Péritonite biliaire au décours d’une cholangiographie rétrograde endoscopique

Tout sur la gestion des risques en santé
                et la sécurité du patient

Péritonite biliaire au décours d’une cholangiographie rétrograde endoscopique

  • Réduire le texte de la page
  • Agrandir le texte de la page
  • Facebook
  • Twitter
  • Messages0
  • Imprimer la page
  • Une équipe de chirurgiens au bloc opératoire - La Prévention Médicale

Le cathétérisme bilio-pancréatique demeure la technique endoscopique la plus difficile. Quels que soient les méthodes et instruments utilisés, la CPRE demande un long apprentissage et le maintien d’une activité soutenue pour que ses résultats soient à la hauteur de ses possibilités.

Auteur : le Dr Christian Sicot / MAJ : 07/05/2024

Cas clinique

Le 30 juillet 2019, une femme de 73 ans est adressée en urgence par son médecin traitant à un gastro-entérologue, le Dr X., pour des douleurs de l’hypochondre droit accompagnées de dyspepsie et d’ictère, avec présence d’un calcul résiduel de la VBP diagnostiqué par Bili-IRM. Elle a comme antécédents :

  • Sur le plan médical : HTA, coloscopie (29 septembre 2018) pour douleurs et rectorragies, montrant des diverticules coliques gauches. Prélèvement de deux micro polypes bénins.
  • Sur le plan chirurgical : cholécystectomie (08 octobre 2018) pour lithiase vésiculaire symptomatique (crises de colique hépatique accompagnées de vomissements).
  • Traitement médical : Isoptine LP® 240, Lasilix® 20, Thyrofix® 75, Inexium® 20, Imovane® 7,5.

Le Dr X. décide de pratiquer une extraction endoscopique du calcul cholédocien. Il informe la patiente sur la réalisation de cet examen et sur les principales complications (récidive d’ictère, angiocholite, pancréatite) et lui remet une fiche d'information de la SFED (Société Française d’Endoscopie Digestive) avec une lettre pour son médecin traitant. La patiente signe une feuille de consentement éclairé.

Intervention programmée le 2 août 2019 avec une nuit de surveillance en hospitalisation à la clinique. 

Le 30 juillet, consultation anesthésique (Dr A.) Patiente de 70 kg, 1 m 68, classée ASA2. Pas de contre-indication. Bilan biologique du 10 mai 2019 : normal.

Le 2 août, CPRE (cholangio-pancréatographie rétrograde endoscopique) par le Dr X.

À 12 h 38, intervention "Pas d’accès à la VB par la papille principale. Nécessité de réaliser une infundibulotomie pour accéder à la VBP. L'opacification confirme la présence d'au moins un calcul. Extraction de quelques débris lithiasiques. Révision et lavage abondant de la VBP jusqu’à clairance complète. Pas de calcul résiduel. Le calcul a pu passer inaperçu lors de l'extraction initiale. À revoir dans un mois et demi. Durée de l’intervention 45 mn.

Lors de l’expertise, le Dr X déclarait "avoir décidé rapidement de l’infundibulotomie pour réduire le risque de pancréatite et ne jamais pratiquer de précoupe". Lettre du Dr X. le 2 août : "Hospitalisation du 2 au 3 août 2019. Je n’ai extrait que quelques débris lithiasiques mais je me suis assuré de l’absence de calcul résiduel. Je reverrai la patiente en consultation dans un mois et demi avec un bilan biologique de contrôle".

Bonne tolérance de l’examen. Surveillance en SSPI de 13 h 28 à 14 h 20. Patiente laissée à jeun le soir sauf pour l’eau. 

À 14 h 43, arrivée dans le service de Médecine. Douleurs malgré l’antalgique prescrit en salle de réveil. Appel du Dr X. : refaire Perfalgan®.

À 18 h 03, visite du Dr X. "Douleur abdominale avec météorisme abdominal (tympanisme +++). Pas de signe péritonéal. Acupan® IV. Si persistance des douleurs abdominales, faire demain : bilan biologique avec lipase et laisser à jeun".

Départ en congés du Dr X. le 2 août au soir.

