Urgences au cabinet dentaire : se préparer à faire face à une situation rare à risque

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Urgences au cabinet dentaire : se préparer à faire face à une situation rare à risque

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  • Urgences au cabinet dentaire

Les urgences médicales en cabinet dentaire représentent des situations cliniques imprévues pouvant mettre en cause le pronostic vital du patient. Ces situations sont rares et, de ce fait, l’équipe est souvent mal préparée à y faire face. 

  • Chirurgien-dentiste
Auteur : Dr Hélèna DEHARVENGT, chirurgien-dentiste conseil / MAJ : 06/10/2021

Anticiper les situations à risque au cabinet dentaire

Les gestes qui sauvent ne sont pas naturels (car peu pratiqués), la trousse d’urgence n’est pas toujours complète, accessible et à jour, et l’entretien avec le patient sur ses facteurs de risques non systématique.

Le rôle de l’équipe soignante est cependant de détecter les situations à risque et, devant la survenance de l’événement, être en mesure de réagir de manière appropriée en utilisant les moyens disponibles et adaptés à chaque situation pour éviter toute séquelle.

Il est donc indispensable que le praticien :

  • connaisse l’état général de la santé du patient,
  • dispose d’un matériel et de médicaments de l’urgence,
  • sache quels sont les gestes adaptés à chaque situation.

Plusieurs éléments permettent d’anticiper ou de faire face à ces situations à risque.

Le questionnaire médical

L’enquête médicale préalable aux soins représente un outil de prévention important. Pour des raisons médico-légales, il doit se matérialiser par un document écrit daté et signé par le patient.

Le document écrit doit être simple, clair, compréhensible, complet, révéler l’état civil du patient et son état de santé actuel. Il est également conseillé d’y faire figurer les traitements médicaux et chirurgicaux antérieurs ou à venir, ainsi que les coordonnées complètes du médecin traitant.

Il existe de nombreux modèles de questionnaire. L’ANAES proposait le questionnaire élaboré par le CHU de Reims (page 52) :

Ce questionnaire doit impérativement être complété par un entretien oral qui révélera notamment les antécédents de malaise (et les conditions dans lesquelles le malaise s’est produit) ou de suites anormales de soins (saignement anormaux, prise médicamenteuse associée à des complications…) et leur fréquence.

L'enquête médicale doit être régulièrement mise à jour.1,2,3

Le questionnaire doit permettre de détecter les situations à risque. Ainsi, le praticien aura l’opportunité d’inciter le patient à signaler l’apparition de symptômes anormaux.

C’est également l’occasion d’informer l’assistante des signes cliniques à surveiller de façon à intervenir le plus vite possible, éviter les malaises ou prévoir les actes à réaliser.

Les médicaments de l’urgence dentaire

L’article R4127-205 du code de la santé publique mentionne que tout chirurgien-dentiste doit porter secours d'extrême urgence à un patient en danger immédiat si d'autres soins ne peuvent lui être assurés.

Ces événements sont plutôt rares en pratique dentaire et représentent un véritable défi pour l’ensemble de l’équipe soignante. Le stress et les incertitudes peuvent entraîner des erreurs et faire perdre un temps précieux. Sans avoir à établir un diagnostic précis, le chirurgien-dentiste doit être capable de mettre en œuvre les premiers gestes permettant d’éviter ou limiter l’aggravation de l’état général ou le risque de séquelles. Un matériel spécifique et une trousse d’urgence permettent une meilleure prise en charge de ces situations à condition que l’équipe soit formée (article R4127-214).

L’Ordre national des Chirurgiens-dentistes rappelle l’obligation de posséder une trousse d’urgence. Le contenu n’est pas défini par la réglementation et la liste des produits préconisés varie selon les auteurs. Leur nombre peut excéder la vingtaine pour s’adapter au maximum de situations4, mais il convient de rappeler que la surabondance du matériel d’urgence peut être contre-productive en cas de situation grave, car elle peut faire obstacle à l’efficience et à la rapidité d’intervention5.

La trousse d’urgence doit être organisée pour permettre une utilisation simple en situation critique. Elle doit être complète, à jour et localisée dans un endroit visible et facilement accessible de l’équipe de travail6.

