Retard diagnostique d'un syndrome des loges de jambe

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Retard diagnostique d'un syndrome des loges de jambe - Cas clinique

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Un patient qui se plaint en post-opératoire, un service d’étage peu formé, qui hésite à rappeler le chirurgien, un système médical complexe, peu réactif dans son couplage… et le drame arrive sur une pathologie traumatique banale.

  • Chirurgien
Auteur : La Prévention Médicale / MAJ : 17/06/2020

Ce matériel est réservé à un usage privé ou d’enseignement. Il reste la propriété de la Prévention Médicale, et ne peut en aucun cas faire l’objet d’une transaction commerciale.

Cas clinique

  • 7 février, patient de 44 ans victime d’une chute de sa hauteur sur le sol enneigé dans une station de ski.
  • Transporté à l’hôpital vers 18h00, diagnostic de fracture sous-trochantérienne diaphysaire gauche fermée posé radiologiquement. 
  • A sa demande, il est transféré dans une clinique voisine où il arrivait vers 23h00.
  • Le chirurgien orthopédiste prévenu par téléphone de son arrivée, donne des consignes d’immobilisation qui ne peuvent être réalisées en raison de la douleur du patient et prévoit une intervention chirurgicale pour le lendemain.
  • Intervention le 8 février vers 12h00 - Compte rendu opératoire : Indication chirurgicale sur fracture sous-trochantérienne gauche + troisième fragment. Intervention par enclouage centro-médullaire verrouillé dynamique sous anesthésie générale et table orthopédique. Mise en place sous amplificateur de brillance d’un clou trans-condylien. Traction sur table, réduction de la fracture sans difficulté. Voie d’abord latéro-trochantérienne externe. Mise en place du guide d’alésage. Alésage jusqu’à 14. Mise en place d’un clou de 13, longueur 40 cm. Verrouillage proximal sans difficulté. Contrôle radiologique satisfaisant. Fermeture plan par plan sur drain de Redon intramédullaire non aspiratif. - Pendant toute l’intervention, l’opéré reste en décubitus dorsal, la jambe gauche laissée pendante sans qu’un élément ne vienne la comprimer.
  • Il regagne sa chambre vers 17h00. Les prescriptions postopératoires associent Lovenox 40 ®, Kefandol ® et mise sous pompe à morphine.
  • Dans la seconde partie de la nuit du 8 au 9 février, pic thermique à 40 ° C.
  • Le 9 février au matin , la température revient à 38 °C ; l’opéré se plaint de quelques douleurs à la cuisse traitées par application locale de glace. En revanche, il garde sa jambe gauche en rotation externe en raison de douleurs. Il recoit 2 g de Prodalfagan ® mais n’utilise pas sa pompe à morphine.
  • Dans la nuit du 9 au 10 février, nouvelle élévation thermique à 39 °C pour laquelle des hémocultures sont pratiquées. Le rapport infirmier conclue : « Bonne nuit, n’a pas eu mal mais à 7 h 20 , douleurs +++ de la jambe gauche à type de crampe, mollet dur, pied chaud, couleur OK » .
  • Le 10 février à 8h00, le chirurgien constate un membre inférieur gauche oedématié et dur et demande un écho Doppler.
  • L’opéré va bien jusqu’à 17h00 puis se plaint à nouveau de douleurs de la jambe gauche accompagnées de pic thermique.
  • A 18h30 , l’écho Doppler est réalisé  « … Examen techniquement très incomplet compte-tenu des difficultés de mobilisation et du pansement poplité. Seule la (veine) fémorale commune et la (veine) fémorale superficielle proximale gauches ont été vues, sans thrombose patente … » Compte-tenu de ce résultat, l’anesthésiste remplaçe le Lovenox® par de l’Innohep®.
  • A partir de 22h30 réapparaissent les douleurs du mollet gauche.
