Consultation au cabinet pour dyspnée

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Consultation au cabinet pour dyspnée : arrêt cardiaque sur le trajet à pied vers l'hôpital

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Les conséquences dramatiques (arrêt cardiaque du patient) d'un refus de transport par ambulance malgré la décision d'hospitalisation en urgence par le médecin généraliste.

  • Médecin
Auteur : Christian SICOT / MAJ : 01/12/2016

Cas clinique

  • Homme de 57 ans "suivi" par un médecin généraliste pour un alcoolisme chronique et une glycosurie.
    - Par ailleurs, intoxication tabagique (1/2 paquet par jour). En fait, il s'agissait d'un malade "difficile" refusant toute prise en charge pour son addiction à l'alcool et n'ayant pas fait pratiquer les examens prescrits pour l'exploration de son diabète (refus confirmé par l'épouse du patient lors de l'expertise). Il n'avait consulté, aux dires de son médecin, qu'une dizaine de fois entre 2005 et 2010, essentiellement pour des arrêts de travail brefs.
  • Le 17 mars 2010, en début d'après-midi, il se rend au cabinet de son médecin, se plaignant d'une gêne respiratoire, sans douleur thoracique associée. Dans le dossier il est noté: "Motif de consultation : dyspnée et altération de l'état général ++, crépitants et ronchis dans les 2 champs pulmonaires. Décision : urgences CHU".
    - Pour cette hospitalisation immédiate, le médecin aurait proposé un transport en ambulance que le patient aurait refusé, préférant se rendre, à pied, au CHU voisin (environ 1 km à vol d'oiseau). A noter qu’il n’existe pas dans le dossier médical de trace écrite de cette proposition, ni d'un éventuel refus par le patient. Au cours de l'expertise, le médecin indiquera que le patient lui avait dit souhaiter repasser chez lui pour prendre "des affaires" avant d'aller aux urgences du CHU. Au cours de l'expertise, pour conforter ses dires, le médecin rappelait avoir été lui-même, auparavant, régulateur au centre 15.
  • Sur le trajet (vers son domicile ?), le patient ressent une douleur thoracique, puis s'effondre devant des témoins et perd connaissance. Les secours sont immédiatement appelés.
  • A l'arrivée du SMUR médicalisé (15h58), le patient est comateux (score de Glasgow à 3) mais le pouls radial est perçu. Une turgescence jugulaire et une cyanose des extrémités sont notées. L'ECG réalisé à 16h12, montre un sus-décalage du segment ST dans le territoire inférieur. A 16h16 apparaissait un bloc de branche droit. Le patient est alors intubé (absence d'argument pour une inhalation) et placé sous ventilation mécanique. A 16h25, le patient était en dissociation électro-mécanique et recevait 3 mg d'adrénaline, ce qui entrainait le retour d'une activité circulatoire efficace jusqu'à 16h47 où s'installait une hypotension persistante (PA systolique à 70 mmHg) traitée par remplissage au sérum physiologique, puis introduction de dobutamine. Le diagnostic alors retenu est celui d'un syndrome coronarien aigu, avec une période de no-flow estimée à 20 min et une période de low flow à 5 min.
  • Dès l'admission au CHU, le patient est conduit en salle de coronarographie. Cet examen montre un tronc commun indemne de lésion, une sténose de l'IVA moyenne à 50 % et l'absence de lésion sur le reste du réseau coronarien. La conclusion est que la coronarographie n'apporte pas d'argument pour une lésion aiguë responsable de l'arrêt cardiaque.
  • Le patient est ensuite conduit en radiologie où un scanner cérébral sans injection de produit de contraste ne retrouve pas d'hémorragie, ni d'œdème cérébral.
  • Un angioscanner thoracique ne montre pas d'embolie pulmonaire proximale mais met en évidence des poumons pathologiques avec " images en verre dépoli, diffuses, associées à des épaississements des septa inter-lobulaires à l'origine d'un aspect pavimenteux, des condensations alvéolaires déclives prédominant à gauche et des ganglions médiastinaux multiples. Ces anomalies pouvant rentrer dans le cadre d'un œdème pulmonaire possiblement lésionnel".
  • Au décours de ces explorations, le patient est hospitalisé en réanimation. Le bilan fait état d'un coma (score de Glasgow); PA à 131/73 mmHg sous adrénaline à 4 mg/h, FC à 126/min, marbrures généralisées, pouls périphériques tous perçus et symétriques; patient oxygéno-requérant avec FiO2 à 95 % et PEEP à 5 cm H2O. Le reste de l'examen sans particularité.
    - Biologiquement : pH : 6,93, Pa CO2 : 44 mmHg, PaO2 : 94 mmHg, SaO2 : 89 %. Créatinémie : 252 µmol/L . Troponine : 1,19 µg/L.
    - ECG : Fibrillation auriculaire, Bloc de branche gauche, absence d'onde Q de nécrose
    - Radio thoracique : infiltration alvéolaire interstitielle bilatérale
    - Bilan infectieux : hémocultures stériles mais Aspiration bronchique positive à streptococcus pneumoniae et à hemophilus influenzae

