Epidémie inquiétante de sur-diagnostics et de sur-traitements

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Epidémie inquiétante de sur-diagnostics et de sur-traitements

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Une véritable épidémie de sur-diagnostics frappe les pays riches et provoque un nombre croissant d’EIG, au point de penser sérieusement qu’il pourrait s’agir de la première cause d’EIG dans les années 2020.

Auteur : Pr. René AMALBERTI / MAJ : 24/11/2017

Quelle définition ?

Le sur-diagnostic possède plusieurs définitions mais il s’agit toujours d’un « trop » en rapport avec la non gravité d’une pathologie qui spontanément ne causerait pas de préjudice ni de risques de décès, mais pour laquelle le diagnostic posé peut causer par son seul fait des problèmes sérieux et indésirables au patient.

Au minimum, le sur-diagnostic induit de l’anxiété, et au pire engage le patient dans des traitements inutiles et dangereux, le coupe socialement du monde, l’isole et le déséquilibre dans les fondements de sa vie familiale.

Sans surprise, l’augmentation de fréquence et de gravité des sur-diagnostics concerne en premier les pays riches ; on commence à parler « d’épidémie » de mauvaises attitudes médicales avec des sur réactions médicales à des anomalies biologiques et des sur-prescriptions d’examens complémentaires et de préventions. Ces détections posent clairement en retour la question épistémologique de la définition de ce qu’est une maladie, de ses limites, de ses conditions d’appellation. Cette extension sémantique de langage a fait considérer ces symptômes très précoces dans la même catégorie que les maladies constituées et a ainsi fait grossir dans des proportions invraisemblables depuis 30 ans (et la courbe continue à monter) le nombre de cancers de la thyroïde, de mélanomes, des cancers du rein (10 % de sérodiagnostic), du poumon (25 %), de la prostate (60 % !) et du sein (30 %), sans oublier les diagnostics d’asthme (30 %), de diabète gestationnel (20 %) et d’autres pathologies comme l’hypercholestérolémie (80 % de traitement inutile), d’hypertension, de troubles de l’attention et le syndrome d’hyperactivité chez l’enfant (+30 % de risque de sur-diagnostic chez les enfants nés en fin d’année qui sont simplement scolarisés avec un an d’avance), et même d’embolies (la résolution de l’imagerie est telle que la plupart des très petites embolies aujourd’hui détectables ne nécessitent pas de prise en charge).

La faute revient souvent aux examens complémentaires qui sont de plus en plus fins et produisent en retour des détections de signes ultra précoces de pathologies, alors qu’il ne s’agit souvent que de manifestations encore spontanément réversibles, et qui ne signent pas l’existence de la maladie.

Ainsi, dans une étude de 2009 conduite pendant 10 ans sur 16 millions d’Américaines de plus de 40 ans, une augmentation de 10 % dans la pratique d’examens des mammographies préventives a produit 16 % de nouveaux cancers diagnostiqués, dont une majorité avec des tailles de tumeur inférieure à 2cm, et finalement sans changement sur le pronostic final. Pareil pour les cancers de la thyroïde et de la prostate. Pour résumer, les cancers augmentent en fréquence à cause de ces diagnostics précoces, avec des traitements agressifs et mutilants, mais finalement sans bénéfice scientifiquement prouvé sur leur évolution en comparaison de cancers diagnostiqués plus tard.

Sauf que les patients sur-diagnostiqués sont souvent en détresse personnelle et présentent de véritable EIG psychologiques. Ainsi, une étude américaine sur les diagnostics d’ostéoporose chez 16 femmes ménopausées a par exemple montré que ces patientes ne prenaient aucun recul et avaient totalement ramené et restreint leur vie à ce qu’elles imaginaient être des dangers de leur pathologie. Pareil pour des patients diagnostiqués d’un anévrisme aortique de 32mm, somme toute assez compatible avec une vie normale, mais qui avait entraîné une peur permanente de mourir subitement, et finalement une mort « sociale » et « familiale » de ces patients totalement repliés sur eux-mêmes et sur leur peur. Une autre étude montrait le niveau d’angoisse et les conséquences sociales et familiales désastreuses (perte d’emploi, dépression, voire divorces) de patients ayant eu des radios du thorax suspectes de cancer avant d’être déclarés faux positifs au bout de 3 mois d’examens complémentaires.

