Retrouvez l'analyse de la presse internationale sur le risque médical par le Professeur Amalberti. À la une ce mois-ci : le bénéfice d'une intervention pharmaceutique post-EIM aux urgences, une enquête anglaise sur les EI dans le secteur de santé public, les limites de l'accès direct au dossier médical en Angleterre, le guide national allemand pour les soins palliatifs, l'importance d’anticiper le risque de chute en contexte de surcharge...
Un article de collègues français publié dans un grand journal américain sur le bénéfice à attendre d’une intervention pharmaceutique renforcée avant sortie de patients venus aux urgences pour un événement indésirable associé aux médicaments (EIM) afin de sécuriser le retour à domicile.
Il s’agit d’une étude randomisée portant sur une intervention conduite entre novembre 2018 et juillet 2021 au CHU de Montpellier et suivie d’une période de 6 mois d’observation de l’effet.
Les patients vus aux urgences pour un événement indésirable associé au médicament (EIM) étaient affectés de façon randomisée :
La variable clé analysée était la récidive dans les 6 mois du même EIM sur le même médicament après une première visite aux urgences.
Les variables associées étaient les effets de gravité de l’EIM, à tout le moins le nombre de visites au généraliste pour cette même raison, de retour aux urgences, et au pire d’hospitalisation et décès en lien avec cette cause.
L’étude regroupe un total de 330 patients éligibles (187 femmes, âge moyen 71 ans, nombre moyen de médications journalières égal à 6). 167 de ces patients ont été affectés de façon randomisée au groupe intervention et 163 affectés au groupe contrôle.
Les résultats montrent que significativement moins de patients du groupe intervention (3%) par rapport au groupe témoin (22,1%) sont revenus aux urgences pour le même EIM dans la période de 6 mois suivant la décharge initiale.
Ces résultats sont également vrais pour toutes visites considérées en lien avec le même EIM -généralistes-spécialistes- (21 vs 35%) et pour les hospitalisations (1,8 vs 17,8%) en lien avec ce même EIM.
En revanche, le taux d’hospitalisation - toute causes confondues et pas seulement en lien avec l’EIM - et le taux de décès restent similaires entre les deux groupes.
L’étude prouve clairement l’efficacité de cette intervention et encourage fortement la mise en place systématique de cette mesure.
Cette étude anglaise rend compte d’une enquête nationale sur les événements indésirables (EI) survenus dans le secteur de la santé publique, permettant une estimation de la proportion du grand public qui signale des préjudices liés aux soins de santé en Grande-Bretagne, leur localisation, leur impact, les suites du préjudice et les réactions attendues du secteur de santé et des prestataires de soins.
L'enquête a compté 10 064 participants.
Les résultats montrent que 9,7% des patients ont signalé être victime d’un événement indésirable (EI) au cours des trois dernières années par le biais d'un traitement ou de soins (6,2 %) ou d'un manque d'accès aux soins (3,5%).
Les hôpitaux sont le principal lieu où le préjudice s'est produit.
Au total, 37,6% des participants ont fait état d'un impact modéré et 44,8% d'un impact grave.
La réaction la plus fréquente fut de partager leur expérience avec d'autres personnes (67,1%). Près de 60% ont cherché à obtenir des conseils et un soutien professionnel, mais seulement 11,6% ont contacté le service d’appel gratuit mis à disposition des patients par les autorités anglaises (Advice and Liaison Service-PALS).
Seuls 17% des patients ont déposé une plainte officielle et 2,1% ont demandé une compensation financière. Les personnes interrogées souhaitent majoritairement un traitement ou des soins pour réparer le préjudice (44,4%) et une explication (34,8%). Deux tiers des personnes ayant déposé une plainte ont estimé qu'elle n'avait pas été bien traitée.
Les expériences et les réponses diffèrent selon le sexe et l'âge (les femmes signalent plus). Les personnes souffrant d'une maladie ou d'un handicap de longue durée, les personnes d'un bas niveau social et les personnes appartenant à d'autres groupes défavorisés ont fait état d’une fréquence plus élevée de signalement et d'un impact moyen plus grave de ces préjudices.
Le taux de 9,7% d’EI observé dans cette enquête reste plus élevé que celui rapporté dans deux précédentes enquêtes. L’étude a toutefois utilisé une définition plus large et plus inclusive des préjudices et surtout a été menée partiellement pendant la pandémie de Covid-19, ce qui rend difficile la comparaison avec ces enquêtes précédentes.
On retiendra que la majorité des patients victimes souhaitaient d’abord obtenir de l'aide pour réparer le préjudice ou accéder aux soins dont ils ont besoin.