• Un traitement symptomatique de cette défaillance multiviscérale, avec notamment épuration extra-rénale est mis en route. Après une relative stabilité initiale, l'évolution est rapidement défavorable entraînant le décès du patient le 18 mars à 11 h 55.

- Conclusion : arrêt cardio-respiratoire d'étiologie indéterminée.
- Découverte d'une pathologie interstitielle pulmonaire avec adénopathies médiastinales
- Absence d'autopsie

Assignation du médecin généraliste devant le tribunal de grande instance par l'épouse du patient pour obtenir réparation du préjudice qu’elle avait subi (octobre 2012)

Expertise (janvier 2014)

L’expert ,médecin généraliste, reprenait les conclusions du service de réanimation du CHU, soulignant que seule une autopsie aurait pu donner un complément d'information pour expliquer l'origine de l'arrêt cardio-respiratoire responsable du décès du patient.

A son avis, deux questions étaient à poser :
" (...) 1) Le suivi par le médecin traitant aurait-il pu prévenir le décès du patient ?
La réponse était non, aucune cause du décès n'ayant été retenue.
 2) Le fait de laisser partir seul et par ses propres moyens le patient le 17 mars, a-t-il augmenté les risques d' arrêt cardio-respiratoire chez le patient, compte-tenu de son état clinique ?
La réponse était oui probablement, malgré l'absence de cause de décès identifiée, mais cette réponse était tempérée par le refus du patient d'un transport en ambulance affirmé par le médecin traitant qui aurait dû néanmoins noter ce refus dans le dossier médical...
En outre, en raison de la dyspnée et de l'altération de l'état général du patient , le médecin aurait dû évoquer les pathologies pouvant être à l'origine de cette aggravation telles qu'une pathologie coronarienne, une poussée d'insuffisance cardiaque, une pathologie pulmonaire, une embolie pulmonaire. Il aurait pu en discuter, éventuellement avec le médecin régulateur du centre 15 en lui demandant de confirmer au patient, les risques qu'il courait en se rendant, seul et à pied, aux urgences hospitalières.
Toutefois, l'attitude antérieure du patient -- refus d'effectuer des examens complémentaires et refus d'un suivi médical réel ( confirmés par son épouse) -- peut conforter les propos du médecin traitant concernant le refus par le patient, d'un transport en ambulance .

En conclusion, et en tenant compte du dossier médical et des explications données lors de l'expertise, les soins prodigués au patient par le médecin traitant ont été conformes aux règles de l'art (...)".

Jugement du TGI (juillet 2015)

Les magistrats estimaient qu' : " (...) Il ne saurait être fait grief au médecin traitant de ne pas avoir fait appel a une ambulance ou à un SMUR devant le refus du patient. Si ce refus, dont fait état le médecin, n'a pas fait l'objet d'une formalisation, il n'en reste pas moins crédible à l'aune du comportement antérieur de M X..., patient difficile et rétif aux traitements ainsi que son épouse en a elle-même convenu lors de l'expertise.
Si l'on ne peut donc faire grief au médecin d'avoir respecté le refus de son patient, il n'en demeure pas moins établi que le choix du patient de vouloir se rendre aux urgences du CHU par ses propres moyens relève d'une imprudence.
Le médecin a nécessairement été conscient de cette imprudence, dès lors qu'en lui proposant un transport en ambulance pour se rendre au CHU, il estimait nécessairement que son état de santé le justifiait.
Or force est de constater que le docteur A... qui, en tant que médecin traitant connaissait les antécédents du patient et ses refus de traitements, ne justifie nullement l'avoir informé le patient des risques que son refus d'aller aux urgences en ambulance, lui faisait courir, n'ayant rien consigné dans le dossier du patient.
L'expert déplore qu'à cet égard, le docteur A..., même s'il a été médecin régulateur lui-même, n'ait pas appelé le médecin régulateur du centre 15 pour une prise en charge optimale et une meilleure information du patient, avant de le laisser quitter son cabinet.
Echouant à administrer la preuve qu'il a satisfait à son obligation contractuelle d'éclairer le refus de son patient, le docteur A... doit, dès lors, être jugé responsable des conséquences de ce manquement fautif (...)"

