Prescription d'antihypertenseur contre-indiquée pendant la grossesse

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Prescription d'antihypertenseur contre-indiquée pendant la grossesse - Cas clinique

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Un piège pour le généraliste : une prescription d’antihypertenseur contre-indiquée pendant la grossesse mettant en cause sa responsabilité. Celui-ci revoyait régulièrement la patiente malgré les interventions (confuses) de la prise en charge obstétricale...

  • Médecin
Auteur : La Prévention Médicale / MAJ : 17/06/2020

Cas clinique

  • Mère de trois enfants suivie par un médecin généraliste pour une hypertension traitée à partir de l’année 2000 par COTAREG (antagoniste de l’angiotensine II et diurétique) et LODOZ (bêtabloquant et diurétique) permettant une bonne stabilisation tensionnelle. Pendant ses grossesses, elle n’était pas hypertendue. Elle est également traitée par un traitement substitutif thyroïdien depuis une thyroïdectomie totale pour goitre.  
  • Mi-juin 2002, ces traitements sont en cours lors du début de sa quatrième grossesse ; son généraliste l’adresse alors immédiatement au centre hospitalier pour son suivi. - Le même traitement COTAREG-LODOZ sera poursuivi pendant toute la durée de sa grossesse (le COTAREG, un sartan, est contre-indiqué pour les grossesses). - Les nombreuses consultations au cours de cette grossesse (26 au total) de suivi ou en urgence (soit spontanément, soit à la demande du généraliste) seront effectuées par des sages-femmes différentes (avec mention de l’avis d’un médecin senior à deux reprises) ou des internes (six médecins différents). - Seules les échographies seront réalisées par un obstétricien, seul médecin senior avec lequel elle aura à ces occasions un contact direct et qui la reverra avant son accouchement.  
  • Pendant le premier trimestre (algies pelviennes, mycose, colopathie) elle sera vue en août par un interne en gynécologie qui ne mentionne pas le traitement, puis en septembre par un autre interne qui mentionne la prise de LODOZ mais pas de COTAREG, puis en octobre où le traitement complet est dûment noté par le même interne pour la première fois.  
  • La sage-femme vue entre-temps ne note pas le traitement ; une seule fois sera mentionné en octobre le traitement antihypertenseur par une autre sage-femme.  
  • La patiente consulte pour son suivi habituel, des algies ; l’échographie morphologique du deuxième trimestre est normale en novembre.  
  • En décembre, elle est hospitalisée pendant 24 heures pour non ressenti des mouvements actifs du fœtus (monitorage conseillé après avis téléphonique du référent coordonnateur) puis sera reçue en consultation quinze jours plus tard par un médecin interniste interrogé sur la conduite à tenir devant un diabète gestationnel (régime) et son traitement thyroïdien. Il mentionnera que la tension artérielle est bien équilibrée avec le traitement de LODOZ et COTAREG. - A partir de 20 SA, la mention de cette tri thérapie (avec le LEVOTHYROX) est mentionnée à plusieurs reprises dans le dossier avec la tension artérielle considérée comme satisfaisante.  
  • Le traitement est renouvelé mensuellement par le généraliste qui reçoit régulièrement des courriers du centre hospitalier au sujet du déroulement de la grossesse.  
  • A plusieurs reprises, au dernier trimestre, elle consulte pour une diminution des mouvements actifs du fœtus mais la surveillance échographique et le doppler sont normaux.  
  • L’échographie du septième mois conclut à un oligoamnios, à une biométrie harmonieuse en rapport avec le 50/60ème percentile, et à un doppler de l’artère ombilicale limite.  
  • L’échographie du troisième trimestre confirme un liquide amniotique d’abondance inférieure à la normale. La présentation est en siège, la tentative de version externe échoue et l’indication d’une césarienne est retenue : à la naissance à terme, l’enfant est transféré en néonatalogie pour pneumothorax sur hypoplasie pulmonaire avec des petits reins (insuffisance rénale) et retard d’ossification des os du crâne.  
  • A six mois, le bilan avec conseil génétique de cette hypoplasie pulmonaire et rénale avec suspicion d’hypotonie axiale dans un contexte d’oligoamnios fait retenir le diagnostic de dysgénésie tubulaire rénale d’origine médicamenteuse liée au traitement par sartan.  
  • Du fait du retard staturo pondéral, l’alimentation est entérale. Le suivi est contraignant, émaillé d’hospitalisations multiples et l’avenir incertain.

Analyse

Ce matériel est réservé à un usage privé ou d’enseignement. Il  reste la propriété de la Prévention Médicale, et ne peut en aucun cas faire l’objet d’une transaction commerciale.

Jugement

EXPERTISE

 

Pendant toute sa grossesse, la mère et l’enfant ont été exposés à l’action de deux molécules susceptibles d’interférer sur la croissance fœtale :

- Un diurétique thiazidique présent dans le LODOZ (association avec un bêtabloquant) et le COTAREG (association avec un sartan). Cette prescription n’est pas formellement contre-indiquée mais déconseillée ; elle fait courir un risque d’ischémie foetoplacentaire avec un retentissement sur la croissance fœtale mais n’a pas de retentissement sur l’embryogénèse.

