Retrouvez l'analyse de la presse internationale sur le risque médical par le Professeur Amalberti. À la une ce mois-ci : révision du protocole ALARM, communication en ligne des résultats médicaux, intérêts des debriefings systématiques dans les services d'urgence, taxonomie des erreurs de communication conduisant à des EI, progrès en cancérologie, EI dans les examens de bilan médical, point sur la crise de financement de la santé aux États-Unis...
Étude française prospective multicentrique effectuée entre novembre 2020 et décembre 2021, portant sur des patients adultes opérés dans 14 services de chirurgie, avec 7 spécialités chirurgicales, dans 4 CHU de la région lyonnaise.
L’étude exclut les interventions très courtes (moins de 20 minutes), la chirurgie palliative, les patients de moins de 18 ans, les actes non complétement renseignés, les cas avec problèmes sur les enregistrements de fréquence cardiaque du chirurgien.
L’étude évalue le rythme cardiaque du chirurgien dans les 5 premières minutes de l’acte (en prenant en compte l’âge, la spécialité et le statut, le temps d’incision, et des caractéristiques propres médicales du chirurgien) et corrèle cette valeur aux complications survenant dans les suites (mortalité, complications à 30 jours), avec un score de risque compensé et pondéré par les pathologies considérées, les comorbidités du patient, et les caractéristiques propres de la chirurgie considérée.
Un total de 793 actes est inclus dans l’étude, réalisés par 38 chirurgiens. L’âge moyen des patients est de 62 ans (47-72), avec 52% de femmes, et 2 comorbidités en moyenne. Côté chirurgiens, la moyenne d’âge est de 46 ans (39-52), 78,9% d’hommes, 57,9% professeurs.
La moyenne observée de la fréquence cardiaque est de 88 (77-99).
Une augmentation de cette fréquence dans les 5 premières minutes traduisant un déséquilibre de la balance sympathico-vagale est significativement corrélée à la survenue de complications majeures (OR 0.63; 95% CI, 0.41-0.98; P = .04) mais pas aux admissions en soins intensifs et réanimation, ni à la mortalité (OR 0.18; 95% CI, 0.03-1.03; P = .05)
Ce résultat est assez novateur et éclaire une source longtemps ignorée sinon sous-estimée de facteur de risques de complications majeures.
Les enfants représentent moins de 10% des urgences aux États-Unis. Ces auteurs, pédiatres hospitaliers de Chicago, se proposent de mesurer le lien entre volume d’enfants vus aux urgences et qualité des soins qu’ils reçoivent.
L’analyse est rétrospective, nationale, établie sur 7 104 services d’urgences américains dont les traces d’activités sont suivies sur la base du National Emergency Medical services pour 2022-2023. Ces urgences ont vu le passage de 3 403 295 enfants de moins 18 ans sur cette période. L’analyse se concentre sur la qualité des soins données, et notamment le suivi d’une médecine basée sur les preuves.
La moyenne d’âge s’élevait à 10 ans (3-15). Le volume annuel de passage d’enfant dans ces services d’urgences varie de 0,5 à 62443. Une série d’indicateurs ont un lien avec les différences de volume.
Un seul lien négatif avec le volume (les plus petits volumes donnant les meilleurs résultats) ; il s’agit du traitement de la douleur dans les traumatismes.
La majorité des indicateurs ont un lien positif au volume (plus le volume de passage est grand, meilleur est l’indicateur) :
Un dernier set d’indicateurs n’avait pas de lien au volume, notamment la gestion des problèmes d’hypoglycémie, d’hypotension, et tout ce qui relève de l’évaluation de la douleur.
Globalement, le lien est donc plutôt positif entre qualité des soins et plus grand volume de passage aux urgences pédiatriques.
Les décomptes d'événements indésirables liés aux médicaments (EIM) restent approximatifs dans un système médical où la sous-déclaration est la règle. Cette étude évalue ce risque d’EIM dans le temps, entre 1990 et 2019, en utilisant le cadre OMS de classification du Global Burden of Disease. L’étude inclut toutes les publications et tous les EIM liés à des traitements survenus dans le monde, en corrigeant les données en âge, sexe, caractéristiques socio démographiques.
