Céphalée persistante chez un homme jeune sans antécédent

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Céphalée persistante chez un homme jeune sans antécédent

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L’absence de diagnostic d'hémorragie méningée n’a pas permis de prendre en charge ce patient avant la récidive fatale...

  • Médecin
Auteur : Catherine LETOUZEY / MAJ : 17/06/2020

Cas clinique

  • Le 21 mars à 8 heures un homme âgé de 38 ans se présente aux urgences du centre hospitalier, se plaignant de céphalées. Le dossier comporte la mention de « céphalées d’allure migraineuses », apparues 12 heures plus tôt. - A 8h10, il lui est administré probablement par l’infirmière d’accueil, un comprimé de Naramig® (famille des Triptans) - A 8 h35 il est examiné par l’urgentiste. Celui-ci signale à la rubrique des antécédents « une HTA ancienne, non traitée ». Aucun autre antécédent n’est noté. L’observation indique que l’état général est bon, qu’il n’y a pas de fièvre, qu’il existe une photophobie sans vertige, et la PA est initialement mesurée à 170/90 mm Hg. Il n’est pas noté dans le dossier les caractéristiques de cette céphalée, ni son mode évolutif depuis la veille au soir, ni son mode de début. - Selon l’échelle analogique visuelle, les céphalées sont évaluées à 5/10. L’examen neurologique est normal, il est précisé qu’il n’y a pas de raideur méningée. Deux diagnostics sont évoqués : une céphalée d’origine hypertensive, une crise migraineuse isolée avec HTA. Il bénéficie d’un traitement médical symptomatique comportant un anti inflammatoire non stéroïdien, un antihypertenseur et la pulvérisation nasale d’un autre Triptan. Aucun examen complémentaire n’est prescrit.
  • Selon l’observation médicale, l’état se serait rapidement amélioré avec amélioration des céphalées et de la PA et le patient est autorisé à regagner son domicile avec une ordonnance de traitement symptomatique (Imigran® en spray nasal, Ixprim®, Primpéran®) associé à de l’Eupressyl ®et le conseil de consulter son médecin traitant.
  • A 18h45 il revient aux urgences du CHU et est de nouveau examiné par l’urgentiste présent le matin. - Il est noté qu’il est admis "pour la même crise de migraine avec nausées et vomissements". - L’infirmière d’accueil a noté "est déjà venu ce matin pour un problème de migraine. Revient ce soir pour de nouveau une migraine moins forte que celle de ce matin (amené par sa mère qui s’inquiète)". De l’Imigran® est administré par voie nasale, la douleur est alors évaluée à 2/10 à l’EVA. Les chiffres de tension artérielle ne sont pas répertoriés dans l’expertise. - L’urgentiste note la disparition des vomissements, des céphalées peu intenses et l’examen clinique est de nouveau normal. Il prescrit des examens de débrouillage montrant une élévation modérée de la glycémie à 1,33 g/l, une hyperleucocytose à 17 000 par ml. Le TCA est à 38 secondes (témoin à 33 secondes), le TP est à 100% et l’INR à 1. Il retient le diagnostic de migraine et d’infection urinaire (diagnostic non confirmé ultérieurement par l’ECBU). Il autorise le retour à domicile vers 22 h.
  • Les 22 et 25 mars, le patient consulte son médecin généraliste, qui note l’absence de signes neurologiques, l’absence de raideur cervicale et d’hypertension artérielle. Il tient des propos rassurants et renouvelle le traitement symptomatique (Ixprim®, Dafalgan®) et remplace l’Eupressyl par du Renitec 20 mg.
  • Le 26 mars, ce patient se rend de nouveau dans un centre d’urgences d’une clinique où il est examiné par un urgentiste qui note « céphalées depuis 5 jours, pas de fièvre, examen neurologique normal, paires crâniennes OK, auscultation cardio pulmonaire RAS…». Il est noté à l’admission que le traitement du patient comporte en dehors de l’Ixprim® et du Dafalgan®, du Renitec 20 mg® et de l’amoxicilline (1 gramme). Une perfusion de Profénid® et de Perfalgan® soulage le patient et le diagnostic en conclusion est celui de « céphalées sur raideur musculaire ». Il rentre à son domicile et la consigne « si persistance, à revoir » est notée dans le dossier.
  • Il reprend une activité d’agent intérimaire d’entretien d’une façon épisodique les jours suivants.
  • Le 6 avril, il consulte un autre médecin généraliste, son médecin traitant étant absent. Le compte rendu de consultation mentionne : « PA à 150/90 mm Hg, cervicalgie et céphalées à explorer ». Il prescrit des radiographies de la colonne cervicale. Elles sont effectuées le 8 avril et sont sub normales.
  • Le 13 avril, ce médecin est de nouveau consulté avec le résultat des radiographies. La PA est de 120/80 mm Hg et il demande une consultation ORL du fait de la présence d’acouphènes.
  • Deux jours plus tard, le patient est retrouvé inconscient à son domicile et transféré par le SMUR pour « coma brutal, Glasgow 4, pupilles aréactives, intubé, mis sous ventilation assistée ». Au CHU, le scanner cérébral retrouve un volumineux anévrysme de plus de 10 mm de diamètre de l’artère sylvienne avec un hématome temporo-insulaire responsable d’un engagement cérébral.
  • Il est réalisé une évacuation en urgence de cet hématome avec le traitement de l’anévrysme évalué en per opératoire à 15 mm. Il est réopéré le lendemain d’une craniotomie décompressive « de sauvetage » du fait de la persistance de l’hématome et de l’engagement.
  • L’état neurologique de ce patient, dans un coma profond, ne s’améliore pas et le décès survient quelques jours plus tard.

