Erection permanente/priapisme au cours d'un traitement antipsychotique

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Erection permanente/priapisme au cours d'un traitement antipsychotique - Cas clinique

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Conséquences d'une complication rare d'un médicament (priapisme) et de la méconnaissance de l’urgence du traitement ...

  • Médecin
Auteur : Catherine Letouzey / MAJ : 17/06/2020

Cas clinique

  • Patient de 42 ans, suivi en milieu psychiatrique depuis l’âge de 33 ans (1995) pour des troubles psychotiques. A cette époque, il existait « des symptômes pseudo-névrotiques phobiques et obsessionnels qui avaient entraîné une désinsertion professionnelle ». Le diagnostic de pathologie schizophrénique était confirmé par la survenue ultérieure « d’une angoisse dissociative, de phénomènes d’automatisme mental à type de commentaire des actes, d’ambivalence, de flou de la pensée, de délire centré sur des perceptions corporelles bizarres ». Le psychiatre traitant consignait dans son dossier que le patient lui avait confié : « (…) C’est comme si on était deux, je suis à l’intérieur de moi-même (…) »  
  • Octobre 2003 : son traitement associe : Zyprexa® 15mg le soir, Nozinan® 300mg/j, Clomipramine 50mg/j. A cette date, le patient décide d’être suivi dans une autre institution et par un nouveau psychiatre.  
  • Janvier 2004 : le nouveau psychiatre estimant que l’amélioration sous antipsychotique classique était insuffisante, décide d’introduire du Leponex®.  
  • Juin 2004 : sous surveillance régulière de la tolérance hématologique, la dose est progressivement portée de 25mg/j à la mi-janvier à 400mg/j en avril, puis 700mg/j en juin.  
  • Juillet 2004, le patient reçoit 800mg/j de Leponex®, 50mg/j de Zoloft et 1mg/j de Xanax®. Il se dit nettement amélioré et se déclare très satisfait de ce traitement.  
  • Samedi 30 octobre 2004 : au lever, le patient n’a rien remarqué de particulier. Il s’est rendu aux toilettes puis s’est recouché.  
  • 10h00, il se lève à nouveau et constate qu’il est en érection.  
  • 11h15, la prolongation de cette érection douloureuse le conduit à aller rapidement au centre psychiatrique où il est suivi pour demander un avis médical. Il n’y a qu’un infirmier (samedi du WE de la Toussaint) qui conseille au patient d’aller voir son médecin généraliste (mais ce dernier ne travaille pas le samedi).  
  • 14h00, le patient décide d’aller consulter à la maison médicale de santé où existe une permanence médicale. Il est reçu par le médecin de garde à 15h00. Après avoir consulté le Vidal, celui-ci informe le patient que : « (…) Le priapisme était vraisemblablement dû au Leponex®, que 800mg/j était une dose importante et qu’il lui conseillait de la diminuer à 150mg/j (…) ». Il prescrit un antalgique (Di-Antalvic®) et recommande au patient, « en l’absence d’amélioration, de se rendre aux urgences ce soir » (consigne mentionnée dans le dossier).  
  • A cette époque, le patient était séparé et n’avait pas eu de rapport sexuel pendant la nuit.  
  • Dimanche 31 et Lundi 1er novembre : l’érection persiste, avec une douleur en diminution grâce au Di-Antalvic®. Le patient explique que le dimanche « (…) J’étais seul avec ma fille… le lundi c’était la Toussaint… la douleur revenait mais probablement le Di Antalvic® faisait son effet. Du lundi au mardi, elle m’a, toutefois, empêché de dormir ».  
  • Mardi 2 novembre : le patient décide d’aller aux urgences de l’hôpital qui le dirigent immédiatement vers la clinique voisine où exerce un chirurgien urologue.  
  • En l’absence d’ambulance disponible, le patient doit faire appel à sa mère pour se rendre à la clinique.  
  • Mardi 2 novembre dans l‘après-midi, soit plus de 72 h après l’apparition du priapisme : le chirurgien urologue tente 2 injections intra-caverneuses qui n’apportent aucune amélioration. Il décide de pratiquer une anastomose caverno-spongieuse bilatérale.  
  • Mardi 2 novembre 19h00 : intervention. Le compte-rendu opératoire mentionne que : « (…) La détumescence obtenue était satisfaisante bien qu’incomplète (…) ».  
  • Le 12 novembre : l’urologue écrivait : «(…) la détumescence a été très lente et n’est pas encore complètement obtenue (…) ».  
  • Le patient quitte la clinique le 13 novembre, averti qu’ « après un tel priapisme, il y aura une impuissance définitive ».  
  • Après sa sortie, le psychiatre diminue rapidement (en une semaine) la dose de Leponex®, qu’il remplaçait par de l’Abilify®.  
  • Mi-décembre : en raison de la réapparition des troubles psychiatriques, le traitement par Leponex® est repris, à la demande même du patient.  
  • Toutefois, à partir de janvier 2007, il en diminue progressivement la dose, sans en parler à son psychiatre qui mentionne dans le dossier ses doutes sur l’observance du traitement.  
  • En novembre 2007 : alors qu’il ne prend plus de Leponex®, le patient revoit l’urologue pour lui expliquer qu’il ne pouvait plus avoir de rapports sexuels. Après l’échec des tentatives thérapeutiques entreprises et la confirmation que sa dysfonction érectile était définitive, le patient décidait de porter plainte.