Lors de l’expertise, le Dr X. déclare "faire partie d’un groupe de 9 gastro-entérologues organisés pour se remplacer mutuellement avec un calendrier d’absence établi à l’avance. Tous les praticiens sont à même de prendre en charge les complications. Les transmissions entre praticiens se font par les notes de synthèse rédigées dans le dossier médical".

Le Dr Z., gastro-entérologue, est de garde pour le week-end des 3 et 4 août 2019.

Lors de l’expertise, le Dr Z. regrette que "le Dr X. ne l’ait pas appelé directement pour lui faire part de complications éventuelles comme c’est le cas habituellement".

Dans la nuit du 2 au 3 août à 1 h 01, (transmissions infirmières), constantes stables mais douleurs abdominales +++.

À 2 h 49, algique, abdomen souple ; absence d’élimination des gaz intestinaux.

À 5 h 54, la patiente demande un antalgique plus fort que la morphine. Dit "qu’il faut l’envoyer aux urgences, que c’est inadmissible de souffrir ainsi". N’arrive pas à dormir. Absence d’alerte au niveau des paramètres vitaux. "Ce matin, patiente agressive, insinue que l’on n’a rien fait pour elle. Je lui ai précisé que j’étais dans sa chambre toutes les 2 heures et qu’à chaque sonnerie, j’ai proposé d’appeler le médecin dans la nuit et qu’elle a refusé".

Lors de l’expertise, le Dr Z. déclare "ne pas comprendre pourquoi il n’a pas été contacté pendant la nuit par l’infirmière. Il est d’autant plus étonné que les praticiens sont très souvent appelés pour des problèmes bénins".

Dans l’organisation des soins à la Clinique, il est établi que, la nuit, ce sont les gastroentérologues qui sont appelés et non les anesthésistes de garde.

La fille de la patiente déclare "avoir passé toute la nuit auprès d’elle, avoir constaté l’importance des douleurs et avoir réclamé à plusieurs reprises l’intervention d’un médecin. Elle regrette de ne pas avoir amené elle même sa mère jusqu’au service des urgences".

Le 3 août à 8 h 13, patiente très douloureuse dos et ventre : EVA 8. Appel téléphonique au Dr Z. (en route vers la clinique) : Oxynorm® en mode bolus 5mg/20min.

À 10 h 11, arrivée Dr Z. auprès de la patiente : "violentes douleurs abdominales ; tympanisme ; TA normale SatO2 93 %". Bilan biologique demandé. Scanner abdominal ce jour ; à jeun strict ; mise sous 02 ; Acupan®, Ketamine®, Perfalgan®, Oxynorm® PCA (Patient Controlled Analgesia).

À 12 h 50, scanner abdomino-pelvien avec injection : "Il existe un épanchement péri-hépatique ; une infiltration du hile hépatique. Le pancréas est visualisé, il existe une infiltration de la tête du pancréas, le canal de Wirsung est visualisé. Epanchement intra-abdominal important avec coulées péri-rénales bilatérales et épanchement du cul-de-sac de Douglas. L'épanchement est évalué à 1,5 l intra-abdominal. Ceci peut entrer dans le cadre d’une plaie biliaire. Le reste de l'examen est normal.

Conclusion : "Présence d’un épanchement intra-abdominal abondant. Ceci peut entrer dans le cadre d’une plaie biliaire". 

Biologie : GB :15.700/mm3, CRP : 12 mg/L, Lipase à 1383 UI/L.

À 13 h 13, Dr Z. : "Scanner épanchement péritonéal abondant : plaie biliaire ? Pancréatite aiguë biologique. Transfert SSC (service de soins continus) pour prise en charge plus adaptée. Fille informée de la situation". Hémocultures prélevées (restées négatives) .

Lors de l’expertise, le Dr Z. déclare "ne pas avoir vu les images du scanner mais avoir eu le radiologue au téléphone qui lui aurait parlé d’une pancréatite nécrosante et qui, en réponse à son interrogation sur l’utilité d’une ponction exploratrice à des fins d’analyse diagnostique, n’aurait pas jugé possible de réaliser un prélèvement du liquide abdominal. Compte tenu de ce diagnostic de pancréatite nécrosante, il n’a pas envisagé une éventuelle indication chirurgicale".

Il n’avait pas connaissance du compte rendu écrit du scanner qui selon lui, aurait été rédigé le lundi 5 août 2019. (Le compte rendu a cependant été rédigé par le radiologue en date du 3 août).

