Séquelles neurologiques après une cœliochirurgie

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Séquelles neurologiques après une cœliochirurgie

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Madame P., 53 ans, violoniste professionnelle, consulte un chirurgien digestif sur les recommandations de son médecin. Cette patiente se plaint de faire des efforts expulsifs douloureux lors de l’exonération des selles et d’avoir des saignements rouge clair.

  • Chirurgien
  • Médecin
  • Paramédical
Auteur : Bruno FRATTINI / MAJ : 20/12/2017

Le contexte

Ce constat conduit le médecin traitant à demander une coloscopie diagnostique auprès d’un confrère gastro-entérologue, après que la consultation auprès du proctologue ne retrouve rien de contributif.

La coloscopie met en évidence une tumeur rectale et la réalisation de biopsies permet d’objectiver la nature maligne de cette masse.

La localisation de la tumeur (charnière colorectale) permet de proposer à cette patiente son exérèse et une remise en continuité immédiate (anastomose) entre les 2 parties saines, avec conservation du sphincter anal.

Ces points rassurant la patiente, elle accepte le traitement chirurgical. Le chirurgien l’oriente alors vers un collègue anesthésiste pour l’évaluation pré anesthésique. Le MAR ne retrouve aucune contre indication à la réalisation de l’acte chirurgical sous anesthésie générale, puisque la patiente ne signale aucun antécédent médical et chirurgical. La classification ASA 2 est retenue en raison d’un surpoids (IMC à 31) et l’anesthésie générale est acceptée par la malade.

Le jour de l’intervention, la patiente est acheminée vers le bloc vers 10h30, et est conduite en salle d’opération à 10h50. L’induction anesthésique est réalisée sans difficulté, et l’équipe médico-chirurgicale installe la malade sur la table dans la position demandée par le chirurgien selon la procédure ad’hoc : bras le long du corps dans des gouttières avec gélatines de protection, mise en place des épaulières avec des gélatines de protection pour palier à tout glissement lors de la position TRENDELENBOURG. Un système de réchauffement est installé pour éviter toute hypothermie.

L’intervention se déroule sans problème particulier ; elle dure un peu plus de 3 heures. La malade est extubée en salle d’opération. Elle est transférée en Salle de Surveillance Post Interventionnelle (SSPI). Son réveil est sans particularité : l’anticipation sur les thérapeutiques antalgiques semble efficace, on note une stabilité des constantes hémodynamiques, une fonction respiratoire subnormale, une absence de nausées-vomissements.

Au moment de la sortie de SSPI, la patiente signale un fourmillement au niveau du membre supérieur droit. Cet élément est noté sur la feuille de surveillance et transmise à l’équipe d’hospitalisation pour un suivi spécifique.

Dans les jours qui suivent, cette complication neurologique est confirmée par un avis spécialisé avec un tableau sensitif et moteur, indiquant un contrôle par EMG objectivant un déficit du nerf musculocutané.

Une prise en charge rapide par un kinésithérapeute est organisée.

Les suites opératoires sont simples globalement, hormis cette complication neurologique.

Conséquences

  • Une prolongation d’hospitalisation non prévue pour investiguer sur cette problématique neurologique et initier un traitement.
  • Une patiente et sa famille qui ne comprennent pas ce qui arrive car cette complication n’a pas été évoquée par le chirurgien.
  • Une malade qui manifeste une grande inquiétude quant à la reprise de son activité professionnelle.
  • Une réclamation indemnitaire potentielle du fait du contexte professionnel de la patiente.

Analyse des causes

Cet incident a été déclaré au service Qualité – Gestion des Risques de la structure de soins.

La Direction Générale de l’établissement, prévenue immédiatement, a demandé une analyse de la situation pour comprendre la genèse de cet événement indésirable.

La méthode ALARM, recommandée par la Haute Autorité de Santé, est retenue par le gestionnaire de risques en charge de cette enquête.

  • Cause immédiate

Séquelles neurologiques du bras droit dans les suites immédiates d’une coeliochirurgie.

  • Causes profondes

Facteurs de la grille ALARM

Eléments de contexte - Causes identifiées

Facteurs liés au patient

  • Aucun antécédent pour cette patiente, ni médical, ni chirurgical.
  • La notion de surpoids connue est retenue pour cet incident.
  • Chirurgie complexe par sa technicité et sa durée, mais une chirurgie bien codifiée.

