Never Event aux urgences : erreur dans l'administration d'un gaz à usage médical

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Never Event aux urgences : erreur dans l'administration d'un gaz à usage médical

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  • Installation d'un masque à oxygène sur un patient - La Prévention Médicale

L’erreur dans l’administration d’un gaz à usage médical est considérée comme un événement qui ne devrait jamais arriver, par l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM) depuis février 2012 (Never Events).

Son utilisation constitue une vulnérabilité et doit générer des précautions systématiques pour éviter toute utilisation mettant le pronostic vital d’un malade en danger.

Auteur : Bruno FRATTINI – Cadre Supérieur de Santé IADE – Expert en prévention des risques - MACSF / MAJ : 03/07/2023

Présentation du contexte et de la problématique

M. D., 58 ans, est amené en secteur d’urgences par un transport sanitaire paramédicalisé, à la demande du centre 15, pour des douleurs abdominales intenses...

À son arrivée en fin de matinée, M. D. est pris en charge immédiatement par l’infirmier d’accueil et d’orientation (IAO).

Les éléments recueillis sont les suivants :

  • Constantes à l’arrivée :
    - Tension artérielle (TA) : 110 / 65 mm de Hg avec une PAM à 75
    - Fréquence cardiaque (FC) : 115 battements par minute
    - Saturation en oxygène (SpO2) : 90 %
    - Fréquence respiratoire (FR) : 20 cycles par minute
  • Pas de signe clinique en faveur d’une détresse respiratoire : pas de cyanose des extrémités, pas de polypnée…
  • Pas de signes d’anémie sévère : pas de pâleur cutanée, pas de décoloration conjonctivale, HémoCue à 12,5 g/dl.
  • Interrogatoire : transit anormal > pas de selles depuis 4 jours, pas de gaz, des nausées depuis 24 heures…
  • Siège de la douleur : zone ombilicale et hypogastre, pas de ventre de bois constaté, mais très sensible à la palpation.
  • Cotation de la douleur : 8/10.
  • Antécédents médicaux : aucun.
  • Antécédents chirurgicaux : péritonite appendiculaire à l’âge de 25 ans.


L’IAO pose une voie veineuse, prélève en même temps un bilan sanguin (NFS, CRP, bilan hépatique, ionogramme sanguin), administre un gramme de paracétamol, installe le patient dans un box, débute une oxygénothérapie au masque facial à 5 litres par minute, prévient le médecin de la situation clinique du patient… et réalise les transmissions à un collègue infirmier…

Rapidement, le médecin urgentiste réalise un interrogatoire du patient et un examen clinique, et prescrit un abdomen sans préparation (ASP) comme examen d’orientation. Le service d’imagerie médicale précise qu’il pourra prendre le patient dans 15 minutes… Il prescrit 5 mg de morphine par voie sous cutanée pour calmer la douleur du patient. L’IDE administre immédiatement la morphine.

Le transfert du patient vers le service d’imagerie médicale est alors organisé : les brancardiers sont appelés.

L’IDE en charge du patient demande à l’étudiant infirmier de le préparer pour son transfert et lui demande d’amener une bouteille d’oxygène et de la connecter au dispositif d’administration en oxygène… expliquant qu’il doit se rendre auprès d’autres malades mais qu’il reste à son écoute si nécessaire.

L’oxygénothérapie est poursuivie pendant le transport. Le monitorage est débranché car aucune constante vitale n’est relevée pathologique : la SpO2 est à 99 % avec les 5 litres d’oxygène.

Le patient est déposé en imagerie médicale par les brancardiers, en zone d’attente couchée, les secrétaires sont informées de la situation clinique du patient.

Quelques minutes plus tard, les manipulateurs en électroradiologie prennent en charge le patient et, alors qu’il réalise un contrôle d’identitovigilance, ils ont la surprise de n’obtenir aucune réponse, et ce, malgré des stimulations verbales et physiques (questions, patient pris par la main…).

Un des manipulateurs s’aperçoit alors, en faisant un point de la situation, que le masque d’oxygène est en fait relié à une bouteille de Kalinox®.

Le service des urgences est appelé immédiatement, le patient est placé sous oxygène pur, et il commence à se réveiller. L’examen pourra être réalisé. l’IDE reste à ses côtés… et le patient est ramené dans son box.

Les autres investigations cliniques et paracliniques objectiveront une occlusion au niveau de l’intestin grêle (bride), prise en charge rapidement par le chirurgien digestif de garde… il réalisera une coelioscopie exploratrice qui lui permettra de lever l’occlusion.

Le patient sortira 4 jours plus tard, avec des suites simples et notamment une reprise du transit… et une reprise d’activité professionnelle à 30 jours du geste opératoire.

Méthodologie et analyse succincte de cette problématique

Devant les conséquences de l’événement, à savoir un patient retrouvé inconscient sans surveillance, l’IDE des urgences a réalisé un signalement par le biais du système de déclaration des événements indésirables de l’établissement.

Le président du comité des vigilances et des risques demande que cet événement indésirable (EI) soit analysé, car il fait partie des Never Events identifié par l’ANSM.