Il n’a pas continué à voir la patiente car l’organisation de l’établissement établit que ce sont les réanimateurs qui prennent totalement en charge le patient dés son entrée en Service de Soins Continus (SSC). 

À 15 h 44, admise en SSC. À l’entrée, le Dr B., anesthésiste-réanimateur, indique que la patiente est admise "pour pancréatite post-opératoire avec épanchement péritonéal faisant suspecter une plaie biliaire" ; reprenant donc, à 13 h 13, comme le Dr Z., la conclusion du compte rendu radiologique.

Transmissions infirmières : très algique, initialement calmée par titration morphine-tachycardie sinusale à 120/min, normotendue, déshydratée, eupnéique sous 02 ; fonction rénale stable. Température : 35°c.

Traitement : rajouter lidocaïne si besoin ; hémocultures ; pas d’antibiotiques pour l’instant ; réhydratation ; voie veineuse périphérique ; sonde vésicale ; surveillance clinico-biologique ; scanner abdominal de contrôle dans 48/72 heures.

À 16 h 39, polypneique à 30/min. Diurèse : 300 ml.

À 5 h 14, tachycardie à 120, polypnée à 20, Température 35°c. Diurèse : 400 ml depuis 18 h.

À 10 h 30, Dr B. : "Dégradation ce matin avec SIRS (Syndrome de Réponse Inflammatoire Systémique) en cours de progression, désaturation, tachycardie ; sonde naso-gastrique car estomac gonflé +++".

Biologie : GB : 18.700 /mm3, Hémoconcentration, créatinémie en augmentation à 12 ng/L, lipase 1159 UI/L (1716 le soir), CRP 309 mg/L, TP 63 %.

Appel téléphonique au chirurgien : "Bloc en urgence devant l’état général très altéré de la patiente".

À 12 h 18, TA 7/4 ; FC 130/min, FR 40/min, SatO2 90 %, hypothermie 35/36°C. Hémocultures à récupérer. "Douleurs abdominales et difficultés respiratoires ; n’arrive pas à reprendre son souffle". Diurèse 100 ml.

Le 4 août entre 13 h et 15 h 40, coelioscopie en urgence pour décompensation septique. "Péritonite biliaire généralisée, vraisemblablement secondaire à l'abord endoscopique. Pas de lésion de l'intestin grêle ou des voies biliaires visualisée. Lavage abondant... lames dans l’hypochondre droit, dans l’hypochondre gauche, dans le Douglas et dans la région sous-hépatique..." 

Lors de l’expertise, le chirurgien déclare "avoir vérifié avant la chirurgie l’absence de pathologie rétropéritonéale au scanner ; ne pas avoir pratiqué de drainage de la voie biliaire, car la patiente était dans un état grave et inquiétant ; et s’être limité à un simple lavage et drainage externe rapidement réalisé par voie coelioscopique. Le drainage de la VBP, fine, aurait nécessité un temps opératoire supplémentaire qui n’aurait pas été supporté sur le plan vital".

À 16 h 03, prise en charge en réanimation ; état de choc : PA 60/35 sous Noradrénaline, - Ventilation mécanique - Insuffisance rénale aiguë avec acidose métabolique justifiant une épuration extra-rénale continue.

Biologie : pH 7,04, Taux de prothrombine 19 %. Antibiothérapie : Rocephine® + Flagyl® + Amiklin®.

Du 5 au 09 août, installation d’une défaillance multi-viscérale sur un choc septique avec SDRA, IRA anurique et Insuffisance hépatique. 

Le 9 août, scanner abdominopelvien. "Foie de choc très hypodense : pas de rehaussement malgré une perméabilité des veines hépatiques et du tronc porte. Pas d'œdème péri-portal ; pas de collection abdominale. La tête du pancréas reste très hypodense, résultat d’une pancréatite focale, sans coulée de nécrose. Reins très hétérogènes, siège de multiples infarctus corticaux (bas débit ?). Majoration d'une pleuro-pneumopathie bilatérale".

L’état hémodynamique et clinique de la patiente continue de se dégrader malgré des doses très importantes d’amines vasopressives et de médicaments inotropes positifs.

