Une vision générale de la place du patient dans la gestion des risques

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                et la sécurité du patient

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Depuis quelques années, la communauté médicale et de gestion des risques n’imagine plus pouvoir progresser sans une participation beaucoup plus active des patients. Cependant, les difficultés ne manquent pas, en France comme à l’étranger...

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Auteur : Pr. René Amalberti / MAJ : 17/06/2020

Introduction

La gestion des risques en médecine est un sujet de grande actualité souvent ponctué ou réactivé par des scandales. C’est aussi un sujet jeune, dans la mesure où le terme même de sécurité du patient n’a guère plus de 20 ans. Il est né aux USA, et dans la réalité, officialisé par le rapport Américain To err is Human de l’académie de médecine publié en 1999 (Kohn et al 1999). C’est depuis cette date que les enquêtes nationales ont confirmé répétitivement dans tous les pays l’incroyable fréquence des évènements indésirables liés aux soins (ils concernent 1 entrant sur 10 à l’hôpital, sans préjuger de la gravité le plus souvent mineure), et l’importance émotionnelle et économique de ces évènements.

Les efforts n’ont pas manqué depuis 12 ans pour améliorer la situation, essentiellement l’organisation du système de santé et ses fragilités, mais le traitement a été surtout organisationnel et procédural, n’impliquant pas au premier rang le patient. On pense à la certification, à l’accréditation, et aux lois, décrets et arrêtés multiples sur la prise en compte et la réduction des risques.

Depuis quelques années, la communauté médicale et de gestion des risques n’imagine plus pouvoir progresser sans une participation beaucoup plus active des patients. Mais force est de constater que le chemin est particulièrement difficile pour changer la donne, du fait de multiples résistances qu’il faut analyser et bien comprendre. L’exposé analyse ces différents défis. La présentation s’organise sous deux entrées principales :

- la participation du patient à sa propre sécurité,

- la participation du patient à son parcours de soins.

La participation du patient à sa propre sécurité

Le signalement des évènements indésirables par les patients ou vers les patients

Le signalement préventif par les patients (ou leur entourage) du risque d’évènement indésirable au moment des soins reste peu écouté, controversé, et très difficile à mettre en œuvre. Les patients sont bien placés pour détecter une « bizarrerie » dans leur parcours de soins (Weingart, 2005), mais savent rarement l’exprimer en termes médicaux. Leur écoute par les professionnels reste marginale. Le signalement après coup par les patients et leur entourage est également limité, mais mieux reconnu comme un vrai problème à améliorer par les différentes parties.

L’explication (la révélation) par les professionnels de santé des évènements indésirables aux patients victimes reste en jachère et mérite une urgence d’action prioritaire.

Cette communication renvoie à une obligation légale (loi du 4 mars 2002). La mise en application est très difficile, les obstacles multiples : freins culturels, sentiment de culpabilité, peur juridique, temps disponible insuffisant, et encore plus absence de savoir-faire, etc. Un nouveau guide vient de paraître sous le label HAS pour faire progresser ce domaine.

La participation des patients à l’analyse des événements est pour le moment marginale.

  • Elle existe à travers la mission des CRUC-PC en principe destinataires des plaintes. Toutefois, sur le terrain, ce point semble d’application inégale et mal compris par les parties. Le processus débute dans les établissements, et est encore en rodage. Le point faible pour les patients et les associations reste le bouclage en retour de l’information traitée dans ces CRUC-PC vers les pratiques qui sont à l’origine de l’évènement, voire plus généralement sur la feuille de route de l’établissement en matière de priorités et de modification de ces priorités.
  • La participation des associations de patients aux travaux des CCLINs ou des groupes divers dans lesquels ils peuvent être invités reste souvent trop formelle, avec une posture de demande de validation du processus à la fin sans participation réelle aux débats (et souvent sans invitation à la partie de production de l’analyse qui a précédé).
  • La participation des patients pourrait aussi être envisagée dans les RMMs. Quelques expériences ponctuelles ont été évoquées, mais le sentiment dominant de la littérature est qu’il faut d’abord installer cette pratique entre professionnels avant (peut-être) de l’enrichir dans le futur par la présence de patients ou de leurs représentants.
  • Le plus important dans ce registre de la production de l’analyse est l’apport réciproque des patients et des médecins. Les patients ont un savoir « expérientiel » de leur vécu de la maladie (souffrance, prise en charge, expérience de l’organisation au quotidien des services médicaux, de l’accueil et des relations entre soignants), des contraintes collatérales (sociales, économiques) qui apporterait beaucoup aux médecins dans la compréhension des réactions du patient. C’est une véritable pédagogie de la complexité qui manque de développement. Mais cette connaissance est peu considérée, particulièrement en France.