Les études longitudinales sur des cohortes diagnostiquées à des stades précoces montrent les mêmes résultats désastreux au niveau social. Une étude de ce type conduite sur les mammographies chez 1 300 femmes montrait par exemple que les femmes victimes d’un faux positif présentaient encore des préjudices et conséquences psychosociales importantes 3 ans après l’examen.

Bien sûr, les études quantitatives sur le nombre de sur-diagnostics sont aussi sujettes à des biais même en cas d’études randomisées car il faut qu’elles soient suffisamment longues (plusieurs mois et années), et que le groupe contrôle n’ait pas d’examens (positifs) pendant toute cette période, ce qui est évidemment difficile voir éthiquement discutable.

On ne fait pas exprès de faire des sur-diagnostics… Encore que…

On conçoit aisément que les sur-diagnostics soient pour une partie non volontaire et relèvent d’un manque d’information ou de craintes de n’en faire pas assez quand on a le patient en colloque singulier qui exprime des symptômes. La peur juridique est aussi un moteur involontaire à en faire trop.

Mais certains sur-diagnostics relèvent parfois d’une autre logique, plus volontaire : une façon de jouer avec les définitions et d’inclure plus de patients atteints de signes mineurs dans des pathologies anciennement connues (c’est le cas par exemple du cancer, de l’autisme ou du syndrome hyper actif, ou même des pré-diabètes). Le bénéfice de ces inclusions de patients quasi asymptomatiques est multiple mais toujours fallacieux : plus d’importance donnée à ces pathologies et aux spécialités qui les prennent en charge, plus de soutien de l’état et des associations, plus de réussites médicales « faciles » qui peuvent servir à justifier des « nouveaux traitements » pour l’industrie pharmaceutique avec plus de patients qu’on peut guérir pour une pathologie donnée (puisque ces patients ne sont en fait pratiquement pas atteints), mais in fine aucune preuve scientifique que la prise en charge précoce et/ou sur la base de signes mineurs ou précurseurs est vraiment bénéfique pour le patient (c’est le cas de beaucoup de pré-diabètes) et par contre pas mal d’évidences qu’une prise en charge précoce peut finir par avoir des effets indésirables physiologiques et socio psychologiques par les traitements et examens pratiqués et l’image de maladie qui est donnée au patient.

Que faire pour les réduire ?

L’innovation et l’amélioration des moyens biologiques et d’imagerie étant sans limites, la fréquence des sur-diagnostics ne peut que croître si on ne s’investit pas rapidement dans des contre-mesures.

La première contre mesure à penser est sûrement dans l’information et la formation sur les définitions de ce qu’on appelle une pathologie, et sur le risque associé à des propos inclusifs (des mots) dangereux pour le patient qui ferait assimiler toute forme ultra débutante -voire seulement un terrain propice- à une classe de pathologie constituée potentiellement grave, et lui ferait immédiatement appliquer les « étiquettes » et les thérapeutiques de cette pathologie.

Les mots utilisés à tort tuent socialement et immédiatement, et souvent bien plus vite que les pathologies

C’est une révolution de pensée presque Copernicienne qu’il faut réaliser en remettant en question le dogme que « traiter très tôt est toujours mieux que traiter plus tard ».

Une seconde contre-mesure consiste à limiter fortement nos pratiques d’examens pour adopter une pertinence prudente. Trop d’examens sont encore prescrits -et répétés- contre toute recommandation.

Le chemin reste encore long et les risques s’accroissent. Il faut réagir.

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