Assignation du médecin de garde et du laboratoire fabriquant l’antipsychotique par le patient en réparation du préjudice qu’il avait subi (juin 2008).

Jugement

Expertise (mars 2010)

 

Les experts, l’un professeur des universités chef de service de psychiatrie et l’autre chirurgien urologue libéral, estimaient que la prescription de Leponex® était parfaitement justifiée. La notice de ce médicament faisait état du risque rare (1/10 000) de priapisme. Mais, comme 60% des priapismes sont de nature idiopathique, il n’était pas possible d’affirmer que : « (…) Les lésions et séquelles étaient en lien direct avec la prescription du Leponex®  (…) ». Les experts excluaient la responsabilité du laboratoire.

Concernant les soins prodigués par le médecin de garde, « (…) Ils avaient été consciencieux, puisqu’il avait interrogé et examiné son patient, établi un diagnostic et proposé une conduite thérapeutique… Mais on ne pouvait pas écrire qu’ils avaient été conformes aux données acquises de la science, puisqu’il n’avait pas reconnu l’urgence et la gravité de la situation et qu’il ne s’était pas inquiété du devenir de son patient (…) ».

En réponse aux dires des parties, les experts précisaient que : «  (…) Quelle que soit l’étiologie retrouvée, le but du traitement du priapisme était d’obtenir, dans le délai le plus court possible, un état de détumescence durable de façon à prévenir la fibrose des corps caverneux responsable d’impuissance définitive. Il s’agissait d’une urgence thérapeutique. Mais le pronostic restait très sombre, le pourcentage d’échecs thérapeutiques augmentant rapidement avec l’âge : de 20% à 20 ans, il passait à 80% à 60 ans (…) ».

 

Tribunal de Grande Instance (décembre 2012)

 

Se fondant sur le rapport d’expertise, les magistrats estimaient que le médecin de garde avait commis une faute engageant sa responsabilité. Mais, contrairement à l’argumentation développée par le plaignant, « (…) Il ne résultait pas du rapport d’expertise que si le médecin de garde l’avait dirigé immédiatement vers les urgences, il était certain qu’il n’aurait subi aucune séquelle (…) » le tribunal chiffrait à 50% la perte de chance d’échapper à une impuissance définitive.

Indemnisation de 26 850 € dont 5 850 € pour les organismes sociaux.

Analyse

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