Patiente Alzheimer et traitement par AVK

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Patiente Alzheimer à domicile, ayant eu un contact téléphonique avec l’infirmière pour modification de la posologie de son traitement par AVK...

  • Médecin
  • Paramédical
Auteur : C. SICOT / MAJ : 11/09/2018

Cas clinique

Patiente âgée traitée depuis une dizaine d’années pour une hypothyroïdie par Levothyrox®  et  pour une hypertension artérielle, par Pretérax®.

  • En octobre 2004 (77 ans), cette patiente est adressée par son médecin de famille à un psychiatre pour « troubles du comportement à type d’agressivité dans un registre délirant ». Le psychiatre retient le diagnostic de maladie d’Alzheimer.
  • Depuis cette date, la patiente est régulièrement suivie en consultation psychiatrique et traitée à domicile par Risperdal® et Séropram®.  Elle bénéficie d’une Allocation Personnalisée d’Autonomie (APA) à domicile avec un coefficient  GIR (Groupe Iso Ressource), indiqué GIR 2 en 2008 et  indiqué « GIR 4 prévu lors de la visite du 28 juillet 2009 », donc a priori une amélioration.
  • En mars 2006 (79 ans), la patiente est hospitalisée en clinique et traitée par Previscan®  pour une phlébite compliquée d’une embolie pulmonaire. Ce traitement anticoagulant est poursuivi au long cours mais sans qu’on dispose d’information fiable sur son observance et son contrôle.
  • En juin 2009, le mari de la patiente est hospitalisé en clinique pour un déséquilibre de son diabète. Ne pouvant rester seule à leur domicile, sa femme est admise dans le même établissement. Au cours de son séjour, elle est examinée par un neurologue qui décide d’instituer un traitement  anticholinestérasique (Exelon®) qui, d’après son mari, « semblait avoir eu un effet symptomatique favorable, avec une meilleure réactivité ».
  • Le 3 juillet dans la lettre de sortie de la patiente, il est notamment, indiqué : « (…) Le Préviscan a été revu à la baisse ½ comprimé par jour, compte-tenu d’un INR à 3,78, à recontrôler  (…) »
    • Au décours de cette hospitalisation, le fils du couple mécontent du médecin de famille, décide de faire appel à un autre généraliste.
  • Le 15 juillet, ce nouveau généraliste voit son mari, et la voit aussi de façon presque fortuite. La consultation est centrée sur l’adaptation du traitement du mari de la patiente, mais il est demandé au médecin généraliste de renouveler l’ordonnance  de cette dernière qui comprend, notamment, du Previscan® à la dose de ½ comprimé/j.
    • Lors de l’expertise, le généraliste précisera qu’ : «(…) Il avait bien rédigé l’ordonnance mais qu’il n’avait pas, à sa disposition, le compte-rendu d’hospitalisation récent, ni le dossier médical. C’était sa première consultation et  il s’était contenté de renouveler l’ordonnance. Il avait bien tenté d’interroger la patiente mais c’était, en fait, le mari qui connaissait bien le dossier. La malade, elle, était assise le visage figé ; elle avait répondu aux questions de politesse, mais pas sur son état de santé (…) ».
  • A noter qu’un cabinet infirmier intervenait quotidiennement au domicile du couple pour faire les injections d’insuline du mari et préparer les médicaments de la semaine pour tous les deux. Il s’agissait de trois infirmières associées qui passaient, chacune à leur tour, au domicile des patients. Ce cabinet ne s’occupait pas des prises de sang pour surveiller le traitement anticoagulant de la patiente. C’était le fils du couple qui s’adressait directement au laboratoire de son choix. Les infirmières n’étaient pas informées des examens demandés, ni de leurs résultats.
  • Le 1er août, une prise de sang est ainsi réalisée chez la patiente et révèle un INR de 3,4, communiqué au médecin généraliste.
  • Le 25 août, une autre prise de sang révèle un INR de 4,6. Le laboratoire téléphone au généraliste pour l’en informer. Ce dernier sachant que les médicaments de la patiente sont préparés par une infirmière, téléphone au mari de la patiente pour obtenir les coordonnées téléphoniques du cabinet d’infirmières afin de demander à celle-ci, d’ajuster la posologie du Previscan® en la divisant par 2, soit ¼ de comprimé/j.
    • Lors de l’expertise, l’infirmière déclarera que : « (…) Le 25 août, vers 17h30, alors qu’elle était au volant de sa voiture , après être passée au domicile de la patiente, elle avait reçu un appel  téléphonique du généraliste. Celui-ci, après s’être assuré qu’elle s’occupait bien de la patiente, lui avait demandé de modifier sa dose quotidienne de Previscan®. Elle lui avait demandé de patienter quelques instants le temps de  garer son véhicule, puis avait ouvert son agenda, sorti son stylo et noté ce qu’avait dit le médecin ʺ augmenter tous les soirs d’un demi-comprimé la dose de Previscan® de Mme X …ʺ Je fais répéter deux fois ce changement au médecin et note ainsi sur mon agenda :ʺ Mme X… : ½ cp ʺ. Je dis au médecin que je m’occuperai de ce changement dès le lendemain matin, soit le mercredi 26 août (…) »
    • A noter que le médecin  qui soutenait avoir demandé à l’infirmière de diviser la dose quotidienne de Previscan®   par 2, soit 1/4de  comprimé /j, ne l’avait pas informée de la valeur de l’INR et que celle-ci ne lui avait pas posé de question à ce sujet. Lors de l’expertise, l’infirmière avait affirmé que : « (…) Si elle avait su que le résultat de l’INR était à 4,6, elle n’aurait sûrement  pas augmenté la dose de Previscan® (…) »
  • Le 26 août, l’infirmière se rend au domicile de la patiente et rajoute dans son pilulier un demi-comprimé de Préviscan®. Pour informer les collègues qui passeront les jours suivants, l’infirmière rajoute sur l’ordonnance de celui-ci, à côté de sa prescription  de ½  cp : « + ½ cp = 1 entier » A partir de cette date, la patiente a reçu chaque soir, un  comprimé de Previscan®.
  • Le 03 septembre, une prise de sang est réalisée pour contrôle de la TSH et de l’hémoglobine  glyquée, mais sans mesure de l’INR.
  • Le 05 septembre, la patiente commence à se plaindre de maux de tête.
  • Le 06 septembre, dans la nuit, l’intensité des céphalées entraîne l’appel  du  médecin de garde qui prescrit de l’Efferalgan® 
  • Le 07 septembre au matin, les céphalées  s’intensifient au point de devenir insupportable. Elles s’accompagnent de violentes  nausées. Le mari de la  patiente téléphone à son fils qui appelle le médecin généraliste pour lui demander de venir en urgence. Celui-ci étant surchargé, lui répond qu’il ne pourra venir que le lendemain. Dans l’après-midi, le mari de la patiente voyant que son épouse souffre de plus en plus, rappelle le médecin traitant, lui demandant de venir impérativement.
  • Celui-ci se rend au domicile en fin de journée. Il constate que la PA de la patiente est très élevée (190/90 mmHg), sans déficit neurologique. Il augmente le traitement hypotenseur.
  • Dans la nuit du 07 au 08 septembre, la patiente chute à deux reprises, avec apparition d’hématomes superficiels, temporal et occipital droits ainsi qu’au niveau de la jambe du même côté. En fin de nuit, elle fait un malaise. Le fils de la patiente, prévenu par son père, appelle les pompiers qui conduisent la patiente aux urgences du CHU.
  • Le diagnostic posé est : « Volumineux hématome cérébral, au niveau de la fosse postérieure, associé à une hémorragie méningée secondaire à une chute, dans un contexte de surdosage en AVK (INR à 11) ». Les neurochirurgiens ne retiennent pas d’indication chirurgicale.
  • La patiente décédera le 29 octobre.

