Le droit public en santé

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Le droit public en santé, un vrai traitement pour les patients, qu'il faut savoir étudier et manier tout autant que les protocoles médicaux classiques. Cet article reprend les principaux éléments d’un article écrit par des Professeurs de droit de la santé américain et publié récemment dans le prestigieux New England Journal of Medicine (Burris & al , 2021). Son application au cas français est évident.

Auteur : le Pr René AMALBERTI, Docteur en psychologie des processus cognitifs, ancien conseiller HAS / MAJ : 30/06/2021

La centralité du droit comme intervention en santé publique a été indéniable pendant la pandémie de Covid-19

Au cours du seul premier semestre 2020, plus de 1 000 lois et ordonnances ont été émises par les autorités fédérales, étatiques et locales aux États-Unis dans le but de réduire la transmission de la Covid-19.

Ces interventions juridiques regroupent les règles de confinement, les obligations diverses (port de masque et autres), les restrictions de voyage, ainsi que des règles plus particulières pour les opérations commerciales, les ventes d'alcool, les couvre-feux et les soins de santé. 

Compte tenu de leur utilisation intensive, de leur importance et de leurs effets secondaires socio-économiques, ainsi que des complexités sociales et comportementales de leur mise en œuvre, on aurait pu s'attendre à ce que les ministères, et d'autres bailleurs de fonds de la recherche, se penchent sur "la bonne combinaison, la bonne intensité et les bonnes restrictions légales nécessaires pour contrôler la pandémie" en minimisant les inégalités de tous ordres.

La loi devient un véritable traitement authentique du risque Covid

Les conséquences sont potentiellement très différentes sur la santé publique selon l’option retenue et la stratégie employée dans le temps et dans la forme.

Pourtant, dans la réalité, aucun programme de recherche organisé n'a vu le jour aux Etats-Unis sur ce sujet. L’agence de la recherche en santé américaine (National Institute of Health - NIH) a injecté 3,6 milliards de dollars dans la recherche biomédicale liée au Covid-19. La Fondation Gates a ajouté 350 millions de dollars.

Mais le financement de l'évaluation scientifique des décisions juridiques sur les systèmes de santé publique est resté dérisoire.

Ce n’est pas nouveau : entre 1985 et 2014, le NIH n'a financé que 510 projets de recherche sur le sujet, soit moins de 0,25 % de toutes les subventions financées.

Devant ce tableau, les auteurs suggèrent de consacrer beaucoup plus d'argent et de talent de recherche en santé à l'étude scientifique des effets des lois sur la santé, ce qu’ils nomment comme un véritable nouveau domaine de recherche "l’épidémiologie juridique".

Certes, considérer les lois comme des traitements est une question d'analogie et non d'identité.

Les lois ne peuvent pas être élaborées, prétestées, dosées et administrées comme des pilules. Mais ceci dit, le manque de recherche sur ce thème est plus le reflet d’une absence de reconnaissance et d’une culture et posture des organismes financeurs focalisés sur le médical-médical, que le manque de pertinence scientifique du domaine.

L'essai prospectif, randomisé et contrôlé peut être utilisé pour étudier les effets des comportements dont la loi se sert pour imposer ou interdire.

Comme dans d'autres domaines de recherche en santé, les méthodologistes ont affiné les méthodes d'inférence causale en utilisant des séries chronologiques contrôlées, des modèles quasi-expérimentaux, y compris des groupes de comparaison multiples, des comparaisons hiérarchiquement imbriquées, des études dose-réponse et des réplications dans le temps et dans l'espace. Tout le matériel méthodologique est disponible.

La dichotomie entre les recherches scientifiques et les lois adoptées

En tirant parti des données au niveau de la population, les expériences peuvent mettre en lumière des effets de traitement hétérogènes. Ce qui est particulièrement important car les lois, contrairement aux pilules, sont appliquées au niveau du groupe et les avantages et inconvénients sont différents en fonction des critères sociaux. 

Pour la même raison, la recherche en sciences sociales et comportementales qui explore les croyances, les attitudes et les normes est essentielle pour comprendre comment le droit fonctionne dans le monde réel et comment l'améliorer.

La recherche fondamentale en droit a également été négligée. Les lois, comme d'autres stimuli sociaux, fonctionnent à travers des processus sociaux et psychologiques observables. Pourtant, malgré les exemples classiques de sociologie, d'économie et de psychologie sociale, il y a eu étonnamment peu de recherches soutenues pour l'étude systématique des questions fondamentales comme "pourquoi les gens obéissent à la loi", "comment et dans quelle mesure les sanctions conduisent à la conformité", etc.

Ce manque de recherche fondamentale produit à la fois des erreurs politiques et scientifiques qui pourraient être considérablement réduites par une meilleure base de recherche fondamentale sur divers mécanismes d'effets juridiques.

Certes, on peut admettre que les gouverneurs et les législateurs n'ont pas la même obligation que les personnels de santé à suivre les recommandations. Les politiciens ne prêtent pas toujours attention aux données de la recherche lorsqu'ils adoptent des politiques, mais parfois eux-mêmes, leurs employés ou les défenseurs des politiques le font. 

Grâce à d'excellentes recherches sur la grippe espagnole, on sait par exemple que les mesures de contrôle autoritaires peuvent se heurter à des résistances politiques et sociales.

Au plus fort de l'épidémie de VIH aux États-Unis, de nombreuses recherches historiques et socio-juridiques ont mis en évidence la "construction sociale" ; en d'autres termes, l'utilité de toute mesure de contrôle ne dépendrait pas de son efficacité potentielle dans des conditions optimales, mais plutôt de son fonctionnement et de ses effets dans les conditions typiques de la vie réelle.

De telles informations et preuves sur les effets de lois spécifiques aident les décideurs à faire de meilleurs choix, à améliorer la mise en œuvre et à résister à l'opposition en toute confiance.

L'équité en santé soumise au cadre légal

En conclusion, nous avons besoin d'au moins trois types de recherche : sur l'étude des mécanismes, des effets secondaires et sur la mise en œuvre.

On devrait notamment travailler sur la façon dont l'infrastructure juridique du système de santé - l'attribution des pouvoirs et des devoirs, ainsi que les limites de l'autorité - influence l'efficacité du système ; et peut-être encore plus important, aborder la question de l'équité en santé  via la loi. En effet, beaucoup de lois apparemment sans lien avec la  santé - telles que le Code des impôts, le salaire minimum et les règles du travail - façonnent de fait les déterminants sociaux de la santé.

La loi a des effets importants sur la santé. L'incapacité d'étudier ces effets et de traduire ces connaissances en une meilleure loi reflète des problèmes de culture et non de science.

Pour aller plus loin

Burris, S., Anderson, E. D., & Wagenaar, A. C. (2021). The “Legal Epidemiology” of Pandemic Control. New England Journal of Medicine. 384:1973-1975

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