L’article R4127-204 du Code de la santé publique mentionne : « Sauf circonstances exceptionnelles, il [le chirurgien-dentiste] ne doit pas effectuer des actes, donner des soins ou formuler des prescriptions dans les domaines qui dépassent sa compétence professionnelle ou les possibilités matérielles dont il dispose ».

C’est pourquoi une formation est recommandée. Plusieurs structures (CESU, universités...) proposent des formations AFGSU à deux niveaux : niveau 1 pour les assistantes dentaires et niveau 2 pour les chirurgiens-dentistes.

On ne soulignera jamais assez l’impact de l’entrainement pour faire face à des situations à risques rares. Des structures de simulations en santé proposent ainsi des programmes d’entrainement spécifiquement adaptés à la pratique en dentisterie.

Tableau : Proposition de contenu de la trousse7

Indication

Molécule

Nom commerciale

Voie

Posologie

Contre-indication dans le cadre de l'urgence

Malaise vagal

Atropine 6, 7

Atropine Aguettan

SC

05, à 1 mg

Aucune

Œdème de Quincke
Choc anaphylactique

Epinéphrine 7, 89, 11, 12

Anahelp®, Anapen®

IM

0,5 mg

Aucune

Coma hypoglycémique

Glucagon 791112

Glucagen Kit®

IM

1 mg

Hypoglycémie due aux sulfamides

Hypoglycémie

Sucre en morceaux 67, 81112

 

Orale

 

Aucune

Détresse vitale/inconscience
Arrêt ventilatoire/arrêt cardio-respiratoire

Oxygène médical 578, 9, 101113, 14

 

Inhalation

Insufflation

9 L/minute

15 L/min

Aucune

arrêt cardio-respiratoire

Adrénaline 5614

 

Im

 

Aucune

Crise d'asthme chez un asthmatique connu

Salbutamol 679101112

Ventoline®

Inhalation

2 bouffées

Aucune

Asthme aigu grave

Terbutaline 7

Bricanyl®

SC

1 mg

Aucune

Douleurs coronariennes chez un coronarien connu

Trinitrine 712, 15

Natyspray®
Trinitrine Laleuf®

Sublinguale (patient position assise ou allongée)

0,30 mg

Hypotension artérielle (PA <10)

Certains patients sont munis de leur propre trousse d’urgence (notamment pour ceux qui se savent allergiques)16, 17, 18. Il s’avère qu’en pratique, les patients disposant de leur dispositif injectable tardent ou n’osent pas faire l’injection.

D’où l’importance de l’éducation du patient, de son entourage, et du corps médical19.

Les gestes d'urgence

L’utilisation de la trousse d'urgence n'est pas le seul geste que doit effectuer l'équipe soignante.

Le personnel ou le praticien doivent pouvoir déclencher une alerte précoce en appelant le 15 depuis un téléphone fixe ou portable (ou le 112 depuis un téléphone portable en dehors de couverture par le réseau). Le récit doit au moins préciser si la victime est consciente et si pouls et respiration sans assistance sont présents. Sans omettre d’indiquer l’adresse précise à laquelle doivent se rendre les secours. Malgré les circonstances stressantes, le rappel des symptômes et des gestes associés aux situations d’urgences les plus fréquentes dans un cabinet permettront à l’équipe de réagir tout en gardant son calme.

Il faut également envisager la possibilité d'imprévus dans l'utilisation de la trousse d'urgence. Dans cette hypothèse, les gestes de secours doivent être connus du praticien.

Les différentes situations d'urgence

1 - Sensation de malaise

Dès que le patient exprime une sensation de malaise ou présente des signes de malaise, il faut :

  • arrêter les soins en cours,
  • rassurer le patient,
  • retirer les corps étrangers de la bouche pour prévenir toute inhalation accidentelle,
  • mettre le sujet en position de sécurité de manière à éviter une chute éventuelle,
  • en cas de perte de connaissance, mettre le sujet en position latérale de sécurité et surveiller les signes vitaux (respiration et pouls).

Si les symptômes persistent ou s’aggravent on peut demander une assistance médicale adaptée.

1.1 - Malaise vagal

Étourdissement, nausées et pâleur, brève perte de conscience.

