ou pas ?

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Occlusion du grêle à répétition... Intervenir ou pas ? - Cas clinique

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Le cas clinique est celui d’un homme de 61 ans traité par neuroleptiques pour une affection psychiatrique chronique et vivant en foyer. A une date non précisée, il a subi une intervention pour un ulcère gastro-duodénal.

  • Chirurgien
Auteur : La Prévention Médicale / MAJ : 17/06/2020

Cas clinique

  • En janvier 2005, hospitalisation pour occlusion de l’intestin grêle sur bride, ayant nécessité une intervention chirurgicale aux suites simples. En mai 2005, nouvelle intervention pour récidive d’occlusion intestinale aiguë ayant nécessité une courte résection intestinale, avec des suites également simples. En décembre 2005, mars 2007, décembre 2007, mars 2008 et en mai 2010, sont survenus de courts épisodes subocclusifs ayant entrainé une hospitalisation mais qui ont régressé sous traitement médical (aspiration digestive, lavements évacuateurs, administration orale de Gastrographine® ou injection IM de Prostigmine®). Depuis 2005, les hospitalisations ont toutes été réalisées dans la même clinique et prises en charge par le même chirurgien digestif.  
  • Le jeudi 15 juillet, vers 15h00, ce patient se rend aux urgences de la clinique où il a toujours été soigné pour un ballonnement abdominal douloureux et un arrêt du transit intestinal (selles et gaz) apparus la veille. L’urgentiste demande une radiographie d’abdomen sans préparation. Selon l’interprétation du médecin radiologue et ce qui est noté sur le dossier des urgences, la radiographie montre une « distension colique et grêlique ». A noter que lors de l’expertise, l’interprétation de cette radiographie concluera à « un aspect typique d’occlusion du grêle. Absence d’air et encore moins de niveau sur le colon. Ce qui a été pris pour le colon était un volumineux niveau gastrique ! ».  
  • L’urgentiste sollicite le gastro-entérologue de la clinique pour qu’il réalise une coloscopie (suspicion de volvulus colique ?). Celui-ci programme cet examen pour le lendemain matin. Le patient est alors hospitalisé dans le service de chirurgie de la clinique avec comme prescriptions : mise en aspiration par sonde naso-gastrique, lavements évacuateurs, Prostigmine® IM, perfusion de 1000 ml de G5% contenant 4 g de ClNa. Le traitement neuroleptique est poursuivi oralement.  
  • Jeudi 15 juillet, vers 19h00, le chirurgien aurait vu le patient mais aucune note de confirmation n’est inscrite dans le dossier.  
  • Vendredi 16 juillet, vers 9h00, le volume de l’aspiration digestive est de 900ml depuis la veille au soir avant que la sonde ne soit arrachée par le patient, avec une attitude d’opposition pour qu’on la repose. L’état général du patient est bien conservé. Une nouvelle radiographie d’abdomen sans préparation met en évidence des niveaux hydro-aériques strictement localisés au grêle et superposables aux images de la veille.  
  • Vendredi 16 juillet, vers 14h00, malgré ces données, le gastroentérologue réalise une colo-aspiration sous anesthésie générale qui parvient jusqu’au niveau de la partie haute du côlon droit où l’abondance de matières arrête la progression. Le gastro-entérologue conclut à l’absence de volvulus colique et demande que le patient soit montré au chirurgien.  
  • Vendredi 16 juillet, vers 18h00, le chirurgien examine le patient et prend connaissance des clichés pratiqués les 15 et 16 juillet. Aucun avis n’est consigné dans le dossier. Le dossier infirmier faisait état d’un volume d’aspiration digestive de 2.900 ml au cours des dernières 24 h. Il existe une hyperleucocytose à 15.400/mmm3, le reste du bilan biologique est considéré comme normal. Le chirurgien aurait réexaminé le patient et conseillé la poursuite du même traitement en ajoutant l’administration de 1000 ml d’une solution de Ringer-lactate, toujours sans rien écrire dans le dossier médical.  
  • Le dimanche 18 juillet, le gastro-entérologue note : « sonde d’aspiration : 2,9 l /24 heures,… intervention à prévoir ; voir avec le chirurgien quand la programmer ».A noter, l’absence de mesure de la diurèse quotidienne dans le dossier infirmier. Le chirurgien aurait également vu le patient et demandé à porter le volume des perfusions à 3.000 ml/ 24 h.  
  • Le lundi 19 juillet 09h00, le gastro-entérologue note: « ventre beaucoup plus souple ; a moins mal ; à montrer au chirurgien ; compenser toujours les pertes ; surveiller la diurèse ». Le même jour, lors de sa visite, en début de matinée, le chirurgien constate l’absence de signes d’amélioration, notamment la persistance de vomissements malgré l’aspiration digestive. Il décide de procéder à une intervention chirurgicale, au cours de l’après-midi.  
  • Le lundi 19 juillet 11h00, apparaissaient brutalement des troubles respiratoires, vraisemblablement en rapport avec l’inhalation bronchique de vomissements. Le chirurgien et l’anesthésiste sont immédiatement informés.  
  • Une radiographie pulmonaire, pratiquée à 11h38, montre d’importants troubles ventilatoires des deux poumons. Le chirurgien retenu au bloc opératoire ne peut se déplacer au chevet du patient mais l’anesthésiste serait venu. Toutefois, ni le dossier médical, ni le dossier des soins infirmiers ne contiennent d’informations concernant les prescriptions thérapeutiques ou les soins mis en œuvre à ce moment-là.  
  • Le lundi 19 juillet 15h00, il est noté une aggravation de la condition respiratoire et une dégradation de l’état de conscience.  
  • Le lundi 19 juillet 18h15, le patient est transféré à l’Unité de Soins Continus de la clinique dans un tableau de « syndrome de détresse respiratoire aigue » associé à une hypotension artérielle à 70/40 mmHg, une tachycardie à 154/min et une hyperthermie à 39 9°C. Le patient est alors intubé et ventilé en oxygène à 100%.  
  • Le lundi 19 juillet 19h26, pO2 : 70 mmHg ; clairance de la créatinine : 34ml/min.  
  • Vers 21h00, le chirurgien intervient : « (…) On constate une occlusion du grêle sur bride avec un grêle volvulé dont la vitalité est compromise…Nécessité d’une résection grêlique large laissant en place 1 m 40 de grêle…Rétablissement de la continuité par une anastomose grêlo-grêlique termino-terminale (…) ». Immédiatement après l’intervention, le patient est transféré par le SMUR dans le service de réanimation du CHU où il décède le 21 juillet au matin, dans un tableau de défaillance multiviscérale irréversible.

