Retard diagnostique d'une fracture de Monteggia, prise en charge inadéquate

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Retard diagnostique d'une fracture de Monteggia, prise en charge inadéquate - Cas clinique

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Erreur de diagnostic d'une fracture après chute d'un enfant âgé de 5 ans sur la main droite. La lésion a été interprétée à tort comme une fracture isolée du cubitus, méconnaissant la luxation, ce qui est un piège classique qui égare couramment les non spécialistes...

  • Chirurgien
Auteur : Catherine LETOUZEY / MAJ : 17/06/2020

Cas clinique

  • Le 11 juin, un enfant âgé de 5 ans, droitier, chute lors d’un saut sur un tapis dans un gymnase lors d’une fête de fin d’année avec une mauvaise réception sur la main droite et un traumatisme en hyper extension. Les pompiers le conduisent au centre hospitalier au service des urgences pédiatriques.  
  • Il est examiné vers 19h30 par un praticien du service (qualification ?). Il est indiqué dans l’observation médicale une « fracture peu déplacée du tiers moyen du cubitus droit, sans complication vasculaire ». Il est pratiqué une immobilisation brachio-antébrachio-palmaire, circulaire fendu, laissant libre la colonne du pouce, pendant huit jours. Un rendez-vous est prévu auprès d’un orthopédiste.  
  • Le 19 juin, au service consultation des urgences, le plâtre est changé et l’examen, pratiqué par un praticien différent, « ne montre pas de signe vasculo-nerveux ».  
  • Le 23 juin, à J12 après de nouvelles radiographies sous plâtre, le chirurgien orthopédiste confirme le diagnostic et fait réaliser un plâtre brachio antébrachiopalmaire en résine.  
  • Le 7 juillet, après des radiographies de contrôle à 4 semaines, le chirurgien note dans son dossier une fracture en voie de consolidation. Il prescrit une réfection du plâtre en résine.  
  • Le 21 juillet, à l’issue du mois et demi habituel d’immobilisation, la fracture est consolidée. La contention est enlevée et une auto rééducation conseillée.  
  • Le 25 juillet, nouvelle consultation de l’enfant au service des urgences, car une chute de sa hauteur a accentué les douleurs du coude, décrites par la mère comme étant déjà présentes à l’ablation du plâtre. Il est examiné par un interne. Les radiographies concluent à la « réapparition du trait de fracture avec déplacement peu important au niveau medio-diaphysaire de l’ulna ». Une nouvelle immobilisation est confectionnée.  
  • Le 28 juillet, le chirurgien orthopédiste indique : « fracture itérative de la diaphyse cubitale droite ». Des douleurs sont notées et un nouveau plâtre en résine est confectionné. Il consulte de nouveau l’enfant pour le suivi le 10 aout puis le 8 septembre pour enlever le plâtre. La fracture du cubitus est consolidée. Devant cette fracture itérative, il demande un avis à un pédiatre à la recherche d’une éventuelle fragilité osseuse constitutionnelle.  
  • Le bilan phosphocalcique réalisé en pédiatrie est normal.  
  • Le 6 octobre, lors de la dixième et dernière consultation au centre hospitalier, le chirurgien note un défaut de flexion du coude modéré (130° de flexion), une pronation et une supination à 80° ; l’observation mentionne « cal sur la face palmaire du coude, a priori hématome calcifié ».  
  • Le 5 novembre, le coude de l’enfant reste anormalement douloureux lors des activités et des séances de kinésithérapie, la tuméfaction au niveau du coude persiste ; les parents inquiets consultent pour un deuxième avis, un chirurgien pédiatrique exerçant dans un établissement privé. Celui-ci constate sur les radiographies une luxation antérieure de la tête radiale passée inaperçue réalisant ainsi un tableau de fracture/ luxation de Monteggia. Un scanner et une IRM confirment la luxation avec une bonne vitalité de la tête radiale.  
  • A la lecture de ces examens, le praticien propose une ostéotomie du cubitus avec greffe iliaque (intervention dite de Bouyala) qui aura lieu le 2 décembre ; elle est suivie d’une nouvelle immobilisation. La radiographie post opératoire retrouve une ostéotomie avec un manque majeur de déflexion et surtout une luxation de la tête radiale persistante.  
  • L’enfant est suivi régulièrement par ce chirurgien qui n’a aucune réactivité devant la persistance de cette luxation. L’ablation du plâtre et d’une broche sont programmés le 20 janvier 2011 ; une rééducation est prescrite; selon la famille, lors de la dernière consultation en mai 2011, tout allait bien. Un suivi en psychomotricité est initié, motivé par l’absence de réutilisation du membre supérieur droit par l’enfant.  
  • En fin d’année 2011, comme prévu, les parents prennent rendez-vous pour ablation de la plaque. La consultation a lieu avec l’associé du chirurgien, son confrère étant décédé accidentellement. Ils ont la grande surprise de s’entendre dire que l’intervention a été inutile, que la tête radiale est toujours luxée. Ce troisième chirurgien souhaite prendre un avis auprès d’un professeur référent.  
  • En mars 2012, après un délai d’attente de 3 mois, celui-ci répond à son confrère en confirmant la nécessité « d’une reprise chirurgicale avec une ostéotomie de recurvatum de type Bouyala, sans toucher à la tête radiale, en informant les parents des risques encourus ».  
  • Avant l’intervention qui aura lieu fin avril, le chirurgien de la clinique note que l’enfant n’est pas particulièrement symptomatique ; l’état est le même que lors du précédent examen avec un cubitus valgus non négligeable et une limitation de la flexion.  
  • L’intervention (avec antibioprophylaxie) consiste donc en une réduction de la luxation, une ostéotomie de réaxation du cubitus avec un greffon synthétique et une ostéosynthèse par plaque vissée.  
  • Les suites immédiates sont favorables ; les douleurs sont bien contrôlées ; il n’y a pas de déplacement secondaire de la tête radiale et la consolidation s’annonce en bonne voie mais les cicatrices deviennent inflammatoires.  
  • A 5 semaines de l’intervention, début juin 2012, la cicatrice inflammatoire s’est ouverte avec écoulement et extériorisation de la plaque ; l’examen bactériologique de prélèvements superficiels note quelques leucocytes et isole un Pseudomonas aeruginosa et un enterobacter cloacae ; la CRP est à 1 mg. Un avis est pris auprès d’un infectiologue, la plaque et la greffe retirées et remplacées par un fixateur externe avec système de distraction; les prélèvements per opératoires isolent le Pseudomonas. Un traitement antibiotique intraveineux institué par cathéter. Fin juin, il est décidé d’utiliser le fixateur pour allonger le cubitus progressivement. Mi-juillet on note une ostéolyse localisée autour d’une broche, motivant un traitement antibiotique oral. Fin aout 2012, une nouvelle chute arrache les broches proximales et le chirurgien réalise la fin de l’ablation du matériel et une immobilisation.  
  • Le suivi ultérieur (attelle sans mobilité du coude puis orthèse articulée ...) est encore en cours en mars 2013 : la tête radiale est en bonne position, il n’y a pas de signe d’ostéolyse, la consolidation n’est pas terminée, qualifiée de « retard de consolidation » et pas encore à ce stade de pseudarthrose.  
  • La longue série de soins a contribué à perturber significativement cet enfant qui est exclu des activités physiques, s’isole, a du devenir gaucher, n’utilise plus du tout sa main droite, a des difficultés de langage et scolaires. Il appréhende toutes les prises en charge médicales. Sa prise en charge est complexe (ergothérapeute, psychomotricienne, orthophoniste et psychologue). L’impact est également important sur la vie familiale et celle de la fratrie.  
  • Une procédure judiciaire est initiée.