C’est le malaise le plus fréquent.20,21 

  • Allonger le patient, les jambes surélevées,
  • desserrer les vêtements autour du cou et de la ceinture pour libérer la ventilation,
  • ouvrir les fenêtres contre la sensation d’étouffement.

1.2 - Hypoglycémie

Confusion, désorientation, agressivité, incohérence, perte de conscience. Le patient est souvent conscient du problème et demande du sucre.

  • Si conscient : donner une boisson sucrée.
  • Si inconscient : mettre la victime en position latérale de sécurité ; surveiller le pouls et la ventilation.

1.3 - Hypotension orthostatique

Sensation de vertige, rétrécissement et obscurcissement du champ visuel, dérobement des jambes, survenant au moment du passage de la position allongée à la position debout.

  • Prévoir un redressement doux et progressif, voire faire patienter le patient en position assise durant quelques minutes entre le décubitus et la position orthostatique.

1.4 - Crise de spasmophilie

Épisodes de tétanie, hyperventilation, paresthésies des extrémités et du visage.

  • Faire respirer un air enrichi en CO2, par exemple en respirant dans un sac en papier.

2 - Convulsions

Absence de réponse, secousses désordonnées des membres, éventuelle incontinence urinaire.

  • Ne pas tenter de récupérer un objet dans la cavité buccale si les convulsions ont débuté.
  • Mettre le patient en sécurité au sol pour éviter une chute du fauteuil et retirer tout objet à proximité qui pourrait le blesser lors des mouvements désordonnés.
  • Appeler les services d’urgence.

3 - Hémorragie

  • Mise en place d’un hémostatique local,
  • sutures hermétiques,
  • compression avec acide tranexmique (Exacyl®),
  • en cas de persistance hémorragique, le patient sera adressé à un service de médecine d’urgence.

4 - Obstruction des voies aériennes

Possible toux ou étouffement, sifflement, cyanose dans les cas graves.

Si un corps étranger est tombé dans la gorge, contrairement à une idée reçue, l’absence de toux ne signifie pas que l’objet n’est pas passé dans les voies aériennes. Au moindre doute, le patient doit être examiné à l’hôpital.

  • Tenter de récupérer le corps étranger s’il est visible.
  • En cas d’échec, surveillance de la ventilation jusqu’à la prise en charge par une équipe spécialisée.
  • Si l’obstruction est complète (aucune ventilation) : taper dans le dos/manœuvre de Heimlich.

5 - Arrêt cardio-ventilatoire

Absence de réponse, absence de respiration, absence de pouls.

  • Alerte précoce : message d’alerte immédiat et précis au centre de régulation des secours (15 depuis fixe ou portable ou 112 depuis un téléphone portable en dehors de couverture par le réseau).
  • Après avoir libéré les voies aériennes, la prise en charge sera différente si le praticien est seul ou en présence de personnel formé :
    • s’il n’est pas seul, le praticien débute le massage cardiaque puis une personne aide à la ventilation,
    • s’il est seul il alternera 30 compressions et 2 insufflations.

Conclusion

La survenue de situations médicales d’urgence en cabinet est inhabituelle à l’échelle d’un praticien et de son équipe.

Près de 10 % des praticiens déclarent ne jamais avoir été formés pour la prise en charge des urgences médicales. Pour 40 % des praticiens formés, la dernière formation a eu lieu il y a plus de 4 ans. Une large majorité des praticiens se sent capables de gérer un malaise, tandis que moins de la moitié se sent en mesure de gérer un arrêt cardiaque.22

La prévention des incidents se fera grâce à un questionnaire adéquat et renouvelé régulièrement, permettant de prévenir les situations critiques. Devant la survenance du risque, l’intervention du professionnel devra être rapide et efficace. Il sera donc essentiel qu’il observe les symptômes suspects et incite son patient à signaler les signes d’alerte, notamment ceux que le praticien aura pu lui indiquer au cours d'un entretien préalable.

Le traitement devra être accessible, à jour et connu de l’équipe.