Une partie de l’exposition au risque d’évènements indésirables reste conditionnée par le milieu social de même que la qualité de l’écoute par les professionnels.

Thème récurrent de la littérature américaine. Même en France, les études récentes confirment que les inégalités en matière d’exposition au risque d’évènements indésirables (à travers l’accès, l’écoute, la prise en charge) sont manifestes. Plusieurs travaux montrent l’existence de bénéfices perdus plus fréquents pour certaines catégories d’usagers du système de soins du fait de l’inertie du fonctionnement de ce dernier, aveugle à la stratification sociale de ce risque. Les recommandations de pratique elles-mêmes exposent à ce risque d’inefficacité différentielle : une sous-évaluation du risque (notamment cardio-vasculaire absolu) liée à l’absence de prise en compte de ses composantes psychosociales amène à traiter avec retard certains malades avec une perte de chance résultante.

La participation du patient à son parcours de soins

L’information sur le choix de l’établissement en fonction du risque associé à un futur parcours de soins reste difficile à obtenir par les patients français, même s’il s’est amélioré.

  •  La France est clairement en retard sur plusieurs pays (voir par exemple les sites web du NHS « Choices », Site US de « AHRQ », etc.) pour proposer des sites ouverts aux patients afin de leur permettre de faire un choix d’établissements de soins sur la base d’un affichage du risque : complications locales, bassin de recrutement, type de pathologies traitées par chaque établissement. Le nouveau site Scope Santé de la HAS pourrait combler une partie du retard avec des éléments de benchmark pour situer chaque établissement dans l’offre régionale.
  • Quelques sites tentent toutefois de donner des informations plus détaillées. La mise en place par l’INCA de la plateforme CANCERINFO en est un bon exemple. Indiscutable au plan scientifique, médical, réglementaire, elle est pensée pour les utilisateurs, accessible, utilisable directement par les patients et proches ou via les équipes médicales et les relais d’information.
  • Enfin, l’information plus particulièrement destinée aux patients quant à leur orientation à la sortie de l’hôpital s’avère être également une faiblesse notable du système français (Enquête Commonwealth fondation - Harris 2008).

La participation active du patient/entourage dans le processus de décision médicale.

La problématique de la prise de décision partagée (PDP) et plus largement du poids des préférences du patient dans la décision médicale fait l’objet d’une forte littérature internationale depuis les années 80.

Les bénéfices potentiels de la participation apparaissent multiples dans la littérature : amélioration de la sécurité, motivation renforcée des patients (prise en charge personnelle), diminution des litiges, amélioration des résultats objectifs de santé, amélioration du ratio coût/efficacité.

L’évolution est inéluctable, même si ses modalités restent à définir. Le poids de la participation dans nos sociétés modernes ne cesse de croître.
Le terme même de décision partagée recouvre un continuum de postures d’information et de prise en compte des préférences du patient par le médecin. Même si le terme de prise de décision partagée est le plus utilisé, la réalité de la clinique est donc plutôt celle d’un processus de décision plus ou moins négocié. Une égalité d’information entre médecin et patient sur le diagnostic et ses conséquences médicales est souvent considérée comme une condition préalable à l’installation d’une discussion équilibrée sur l’objectif du soin et de ses modalités.

Les préférences du patient peuvent amener à prendre en compte dans la décision finale - en complément de la logique académique - le poids social de la maladie, les aspirations de la vie professionnelle à court et moyen terme, les conséquences pour la famille, ou tout autre aspect privé.

Le modèle culturel français privilégie largement une relation assez asymétrique entre médecins et patients, laissant peu de place au choix hors des meilleures solutions académiques, même si le patient est évidemment pris en compte pour sa personne et sa souffrance. L’éducation thérapeutique du patient est intégrée dans cette vision comme une nécessité moderne de mieux lui faire comprendre le choix proposé et en faire un allié dans cette solution.

Le monde anglo-saxon offre un rapport à la mort différent, une émergence des débats publics sur les thèmes de la maladie beaucoup plus forte, une priorisation des accès aux soins, des libres arbitres de chacun et des impositions du collectif. Ces attitudes culturelles favorisent une relation médecin/malade moins située dans le registre paternaliste, avec une plus grande recherche d’un vrai partage préalable du diagnostic et de ses conséquences médicales et sociales, de ce fait plus ouvert à la prise en compte des aspects personnels du patient. Il n’est pas étonnant dans ces conditions que la plupart de la littérature sur ce thème soit anglo-saxonne.