- Un antagoniste des récepteurs à l’angiotensine II formellement contre-indiqué au cours du 2ème et 3ème trimestre. Comme indiqué dans le Vidal, le valsartan expose à un risque de malformations foetales graves (hypoplasies pulmonaires, osseuses et atteinte rénale). Les contre-indications de ce médicament sont mentionnées dans le Vidal dès 1999. La découverte d’une grossesse sous COTAREG impose l’arrêt immédiat de ce traitement.

 Le médecin généraliste ne suivait pas les grossesses, les adressait en milieu spécialisé et a fait confiance aux spécialistes. A noter qu’Il ne tient pas de dossier médical.

Il n’a pas informé sa patiente des risques de ce traitement lors d’une grossesse, au-delà du premier trimestre et pouvait d’ailleurs corriger ce défaut d’information lors du diagnostic de celle-ci. Il avait certes la capacité de se poser la question de l’indication mais d’une part sa prescription datait d’avant le début de la grossesse, d’autre part aucun message d’alerte ne lui a été envoyé par le centre hospitalier. Au contraire, les différents courriers témoignaient du bon équilibre tensionnel sous ce traitement dont il a renouvelé les prescriptions.

Le médecin obstétricien a avoué ne pas connaitre ces médicaments.

 Dans la chaine des évènements la responsabilité du centre hospitalier est majeure : compte tenu du fait qu’il s’agissait d’un centre de référence en matière de suivi des grossesses pathologiques, du nombre des consultations et des intervenants, du fait que pendant le premier trimestre l’enfant à naître était encore indemne des prescriptions initiales du généraliste qui leur avait confié cette patiente en début de grossesse. Il est consternant de constater que personne n’ait eu la démarche logique de s’interroger sur les traitements en cours pour vérifier s’ils n’étaient pas devenus contre-indiqués du fait de la grossesse.

L’ensemble du dossier montre que celui-ci a été géré au jour le jour, qu’aucune synthèse n’a été effectuée, qu’il n’y a eu aucune réflexion sur les traitements en cours et sur la présence d’un oligoamnios d’autant plus suspect que le diabète gestationnel est plutôt à l’origine d’un hydramnios. Plusieurs occasions en début de grossesse de relever l’anomalie de prescription ont été manquées, alors que l’interruption précoce des prescriptions aurait évité de façon certaine la constitution des lésions.

 

JUGEMENT (2011)

 

Le tribunal entérine les conclusions de l’expert et condamne le généraliste pour défaut d’information de la patiente et absence de modification de la prescription ou d’information du centre hospitalier lors du renouvellement du traitement. Sa part de responsabilité, comme l’expert l’avait suggérée est fixée à 5%.

La procédure se poursuit devant le tribunal administratif, seul compétent pour statuer sur la responsabilité du centre hospitalier. Une provision est versée.

Pour aller plus loin

Références bibliographiques :
 
- Quel antihypertenseur choisir en cours de grossesse et d'allaitement ? (site du CRAT)

- Antihypertenseurs : la grossesse impose des choix spécifiques (revue Prescrire.) www.amiform.com

- Recommandations sur deux classes de médicaments antihypertenseurs au cours de la grossesse (ansm.sante.fr, Communiqué de presse, 2008)
« ……A la suite de l’évaluation de l’ensemble des données cliniques disponibles, l’EMEA avec l’ensemble des agences européennes a émis les recommandations suivantes :

  • les ARAII et les IEC sont désormais tous déconseillés au 1er trimestre de la grossesse. Une faible augmentation du risque de malformations cardiaques est mise en évidence dans une seule étude, mais à ce jour, aucune autre donnée ne confirme ces résultats.
  • les ARAII et les IEC restent formellement contre-indiqués au 2ème et 3ème trimestre de la grossesse du fait de leur toxicité pour le fœtus et/ou le nouveau-né. Les effets possibles sont une atteinte de la fonction des reins fœtaux entraînant un oligoamnios (diminution de volume du liquide amniotique) et parfois une mort in utero ou une insuffisance rénale néonatale irréversible.

Les informations concernant la grossesse du résumé des caractéristiques du produit et de la notice des spécialités concernées seront harmonisées au niveau européen.

Une lettre, reprenant ces informations, sera prochainement adressée par l’Afssaps aux professionnels de santé concernés, afin de rappeler que :

  • l’utilisation des ARAII et des IEC est contre-indiquée durant les 2ème et 3ème trimestres de la grossesse ;
  • la découverte d’une grossesse chez une patiente traitée par ARAII ou IEC doit conduire à l’arrêt du traitement et à l’instauration d’un autre traitement antihypertenseur si nécessaire ;
  • les patientes doivent être informées de la foetotoxicité des ARAII et des IEC et de la nécessité de changer de traitement si une grossesse est envisagée…… ».

- Médicaments et grossesse (ansm.sante.fr, Dossiers thématiques)

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