La population mondiale s’est accrue de 44,6% entre 1990 et 2019, mais les EIM ont encore plus vite grossis, puisqu’ils se sont accrus de 59,3%. L’augmentation peut être estimée à 0,631% par an en moyenne, avec un marqueur plus important pour la population âgée, et pour les régions riches (où existent aussi plus de personnes âgées). Toutefois, les régions les plus pauvres ont vu aussi leur taux d’EMI augmenter à partir de 2012.
Partout une nette accélération des EMI est notée à partir de 2002.
On sait que les erreurs (ou délais excessifs) de diagnostics restent fréquents et provoquent de nombreux et potentiellement graves événements indésirables. Paradoxalement, et du fait même qu’il s’agit souvent d’absence et d’importants délais temporels dans l’évolution des pathologies, beaucoup de ces erreurs restent longtemps - voire pour toujours - ignorées, comme dans un trou aveugle, ce que l’on en voit n’étant vraiment que le sommet de l’iceberg.
Sans surprise, les estimations américaines réalisées par inférence sur les données constatées restent très approximatives dans les taux erreurs/délais de diagnostic ayant de sérieuses conséquences pour le patient avec 40 à 80 000 décès annuels (sur la base des autopsies), et un chiffre allant de 250 000 atteintes sérieuses (synthèse de 22 études publiés) à 376 000 (résultat d’une grande étude rétrospective monocentrique Dalal et al, BMJ Qual Saf 2024).
Ce flou dans la réalité de l’importance des effets questionne la façon dont on recense les problèmes de diagnostic, comment on les caractérise au numérateur et au dénominateur.
L’étude Dalal (opus citée) montre justement, par les soins apportés à caractériser une erreur et son comptage, toute la complexité de l’accord inter-experts sur ces deux chiffres du numérateur et du dénominateur. La mauvaise corrélation entre experts sur le statut avéré ou pas d’erreur/retard diagnostic est frappant, avec une part importante de subjectivité. Certains voudraient par exemple introduire comme en cancérologie l’idée d’un double seuil temporel pour parler d’erreur ou de retard : les retards courts feraient consensus pour tous (moins de 1% de divergence entre juges pour les délais ultra courts), feraient encore consensus pour plus de 50% des juges pour des délais qui vont jusqu’à 6 mois (sur la base de constats effectivement disponibles et objectifs), mais ne feraient plus du tout consensus pour des retards longs au-delà de 6 mois (plus souvent construits et interprétés sur la base de constats encore polysémiques, moins caractéristiques, plus subjectifs et personnels, et qui ne font consensus que pour 10% entre experts).
Paradoxalement aussi, les chiffres réels sont peut-être encore plus importants que ceux affichés, tant le contenu tracé et les méthodes systématiques d’analyse rétrospective utilisées presque toujours à partir des dossiers patients pour suivre leur parcours de soin sur une durée suffisante allant des tous premiers symptômes à leur prise en charge effective et au suivi dans le temps restent peu employées et tracées à grande échelle.
Les auteurs proposent d’ailleurs une analyse de ce manque et suggèrent une solution alternative basée sur la classification des maladies et leur évolution probable dans le temps (résultat d’agrégation de millions de données) pour utiliser ces données à posteriori pour remonter interroger systématiquement les traces des dossiers patients dans le parcours médical réellement effectué dans le temps.
L’autre question récurrente porte sur le dénominateur des chiffres publiés et concerne évidemment le processus d’inférence entre ce qui est localement constaté et le nombre réel de cas déduit à l’échelle d’un pays. Ces inférences supposent une médecine fonctionnant de façon assez proche partout, ce qui n’est sans doute pas le cas pour un grand pays comme les États-Unis.
Au final, l’article contient bien plus de détails critiques sur les analyses et les questions d’inférence, et est définitivement à lire pour tous ceux et celles qui souhaitent comprendre le fond des critiques sur ces publications de chiffres.
Cette équipe hollandaise et d’Arabie Saoudite nous propose un regard critique sur la certification des hôpitaux.
