Le 29 juillet 2013, en fin de matinée, une femme de 64 ans, en cure thermale, est amenée par les pompiers aux urgences du centre hospitalier de la ville pour un "malaise". Le jour précédent, elle avait vu en consultation le médecin de cure qui lui avait déconseillé la cure en raison de son état de santé.
La patiente se plaignait déjà de douleurs lombaires et avait été fébrile (avec 2 épisodes de frissons) durant le voyage en train. Mais la patiente voulait faire la cure. Le médecin de cure n'avait pas rédigé de dossier la concernant.
A l'admission, aux urgences :
Antécédents :
Echographie abdominale :
Diagnostic :
Il est donc prescrit de l’Augmentin 1 g 3 fois/jour pendant 7 jours, Dafalgan 1 g 4 fois/jour pendant 5 jours. Il lui est proposé de revenir aux urgences si problème.
Résultats de l'ECBU prélevé le 29 juillet :
Le 1er août, devant ces résultats :
Une ordonnance de Bactrim forte 1 cp matin et soir pendant 7 jours, aurait été adressée par les urgences de l'hôpital à la patiente mais celle-ci rentrée à son domicile, en urgence, pour raison familiale, ne reçoit pas cette ordonnance et continue l'Augmentin (inactif sur le germe). Elle revoit le médecin de cure avant de partir pour la visite de fin de cure, mais il n'est pas question de l'épisode de pyélonéphrite.
Le 12 août, devant la persistance de douleurs lombaires, la patiente consulte son médecin traitant qui prescrit un scanner mettant en évidence une sacro-iléite gauche.
Le 19 août, en l’absence d’amélioration, consultation aux urgences du CHU pour :
Echographie :
Diagnostic :
Du 23 au 29 août :
Traitement :
Le 27 août : visite du chef de service : "(...) Douleurs continues des bases thoraciques, accentuées par le tapotage des corps vertébraux, surtout au niveau dorsal bas, irradiant vers l'antérieur et associées à des douleurs diffuses au niveau des membres inférieurs... examen neurologique RAS (...)".
Le 29 aoûtà 06 h 50 (infirmière de nuit) : "(...) a eu des selles cette nuit à 22 h 00, puis ce matin également, la protection n'était pas suffisante, il y en avait partout autour... quand cette dame est arrivée, elle marchait, cette nuit elle ne bouge même pas les jambes ; A réévaluer avec le médecin. SVP, y a-t-il une raison pour cette dégradation ? (...)".
Le 29 août, devant ce tableau de paraplégie, IRM pratiquée en fin de matinée : "Spondylodiscite T5 T6 avec abcès périvertébral et extension épidurale entraînant une compression médullaire". Patiente transférée, en urgence, dans le service de neurochirurgie.
Dans la soirée, intervention : "Laminectomie T4-T5-T6. Tissu très inflammatoire sans pus". Prélèvements bactériologiques négatifs.
Traitement :
Evolution lentement favorable durant les deux mois du séjour en neuro-chirurgie.
Du 30 octobre 2013 au 13 mai 2014, séjour en centre rééducation.
Du 19 au 28 novembre, réhospitalisation pour des épisodes fébriles avec GB 14 800/mm3 et CRP à 170 mg/l. Mise en évidence d'une infection urinaire à Enterobacter cloacae : (10.6) résistant à Augmentin, Bactrim, fluoroquinolones, C3G sauf céfépime. Mise sous céfépime et évolution favorable. Hémoculture stérile le 20/11.
Le 21 décembre, IRM : "nette régression de l'épidurite".
Le 30 décembre, CRP à 10,8 mg/l.
Le 13 mai 2014, hospitalisation à domicile.
Du 20 juin au 2 juillet 2014, hospitalisée pour pyélonéphrite à E. coli. Traitée par Tiénam puis Rocéphine 2 g/jour jusqu'au 12 juillet.
Le 19 juillet 2014, consultation de néphrologie : état rénal "rassurant".
26 janvier 2015, IRM médullaire : "sans particularité".
27 février 2016, IRM médullaire : "absence d'anomalie. Stigmates d'une spondylodiscite T5-T6".
Le 13 septembre 2017 (date de l'expertise) "(...) Patiente autonome répondant de façon adaptée aux questions. La marche lors de l'examen se fait sans aide technique mais avec un élargissement du polygone de sustentation, des hésitations et des risques de chutes. Présence d’un signe de Romberg et de troubles de la sensibilité profonde aux membres inférieurs. Force musculaire normale et symétrique sensibilité superficielle normale. Réflexes ostéo-tendineux présents et symétriques. Reste de l'examen somatique normal. (...)".
Saisine de la Commission de conciliation et d'indemnisation (CCI) par la patiente pour obtenir réparation du préjudice qu’elle avait subi (décembre 2016).
Pour les experts, professeurs des universités, l'un neurochirurgien et l'autre infectiologue biologiste : "(...) La patiente souffrait d'une infection urinaire avec pyélonéphrite sur des antécédents de polykystose rénale connue. Cette infection s'était révélée à son arrivée en cure thermale le 28 juillet 2013. Cette pyélonéphrite a évolué vers une dissémination entraînant une spondylodiscite dorsale qui s'est compliquée d'une épidurite compressive donnant une paraplégie.
Le diagnostic initial de pyélonéphrite aiguë a été fait correctement aux urgences du centre hospitalier le 29 juillet. Mais plusieurs dysfonctionnements sont, ensuite, survenus dans le traitement et la surveillance de la patiente.
Initialement, la patiente a été mise sous un traitement probabiliste par Augmentin, antibiotique qui n'est pas recommandé dans ce genre de pathologie : c'est le premier dysfonctionnement.