Le manque chronique d’effectifs infirmiers est source d'événements indésirables (EIG) pour les patients. Cette question des sous-effectifs est d’ailleurs un cercle vicieux, car la surcharge de travail engendrée par le manque de personnel entraîne toujours plus d’arrêts de travail qui en retour aggravent le phénomène.
Ces auteurs anglais questionnent la pertinence d’accepter la situation en mesurant son risque associé, plutôt que tout tenter pour la corriger.
Il s’agit d’une étude longitudinale conduite sur 185 hôpitaux anglais dans les 5 dernières années. L’analyse associe le risque et la sévérité des EIG à l’exposition des patients/taux d’effectif d’IDE (infirmier certifié en anglais, diplômé d’État chez nous) et d’AS (aide soignantes) par lit.
Les résultats montrent que le risque de décès, toutes données médicales et sociologiques ajustées, est directement proportionnel au taux d’effectif d’IDE par lit (OR 1.079, 95% 1.070-1.089), de même que risque de réhospitalisation à 30 jours (OR 1.010, 95%, 1.005-1.016), et le risque de prolongation d’hospitalisation (OR 1.687, 95% CI 1.666-1.707). Les chiffres sont encore significatifs pour le risque décès et prolongation d’hospitalisation - mais nettement moindre - si l’on considère les sous-effectifs/lits en AS et ASH (et dans ce cas non significatif pour les ré hospitalisations à 30 jours).
Si l’on traduit ces résultats sur un plan financier, revenir au tableau d’effectif prévu couterait le coût de salaire à compenser de £ 2778/QALY auxquels s’ajouteraient un coût de £ 2685/QALY pour les économies d’arrêt de travail pour burnout et prolongations d’hospitalisation, et l’économie du coût de préjudice patient des EI liées au sous-effectif de £ 4728/QALY (QALY = Quality-adjusted Life Year, Année de vie pondérée par la Qualité).
L’agence anglaise (National Institute for Health and Care Excellence) utilise un seuil de £10 000 pour décider de plutôt combler le déficit que de vivre avec. Comme les chiffes le montrent, ce seuil est quasiment atteint.
Les visites des administrateurs/directeurs dans les services au "pied du lit du patient" (appelées "work rounds" en anglais) destinés à prendre conscience de la réalité des problèmes du terrain, sont considérées comme de très bonnes pratiques de sécurité, en médecine comme dans l’industrie.
Pour autant, leur structuration reste erratique, et on reste sans recommandation réellement établie, universelle et consensuelle sur le type choisi de visite et son effet réel sur la sécurité du patient.
Ces auteurs Suisse (de Lausanne) nous proposent une revue de littérature internationale sur le sujet.
La revue regroupe 29 articles pertinents en regard des critères de qualité méthodologiques exigés, dont 27 étaient relatives à des interventions d’amélioration d’une situation constatée. La majorité de ces études ont été conduites en service de réanimation/soins intensifs, et les données recueillies considéraient dans cette logique Avant-Après (intervention) les effets sur le taux de mortalité, de complications infectieuses (urinaire et cathéters centraux/périphériques), de jours de ventilation mécanique, de durée de séjour.
Les résultats montrent une absence de corrélation entre ces visites et la très grande majorité des indicateurs de risque cités précédemment (à l’exception d’une tendance positive pour la baisse des jours de mise sous ventilation mécanique et des pneumonies associées). La plupart de ces études souffrent aussi d’une faible qualité méthodologique, notamment trop souvent monocentrique, et avec des cohortes témoins plus robustes et plus comparatives.
La prévention des chutes est essentiellement de la compétence des infirmiers. On conçoit que la surcharge de travail, associée le plus souvent à un excès de demande médicale, puisse être un facteur aggravant par moindre surveillance. Cette étude canadienne teste cette hypothèse par une étude rétrospective basée sur l’analyse des dossiers patients dans des services dont on mesure le taux d’occupation, dans un CHU de l’Ontario entre 2017 et 2020.
La cohorte finale comprend 83 839 patients hospitalisés ayant chuté, et 83853 patients qui ont été évalués en amont pour ce risque important de chute grave.
Les résultats montrent que les unités de soins ayant un taux d’occupation supérieur à 95% de leur possibilité présentent effectivement un surtaux de chute, et sont aussi les unités où les patients à risques ont été le moins bien évalués en amont pour ce surrisque. Cette valeur de 95% de taux d’occupation apparait ainsi comme un point de bascule ("tipping point").
On retient qu’il est important d’organiser les équipes quand on arrive à l’approche de tel taux d’occupation pour assurer encore plus la prévention et évaluer le surrisque de chute, l’absence d’évaluation préventive se corrélant parfaitement au surrisque de chute grave.
