Retard de diagnostic de cancer pulmonaire

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Retard de diagnostic de cancer pulmonaire - Cas clinique

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Cancer pulmonaire diagnostiqué la veille d'une intervention pour sténose carotidienne. Patiente non informée... deux ans de retard au diagnostic. Histoire d’une faillite de la chaîne médicale avec le radiologue et le chirurgien reconnus responsables.

  • Médecin
  • Chirurgien
Auteur : Christian SICOT / MAJ : 17/06/2020

Cas clinique

  • Patiente de 72 ans, exerçant la profession d’antiquaire. Notion d’un cancer colique (polypose familiale) 16 ans auparavant, traité par colectomie, radio- puis chimiothérapie. Suivie par son médecin traitant pour une HTA contrôlée par Aldactazine® et une dyslipidémie. Tabagisme « actif » (40 paquets/année).  
  • En 2006, lors d’une consultation systématique, découverte d’un souffle cervical entraînant la demande d’un Doppler des troncs supra-aortiques évoquant uns sténose carotidienne (absence de symptomatologie fonctionnelle en rapport). Patiente adressée par son médecin traitant à un chirurgien vasculaire qui pose l’indication d’une cure chirurgicale d’une occlusion carotidienne droite, prévue pour le 11 octobre 2006.  
  • Le 9 octobre, entrée en clinique pour permettre le lendemain matin, la réalisation d’un scanner cérébro-vasculaire à visée vasculaire, prescrit par le chirurgien pour « préparer au mieux l’intervention ». Cet examen confirme une sténose « très serrée » de la carotide droite mais sur les clichés basi-cervicaux, le radiologue remarque une image anormale pour laquelle il pratique un scanner thoracique. Dans son compte-rendu, il signale: «(…) Opacité spiculée du segment apical du lobe supérieur droit, de 23 mm de diamètre, faisant évoquer, en premier lieu, un processus tumoral …Lésions kystiques pouvant témoigner d’un emphysème centro-lobulaire (…)». Une fois l’examen interprété, il glisse les clichés avec son compte-rendu, dans la case du courrier de la clinique sans informer la patiente des raisons de cet examen supplémentaire, ni de ses résultats. De même, il ne tente pas de joindre le chirurgien vasculaire pour le prévenir de la réalisation d’un scanner thoracique ayant fait découvrir un nodule très évocateur de cancer.  
  • Le 10 octobre, au soir, le chirurgien vient voir la patiente dans sa chambre et analyse les clichés cervicaux dans la perspective de l’intervention du lendemain, mais sans lire le compte-rendu du radiologue.  
  • Le 11 octobre, l’intervention, pratiquée sous anesthésie loco-régionale, se déroule sans incident.  
  • Le 12 octobre, le chirurgien écrit au médecin traitant que la levée de l’obstruction carotidienne a été menée à bien. Il remet l’ensemble des clichés réalisés, à la patiente, à sa sortie de clinique.  
  • Comme prévu, le 10 novembre et le 20 décembre, la patiente revoit le chirurgien qui confirme la réussite de l’intervention.  
  • Le 8 novembre 2006, la malade revoit son médecin traitant sans lui apporter les clichés radiologiques réalisés à la clinique.  
  • La consultation suivante a lieu le 25 avril 2007. Le médecin traitant prévoit 3 rendez-vous avec les spécialistes qui suivent la patiente : cardiologue, gastroentérologue et endocrinologue (ce dernier, « pour apprécier le risque vasculaire lié à la dyslipidémie »).  
  • Le 21 mai 2007, l’endocrinologue écrit au médecin traitant que, dans les examens qu’il a demandés, les résultats de la VS et de la CRP sont élevés (chiffres non communiqués).  
  • Mais, ce n’est que le 4 avril 2008, soit près d’un an plus tard, que la patiente reconsulte son médecin traitant en raison d’une toux rebelle. Celui-ci prescrit un bilan dont une radiographie thoracique.  
  • Celle-ci est réalisée le 30 avril 2008. Le radiologue (qui n’était pas le même que précédemment) conclut: « (…) Opacité parenchymateuse apicale droite et juxta-hilaire gauche, méritant la poursuite des investigations (TDM) (…) » Ultérieurement, il dit avoir pris à part la patiente, qui était seule ce jour là, pour lui décrire le cliché qu’il venait de réaliser et lui a remis cliché et compte-rendu avec, comme consigne, de revoir son médecin traitant. A son avis, la patiente avait compris la nécessité de poursuivre les examens. Comme il effectuait des vacations de scanner dans un autre centre de radiologie, loin de son cabinet de radiologie conventionnelle, il n’avait pas proposé à la patiente de réaliser lui-même ce scanner.  
  • Le 15 mai 2008, le compte-rendu du Doppler cervical (prescrit dans le même bilan que la radiographie thoracique) concluait : « (…) Sténose de la carotide interne gauche à 55 % ; Gros ganglions sus-claviculaires gauches (…) ».  
  • Ce n’est que le 10 juillet – soit 2,5 mois après la réalisation du cliché thoracique que la patiente retournait voir son médecin traitant. Celui-ci suivant les recommandations du radiologue, prescrivait un scanner thoracique (rendez-vous pris pour le 1er août). L’état de la patiente s’étant aggravé quelques jours avant cette date, elle devait être conduite en ambulance au centre radiologique. L’examen concluait à : « (…) Opacité spiculée apicale droite, associée à des adénopathies latéro-trachéales droites haut situées et à des adénopathies de la loge de Baréty, l’aspect évoquant une lésion pulmonaire primitive…Petite formation nodulaire gauche située à la partie basse du hile d’environ 2 cm …Epanchement pleural bilatéral et surtout volumineux épanchement péricardique…Enfin, nombreuses bulles d’emphysème situées dans les 2 poumons de taille centimétrique (…) ». La patiente était immédiatement hospitalisée pour drainage péricardique. Le bilan concluait à un adéno-carcinome pulmonaire au stade IV.  
  • Trois cures de chimiothérapie (Carboplatine-Taxol®) étaient réalisées les 16 septembre, 21 octobre et 2 décembre. Trois mois plus tard, la patiente était, à nouveau hospitalisée pour une pneumopathie fébrile avec insuffisance cardiaque globale. Elle décédait le24 mars 2009.
  • Saisine de la CRCI par les ayants droit de la patiente, en juin 2012, en réparation de son préjudice et de celui qu’ils avaient subi.

