Hématome sous-dural chez un patient traité par AVK

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Hématome sous-dural chez un patient traité par AVK

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  • Hématome cerveau

Ce cas clinique traite d'un patient de 69 ans victime d'un hématome sous-dural à la suite d'un traitement sous AVK.

Quelle sont les causes de cette complication cérébrale ? 

  • Médecin
  • Chirurgien
Auteur : Dr Christian SICOT / MAJ : 18/03/2020

Cas clinique

Le 5 juillet 2016, un patient de 69 ans est adressé par son cardiologue à la clinique cardiologique où il est suivi pour insuffisance cardiaque. Il est porteur de nombreux facteurs de risque vasculaire :  tabagisme interrompu il y a 30 ans, hypertension artérielle, dyslipidémie et diabète insulino-requérant depuis 2011.

Dans ses antécédents :

  • En 2010, endartériectomie chirurgicale pour sténose serrée de la carotide interne droite, asymptomatique.
  • En 2011, AVC se traduisant par une paralysie faciale gauche, récupérant en 48 heures. Mise en évidence d’une resténose de la carotide interne droite entrainant la mise en place d’un stent avec angioplastie.
  • En mars 2015, découverte d’une cardiopathie ischémique entraînant une dysfonction ventriculaire gauche (fraction d’ejection du VG à 50 %) : lésions du tronc coronaire gauche, de l'IVA, de la circonflexe et thrombose de la coronaire droite. Mise en place de 6 stents actifs (en raison d’une contre indication à une revascularisation chirurgicale). Début d’une double anti agrégation plaquettaire (Duoplavin®).
  • En août 2015, nouvelle décompensation ventriculaire gauche avec dégradation de la FEVG. A la coronarographie : resténose intrastent serrée de l'IVA proximale traitée par angioplastie par ballonnet actif et sténose serrée de la circonflexe moyenne traitée par stent actif.

A l’admission, aux urgences de la clinique, le patient est en sub-œdème pulmonaire avec des signes sévères de défaillance cardiaque : FEVG à 20 %, Brain Natriuretic Peptide (BNP) à 1063 pg/ml (normal : 100), Créatininémie : 229 mg/l), mais qui s'améliorent rapidement sous diurétique. Le facteur déclenchant de cette décompensation est un premier accès de fibrillation auriculaire.
Un traitement par Cordarone® est instauré chez un patient déjà sous Duoplavin® et Préviscan® (INR à 1,26 à l’admission).

En raison d’une troponinémie élevée (1,06 µg/l), réalisation d’une coronarographie avec angioplasties par ballons actifs sur des resténoses des IVA (1) à 90 % et IVA (2 et 3) à 70 %.

Le 13 juillet, après une semaine d’hospitalisation et la récupération d’un rythme cardiaque sinusal, le patient est autorisé à regagner son domicile. Outre les traitements à visée cardiaque, antidiabétique et hypocholestérolémiant, il lui est prescrit la poursuite du traitement anticoagulant par Duoplavin® (1c/j) et Préviscan® (20 mg/j) (INR à 3,02, le jour de la sortie). Un contrôle de l'INR est prévu une semaine plus tard. L’ordonnance est rédigée par un interne sous le contrôle d’un médecin du service.

Le 20 juillet, le contrôle d'INR prescrit donne un résultat à 10,4 (créatininémie à 208 mg/l). Le laboratoire ayant réalisé ce contrôle ne réussissant pas à joindre par téléphone la clinique cardiologique, appelle l’épouse du patient à son domicile pour l'informer du résultat très anormal de l’INR. Cette dernière communique au laboratoire le numéro d’appel du cardiologue, qu'elle tient parallèlement au courant du résultat.

Celui-ci fait arrêter le Préviscan® pendant deux jours avec reprise au 3e jour à la dose d'un 1/4 de comprimé/j, sans toutefois prévoir de nouveau dosage d'INR.

 Le 22 juillet au matin, soit 48 heures plus tard, le patient présente une épistaxis importante. Le cardiologue n'étant pas joignable, son épouse dit avoir appelé le 15.

Aucune trace de cet appel n’est retrouvée sur le relevé officiel des appels reçus par le SAMU.

Le samedi 23 juillet, l’épistaxis persistant, l’épouse du patient appelle le SAMU. Cet appel est retrouvé, à 08 h 43, sur le relevé des enregistrements fourni par le SAMU, avec comme conseil médical : "se moucher fort puis comprimer en pinçant les narines et en penchant la tête en avantNe reprendre le Préviscan® que si ne saigne plus… on garde le Duoplavin® ". Absence d’interrogation sur le taux d’INR.