Le 10 août 2019 à 4 h 30, décès de la patiente.

Saisine de la Commission de Conciliation et d’Indemnisation (CCI) par les ayants-droit de la patiente pour obtenir réparation des préjudices qu’ils avaient subis (novembre 2019).

Expertise (décembre 2020)

Dans leur rapport les deux experts, l’un hépato-gastroentérologue, praticien hospitalier et l’autre chirurgien digestif exerçant en libéral précisaient :

" (...) 

Circonstances de survenue du dommage

L’acte de soins mis en cause est l’extraction par voie endoscopique d’un calcul résiduel de la VBP après cholécystectomie, réalisé le 2 août 2019 par le Dr X. gastroentérologue, en clinique.

Les suites opératoires se sont compliquées d’une péritonite biliaire associée à une pancréatite modérée.

Malgré une intervention chirurgicale et une prise en charge en Soins Continus puis en Réanimation, la patiente est décédée le 10 août 2019 d’une défaillance polyviscérale. 

Analyse médico-légale/qualité des soins

La CPRE avec infundibulotomie

  • L'indication est indiscutable chez cette patiente de 73 ans ayant déjà bénéficié d’une cholécystectomie et présentant une lithiase résiduelle de la VBP avec un épisode récent de douleurs et d’ictère. Outre les douleurs de colique hépatique, le risque évolutif de ces lithiases résiduelles est important, le plus souvent par angiocholite liée à l’obstruction biliaire ou pancréatite par migration papillaire.
  • L’abord chirurgical de cette lithiase résiduelle ne se justifiait pas : l’information semble réelle lors de la consultation préopératoire, confirmée par la lettre au médecin traitant et la signature d’une feuille de consentement éclairé, malheureusement très générale.
  • L’acte endoscopique s’est déroulé sans complication apparente mais avec des difficultés liées à l’impossibilité de cathétérisme de la papille et la nécessité de réaliser une infundibulotomie.
  • La technique opératoire et le matériel utilisé sont conformes : échec de canulation au sphinctérotome-Infundibulotomie à l’aiguille rétractable, cathétérisme et opacification de la voie biliaire principale. Il n’est pas constaté de fuite biliaire peropératoire. Visualisation de débris lithiasiques mais pas de passage lithiasique visualisé.
  • Vérification de la vacuité de la voie biliaire après lavage et passage du ballonnet extracteur. Le Dr X. n’avait pas, cependant, envisagé un risque élevé de complication nécessitant une surveillance particulière.
  • Les complications post CPRE (pancréatite et péritonite biliaire) survenues chez la patiente doivent être considérées comme un aléa thérapeutique pour la perforation digestive et une complication non fautive pour la pancréatite associée.

La prise en charge post-opératoire : point essentiel de la discussion

En service d’hospitalisation

  • Le gastroentérologue s’absentant, c’est le Dr Z. gastro-entérologue qui, selon l’organisation interne de leur association de gastro-entérologues, devait assurer le suivi postopératoire de la patiente. L’importance des douleurs dès la phase de réveil pouvait évoquer d’emblée une complication. Or, malgré une nuit très difficile et extrêmement douloureuse pour la patiente, le Dr Z. n’a été contacté par le service de chirurgie que le lendemain matin vers 8 h.
  • Le suivi infirmier a été régulier durant toute la nuit, mais il est regrettable que l’infirmière n’ait pas appelé le Dr Z. gastro-entérologue de garde pour l’informer de l’importance des douleurs. Il existait des signes de sévérité puisque le Dr Z. a demandé un scanner en urgence. Un appel nocturne aurait vraisemblablement permis d’anticiper de quelques heures (3-4 heures) la prescription d’un scanner pour confirmer la complication et une prise en charge adaptée.
  • Dans la journée du 03 août, le Dr Z. n’a pas appelé le chirurgien en même temps que le service de réanimation ; le délai avant la réintervention aurait certainement pu être raccourci, avec un gain en termes de survie.
  • Le Dr Z., sans vérifier par lui-même les images du scanner, aurait suivi le compte rendu oral du radiologue en faveur d’une pancréatite aiguë nécrosante contre-indiquant un geste chirurgical. Le compte rendu radiologique écrit du radiologue rédigé le 3 août fait cependant état d’une "infiltration de la tête du pancréas et d’un épanchement important avec coulées péri-rénales et épanchement du cul-de-sac de Douglas. L’épanchement intra-abdominal est évalué à 1,5 litre".