Analyse

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Jugement

EXPERTISE (2012/2013)

 

Les experts sont chirurgien orthopédiste pédiatrique et infectiologue.

Deux expertises ont eu lieu, en 2012 et en septembre 2013 et l’enfant doit être revu dans deux ans pour la quantification définitive des préjudices.

Les parties en cause lors du deuxième accedit sont le centre hospitalier, le chirurgien hospitalier (deux consultations étant intervenues en exercice libéral), auxquels se sont joints l’assureur du deuxième chirurgien décédé, le deuxième opérateur et son établissement mis en cause en cours de procédure.

Les conclusions sont sans ambiguïté et non discutées sur la responsabilité.

Cet enfant, sans antécédent particulier, a présenté une fracture dite de Monteggia, associant une fracture du tiers supérieur de l’ulna (cubitus) et luxation antérieure de la tête radiale.

L’interprétation des  experts sur la radiographie initiale, est celle d’une fracture de Monteggia avec fracture incomplète en bois vert du cubitus angulé modérément de 15° à l’apex antérieur avec angulation antérieure de la tête radiale. A J12, contrôle identique. Le 21 juillet lors de la deuxième chute, fracture du cubitus très peu déplacée.  En octobre, apparition du noyau d’ossification de la tête radiale qui est toujours luxée de manière identique en avant.

 

Un diagnostic erroné 

 

« Cette lésion a été interprétée à tort comme une fracture isolée du cubitus, méconnaissant la luxation, ce qui est un piège classique qui égare couramment les non spécialistes. A aucune des consultations, de suivi (10 en tout), le diagnostic n’a été redressé qu’il s’agisse de celles initiales au service des urgences (3 en tout) et celles auprès du chirurgien orthopédiste (7 en tout). Lors de la dernière consultation celui-ci s’orientait vers un hématome calcifié.