La communication (interprétée) des examens sanguins au patient en soins primaires reste un point clé pour la sécurité du patient, et une ambition qui confine au défi pour sa mise en pratique en Angleterre. Rappelons que dans ce pays, la loi prévoit que les patients auront le droit d’accéder à leur dossier médical par voie électronique (dossier partagé) et peuvent donc voir leur résultat et possiblement de demander à lire un commentaire d’interprétation par leur généraliste.
Ces auteurs anglais nous proposent une revue de littérature sur le sujet.
Ce sont au total 71 études qui sont incluses dans cette revue, dont 10 expérimentales, et aucune randomisée. Dans la majorité des cas, les méthodes et la qualité des publications s’avèrent pauvres, avec souvent un fort risque de biais faute de dires directement contrôlables et accessibles.
Dans l’ensemble, ces études convergent pour souligner le désir des patients à accéder rapidement à leurs résultats et encore plus à disposer d’une information sur leur interprétation. Les solutions électroniques de partage, par SMS ou autre, sont toutes acceptées, mais avec finalement des nuances selon le type de résultat attendu, et selon les personnes.
Les opinions des cliniciens restent variables sur la bonne pratique à mettre en place, notamment quant à la mise en ligne des résultats pour le patient sans interprétation adaptée d’accompagnement, souvent source d’angoisse pour le patient, et au final source de surcharge pour le médecin quand le patient rappelle.
L’évaluation de la culture de sécurité, notamment par l’outil américain développé par l’agence qualité (AHRQ) qui propose un questionnaire explorant 10 dimensions (Hospital Survey on Patient Safety Culture) est devenu un standard mondial de l’approche sécurité du patient prôné par l’OMS et repris dans les recommandations de la majorité des agences de santé.
Il a été traduit en de très nombreuses langues (dont le français). Chaque professionnel répond à une série de descriptions positives caractérisant le fonctionnement de leur service/hôpital, en donnant une réponse à 5 niveaux allant de "pas d’accord du tout" à "totalement d’accord". Les réponses individuelles sont par la suite agrégées par service/par hôpital, pour refléter la culture locale de sécurité.
Des dizaines sinon des centaines de résultats ont été publiés dans le monde entier.
Ces auteurs grecs ont compilé tous les résultats publiés pour en faire une synthèse sur la perception des infirmiers.
Ce travail s’apparente à une revue de littérature réunissant 21 études où tout le détail des résultats était disponible, reflétant ainsi l’opinion de 10 951 infirmiers dans le monde entier.
Le score global agrégé mondial des évaluations de culture de sécurité ainsi publiés est de 3,341/5, avec le score le plus élevé attribué à la dimension du travail en équipe (3,719), et le moins élevé aux ressources humaines/effectifs (3,096).
Toutefois, des différences significatives existent entre régions pour ce score global et surtout pour 5 dimensions plus particulières (attitudes non punitives vis-à-vis de l’erreur, signalement des erreurs. engagement managérial, organisation apprenante et ressources humaines).
Dans l’ensemble, les infirmiers européens jugent leur établissement comme ayant une meilleure culture de sécurité que leurs homologues d’Amérique du Sud ou du Proche Orient.
L’arrivée de l’Intelligence Artificielle (IA) en médecine fait l’objet récurrent de multiples craintes décrites à la fois dans les journaux scientifiques et dans la presse. Les premiers essais ont pointé des erreurs et une difficulté à se coupler à l’humain qui font peur. Ces doutes initiaux ont repoussé l’entrée en service pendant un temps, et ont fourni des éléments qui ont déjà nourri 12 guides publiés par les agences et autorités sur les règles à respecter pour l’introduction de cette technologie en médecine, sans parler des très nombreux articles pointant les problèmes et donnant des recommandations de design ou d’usage.
Il reste que le médecin de base, maintenant confronté à l’arrivée progressive de ces outils, ne sait toujours pas quoi faire avec les résultats proposés par l’IA, leur valeur, leur certitude en regard des siennes.
Comme toutes les innovations en médecine, l’introduction de l’IA nécessite des évaluations systématiques pendant le développement, et après la mise en service sur l’usage concret de l’outil validé pour la mise en vente.
Cet article rend compte des préconisations de l’American Medical Informatics Association (AMIA) sur la méthode à utiliser pour ces évaluations. Les recommandations concernent trois domaines complémentaires à évaluer :
Ce travail d’évaluation doit être fait et répété dans des contextes différents, avec un panel d’utilisateurs représentatifs, encore plus s’il s’agit d’un système "auto-apprenant", qui va dépendre dans son évolution et sa performance de l’exposition (aux patients) et l’utilisation et la confiance (par le praticien) qu’on lui accorde.
Les soins palliatifs de fin de vie sont moins l’objet de recommandations que les autres soins.
Ces auteurs allemands (Cologne et Ausburg) nous proposent une analyse rétrospective des dossiers patients effectuée dans un cadre multicentrique (6 services de soins intensifs et 4 services de médecine générale de deux hôpitaux centraux).