Les recommandations de la Société de Pathologie Infectieuse de Langue Française (SPILF) concernant les pyélonéphrites à risque de complication (dont "toute anomalie organique ou fonctionnelle de l'arbre urinaire, quelle qu'en soit la cause") indiquent : "en traitement probabiliste, céphalosporine de 3e génération (C3G) - céfotaxime ou ceftriaxone, fluoroquinolones (sachant que le risque de résistance à ces derniers produits est plus élevé dans cette population à risque)".
En outre, la patiente avait été traitée par de l'Augmentin en juin 2013 pour une infection pulmonaire et ce traitement avait pu sélectionner un E. coli résistant.
Le 1er août, après avoir pris connaissance des résultats de l'ECBU mettant en évidence que le germe était résistant à l'Augmentin, le centre hospitalier a établi une ordonnance de Bactrim, il apparaît que la patiente, rentrée à son domicile en urgence pour raison familiale, n'a jamais reçu cette ordonnance (a-t-elle été envoyée ?) et a continué l'Augmentin (inactif sur le germe). Le centre hospitalier ne s'est pas assuré que la patiente était informée de la résistance à l'Augmentin de l'E. coli responsable de la pyélonéphrite du 29 juillet et de la nécessité de changer de traitement. C'est le deuxième dysfonctionnement.
Le médecin de cure a vu, à deux reprises, la patiente qui se plaignait de mal dans le dos. Lors de la consultation de fin de cure, il ne l’a pas requestionnée sur les douleurs qu'elle avait ressenties les jours précédents, notamment lors de la première consultation, et qui étaient en rapport avec la pyélonéphrite qui s'est déclarée le 29 juillet. Ce médecin ne tient pas de dossier de consultation et ne peut donc dire s'il a examiné la patiente et comment. Il ne s'est pas enquis du traitement antibiotique de la patiente : c'est le troisième dysfonctionnement.
Le 12 août, devant la persistance des douleurs lombaires, le médecin traitant prescrit une imagerie médicale permettant de faire le diagnostic de sacro-iléite gauche.
Le 19 août, la persistance d'une infection de l'arbre urinaire était confirmée lors d'une consultation aux urgences du CHU. Un traitement antibiotique était prescrit selon les règles de l'art.
En revanche, lors de l'hospitalisation au CHU, les médecins n'ont pas su interpréter les signes d'appel, en premier lieu d'atteinte vertébrale le 27 août puis d'atteinte médullaire dans la nuit du 28 au 29 août. Pourquoi "tapoter" les vertèbres et quand ce "tapotage" est positif, ne rien en faire. Il s'agit là du quatrième dysfonctionnement.
Enfin, et surtout, alors que, dans la nuit du 28 au 29 août, le diagnostic de paraplégie est évident avec un déficit des membres inférieurs et une incontinence fécale, c'est seulement à partir de 13 h 00 que sera demandée l'IRM. Il s’agit là d’un cinquième dysfonctionnement.
L'ensemble de ces dysfonctionnements a entraîné une perte de chance pour la patiente d'éviter les séquelles neurologiques dont elle est actuellement atteinte.
Dans la mesure où une antibiothérapie adaptée dés le 29 juillet aurait entraîné avec une quasi certitude la guérison de la pyélonéphrite aiguë, la perte de chance globale est de 90 %.
Dans la mesure où cette antibiothérapie adaptée aurait dû être prescrite par le centre hospitalier, la perte de chance du fait de cet établissement est de 60 % de ces 90 %.
Dans la mesure où le médecin de cure aurait dû s'informer auprès de la patiente de son traitement lorsqu'il la revoit pour la deuxième fois et ainsi aurait pu le modifier, la perte de chance qui lui est imputable est de 15 % de ces 90 %.
Le 27 août, devant les douleurs dorsales accentuées par le "tapotage vertébral" un scanner vertébral aurait du être réalisé et dans la nuit du 28 au 29 août, et au plus tard à 06 h 00, l'incontinence fécale et le déficit moteur des membres inférieurs auraient dû faire réaliser une IRM en urgence. Ces dysfonctionnements dus aux médecins du CHU - dont le dernier a entraîné un retard d'au moins douze heures de l'intervention neurochirurgicale - ont contribué à 15 % des 90 % de la perte de chance subie par la patiente (...)".
Se fondant sur l'avis des experts, la CCI retenait que :
"(...) Les manquements relevés étaient à l'origine d'une perte de chance pour la patiente d'éviter les séquelles qu'elle présente, évaluée à 90 %.
La répartition de cette perte de chance était la suivante :
Il appartient donc à ces acteurs de santé mis en cause d'indemniser les préjudices de la patiente dans les proportions suivantes :
En 2016, la HAS a publié une Fiche Mémo concernant la prise en charge de la "Pyélonéphrite aiguë de la femme". Trois cas sont envisagés : En l'absence de risque de complication et de signes de gravité. En présence de risque de complication (au moins 1 risque). Les facteurs de risque de complication sont : la grossesse, toute anomalie organique ou fonctionnelle de l’arbre urinaire, l’insuffisance rénale sévère (clairance de la créatinine < 30 ml/min), l’immunodépression grave, un âge supérieur à 75 ans. Le diabète, type 1 ou 2, n’est pas un facteur de risque de complication. En présence de signes de gravité. Les critères de gravité sont : Sepsis grave chute de la tension artérielle ou dysfonction d’organe :
Choc septique ou nécessité d’un drainage chirurgical ou interventionnel des voies urinaires. |
Dans le deuxième cas, correspondant à la patiente de l'observation, qui était porteuse d'une polykystose rénale, la conduite recommandée était :
OU
Les antibiotiques suivants ne sont pas indiqués : amoxicilline, amoxicilline-acide clavulanique ou triméthoprime-sulfaméthoxazole.