  • Vers 23h00, le chirurgien se rend  à la clinique pour examiner un blessé qui vient d’y être admis. Apparemment il ne profite pas de cette occasion pour réexaminer son opéré et le personnel de nuit ne l’informe pas de l’évolution de ce dernier.
  • A 2h00, les infirmiers notent : «patient non algique mais ne sent pas du tout son pied. Pied chaud. Pouls perçus ».
  • A 5h30, en raison de la réapparition des douleurs , il recoit 2g de Prodalfagan®.
  • A 6h30 il est remis sous morphine.
  • A 8h00, le chirurgien note : «  Algique +++  surtout au niveau du pied gauche : sensation d’avoir le pied froid . Perte  de la sensibilité du pied, ne mobilise pas ses orteils ». L’anesthésiste mesure au niveau des orteils une saturation en oxygène  égale à 80 %.
  • A 9h30 , le chirurgien appelle la DDASS pour demander l’autorisation de pratiquer une artériographie sur place car il voulait absolument s’assurer de l’intégrité des axes artériels qui auraient pu être blessés par le troisième fragment lors de la chute. Cet examen était techniquement possible sur place mais le radiologue ne possédait plus l’autorisation administrative pour le faire. Cette autorisation est refusée par la personne contactée malgré l’urgence et les conditions pour obtenir cet examen sur un autre site (mauvais temps, éloignement). Devant ce refus, le chirurgien décide de transférer son patient dans une clinique de la capitale régionale—distante de 200 km avec un dénivelé de 700 m-- qui  accepte de réaliser l’artériographie. 
  • Durant le temps nécessaire à obtenir l’accord de la clinique, les douleurs atteignent un paroxysme. Le patient s’agitait, criait, pleurait, nécessitant l’administration de Fentanyl® pour le calmer.
  • A 12h15 , le SAMU départemental recevait l’appel de l’anesthésiste. 
  • A 13h30 , le SAMU régional refusait le transfert par hélicoptère et ne pouvait prendre en charge le patient qu’à partir de 1 h30 . Une jonction par voie routière était décidée.
  • Le premier véhicule affrété par le Samu départemental  démarrait à 14 h 20 et arrivait à la clinique à 14h45.
  • Une demi-heure plus tard, il en repartait.
  • La jonction avec le véhicule envoyé par le SAMU régional se faisait à 16h05.
  • Le patient arrivait à la clinique à 20h00.
  • L’artériographie avait lieu vers 20h30 .  Elle était considérée comme normale et le patient était immédiatement transféré dans une autre clinique pour y être opéré à 21h00 par un chirurgien orthopédiste : «  Syndrome des loges aigu datant de 24 heures  du membre inférieur gauche avec paralysie sensitivo-motrice compléte des loges antérieure externe et postérieure. Aponévrotomie….A noter que les muscles péroniers et jambier antérieur sont tout à fait atones…jumeau et solaire ont un aspect beaucoup plus satisfaisant ».
  • Onze nouvelles interventions étaient nécessaires pour excisions complémentaires, pansements, évacuation de collection purulente, fermeture terminale.
  • Le 23 mars, le patient quittait la clinique pour le centre de rééducation où il restait hospitalisé jusqu’au 7 mai, date où il regagnait son domicile . Il poursuivait sa rééducation en externe jusqu’en novembre. Trois ans plus tard, il subissait une arthrodèse sous-astragalienne et tibio-tarsienne. 

Lors de l’expertise (la marche était impossible sans chaussure orthopédique. Il existait une boiterie permanente d’où la nécessité de se déplacer avec une canne) le patient ne pouvait plus courir. En outre, il se plaignait de douleurs persistantes du mollet et de la face antérieure de la jambe ainsi que du gros orteil qui était dépourvu de sensibilité.
Assignation du chirurgien orthopédiste par le patient en réparation du préjudice subi  en décembre  et  appel en garantie de la clinique par le chirurgien orthopédiste 3 ans plus tard .

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