Arrêt de l’épistaxis dans l'après midi et suivant les recommandations du cardiologue et du SAMU, reprise du Préviscan® (1/4 de comprimé) dans la soirée.

Dans la nuit du 23 au 24 juillet, le patient se plaint de difficultés motrices et ne peut plus se lever de son lit.

Le 24 juillet au matin, nouveau saignement nasal avec céphalées intenses et impotence fonctionnelle totale.

A 08 h 45, appel du SAMU et transfert aux urgences de la clinique cardiologique où sont constatées une parésie des deux membres inférieurs, puis une hémiplégie gauche massive.

Le scanner cérébral : "hématome sous dural hémisphérique droit et para falcoriel étendu jusqu'à la tente du cervelet avec œdème cérébral et déviation de la ligne médiane avec engagement temporal débutant". INR à 5 à l'admission.

Dans la journée, transfert en réanimation en raison d’une aggravation clinique. Arrêt du Duoplavin®. Traitement par vitamine K, Solumédrol et Mannitol. Contre-indication posée à tout acte neurochirurgical.

Le 16 août, dégradation de l’état de conscience scanner cérébral : "augmentation de l’hématome sous dural avec aggravation de l'engagement et de l'œdème". Décision neurochirurgicale de drainage de l'hématome par craniotomie droite.

Le 18 août, amélioration de l'état de conscience et, plus discrètement, de la motricité du membre supérieur gauche, le membre inférieur restant totalement déficitaire.

Instauration d'un traitement par Kardégic 75 (1c/j) en raison de la contre-indication absolue et définitive d’un traitement par AVK.

Le 1er septembre, transfert en centre de rééducation jusqu'au 9 février 2017, date à laquelle le patient regagne son domicile.

Le bilan met alors en évidence un handicap moteur majeur dû à une hémiplégie gauche, massive au niveau du membre supérieur avec une hypertonie spastique et un grasping réflexe. La perte de la marche est totale, la station debout, sans aide, est impossible. Le déplacement se fait en fauteuil roulant manuel semi électrique avec l'assistance d'une tierce personne. Les transferts nécessitent un lève-malade depuis le lit. Le patient se plaint de douleurs chroniques neuropathiques de l'hémicorps gauche. La sémiologie frontale entraîne une apathie, un relatif mutisme, un problème d'orientation temporelle sur la date et le jour, une difficulté à la lecture. Le patient est dépendant pour s'alimenter et se servir à boire. Il est porteur d'un peniflow pour les urines et de couches pour les selles.

Saisine de la Commission de conciliation et d'indemnisation (CCI) par le patient pour obtenir réparation du préjudice qu’il a subi (novembre 2017).

Analyses

Ce matériel est réservé à un usage privé ou d’enseignement. Il reste la propriété de la Prévention Médicale et ne peut en aucun cas faire l’objet d’une transaction commerciale. 

Expertise (avril 2018 )

Les experts, l’un professeur des universités, chef de service de neurologie et l’autre chirurgien vasculaire exerçant en libéral, estimaient que : "(...) La complication cérébrale survenue chez le patient était liée à un surdosage manifeste d’ AVK ayant entraîné une hypocoagulabilité majeure. Celle-ci, associée à une double anti agrégation plaquettaire, avait provoqué la formation d’un hématome sous dural étendu.

Trois niveaux chronologiques de responsabilité pouvaient être dégagés dans la survenue de cette complication neurologique :

1) L'ordonnance de sortie de la clinique cardiologique du 13 juillet 2016 stipulait la prise de Préviscan® 20 à 1cp par jour alors que l'INR était déjà à 3,02 et qu'il y avait une prescription associée d’une double antiagrégation plaquettaire sous forme de Duoplavin®.

Aucun conseil sur la conduite et les précautions à prendre pour surveillance de ce traitement AVK n'était donné : il y avait là un défaut d'information fautif. Par ailleurs, le contrôle d'INR n'était prescrit qu'une semaine plus tard alors qu'il convenait d'ajuster rapidement, au jour le jour, la dose, puisque l’hypocoagulabilité était déjà effective le jour du départ, avec une progression rapide de l'INR sur les jours précédents pour la même dose de Préviscan®. Cela laissait présager une augmentation continue de l'INR et donc le risque hémorragique, a fortiori avec la double anti agrégation plaquettaire et l'insuffisance rénale. Une semaine plus tard, l'INR est à 10,4. Cette prescription mettait en cause la responsabilité du médecin de la clinique sous le contrôle duquel l’interne avait rédigé l’ordonnance.