Il s’agit d’une erreur médicale diagnostique.

Pour évaluer la « perte de chance », on peut rappeler schématiquement les seuils classiques d’indication selon le délai où le diagnostic a été fait ou redressé.

- En urgence et pendant les 3 à 4 premières semaines, tant que le foyer du cubitus n’est pas très solide, on peut proposer une réduction orthopédique simple de l’ulna qui, la plupart du temps, assure la réintégration de la tête radiale sans recourir à un geste direct sur celle-ci.

- Au-delà de ce délai, (de 1 à 3 mois après la fracture), un geste chirurgical s’impose de démontage du cal osseux cubital permettant la réduction de la fracture, son ostéosynthèse et, inconstamment, un geste de réduction au niveau de la tête radiale.

- Après, entre le quatrième mois et jusqu’à douze mois, l’indication chirurgicale est un peu plus délicate : il faut proposer une ostéotomie en flexion sur la partie proximale du cubitus (dite intervention de Bouyala). Cette intervention est volontiers complétée, si la réduction n’est pas obtenue en per opératoire, par un geste sur l’articulation huméro-radiale, l’important étant de s’assurer que la réduction de la luxation est complète. Il n’est pas nécessaire habituellement de fixer cette réduction par une broche.  Les résultats de cette technique ne sont pas influencés par le délai de sa réalisation (entre 3 et 12 mois)…. ».

 

Un geste réalisé imparfaitement 

 

A six mois de la fracture, le deuxième chirurgien a posé le bon diagnostic mais le geste a été réalisé imparfaitement. Dès la radiographie post opératoire, on observe que la tête radiale n’est pas réduite et que la situation est très proche de l’état pré opératoire. Ce défaut de correction aurait dû conduire à une ré intervention immédiate. Il semble que rien n’ait été indiqué à la famille quant à cet échec de réduction.

On peut discuter d’une faute, non pas dans le fait d’avoir échoué dans ce résultat mais dans le fait de ne pas avoir informé les parents ni proposé une reprise chirurgicale.

 

Une prise en charge devenue plus complexe 

 

Ce praticien hérite d’une situation délicate, 18 mois après la fracture initiale et 12 mois après l’ostéotomie. Il prend un avis qui conseille la ré intervention malgré son caractère délicat, insistant sur la nécessité d’une ostéotomie en flexion importante. Le suivi immédiat objective une bonne réduction grâce à une ostéosynthèse correcte. Une infection secondaire se déclare un mois après, à l’origine de soins complexes; l’évolution médicale est encore incertaine. L’examen clinique rassurant ne doit pas faire méconnaitre le retard de consolidation.

Les experts qualifient de techniquement correcte cette intervention émaillée de complications infectieuses et mécaniques. Ils qualifient de nosocomiale, non fautive, l’infection qualifiée de profonde sous plâtre (et guérie en 15 jours) et celle localisée autour des broches (guérie en 10 jours),  et rappellent que la nécessité d’une reprise du foyer opératoire est un facteur de risque important de ce type de complication.

L’évaluation des préjudices, incomplète faute de consolidation actuelle, est ventilée entre les différents responsables.

Le dossier est en cours sur le plan judicaire et des propositions chiffrées de transaction amiable discutées.

Pour aller plus loin

Chaque année, quelques déclarations de médecins généralistes et urgentistes parvenues à la MACSF sont motivées par le retard diagnostique d’une lésion de Monteggia (3 cas en 2012 par exemple).

D’après les auteurs, la lésion de Monteggia est une lésion mixte atteignant l’avant-bras et le coude, associant une fracture de l’ulna à un ou plusieurs niveaux et une luxation de la tête radiale. Ce type de fracture est rare chez l’enfant, le pic de fréquence étant de 5 à 7 ans.

Se souvenir de la règle d’or : “ toute fracture isolée de l’ulna doit faire rechercher une luxation associée de la tête radiale ".

Le retard diagnostique de ces lésions est fréquent, la luxation de la tête radiale passant souvent inaperçue.

Le diagnostic est radiologique : L’axe radial quelle que soit l’incidence, doit couper le centre du condyle latéral de l’humérus. En cas de luxation de la tête radiale cette ligne est rompue.

BIBLIOGRAPHIE

1 Commentaire
  • Melik B 07/10/2018

    Bonjour
    Je viens d apprendre que je suis victime d'une fracture de Monteggia.
    Sa fait 18 ans que je vis avec une luxation de la tête radiale. Non détecté à l époque ! Moi qui pensais que la plaque était douloureuse. SCANDALE honteux

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