La conclusion est : "Présence d’un épanchement intra-abdominal abondant. Ceci peut entrer dans le cadre d’une plaie biliaire".

Cette conclusion est reprise dès le 3 août dans les écrits du Dr Z. et du Dr B. anesthésiste-réanimateur. 

La relecture des images par les experts et un radiologue confirme de façon indiscutable la présence d’un épanchement liquidien intra-abdominal très important notamment dans la région périhépatique, la région périrénale droite, les deux gouttières pariéto-coliques et le cul-de-sac de Douglas. La tète du pancréas apparait quant à elle infiltrée, élargie, sans foyer de nécrose apparent. 

Il n’est pas noté de pancréatite nécrosante sur le compte rendu du scanner du 3 août, ni sur le scanner du 9 août. Le scanner du 9 août note "la très nette diminution de l’épanchement libre en rapport avec la péritonite biliaire traitée".

Il est ainsi établi que l’épanchement péritonéal était en rapport avec la péritonite biliaire et non pas avec une pancréatite nécrosante.

Quant à la ponction exploratrice, elle n’a pas d’indication eu égard à la recommandation de la SFAR : "Il faut opérer le plus rapidement possible un patient suspect de péritonite par perforation".

En soins continus (SC)

Le transfert en SC et la prise en charge chirurgicale ne se font qu’après 24 heures. Comme le Dr Z., le Dr B anesthésiste-réanimateur s’est orienté d’emblée vers un problème de pancréatite post-cathétérisme d’autant qu’il interprète (à tort) les "coulées péri-rénales bilatérales" du scanner comme des coulées de nécrose pancréatique. Il ne retrouve pas de signe de péritonite à l’examen clinique ; il n’évoque donc pas d’indication chirurgicale avant la détérioration de l’état général le 4 août au matin. Le contrôle par scanner à 48-72 heures d’une suspicion de péritonite biliaire généralisée, décidé sans discussion médico-chirurgicale, n’est pas conforme aux données de la science. 

Ainsi, il ressort de l’analyse des dossiers médicaux et des deux réunions d’expertise que le Dr Z. gastro-entérologue, comme le Dr B. anesthésiste-réanimateur ont pris en charge leur patiente avec sérieux et conscience professionnelle.

MAIS le Dr Z. comme le Dr B. se sont uniquement concentrés sur la prise en charge de la pancréatite en négligeant totalement la possibilité d’une plaie biliaire, évoquée par le scanner du 3 août.
Cette suspicion de plaie biliaire imposait l’appel du chirurgien plus précocement, avant la dégradation de l’état général, pour discuter l’indication chirurgicale.

Une intervention chirurgicale plus précoce aurait pu améliorer les chances de survie et réduire les souffrances endurées par la patiente.

La reprise chirurgicale

L’indication de reprise chirurgicale est posée d’emblée par le chirurgien compte tenu du tableau clinique et des images radiologiques au scanner. Elle était obligatoire mais malheureusement trop tardive.

Le chirurgien dit être intervenu en état de gravité : "L’abdomen était péritonéal. La TA était à 7/4 à 12 h 21 en préopératoire".

Malgré la péritonite biliaire, le drainage de la VBP n’était pas justifié en raison de l’état général de la patiente et de la lourdeur du geste chirurgical. Le simple lavage/drainage de l’abdomen était justifié et adapté à la situation.

En ce qui concerne l’indication et le geste chirurgical, le chirurgien est intervenu selon les données acquises de la science, et dans la limite des capacités vitales de la patiente.

La prise en charge en réanimation

Dès l’entrée, il est noté : intubation oro-trachéale, cathéter artériel, cathéter pour dialyse, sous noradrénaline. La défaillance polyviscérale s’est aggravée rapidement.

Le scanner du 9 août n’a pas montré de complication chirurgicale résiduelle apparente. L’importance du choc septique à l’arrivée était telle que l’évolution vers le décès était inéluctable.

La prise en charge en réanimation parait satisfaisante et conforme aux règles de l’art.