La lenteur et la plutôt grande inertie d’évolution des standards de la certification s’oppose à la rapidité des changements dans le modèle de santé. Le cas de la certification des hôpitaux de l’Arabie Saoudite est particulièrement étudié avec un questionnaire 2022 adressé aux qualiticiens et professionnels de santé des grands hôpitaux du pays. Le questionnaire recherche l’opinion sur l’efficacité de la certification, les changements qu’il faudrait introduire à la fois sur les standards et sur les méthodes d’évaluation.
Les résultats portent sur 158 questionnaires complétés (64% de taux de réponse). Les participants avaient en moyenne 6,9 ans (+-2,1) d’ancienneté à leur poste. Les réponses notées sur une échelle de likert à 5 points montrent une demande de changement des standards (3,55/5), d’actualisation des procédures (3,43/5), de changement dans l’équipe de certification (3,41/5).
Sur la section recommandations, on note un taux de réponses à 4,41/5 pour exprimer le souhait partagé d’être moins centré procédures et standards (process driven) et plus centré sur les résultats (outcome driven), d’actualiser les standards plus souvent (4,41/5), et d’intégrer mieux les patients dans toutes les composantes de la certification (4,37/5).
Les plus anciens des managers interrogés sont encore plus demandeurs d’une amélioration des procédures de la certification à toutes les étapes et dans toutes ses composantes.
La crise du secteur hospitalier public anglais, encore aggravée après le Covid, a favorisé l’émergence d’un secteur privé. On sait que le risque est souvent pour ce secteur privé émergent de trier les patients, rechercher des économies et réduire la Qualité.
Cette étude compare les résultats de Qualité obtenus par les deux secteurs en 2020-2022 sur la base des standards nationaux de qualité édictés par la Care Quality Commission (CQC) en utilisant les résultats publics des évaluations nationales de la Qualité de soins. Les résultats sont corrigés des données socio démographiques (cartographie médicale, indice de pauvreté, taux de population, ratios patients par médecin traitant).
L’étude a catégorisé les hôpitaux en 7 blocs distincts, Hôpitaux généraux publics nationaux (NHS), offres de soins sectorielles commissionnées, offres de soins sectorielles non commissionnées, hôpitaux privés généraux caritatifs conventionnés, hôpitaux privés caritatifs non conventionnés, hôpitaux privés conventionnés, hôpitaux privés indépendants non conventionnés.
EN moyenne les hôpitaux indépendants ont une évaluation de la Qualité supérieur aux établissements publics, et c’est aussi le cas - à un degré moindre - de toutes les autres catégories d’hôpitaux mentionnés précédemment. On note aussi que plus l’hôpital est spécialisé, plus sa note de Qualité est haute. Ces résultats ne sont clairement pas en faveur du secteur public anglais, en grande souffrance, même si on peut encore penser que ce secteur public traite sans distinction un panel de patients plus complexe que le secteur privé.
Les trois dernières années ont vu un enthousiasme sans pareil en Angleterre pour un plus grand engagement des patients et des familles dans les soins.
Le moteur de ce nouvel âge joue sur plusieurs cas dramatiques tournés par la suite en nouvelles règles à respecter invitant les patients à plus de participation pour éviter leur répétition. On retrouve ainsi :
Ces 5 initiatives, toutes récentes, largement publicisés par le NHS, contrastent- pour le moment- avec la réalité sur le terrain de leur déploiement, assez modeste, et finalement peu reconnues comme prioritaires par les professionnels.
Les applications d’IA médicale, d’aides diverses au diagnostic et autres, sont en pleine extension, et au bénéfice du patient (moins d’erreurs, plus de précision, gain de temps). Il faut reconnaître que ces systèmes sont déjà en service avant même qu’on ait légiférer et qu’on ait mis en place des réglementations au bon emploi.
Sans surprise, la façon de se coupler à ces systèmes pour les médecins reste un sujet majeur de difficulté, de même que les conséquences juridiques et les questions de responsabilité en cas d’erreur médicale.
Les médecins sont supposés être les seuls décideurs et ne se servir de ces systèmes qu’en terme de conseil, mais en même temps ces systèmes procurent un niveau de contenu souvent plus exact que celui auquel pense le médecin et il faudrait plutôt leur faire confiance que de les ignorer si l’on ne pense pas comme eux. Pour le dire autrement, on demande au médecin de se transformer en superman, rester en contrôle, responsables devant la loi, être en censure quand le système se trompe, tout en suivant les conseils du système le plus possible.