Mais quel que soit le modèle, les questions difficiles et non résolues ne manquent pas en France comme à l’étranger : quid d’un refus total par le patient d’une proposition académiquement indiscutable du médecin, quid d’une proposition de solution alternative par le patient inacceptable déontologiquement par le médecin (perte de chance massive), ou encore quid d’une offre alternative proposée par le médecin qui serait offerte bien que non prise en charge par l’Etat ?

Partout, l’enjeu du thème est clairement de rechercher un réglage et une posture acceptables par tous, médecins, et patients, sans doute inspirés des particularismes nationaux et culturels, sachant que, comme il a été dit précédemment, le choix n’est plus au rejet total de l’idée mais en sa mise en jeu raisonnée.

Dans la pratique, le thème recouvre 3 entrées principales :

  • la décision partagée dans les maladies graves engageant le pronostic vital,
  • la décision partagée dans les maladies évolutives et invalidantes,
  • et la décision partagée au quotidien en médecine générale.

Conclusions

Le moteur et l’intérêt premier de la participation de patients à la sécurité des soins tiennent à 3 valeurs ajoutées :

  • Celle de la transparence permettant au patient de disposer d’une information pertinente et explicite lui permettant une compréhension pour lui-même (en cas d’accident) et un choix conscient de l’offre de soin (feedback des incidents individuels et collectifs). Cette partie est indiscutablement difficile à mettre en œuvre ; l’histoire du système de santé, les peurs et les défenses bloquent l’évolution.
  • Celle d’une compétence portée par le patient sur le vécu de sa maladie, y compris et surtout dans sa composante sociale et familiale (emploi, entourage, aide, handicap). Cette composante est encore mal prise en compte dans les choix de thérapeutiques offerts aux patients lors du colloque singulier, et plus globalement dans les propositions règlementaires qui s’articulent trop souvent encore autour du seul registre médical. Il convient de s’interroger sur ce point sur les marges réelles de progrès en constatant l’antagonisme potentiel entre une demande forte, légitime et inscrite dans le droit, et un système de santé français qui se fonde sur une vision solidaire du coût et de son contrôle, et sur une médecine fondée sur des recommandations qui apparaissent souvent comme des normes, deux points par essence peu favorables à une particularisation trop forte d’une prestation qui serait laissée au libre arbitre de l’usager.
  • Celle du rôle et de la participation des associations. Au niveau associatif, les débats portent sur la représentation, l’indépendance, le financement, et la nature du système d’interaction mis en place avec les associations (un guichet unique ou ouvert à chaque association). La HAS a fait le choix de considérer les associations de patients comme des experts au même titre que les autres et en a tiré les conséquences en termes d’indemnisation et de déclaration de conflits d’intérêt.

Plusieurs points clés émergent plus particulièrement comme suggestions :

  • Il faudrait faciliter l’exercice des droits existants avant d’en créer de nouveaux afin de leur donner du sens.
  • Un grand chantier serait à envisager dans la construction des recommandations. Il faudrait à la fois intégrer une construction « plus sociale » de ces recommandations prenant mieux en compte le vécu émotionnel, social et économique de la maladie.
  • Un considérable et rapide effort de formations des professionnels sur comment et quand conduire l’explication des évènements indésirables aux victimes s’avère nécessaire pour répondre à une demande légitime et légale des patients, mais encore bien peu satisfaite.
  • L’éducation thérapeutique portée par les patients vers les professionnels de santé doit devenir une vraie priorité : notamment la formation expérientielle portée par les patients vers les professionnels.
  • Former les représentants associatifs pour permettre leur renouvellement et leur donner le niveau de compétence nécessaire au plein exercice de leurs droits.
  • Certaines questions méritent sans doute d’être relayées et portées à l’ordre du jour des sociétés savantes, particulièrement pour la prise de décision partagée.

Bibliographie

• King A., Daniels J., Lim J., et al, Time to listen : a review of methods to solicit patients’ report of adverse events, Qual Saf Health Care 2010 19: 148-157
• Enwistle V., MCCaughan D., Watt I et al, Speaking up about safety concerns: multisetting qualitative studies of patients’views and experiences, Qual Saf Health Care 2010 19: 1-7
• Longtin Y., Sax H., Leape L., Sheridan S., Donaldon L., Pitet D. Patient Participation: Current Knowledge and Applicability to Patient Safety, Mayo Clin Proc. 2010;85(1):53-62
• Weingart, S., Pagovitch, O., Sands, D., Li, J., Aronson, M., Davis, R., Bates, D., Phillips, R., What Can Hospitalized Patients Tell Us About Adverse Events? Learning from Patient-Reported Incidents, J Gen Int Med, 2005, 20: 830-36

 

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