Facteurs liés aux tâches à accomplir

  • La patiente a suivi toutes les recommandations pour la préparation digestive spécifique à cette intervention chirurgicale.
  • La procédure d’installation du malade est codifiée et fait partie des compétences « cœur de métier » des professionnels présents dans la salle d’opération : chirurgien, MAR, IBODE, IADE…
  • L’installation chirurgicale a été réalisée dans le respect des bonnes pratiques, avec le matériel disponible à l’instant T : bras le long du corps - épaulières.
  • Le système de réchauffement patient par couverture à air pulsé a été installé sur le haut du corps de la malade, avant la pose des champs opératoires.
  • La position déclive a été demandée par le chirurgien dès le début de l’acte chirurgical et jusqu’à la fin, soit près de 170 min.
  • Une latéralisation côté Droit a été également demandée pendant près de 90 min.
  • En fin d’intervention, lors de l’ablation des champs opératoires, l’équipe a constaté que la patiente avait glissé de quelques centimètres par rapport à l’installation initiale et que l’épaulière droite n’était plus positionnée sur la jonction acromio-claviculaire. Ce constat n’a pas été réalisé en peropératoire du fait de l’absence de visuel constant, avec le positionnement de la couverture chauffante opaque.

Facteurs liés à l'individu (personnel de la structure)

  • Seul l’interne avait un retour d’expérience modeste.
  • Les autres professionnels impactés par cet EI sont des acteurs de santé d’expérience (chirurgien - MAR – infirmière de bloc – infirmier anesthésiste).
  • Personne n’a déclaré avoir travaillé dans un contexte défavorable.

Facteurs liés à l'équipe

  • Aucun problème de communication n’est à signaler.
  • La check-list sécurité HAS a été réalisée.
  • Les professionnels impactés par cet EI avaient conscience du risque généré par la position chirurgicale, mais n’ont pas détecté le glissement de la patiente sur la table.

Facteurs liés à l'environnement de travail

  • L’équipe n’a pas pu bénéficier d’un matelas de gélatine antiglisse positionné entre le malade et la table d’opération. Seulement 2 exemplaires sont présents au sein du bloc et étaient déjà utilisés.
  • La charge de travail du jour est habituelle, sans surcharge ponctuelle.
  • Il n’y avait pas de retard dans le déroulé du programme du jour, et en particulier pour la salle d’opération accueillant les patients du chirurgien.

Facteurs liés à l'organisation et au management

  • Le responsable du bloc précise qu’il avait commandé d’autres matelas de gélatine antiglisse, mais que la commande n’a pas été réalisée du fait d’un arbitrage financier unilatéral de la direction concernée.
  • Cette problématique avait été abordée à 2 reprises lors des conseils de bloc (point retrouvé dans les comptes rendus de cette instance).

Facteurs liés au contexte institutionnel

  • L’équilibre financier de l’établissement n’est pas stabilisé et présente un déficit depuis plusieurs exercices budgétaires.
  • Dans le cadre du bilan annuel des EI déclarés, cette typologie d’EI est retrouvée 2 fois dans l’année écoulée.

Ce qui est retenu de cette analyse : c’est très certainement lors de la latéralisation en peropératoire que la patiente a glissé suffisamment sur la table pour que l’épaulière droite comprime le plexus brachial au niveau du cou.

  • Barrière qui a détecté l’incident :
    • Signalement du trouble neurologique par la patiente elle-même.
  • Barrières qui n’ont pas fonctionné et qui ont permis l’incident :
    • Pas de matelas antiglisse en nombre suffisant pour pouvoir supprimer les épaulières, ce qui aurait évité à la fois le glissement de la patiente et la compression du plexus brachial.
    • La couverture chauffante a été positionnée pour favoriser un réchauffement optimal, tête comprise, mais ne permettait pas un visuel constant.
    • La surveillance de ces points d’appui n’a pas été réalisée de manière intermittente, par aucune personne de l’équipe.

Les pistes de réflexion et / ou d’amélioration identifiées

L’analyse de cette situation a conduit les professionnels à réfléchir sur les points suivants :

  • rappeler l’importance des bonnes pratiques concernant la surveillance des points d’appui,
  • acquérir un nombre suffisant de matelas antiglisse ad’hoc pour en faire bénéficier tous les patients sans être obligé de faire des choix difficiles > arbitrage financier,
  • être plus attentif à ces problématiques de positions chirurgicales et demander aux professionnels de signaler tous les événements porteurs de risques en lien avec cette thématique et d’autres > culture de sécurité renforcée.

Conclusion / Enseignements

Cet accident a eu des conséquences fonctionnelles graves pour la patiente : impossibilité de reprendre son activité professionnelle avant 9 mois, le temps pour elle de récupérer complètement de sa paralysie.

L’analyse de cet Evénement Indésirable Grave montre surtout qu’il était évitable.

Alors que chaque acteur dans ce secteur d’activités est parfaitement au fait des complications potentielles que peut générer cette typologie d’intervention chirurgicale, que de nombreuses précautions ont été prises, l’incident est venu sur une addition de petits détails passés inaperçus.

De nombreux Gestionnaires de Risques aiment à rappeler que le « Diable est dans les détails » ; cette maxime dans cette situation précise se vérifie.

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