Analyse

Ce matériel est réservé à un usage privé ou d’enseignement. Il reste la propriété de la Prévention Médicale, et ne peut en aucun cas faire l’objet d’une transaction commerciale.

Jugement

Expertise (novembre 2012)

Les experts,  l’un professeur des universités, interniste et l’autre, cancérologue libéral, estimaient que le diagnostic du cancer de la patiente aurait dû être posé en 2006 alors qu’il ne l’avait été qu’en 2008 :

« (…) En 2006, les acteurs impliqués étaient le radiologue, le chirurgien et le médecin traitant.

Lors de l’expertise, le radiologue estimait ʺavoir fait son boulotʺ. En fait, il n’avait pas satisfait à son obligation de moyen, qui était de s’assurer de la continuité des soins. Il avait aussi manqué à son obligation d’information  de la patiente en ne lui décrivant pas les raisons pour lesquelles il avait réalisé un examen qui n’avait pas été demandé par le chirurgien et sans lui en donner les résultats.

Le chirurgien reconnaissait ne pas avoir lu le compte-rendu du radiologue, la veille de l’intervention et ne pas avoir eu l’occasion de consulter à nouveau le dossier, compte tenu des suites favorables de l’intervention. Ceci l’avait empêché de constater l’existence d’un nodule pulmonaire suspect. Son manquement  était  de ne pas avoir travaillé en équipe. A sa décharge, il n’avait pas été prévenu par le radiologue de cet examen supplémentaire.

Lorsque la patiente était revenue consulter  son médecin traitant, elle ne lui avait pas apporté les clichés  faits  la veille de l’intervention mais ce dernier n’avait aucune raison de souhaiter les voir puisque le radiologue ne l’avait pas informé des raisons l’ayant amené à réaliser un scanner thoracique. En 2007, il n’avait revu qu’une seule fois, en avril, la patiente pour l’adresser aux différents spécialistes qui la suivaient régulièrement. L’un d’entre eux lui avait adressé une lettre l’informant d’une augmentation de la VS et de la CPR  mais la patiente n’était pas revenue le consulter.