L’analyse porte sur 400 décès de patients en conditions palliatives, et l’équipe a pris en compte 37 variables potentiellement pertinentes à considérer pour améliorer ces soins palliatifs.
Sur les 400 dossiers considérés, 74,8% ont eu une phase de décès documentée. Les patients ayant encore des capacités de communication ont reçu une information sur l’aggravation de leur santé dans 38% des cas, et la visite de soignants et aidants divers dans cette phase terminale dans 72% des cas. Les souhaits des patients ont été documentés dans 27% des cas.
Le monitoring patient a rarement été interrompu avant le décès, mais avec une différence significative entre services généraux (52,9% d’interruption) et soins intensifs (seulement 14,9%).
Les symptômes, particulièrement la douleur, ont continué à être suivi jusqu’à la fin dans 66,3% des cas.
Les auteurs concluent de cette étude un manque substantiel de standardisation des pratiques, et ont proposé dans ses suites de regrouper 7 pratiques essentielles dans un guide national de soins palliatifs (German Palliative Care Guideline).
Les normes ISO sont un gage de qualité reconnu dans l’industrie et la santé.
Ces trois experts australien, américain et anglais prennent l’exemple particulier de la norme 13485-2016 pour souligner le grand bénéfice à attendre de son adoption en santé, particulièrement dans le domaine du médicament (norme 13485-2016 = Dispositifs médicaux — Systèmes de management de la qualité — Exigences à des fins réglementaires).
Cette norme est une norme d’organisation plus que de détail propre à un produit particulier ; elle nourrit largement dans l’industrie le concept de SMS (Système de management de la sécurité).
Les trois auteurs experts s’appuient sur un article récent (Pacheco et al, 2025, Advancing quality management in the medical devices industry : strategies for effective ISO 13485 implementation, IJQHC, 37, 1, 2025) pour commenter tout le bénéfice à attendre en matière de culture de la qualité, d’amélioration continue, d’amélioration du suivi continu entre la conception et la mise sur le marché ; mais les auteurs pointent aussi toute la difficulté à suivre une telle norme d’organisation dans un système médical complexe intégré, tant en matière de suivi/traçabilité de l’adhésion aux recommandations, qu’en matière d’engagement du management (aux différentes interfaces utiles), ou de mise à disponibilité des ressources nécessaires à son application.
Ce dernier point est d’ailleurs souvent le point le plus bloquant, avec la nécessité d’investir sur un système informatique performant pour tracer les actions, encore que là encore, la norme 13485 permet d’ajuster l’ambition et d’optimiser l’engagement des parties dans un univers réaliste.
Un article déjà ancien mais utile à garder en mémoire sur l’association entre l’engagement du personnel et la sécurité du patient.
On entend par engagement du personnel l’impact de deux types d’attitudes positives :
Cette revue de question proposée par des auteurs anglais sur le sujet retient 14 articles – dont 11 peuvent servir des méta-analyses – correspondant aux critères de qualité et méthodes exigés.
Les résultats de la méta-analyse montre un faible - mais tout de même significatif - effet d’association entre l’engagement du personnel et la sécurité du patient. Les résultats positifs concernent particulièrement le meilleur engagement du personnel dans une culture de sécurité efficace, et dans un meilleur signalement des événements indésirables (EI).
On note cependant un effet plus modéré sur la réduction en nombre réel des erreurs et événements indésirables.
Globalement, les notions d’adhésion et de qualité d’engagement du management de l’équipe sont plus particulièrement associées positivement à la sécurité du patient, mais il est sans lien avec un modèle précis recommandé sur la façon de faire/réaliser cet engagement ; pour le dire autrement, l’engagement relève plus d’une pratique que d’une théorie.
La réduction de la durée d’hospitalisation est une priorité nationale de plusieurs agences pour réduire le coût global des soins, favoriser l’accès en rapport d’une demande croissante, et tout cela en montrant même que c’est un gain de qualité et de sécurité des soins.
Cette équipe américaine exposent les résultats d’une étude construite sur le principe AVANT-APRES conduite de 2019 à 2023, multifacettes, monocentrique (hôpital de 55O lits), visant d’une part à réduire la durée de séjour par un programme strict mis en place localement, notamment en termes de diagnostic et de suivi infectieux, et d’autre part à en évaluer les risques associés.
L’intervention sur la réduction de durée de séjour montre des résultats significatifs avec une réduction moyenne de la DMS (durée moyenne de séjour) allant de 6,24 à 5,91 jours, avec un acquis pérenne dans le temps à 3 ans de recul. Cette réduction s’est opérée sans préjudice pour la sécurité du patient (réadmissions, mortalité) retrouvant ainsi les résultats largement publiés dans la littérature.