Intubation orotrachéale évitée de justesse

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Intubation orotrachéale évitée de justesse suite à la défaillance d'un ventilateur

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  • assistance respiratoire

Une patiente de 72 ans ayant des antédécents de BronchoPneumopathie Chronique Obstructive (BPCO) appelle le centre 15 en début de matinée pour des difficultés respiratoires. Un Véhicule de Secours et d’Assistance aux Victimes (VSAV) est envoyé à son domicile. Dans l'ascenseur de l'hôpital, le ventilateur cesse subitement de fonctionner...

Auteur : Bruno Frattini, Expert Prévention des risques / MAJ : 18/12/2018

Le contexte

  • Un début de journée : il est 8h15, le centre 15 reçoit l’appel téléphonique d’une patiente qui se plaint de difficultés pour respirer. La régulation fait son bilan téléphonique, et au vu des éléments recueillis demande l’intervention d’une Unité Médicale Hospitalière (UMH). En effet, cette patiente de 72 ans semble connue pour des antécédents de BronchoPneumopathie Chronique Obstructive (BPCO) et elle avait de grosses difficultés pour s’exprimer au téléphone. On lui conseille de rester chez elle, et de laisser la porte ouverte pour permettre aux secours d’entrer dans son logement. Parallèlement à cette décision, la régulation demande également l’intervention d’un Véhicule de Secours et d’Assistance aux Victimes (VSAV).
  • A l’arrivée de l’équipe de soins intensifs, la patiente est installée dans le VSAV. En effet, et contre les conseils de la régulation, la patiente est descendue dans la rue à la rencontre des secours. L’équipe du VSAV passe le bilan suivant au médecin :
    • Fréquence Respiratoire (FR) à 36,
    • Saturation en oxygène(SaO2) à 84% en air ambiant,
    • Fréquence Cardiaque (FC) à 125 pulsations par minute,
    • Tension Artérielle (TA) à 165 / 101 mm de HG,
    • Température (T°) à 38°9 C,
    • HémoGlucoTest (HGT) à 1,2 g/l
  • Les Sapeurs-Pompiers ont installé la patiente sur le brancard du VSAV et ont débuté une oxygénothérapie à 12 litres par minute.
  • L’équipe du SMUR prend le relais et réalise un ElectroCardioGramme (ECG) qui montre une tachycardie sinusale. La TA est symétrique aux 2 bras (156/98 mm de Hg à Gauche et 162/100 mm de Hg à Droite).
  • La patiente présente une cyanose, est polypnéïque (FR à 38) et est couverte de sueurs. L’auscultation pulmonaire montre des râles bilatéraux et quelques discrets crépitants en base Droite. Il est constaté également une turgescence jugulaire.
  • Elle est rapidement perfusée et placée sous Ventilation Non Invasive (VNI), en Ventilation Spontanée (VS) avec Aide Inspiratoire (AI) à + 6 cm d’H2O et une Pression Expiratoire Positive (PEP) à + 8 cm d’H2O. Elle tolère mal le masque dans un premier temps, mais l’infirmier lui explique que cette technique peut l’aider et peut lui permettre d’éviter des soins plus techniques et donc agressifs. Elle finit par accepter la situation, et après quelques minutes de traitement, la FR diminue à 26 et la SaO2 se stabilise à 93%.
  • Une titration de Isosorbide dinitrate* (ou Risordan*) en IV est instaurée, suivi d’un relais par Pousse Seringue Électrique (PSE) à la vitesse de 1,5 mg/h.
  • La régulation confirme que la patiente est attendue en Unité de Soins Intensifs Respiratoires (USIR). Le transport vers cette unité spécialisée est débuté. Durant le transfert, la patiente aura du mal à supporter la VNI, mais ses constantes restent stables. On modifiera les paramètres à la marge (AI à 9 cm d’H2o et PEP à + 6 cm d’H20), la FR se stabilisant à 25 par minute.
  • A l’arrivée en établissement de santé, les équipes installent la malade dans l’ascenseur. Soudainement, sans signe précurseur ou d’alerte, le ventilateur s’arrête.
  • Un état des lieux rapide de la situation est alors fait :
    • la capacité bouteille est vérifiée : le manomètre affiche 150 bars
    • le tuyau d’alimentation n’est pas détérioré
    • le ventilateur est éteint sans aucun message
  • Rapidement, la patiente se dégrade avec une SaO2 à 84% : elle s’agite et la cyanose se généralise. N’étant pas encore arrivé dans le service, le Ballon Autoremplisseur à Valve Unidirectionnelle (BAVU) est mis en place avec un débit d’oxygène à 15 litres par minute.
  • A son arrivée dans le service, elle est immédiatement installée dans un lit : elle présente des troubles de la conscience avec une agitation importante. Un autre ventilateur est mis en place, en mode VNI, avec les mêmes paramètres. Elle répond assez vite au traitement, et l’on évite ainsi l’Intubation Oro Trachéale (IOT).
  • Après avoir passé le relais à l’équipe hospitalière spécialisée, les personnels pré-hospitaliers ont cherché sans succès les raisons de cet arrêt brutal.
  • Au retour de l’intervention, l’incident est narré au cadre de santé du service. Il réalise une déclaration d’événement indésirable et demande l’expertise du service biomédical pour comprendre la genèse de cet arrêt inopiné du ventilateur, d’autant que cet équipement est récent (mis en service il y a 18 mois). Le matériel est testé sans qu’aucune explication à cet incident ne soit trouvée.
  • Finalement, la cause est identifiée après inspection de l’UMH : on retrouvera le câble d’alimentation du chargeur du ventilateur débranché. Il est supposé que ce câble s’est débranché dans la nuit, à la fin de la précédente intervention, ce qui n’a pas permis à la batterie de se recharger de manière optimale. 