L’analyse de cet EI est réalisée par le gestionnaire de risques de la structure. Cette proposition a été acceptée à l’unanimité du comité.

Les données analysées proviennent des éléments recueillis au préalable auprès des professionnels de santé qui sont intervenus dans la prise en charge de ce patient : recueil réalisé lors d’entretiens individuels, analyse de documents, lecture du dossier… La méthode ALARM est retenue.

Cause immédiate

Erreur d’administration de gaz médical, Kalinox® au lieu d’O2.

Causes profondes


Des conséquences pour le patient

  • Une sédation induite probablement par la potentialisation de la morphine et du Kalinox®
  • Une prise en charge qui n’a pas été retardée outre mesure...
     

Les conséquences pour la structure de soins 

  • Une prise en charge de l’accident qui a perturbé, à la marge, la prise en charge des patients en imagerie conventionnelle.
  • Un événement indésirable potentiellement grave, dans un contexte de Never Event, identifié comme tel depuis 2012 par l’ANSM et sans réelle barrières de sécurité mise en place dans l’établissement > vulnérabilité identifiée comme importante.
  • Un patient qui a été informé de la situation, mais qui ne semble pas en avoir perçu la gravité potentielle. Il a surtout retenu qu’il a eu un répit dans le contexte douloureux qui le préoccupait…
     

Il est important de mettre en évidence les barrières de défenses qui ont été déficientes. 

Barrière qui a détecté l'incident

  • Atténuation : la détection de la bouteille de Kalinox® par la manipulatrice en électroradiologie et l’alerte faite à l’équipe soignante des urgences ont permis de mettre en œuvre les mesures conservatoires adaptées à la situation.

Barrières qui n'ont pas fonctionné et qui ont permis l'incident

  • Prévention : pas de prise de connaissance des compétences acquises par l’étudiant lors de la délégation de tâches.
  • Prévention : pas de contrôle de l’IDE sur les tâches réalisées par l’étudiant infirmier (délégation contrôlée non réalisée).
  • Prévention : pas de transmissions adaptées faites par l’équipe des urgences à leurs collègues d’imagerie.
  • Prévention : pas de solution satisfaisante trouvée par les managers pour le remplacement de l’IDE absent avec une répercussion certaine sur les charges de travail (mode dégradé retrouvé dans les prises en charge).
  • Prévention : pas de stockage différencié entre les bouteilles d’oxygène et les bouteilles de Kalinox® dans la réserve des urgences.
  • Prévention : peu de déclarations des EI sur les incidents ou presqu’accidents observés sur le secteur des urgences – pas de cartographie de risque également.

Barrières qui ont fonctionné et qui ont permis de récupérer l'incident

  • Atténuation : disponibilité rapide de l’équipe des urgences au signalement de l’EI.
  • Atténuation : dotation du sac d’urgence en adéquation avec la situation à prendre en charge.
     

Lors des discussions au cours de l’analyse collégiale de cet événement indésirable, les différents acteurs concernés ont retenu que certaines barrières de prévention n’avaient pas été mises en œuvre par défaut de réflexion sur le sujet des Never Event… absence de cartographie des risques du secteur...

Les pistes de réflexion et/ou d'amélioration

Le stockage des bouteilles de Kalinox® et d’oxygène est à ce jour bien différencié dans la réserve du secteur des urgences.

Une formation/sensibilisation sur les Never Events est de nouveau programmée par la COMEDIMS. Le retour d’expérience de cet EI montre que la sensibilisation doit être constante dans le contexte actuel des établissements de santé car le turn-over au sein des équipes est important… Les actions "One shot" ne sont pas ou plus adaptées.

Le dossier patient informatisé (DPI) reste l’outil qui permet une traçabilité de tous les actes de soins réalisés. Il permet de suivre et comprendre le parcours du patient. Le service d’imagerie engage une campagne de sensibilisation de leurs professionnels pour que les données médicales soient consultées plus spontanément.

La communication entre équipes soignantes reste un levier important de la sécurité des patients. La méthode SAED, labellisée par la Haute Autorité de Santé, est retenue par la structure de soins comme la méthode à privilégier pour être exhaustif et synthétique dans les transmissions orales. Une action de formation/sensibilisation est retenue par le service Qualité/Gestion des Risques sous un format quick formation pour toutes les équipes soignantes.

Enfin, une réflexion doit être initiée sur les valeurs ajoutées d’une déclaration des EI au sein de chaque secteur pour nourrir leur cartographie des risques qui sera réalisée rapidement (action prioritaire du PAQSS de la structure) > culture de sécurité remise au centre des préoccupations des professionnels de santé. Cette dynamique peut être à l’origine de décisions collectives pour activer certaines barrières de sécurité.

Conclusion

La prise en compte des recommandations de bonnes pratiques doit rester la règle pour toutes les organisations de soins. Les Never Events sont des événements qui ne doivent jamais survenir…

Malgré des campagnes de sensibilisation, ces risques ne sont pas pris en compte par tous…

La communication doit rester une vigilance constante également, aussi bien entre équipes soignantes que dans l’encadrement des étudiants… un manque de précision et surtout un défaut de contrôle des tâches déléguées peuvent générer des risques graves.