Les thérapeutiques d’urgences sont moins bien connues si elles ne sont pas pratiquées ou rappelées régulièrement. De ce fait, la formation continue est un moyen de réactualiser ses connaissances et d’être plus confiant dans ses capacités à pouvoir assurer une maîtrise de ce genre de situation.20-23-24-25-26

Pour en savoir plus sur la pratique de la simulation en santé, contactez-nous à l'adresse suivante : contacts@prevention-medicale.org

Références

1 Gorin, C., et al., Le questionnaire médical en odontostomatologie : nécessité, applications, obligations. Actual. Odonto-Stomatol., 2011(253): p. 19-37.
2 BONDIL, G. Le dossier médical du chirurgien-dentiste. 2017.
3 Delannoy, B., et al., Risque cardio-vasculaire en odontologie. EMC, 2009.
4 Kawahara, M., T. Takeshita, and S. Akita, System of Acute Medical Support to Emergency During Dental Treatment. 1986.
5 Stoetzer, M., et al., L’équipement d’urgence au cabinet dentaire. Rev Mens Suisse Odontostomatol, 2013.
6 Gutiérrez Lizardi, P., et al., Botiquín para el manejo de urgencias médicas en el consultorio dental. Emergency medical kit in the dental office., 2012. 69(5): p. 214-217.
7 Laurent, F., et al., Les médicaments de l'urgence médicale au cabinet dentaire. Information Dentaire, 2008.
8 Pamela, L.A., Office Preparation and Your Medical Emergency Kit. Access, 2008. 22(10): p. 26-29.
9 Roberson, J.B. and C.M. Rothman, The Emergency Drug Kit. Dental Economics, 2007. 97(8): p. 118-120.
10 Isen, D., Emergency Drugs for Dentistry. Ontario Dentist, 2006. 83(6): p. 18-21.
11 Matthew, I., Point of Care. Journal of the Canadian Dental Association, 2005. 71(11): p. 839-841.
12 Jevon, P., Updated posters to help manage medical emergencies in the dental practice. BRITISH DENTAL JOURNAL, 2015. 219(5): p. 227.
13 Marshall, K.R., Essential piece of kit. BRITISH DENTAL JOURNAL, 2014. 216(9): p. 488-488.
14 Libot, L., Trousse d'urgence en cabinet de chirurgie dentaire. Revue d'Orthopédie Dento-Faciale, 2016. 50(3): p. 357-357.
15 Timour, Q., diagnostic et conduite à tenir devant une crise d'angine de poitrine au cabinet dentaire (à propos d'un cas). EMC, 2015.
16 Mouton-Faivre, C., Mise au point: La trousse d’urgence : pour qui ? Who needs an emergency kit? (English), 2014. 54: p. 554-556.
17 Mouton-Faivre, C., La trousse d’urgence : pour qui ? Revue Française d'Allergologie, 2014. 54(8): p. 554-556.
18 Bidat, E., et al., La trousse d’urgence de l’anaphylaxie, comment éduquer les patients ? Revue Française d'Allergologie, 2014. 54(3): p. 203-206.
19 Dubost, J., Médicaments et trousse d’urgence chez le patient allergique. Journal Européen des Urgences et de Réanimation, 2014. 26(3): p. 186-189.
20 Laurent, F., et al., Les urgences médicales dans les pôles et services d'odontologie des centres hospitaliers universitaires français. Med Buccale Chir Buccale, 2009. 15(2): p. 87-92.
21 Calon, B., et al., Urgences médicales au cabinet dentaire : une enquête française. Med Buccale Chir Buccale, 2007. 13(1): p. 31-35.
22 Laurent, F., et al., Medical emergencies in dental practice. Med Buccale Chir Buccale, 2014. 20(1): p. 3-12.
23 Kumarswami, S., et al., Evaluation of preparedness for medical emergencies at dental offices: A survey. Journal of International Society of Preventive & Community Dentistry, 2015. 5(1): p. 47-51.
24 Bilich, L.A., et al., High-Fidelity Simulation: Preparing Dental Hygiene Students for Managing Medical Emergencies. J Dent Educ, 2015. 79(9): p. 1074-1081.
25 Laurent, F., et al., Use of emergency intravenous injection in dental practice. Med Buccale Chir Buccale, 2011. 17(1): p. 15-18.
26 Stafuzza, T.C., et al., Evaluation of the dentists' knowledge on medical urgency and emergency. Braz Oral Res, 2014. 28.

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