Assignation   du médecin généraliste et de l’infirmière devant le tribunal de grande instance par les prochesde la patiente pour obtenir réparation du préjudice qu’ils avaient subi (juin 2010)

Analyse et jugement

Analyse

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Jugement

Expertise (décembre  2011)

 L’expert, chirurgien, compétent en médecine légale et ayant choisi comme sapiteur un professeur des universités, chef de service de chirurgie cardio-vasculaire, estimait que : « (…)

  • L’infirmière aurait dû demander une confirmation écrite, quel qu’en soit le moyen, y compris les moyens modernes qui auraient pu être un texto, un e-mail, un fax,…
  • Le médecin généraliste aurait dû confirmer sa nouvelle prescription par tous les moyens, y compris les moyens rapides : texto, e-mail, fax,…

De plus, lors de sa visite du 7 septembre, au domicile de la patiente,  le médecin généraliste, après avoir constaté une tension à 19, n’avait pas  prescrit de bilan biologique ou de contrôles de thérapeutiques, ni surtout d’hospitalisation, malgré des migraines déclarées insupportables avec envie de vomir, chez cette personne fragile avec des polypathologies et sous traitement anticoagulant, ce qui correspondait, en fait, déjà à une hémorragie méningée. En outre, cette visite  avait été effectuée avec un décalage dans le temps et dans la journée (…) »