Analyse

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Jugement

EXPERTISE (2012)

L’expertise est réalisée par un neurochirurgien, professeur des universités.

L’observation du 21 mars, qualifiée de détaillée par les experts, ne figure pas à la copie du dossier en notre possession.

Le médecin traitant a confirmé qu’il avait consulté ce patient à plusieurs reprises pour des pathologies bénignes, que cet homme ne souffrait pas de migraines et n’était pas hypertendu. La tension artérielle mentionnée dans le dossier quelques mois auparavant est de 125/70 mm d’Hg.

Les déclarations de sa mère, chez lequel ce patient vivait, sont assez précises. Son fils aurait présenté des céphalées très violentes, au réveil, s’accompagnant de sueurs froides, de nausées et d’un vomissement. Elle confirme, comme le médecin généraliste, que son fils n’a jamais eu de chiffres tensionnels anormaux et qu’il n’a jamais souffert de migraines ou de céphalées. Elle déclare qu’elle aurait d’emblée demandé un scanner à l’urgentiste du CHU, redoutant que son fils ne fasse un accident cérébral. Elle aurait renouvelé cette demande le soir lors de la deuxième consultation aux urgences et également demandé que son fils soit gardé « en surveillance ».

Selon elle, à la sortie de la première consultation aux urgences, l’amélioration n’était que partielle, les maux de tête persistaient malgré plusieurs pulvérisations nasales et la prise de plusieurs comprimés d’antalgiques. Son fils s’appliquait une serviette humide froide sur le crâne et ne répondait que partiellement aux questions qui lui étaient posées.

Pour l’expert, dès le 21 mars, « ce tableau clinique, bien qu’il n’existe pas de raideur de la nuque qui est un signe inconstant, doit faire évoquer une hémorragie méningée. Il s’agit d’une forme de grade 2/ 5 selon la classification de la World Federation of neurosurgical society, universellement admise, qui impose la réalisation dans les meilleurs délais d’un scanner cérébral, consensus d’experts enseigné à tous les étudiants en médecine. La cause la plus probable est la fissuration d’un anévrysme crânien ».

Dans son témoignage, la mère indique que les céphalées auraient persisté, sur un mode fluctuant, avec des hallucinations et des nausées. Elle dit avoir lu la notice d’un des médicaments prescrits (Ixprim®) signalant le risque d’hallucinations comme effets secondaires, ce qui l’aurait un peu rassurée.

Le médecin généraliste déclare ne pas conserver de dossier, le dossier du patient lui étant remis en fin de consultation. Il n’est informatisé que pour la télétransmission.

Quand la mère raccompagne son fils quelques jours plus tard dans le service des urgences de la clinique, elle assiste à la consultation, décrit avec précision le déroulement de l’examen clinique et indique que la raideur musculaire signalée ne concernait que les muscles du cou. La raison précise de la prescription de radiographies du rachis cervical par le deuxième généraliste  ne figure pas dans le dossier succinct mentionnant « cervicalgie et céphalées à explorer ».

L’expert souligne que, comme cela est très fréquent pour cette pathologie, « une récidive est survenue, beaucoup plus grave (grade 5) qui a conduit au décès. Lors du premier passage au CHU, le diagnostic d’hémorragie méningée devait être évoqué. Le deuxième urgentiste de la clinique a noté « une raideur musculaire » qui selon la description de la mère du patient pouvait correspondre à « des signes méningés ». Cet épisode n’a pas été reconnu par les quatre médecins qui ont interrogé et examiné ce patient. L’absence de prescription d’un scanner cervical dans ce contexte est une faute médicale partagée par tous les médecins. La responsabilité la plus importante incombe au CHU où ce patient a été examiné à deux reprises pour des céphalées, avec hypertension artérielle, une photophobie, des nausées et vomissements évoluant depuis plusieurs heures. A la « décharge » de cet établissement, il est noté qu’il n’existait pas de raideur de la nuque et le traitement symptomatique a été rapidement mais temporairement efficace ce qui n’est pas un argument contre le diagnostic. Les autres médecins qui ont examiné ce patient ont probablement été influencés par le diagnostic de bénignité émis par ce CHU.

L’absence de diagnostic n’a pas permis de prendre en charge ce patient avant la récidive fatale. Néanmoins, même pris en charge dans des conditions optimales, le pronostic vital et fonctionnel était en jeu dès le 21 mars.

L’étude exhaustive, la plus récente, sur le pronostic des hémorragies méningées par rupture d’anévrysme regroupe 2230 patients observés sur un délai de 15 ans et a été publiée en 2005. Elle fait état de 81 % de guérisons sans séquelle. Curieusement, les auteurs ne distinguent pas, parmi les mauvais résultats, le nombre de décès. Il est généralement admis aux grades 1 et 2, une mortalité de 5 % et 15 % de séquelles fonctionnelles graves.

L’absence de diagnostic lors du premier épisode a donc constitué une perte de chance de 80% ».

En réponse à une question complémentaire de la Commission de conciliation et d’indemnisation, il propose un partage « équitable » de la façon suivante : 40% de responsabilité pour le CHU, 20% pour l’urgentiste de la clinique et pour chaque médecin généraliste.

 

AVIS de la CCI (2012)

La commission suit l’avis de l’expert et retient la responsabilité des quatre intervenants.

« Il est fait une juste appréciation de la perte de chance en l’évaluant à 80 % ».

Contrairement à l’avis de l’expert, la responsabilité de chaque partie, (le CHU et les trois médecins), est retenue à parts égales : soit une indemnisation dans la limite de 20% des préjudices pour chacun des médecins.

Pour aller plus loin : commentaires et bibliographie

Hémorragies sous-arachnodiennes anévrismales

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