Saisine de la CRCI par la famille du patient, en réparation du préjudice subi.

Analyse

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Jugement

Expertise  (mars 2012)

 

L’expert, chef de service de chirurgie générale et viscérale, estimait que les complications survenues ainsi que le décès du patient aurait pu être évités si l’intervention chirurgicale, indispensable, avait été plus précoce : « (…) La comparaison des radiographies du 15 et du 16 juillet, qui montraient la fixité des images d’occlusion du grêle, auraient  dû conduire à poser l’indication d’une intervention chirurgicale, au plus tard le 16 ou le 17 juillet. La réalisation d’une tomodensitométrie abdominale  au cours des premières 24 heures, conformément aux recommandations médicales en vigueur, aurait certainement apporté une contribution décisive pour poser une indication opératoire précoce. Le cas échéant, cet examen non invasif, pouvait être répété à 48 heures, sans inconvénient…Le délai de quatre jours qui s’était écoulé entre l’admission du patient  à la clinique et l’intervention chirurgicale avait été responsable d’une inhalation bronchique – au demeurant  tardivement prise en charge--et d’une nécrose étendue du grêle volvulé.  Dans les heures précédant l’intervention, une défaillance polyviscérale s’était installée, qui avait rapidement conduit au décès dans les suites opératoires (…) »

L’expert concluait que les manquements observés  avaient été responsables d’une perte de chance d’éviter les complications à l’origine du décès, qu’il évaluait  à 50 %.

 

Avis de la CRCI (novembre 2012)

 

La CRCI considérait que   « (…) Le chirurgien et le gastro-entérologue avaient compromis les chances du patient d’obtenir une amélioration de son état de santé ou d’échapper à son aggravation, la perte de chance étant évaluée à 80%. Chacun des  médecins  mis en cause était, pour moitié, à l’origine de cette perte de chance (…) »  

 

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