2) Le laboratoire d'analyses pouvait être mis hors de cause puisqu'il avait transmis rapidement l'information du résultat anormal d’INR comme en témoignaient les relevés téléphoniques fournis à la clinique cardiologique (sans résultat), puis à l’épouse du patient et au cardiologue.

Ce dernier ayant pris connaissance de ce résultat dès le 20 juillet, n’avait interrompu le traitement que pendant 2 jours en le faisant reprendre à 1/4 de cp au 3e jour sans aucun contrôle d'INR préalable. Devant ce chiffre d'INR à 10 4, a fortiori chez un patient dont il connaissait la fragilité de l’état cardiovasculaire, il devait le faire hospitaliser pour surveillance et administration urgente de vitamine K. (Recommandation HAS Avril 2008).

Le 22 juillet, 48 heures plus tard, survenait une épistaxis importante.

3) Le 23 juillet, devant la persistance de l’épistaxis, l’épouse du patient appelait le SAMU dont le régulateur se contentait de donner des conseils mécaniques pour arrêter le saignement, sans jamais se faire préciser le chiffre de l’INR et en recommandant de rester à domicile alors que, devant le chiffre d'INR, une hospitalisation s'imposait.

La nuit suivante, après que le patient ait repris 1/4 de comprimé de Préviscan®, suivant les indications du cardiologue, survenait un hématome sous dural majeur.

Au total, il existait trois niveaux de responsabilité fautive, à parts égales, concernant la clinique cardiologique (interne et médecin présent lors de la rédaction de l’ordonnance), le cardiologue et le SAMU.

En revanche, la prise en charge de l'hématome sous dural, en réanimation et en neurochirurgie, avait été conforme à ce qui est conseillé dans ce type de situation où aucune chirurgie au stade hémorragipare n'est possible.

L'aggravation de l'état clinique et du scanner cérébral le 16 août, avec engagement de l'uncus temporal droit, constituait une urgence vitale et l'évacuation en urgence par craniotomie droite était obligatoire.

Par ailleurs, les antécédents du patient (facteurs de risque vasculaire, interventions carotidiennes et coronariennes répétées), constituaient un terrain antérieur dont le lien avec la complication imputable aux manquements précédemment décrits, justifiaient une perte de chance de 50 % (…)".

Avis de la Commission de Conciliation et d’indemnisation (juin 2018)

La CCI se fondant sur l’analyse et les conclusions des experts, considérait que la responsabilité du médecin de la clinique, du cardiologue et du SAMU était engagée à parts égales entre ces trois intervenants et dans la limite de la perte de chance retenue.

"Celle-ci, au regard de la fragilité du patient, de ses nombreux antécédents et des risques thrombotiques très importants qu'il présentait, de nature à fragiliser les vaisseaux et à majorer le risque d'hématome, sera justement évaluée à 75 %".   

Commentaire

Dans le cas de ce patient, dont l’INR cible était à 2,5 (fenêtre entre 2 et 3), les recommandations de la HAS étaient les suivantes :

  1. En cas de surdosage asymptomatique, privilégier la prise en charge ambulatoire si le contexte le permet, mais préférer l’hospitalisation s’il existe un ou plusieurs facteurs de risque hémorragique (âge, antécédent hémorragique, comorbidité) et, évidemment, hospitalisation en cas d’hémorragie grave ou potentiellement grave
  2. Mesures à prendre :
    Arrêt du traitement si INR ≥ 10  : 5 mg de vitamine K par voie orale (1/2 ampoule buvable, forme adulte)
  3. Contrôler l’INR le lendemain et les jours suivants et, en fonction des résultats, si l’INR reste suprathérapeutique, les mesures correctrices ci-dessous doivent être appliquées :
  • 6 ≤ INR < 10 : 1 à 2 mg de vitamine K par voie orale (1/2 à 1 ampoule forme pédiatrique) ;
  • 4 ≤ INR < 6 : saut d’une prise d’AVK Pas d’apport de vitamine K ;
  • INR < 4 : pas de saut de prise d’AVK.

Synthèse des recommandations professionnelles

Prise en charge des surdosages en antivitamines K, des situations à risque hémorragique et des accidents hémorragiques chez les patients traités par antivitamines K en ville et en milieu hospitalier.

HAS avril 2008.