En Résumé 

Le décès de la patiente est en lien direct avec une péritonite biliaire dans les suites d’une CPRE avec infundibulotomie réalisée le 2 août par le Dr X. gastroentérologue.

Cette péritonite biliaire généralisée post-cathétérisme, confirmée par l’intervention chirurgicale doit être considérée comme un aléa thérapeutique. Elle était d’autant plus grave qu’elle était associée à une pancréatite et qu’elle survenait chez une patiente de 73 ans.

Elle était évoquée sur le compte rendu du scanner réalisé le 3 août à 11 h 30 ; associée à une pancréatite modérée sans lésion de pancréatite nécrosante. Or, la patiente n’a été opérée que le 4 août à 13 h : cet accident médical non fautif doit donc être pondéré de plusieurs manquements à l’origine d’un retard de prise en charge chirurgicale et d’une perte de chance d’éviter le décès. Ils sont imputables aux intervenants des services de Médecine et de Soins Continus, qui doivent être mis en cause :

  • Défaut d’appel du médecin de garde pendant la nuit par l’infirmière malgré les douleurs intenses.
  • Défaut d’appel du chirurgien par le Dr Z. gastro-entérologue, en charge de la patiente en raison d’une mauvaise interprétation et prise en compte du scanner.
  • Défaut d’appel rapide du chirurgien par le Dr B. anesthésiste-réanimateur du Service de Soins Continus, malgré la suspicion de péritonite biliaire et la dégradation rapide de l’état général de la patiente.

La péritonite biliaire post-cathétérisme est grevée d’une lourde mortalité que l’on peut estimer à 50 % en raison de l’association avec la pancréatite et de l’âge supérieur à 70 ans. Une perte de chance de survie de 50 % peut être attribuée :

  • à la clinique pour 5 %,
  • au Dr Z. gastro-entérologue pour 30 %,
  • au Dr B. anesthésiste-réanimateur pour 15 % (…)".

Avis de la Commission de Conciliation et d’Indemnisation (avril 2021)

La Commission considère que la part de l’accident médical non fautif dans la survenue du décès s’élève à 60 % indemnisable par l’ONIAM et celle des trois accidents médicaux fautifs, à 40 %, répartie comme suit :

  • 10 % imputable à l’assureur de la clinique,
  • 15% imputable à l’assureur du Dr Z. gastro-entérologue,
  • 15 % imputable à l’assureur du Dr B. anesthésiste-réanimateur.

Commentaire

Dans les années 2005-2010, deux publications ont fait le point sur la CPRE (Cholangio-Pancréatographie Rétrograde Endoscopique) et la SE (Sphinctérotomie Endoscopique)(1,2) :

"(…) Au début des années 1990, seul un petit nombre d’indications de la CPRE faisait consensus, en raison d’inconnues persistantes sur les risques à court et long terme de la technique. Mais la SE était déjà indiquée en cas de lithiase résiduelle après cholécystectomie, car il était illogique de réopérer un patient qui pouvait bénéficier d’un geste simple.

Le cathétérisme bilio-pancréatique demeure, toutefois, la technique endoscopique la plus difficile. Quels que soient les méthodes et instruments utilisés, la CPRE demande un long apprentissage et le maintien d’une activité soutenue pour que ses résultats soient à la hauteur de ses possibilités. Un taux de succès du cathétérisme et de la SE supérieur à 90 % et un taux de complications inférieur à 10 % sont des indicateurs minimaux qui devraient être vérifiables, au même titre que le volume minimal d’activité requis pour maintenir un niveau de qualité correct.

Le succès de la CPRE repose sur l’acquisition et la maîtrise par l’opérateur des techniques essentielles, sur la présence d’infirmières endoscopistes spécialement formées, sur l’existence d’un environnement adéquat (équipe et matériel d’anesthésie, salle post interventionnelle, unité de soins intensifs, etc.) et sur la disponibilité d’une instrumentation ancillaire appropriée. 

En cas de cathétérisme difficile (papille intradiverticulaire, antécédent de chirurgie hépatique majeure, papille envahie par une tumeur, mais parfois papille d’aspect tout à fait normal), des artifices techniques doivent pouvoir être mis en œuvre avec discernement et efficacité : utilisation de fils-guides et précoupe (infundibulotomie plutôt que papillotomie) sont les principaux recours dans ces situations délicates.