Ce super-héros au quotidien, forgé par des décennies de posture médicale, où le médecin en sait nécessairement plus que l’outil, est remis en doute largement par l’arrivée de l’IA, et ne peut sérieusement servir de calibration à la mise en route des systèmes d’aide puisqu’il conforterait trop souvent en cas de conflit la supériorité d’un diagnostic humain bien souvent erroné sur le produit du diagnostic machine, hautement fiable.
Bien sûr, une solution tout aussi mauvaise serait de faire toujours et sans limite confiance à la machine.
Le calage entre sur confiance et sous confiance dans l’IA est l’enjeu de tous les travaux sur le calibrage de la confiance avec ces systèmes. Le choix ne peut pas être binaire, suivre ou ignorer ; il doit pouvoir passer par un dialogue explicatif, justificatif et surtout compréhensible sur les éléments pris en compte par l’IA et le raisonnement suivi pour arriver à ses conclusions, mais il doit laisser aussi la place à l’intuition, une qualité forcément plus humaine.
On conçoit qu’il faudra sans doute réinterroger profondément la façon dont on couple et utilise ces systèmes, et au-delà, la façon dont se (re)positionneront le médecin et son image en rapport à ces nouveaux systèmes dans tout ce qu’ils représentent pour le patient, la société et la recherche de responsabilités en cas d’erreur.
Aucune solution totalement satisfaisante n’est encore disponible à grande échelle. Les recherches doivent continuer.
Cette étude observationnelle de Manchester en Angleterre évalue le lien entre satisfaction du patient et volume disponible de l’offre en médecine générale (par téléconsultation, téléphone ou en face-à-face). A noter que l’étude compte séparément les consultations avec un généraliste diplômé, et celles avec des assistants médecins, infirmiers et/ou pharmaciens tels qu’ils sont autorisés en Angleterre.
L’étude est basée sur un questionnaire adressé aux généralistes croisé avec les données des autorités anglaises (NHS) sur les traces des consultations remboursées et la satisfaction des patients entre août 2022 et mars 2023.
La satisfaction des patients recouvre leur perception de la facilité d’accès, d’attente, la satisfaction générale, leurs préférences pour tel ou tel médecin, la bonne écoute et prise en charge de leur(s) pathologie(s) chronique(s), l’écoute de nouveaux problèmes ou besoins.
L’analyse finale porte sur 5 278 consultations de médecine générale et montre qu’un plus grand volume de rendez-vous (plus grand nombre de médecins/1000 patients), surtout en face à face, est significativement (P<0.001) associé avec une meilleure satisfaction des patients.
Paradoxalement, l’étude révèle aussi un lien négatif sur l’indicateur "possibilité d’accès à un médecin dans les 24 heures" comme si ce point - pourtant avancé par le NHS comme un indicateur stratégique de qualité à améliorer constamment - soit perçu dans la réalité comme une source de retards avec une dégradation ressentie des consultations normales, provoquant une surcharge des cabinets et une pression indue aboutissant à des consultations (trop) courtes, avec des soins moins qualitatifs pour tous.
L’accès au médecin généraliste est devenu une question quasi politique tant la situation s’est dégradée en Angleterre (et pas que…).
L’analyse proposée est une revue systématique des articles publiés depuis 2010 retraçant les besoins exprimés par les patients anglais quant à la qualité de leur prise en charge en médecine générale.
Un total de 33 études est finalement inclus.
La revue montre que les patients veulent avant tout pouvoir accéder au généraliste, avoir la possibilité réelle de le choisir - et le conserver -, choisir le mode d’exercice (libéral, public) et le mode de consultation (face-à-face, téléphone, téléconsultation).
La seconde priorité porte sur l’accueil à la consultation, des locaux d’attente propres, des toilettes propres et disponibles, un moyen simple et efficace de prendre rendez- vous, et une information bouclée en retour sur les rendez-vous et ce qu’il faut penser amener ou consulter.