Le tribunal allouait la somme de 2 000€ à l'épouse du patient en réparation de son préjudice moral mais rejetait sa demande de réparation de son préjudice matériel, le lien de causalité entre le manquement à l'obligation d'information et de conseil du médecin et ce décès, n'étant pas établi.

Commentaires

Dans l’ouvrage intitulé : « Audit de sécurité des soins en médecine de ville » de René Amalberti et de Jean Brami, édition Springler-Verlag France, Paris, 2013 , une partie du chapitre 8 "Relations avec les patients" est consacrée aux patients "difficiles" et notamment aux patients "non observants " (pp 130-1) :
"(...) Cette catégorie de patients est particulièrement nombreuse puisque les études répétées pointent toutes des chiffres qui se situent entre 20 % pour les plus optimistes et 50 % pour les moins optimistes. Le constat n'est pas nouveau.
 Déjà, dans une étude parue en 1993 dans le British medical journal, la comparaison des prescriptions du généraliste avec les achats en pharmacie des patients montrait des écarts significatifs. L'analyse de 21 000 prescriptions réalisées en milieu rural pendant 3 mois par 9 généralistes d'un centre de santé auprès de 4 854 patients montrait que près de 15 % des patients n'avaient même pas cherché à obtenir les médicaments prescrits, chiffre qui variait par ailleurs sensiblement en fonction du sexe et de l'âge du patient ainsi que du médecin prescripteur. Le taux montait à 24,8% pour les pilules contraceptives et s'élevait également le week-end et quand il s'agissait d'une prescription réalisée par un interne en formation au cabinet ou par un remplaçant.
La non-observance touche d'abord le non-respect de la durée des prescriptions et le délai excessif de la réalisation (ou non) des examens complémentaires, particulièrement ceux prescrits dans le cadre du dépistage. Les changements de dose ou le remplacement par des médicaments de substitution (remplacement facilité par l'arrivée des génériques) viennent comme seconde source de non-observance en fréquence et en gravité.
Beaucoup d'études de non-observance ont été réalisées sur des pathologies chroniques comme le diabète.
Les modèles expliquant la non-observance sont assez nombreux. Certains accordent une priorité aux patients. Par exemple, la non-observance dans les maladies chroniques est souvent associée à la nature, à long terme, des récompenses "promises" par une observance totale. Il s'agit, bien sûr, d'une récompense abstraite, exprimée de manière négative et qui, en fait, n'est jamais reçue (on s'évite des complications. La force du désir, véritable moteur de nos actions, dépend puissamment de la proximité de la récompense. D'autres explications viennent du modèle économique. Mais, la cause la plus souvent citée, vient de l'interaction avec le médecin.

Le style de communication du médecin, la relation médecin-patient et le degré de confiance mutuelle sont des facteurs clés dans l'observance du patient. La non-observance résulte d'une interaction dysfonctionnelle entre un modèle de médecin trop indifférent à la perception réelle du patient sur sa pathologie ou trop normatif et réglementaire ou trop pressé et un patient trop consommateur ou trop peu convaincu de la logique de la prescription (..)".

En conclusion, R Amalberti et J Brami soulignent que : "(...) Les patients "difficiles" ne sont pas, seulement, problématiques pour les relations humaines, ils sont aussi le révélateur ou l'accélérateur de risques supplémentaires dans leur prise en charge. Ces patients sont une source accrue d'erreurs (...)". L'observation rapportée en est, malheureusement, l'exemple.

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