Les complications de la CPRE/SE sont bien connues : si la perforation est assez rare, l’infection, le saignement et surtout la pancréatite sont plus fréquents.

La perforation (cas de l’observation analysée), est rare (< 1 %), habituellement rétro-péritonéale, après SE trop large ou mal orientée. Elle est décelée par un cliché en décubitus dorsal centré sur l’hypocondre droit, qui doit être systématique après le retrait de l’endoscope. Un scanner permet de vérifier l’absence d’épanchement et de perforation péritonéale associée. Elle se traite le plus souvent médicalement par aspiration digestive et bi-antibiothérapie probabiliste. (…)".

Dès 2009, une publication nuançait les données précédentes(3) :

"(…) Dans notre expérience, malgré un recours assez fréquent à l’infundibulotomie, sa morbidité ne semble pas très différente de celle de la sphinctérotomie seule. Inclusion de 151 malades, avec recours à une infundibulotomie 34 fois (22,5 %) qui permettait l’accès à la voie biliaire dans 94 % des cas. Parmi les 151 malades, apparition d’une complication dans 17 cas (11,2 %) mais 3 complications (2 hémorragies, 1 pancréatite) chez les 34 malades avec infundibulotomie (8,8 %). Ces résultats méritent tout de même une validation sur de plus larges effectifs (…)."

À partir de 2015, Alhameedi et al ont fait une présentation en faveur de la précocité de l’infundibulotomie dont l’objectif était d’évaluer l’efficacité et la sécurité de l’infundibulotomie après échec d’un cathétérisme standard(4) :

"(…) Sur un suivi prospectif de 10 mois, 232 patients ont bénéficié d’un cathétérisme de la voie biliaire principale dont 81 pour tumeur et 145 pour lithiase. L’infundibulotomie a été réalisée en cas d’échec de cathétérisme soit à moins de 5 minutes, soit entre 5 et 15 minutes, soit à plus de 15 minutes. 65 patients ont bénéficié d’une infundibulotomie, soit 28 % de la cohorte. La procédure a été un succès dans 91 % des cas. La fréquence de la pancréatite aiguë post CPRE était de 38 % lorsque la durée du cathétérisme était supérieure à 15 minutes contre 2 % en cas de procédure plus courte, cette différence était significative. L’infundibulotomie est une technique efficace qui augmente le taux de réussite de la CPRE. La survenue d’une pancréatite aiguë post CPRE est corrélée à la durée de tentative de cathétérisme de la voie biliaire principale mais pas à l’infundibulotomie. Cette dernière doit être réalisée précocement en cas de cathétérisme difficile (…)".

Dans le cas clinique analysé, il n’y a pas de données permettant de juger de l’expérience du gastroentérologue ayant pratiqué l’infundibulotomie et de ses résultats antérieurs. Toutefois, la durée de l’examen (45 minutes), compte-tenu des publications récentes sur l’intérêt d’une infundibulotomie précoce, laisse penser que chez la patiente, une complication (et notamment une perforation) était à craindre. Cette crainte était d’autant plus justifiée que, dès sa sortie de la salle d’intervention, la patiente se plaignait de vives douleurs ce qui imposait, au minimum un cliché de l’hypochondre droit, mais surtout un scanner abdominal en urgence.

Références
(1) Letard J-C et al. Cholangio-pancréatographie rétrograde endoscopique et sphinctérotomie biliopancréatique. Recommandations de la SFED Janvier 2003
(2) Prat F. Cathétérisme bilio-pancréatique et sphinctérotomie endoscopique Post’U 2011, 157.
(3) Filloux B. et al. P103. Incidence et complications de l’infundibulotomie lors des cholangiographies rétrogrades endoscopiques : étude prospective chez 151 malades.Gastr.Clin. Biol Volume 33, Issue 3, Supplement 1, March 2009, Page A70.
(4) Alhameedi R. et al. L’infundibulotomie dans la CPRE difficile : y penser précocement JFHOD (Journées Francophones d’Hépatogastroentérologie et d’Oncologie Digestive) 2015.

 


Vous avez des questions, des réactions concernant ce cas clinique ?
Adressez-nous votre commentaire à contacts@prevention-medicale.org