Conséquences

Cet Événement Indésirable aura eu une conséquence modérée pour la patiente. Mais on peut néanmoins noter les éléments suivants :

  • Les soignants ont été confrontés à une situation inconfortable sans réussir à pallier cette panne de ventilateur -> générateur de stress,
  • La patiente a exprimé, à distance de l’événement, « un stress supplémentaire dont elle se serait bien passée »,
  • Une expertise du service biomédical inutile puisque l’équipement était opérationnel,
  • Une mise en œuvre potentielle de soins plus invasifs qui aurait pu impacter le pronostic vital de la malade.

Devant la probabilité de conséquences plus graves pour cette patiente, les responsables médicaux et paramédicaux du SMUR demandent au gestionnaire de risques de l’établissement de soins de réaliser une analyse de ce dysfonctionnement et d’identifier d’éventuels facteurs contributifs sur lesquels des actions d’amélioration pourraient être déployées pour éviter qu’un tel événement ne se reproduise.

Analyse des causes

La méthode ALARM, recommandée par la Haute Autorité de Santé, est retenue.

  • Cause immédiate

Panne de ventilateur au milieu d’un processus de prise en charge d’une patiente en détresse respiratoire aiguë en contexte pré hospitalier.

  • Causes profondes

Analyse des barrières

  • Barrière de récupération :

o    C’est la panne du ventilateur qui a mis en évidence cette problématique. Les professionnels ont immédiatement mis en œuvre un mode dégradé.

  • Barrières de prévention qui n’ont pas fonctionné :

o    Absence de contrôle structuré en fin de chaque intervention.
o    Pas eu le temps nécessaire pour effectuer le contrôle de la dotation de l’UMH avant le départ pour intervention
o    Pas de prise en compte des alarmes annonçant la fin de l’autonomie de la batterie.
o    Pas d’intégration structurée des nouveaux arrivants, à partir des procédures de soins du service et des retours d’expérience lors des interventions.
o    Pas de formation structurée pour les nouveaux arrivants sur les équipements biomédicaux.
o    Pas de partage d’expériences organisée au sein de l’équipe.

Les pistes de réflexion et / ou d’amélioration identifiées

L’analyse de cette situation a conduit les responsables médicaux et paramédicaux du service à réfléchir sur la nécessité de mettre en œuvre des actions d’amélioration :

  • Mettre en place une check list des points à contrôler après chaque retour d’intervention, en faisant un focus sur les éléments qui ont posé problème dans le passé (prise en compte des retours d’expérience).
  • Construire un parcours d’intégration des nouveaux arrivants, axé sur l’appropriation des situations de soins rencontrées, mais sans oublier des séquences de formation spécifiques comme l’utilisation des équipements biomédicaux et leurs particularités (pièges à éviter notamment comme les débranchements secteurs intempestifs ou les messages d’alarmes à prendre en compte).
  • Développer plus encore la culture de sécurité déjà présente dans le secteur, en expliquant la nécessité de déclarer les EI ou les Événements Précurseurs de Risques (EPR), afin de pouvoir prendre en compte ces différents retours d’expérience collectivement.

Conclusion / Enseignements

Cet EI aurait pu avoir des conséquences graves pour cette patiente en termes de pertes de chances, alors que la prise en charge était conforme aux bonnes pratiques préconisées pour ce type de pathologie.

L’analyse de ce cas clinique montre que plusieurs barrières de prévention ont été déficientes dans l’organisation de ce secteur très spécialisé.

Nous pouvons voir dans cet exemple concret que ce ne sont pas les professionnels qui manquent d’expertise, mais que l’organisation de l’intégration des nouveaux arrivants est perfectible et la communication au sein de l’équipe également.

Ces pistes d’amélioration de travail en équipe, passant par le partage des expériences entre professionnels, doivent permettre plus d’efficience pour une meilleure sécurité pour le patient.

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