 Jugement du TGI (avril 2015)

Les magistrats  soulignaient que «(…)  Le médecin généraliste avait modifié le traitement de la patiente sans l’en aviser, sans l’aviser, non plus, de la hausse pathologique de son taux d’INR, sans donner enfin la moindre explication à son époux à qui il s’était contenté de demander par téléphone  les coordonnées de l’infirmière … Contrairement aux  allégations du médecin, la patiente n’était pas véritablement en mesure de comprendre toutes les informations qui pouvaient lui être données, qu’il appartenait donc au médecin  d’apporter également  ces informations à ses proches et plus particulièrement à son époux (…) »

Estimant établi que le médecin généraliste avait manqué à son devoir d’information, les magistrats le condamnaient à réparer ce préjudice en versant la somme de 5 000 € aux ayants-droit de la patiente.

Par ailleurs, concernant l’obligation de soins du médecin généraliste, les magistrats constataient que : « (…) Si ce dernier affirmait avoir demandé, par téléphone, à l’infirmière non seulement de diminuer les doses de Préviscan, mais également de faire procéder à un nouveau contrôle d’INR 48  heures après ce changement de posologie, il n’avait délivré aucune ordonnance en ce sens…En outre, appelé d’urgence au chevet d’une patiente dont il avait modifié le traitement quelques jours auparavant, il n’avait pas jugé utile de vérifier le suivi de sa prescription  et, ne s’était pas interrogé sur l’éventualité d’un lien avec la modification du traitement et les céphalées persistantes (…) » Ils en concluaient que, dans ce domaine, la responsabilité du médecin généraliste était, également, engagée .

Concernant  l’infirmière, le tribunal suivait les conclusions de l’expert, en jugeant qu’elle aurait dû demander une confirmation écrite de la prescription du médecin généraliste. Il estimait que ce manquement engageait sa responsabilité.

Pour le partage de responsabilités,  les magistrats décidaient que : « (…) Etant co-auteurs d’un même dommage,  conséquence de leurs fautes respectives, le médecin généraliste et l’infirmière étaient  tenus, in solidum, à le réparer…mais compte-tenu que l’infirmière n’avait eu, en l’espèce, qu’un rôle d’agent d’exécution, le médecin généraliste sera déclaré responsable à 75 % et l’infirmière, à 25 % des conséquences dommageables du surdosage en anticoagulant dont a été victime la patiente (…) »

Concernant la réparation du préjudice, les magistrats jugeaient que : « (…) Aucune des pathologies dont souffrait la patiente n’engageait son pronostic à court terme… Même, s’il n’était pas établi que les chutes avaient  été entraînées par le surdosage d’anticoagulant, elles n’avaient fait qu’accélérer et aggraver  l’hémorragie provoquée  par ce surdosage qui avait  entraîné la mort de la patiente…Dans ces conditions, le décès de celle-ci apparaissait, en lien certain et direct de causalité  avec les manquements démontrés, sans qu’il soit question d’une simple perte de chance de survie (…) ».

Indemnisation de 185 000€ dont  48 000€ pour les organismes sociaux.                    

3 Commentaires
  • Martine D 22/03/2016

    Les AVK sont de gros pourvoyeurs de iatrogénie grave et l'INR peut réserver bien des surprises malgré une surveillance attentive . L'embolie datait de 3 ans : pourquoi une telle durée , surtout chez une malade démente exposée aux chutes et à la polymédication ? Les NACO ne sont pas sans risque : contre indiqués si insuffisance rénale , ils ont des interactions médicamenteuses nombreuses et pas d'antidote .

  • René M 22/03/2016

    La prescription d'AVK au long cours suite à une phlébite compliquée d'embolie pulmonaire était-elle encore judicieuse à plus de 80 ans et labilité de l'INR. Un traitement par Aspégic et antiagrégant n'aurait-il pas été suffisant. Les AVK peuvent sauver des vies, mais chez les personnes âgées, combien de décès par inadaptation des doses ?!

  • jacques d 20/03/2016

    Il y a eu beaucoup de critiques et de polémique sur les NACO.. J'ai eu le sentiment que les inconvénients (surtout la surveillance qui ne doit pas être confiée au patient ou à son entourage comme on le fait tous parfois par facilité, en se couvrant du terme "éducation thérapeutique") ont été oublié…. la preuve une nouvelle fois. je n'ai aucun conflit d'intérêt et je suis abonné à la revue Prescrire , n'empêche !

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