En  2008, les acteurs impliqués étaient le médecin traitant et un second radiologue.

Lorsque la patiente était revenue voir son médecin pour une toux tenace, le 4 avril, près  d’un an après sa dernière  consultation, ce dernier avait logiquement demandé une radiographie  thoracique. Il n’avait revu la patiente que le 10 juillet et avait prescrit le scanner thoracique  conseillé  par le radiologue qui avait réalisé le cliché thoracique. Ce scanner avait étéréalisé  le 1er août dans des délais habituels. Le médecin traitant avait, donc, satisfait à son obligation de moyen et la suite de l’évolution lui avait échappé.

En revanche, le radiologue aurait dû prévenir le médecin traitant de la patiente et, en ne le faisant pas, il avait manqué à son obligation de moyen et de continuité des soins. Mais, à cette date, ce manquement n’avait  pas eu  de conséquence  sur l’évolution  car il s’agissait d’un  cancer pulmonaire parvenu au stade IV dont le pronostic est gravissime (…) ».

Par ailleurs, les experts soulignaient : « (…) La pratique de la médecine de ville suppose que le patient participe à sa prise en charge en suivant  les conseils des praticiens consultés. Ici l’impression  dominante était  que, contrairement aux affirmations de sa famille, la patiente avait  fait preuve d’une lenteur d’exécution, voire d’une opposition dans la mise en œuvre des demandes des médecins consultés (…) ».

En conclusion, les experts estimaient que « (…) En 2006, le premier radiologue avait joué un rôle crucial, à l’origine de la non diffusion de l’information sur la découverte du cancer pulmonaire de la patiente. Le chirurgien avait manqué de curiosité. Le médecin traitant dépendant totalement des spécialistes auxquels sa malade avait été confiée, n’avait commis aucun manquement.

En 2008, le second radiologue, avait manqué d’impulsion dans ses recommandations mais, à ce stade, la situation s’était tellement aggravée que son comportement n’avait pas eu  d’impact sur la durée de vie de la patiente (…) ».

Pour les experts, le défaut d’information de la patiente avait  été à l’origine d’une perte de chance de 80%, à partager entre le premier radiologue (60%) et le chirurgien (40%).

 

Avis de la CRCI (janvier 2013)

La CRCI adoptait  les conclusions des experts : « (…) Un médecin spécialiste est, avant tout, un médecin et l’obligation de moyen qui lui incombe, inclut de faire en sorte que la prise en charge du patient qui le consulte, soit assurée le plus efficacement possible. Cela  n’a pas été le cas du radiologue qui ne s’est pas préoccupé, comme il aurait dû le faire, des suites données au diagnostic tout à fait pertinent qu’il venait de faire et qui portait sur une affection grave mettant en jeu le pronostic vital de la patiente…

Par ailleurs, un patient  ne saurait être considéré comme un ensemble désincarné d’organes et il appartenait, notamment au chirurgien, de s’intéresser, à tout moment, à son entier dossier, dans sa globalité (…) ».

La CRCI se rangeait également à l’avis des experts concernant  d’une part, le médecin traitant excluant toute responsabilité de sa part et d’autre part, le second radiologue qui  n’avait pas correctement rempli son obligation de moyen, mais dont le manquement n’avait pas diminué les chances de survie de la patiente.

Perte de chance ramenée à 60% par la CRCI, avec la même répartition que celle proposée par les experts.

Commentaires sur le dépistage du cancer bronchique

« (…) Le dépistage du cancer bronchique par radiographie thoracique et analyse des expectorations n’a pas permis, à ce jour (avril 2010), de gain en termes de mortalité. Le dépistage par scanner thoracique ne montre, lui aussi, aucun gain de mortalité mais est beaucoup plus efficace dans le taux de détection du cancer bronchique, en particulier des stades précoces. La fibroscopie en auto-fluorescence est un examen efficace dans le dépistage des lésions précancéreuses. Les études génétiques et la recherche des cellules tumorales circulantes sont en développement. Tous ces examens sont toutefois porteurs d’angoisse, d’inquiétude pour les personnes soumises au dépistage (…) »

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