Une revue de littérature très complète (Potthof, 2019) suggère que les habitudes jouent un rôle plus important que les décisions conscientes dans les comportements des professionnels de santé.
Les théories comportementales utilisées pour modéliser les comportements des professionnels de santé se focalisent souvent sur des marqueurs externes, rationnels, ou contextuels. On connaît moins le rôle des processus implicites, notamment des habitudes et routines déjà implantées.
La façon dont on agit sur ces habitudes peut servir quand on veut installer une nouvelle pratique basée sur les évidences, et plus encore pour combattre des habitudes installées sur des pratiques non basées sur des évidences.
Les études ont déjà recensé un grand nombre de conditions /situations qui peuvent influencer le comportement routinier des professionnels : par exemple les baisses d’énergies liées à l’accumulation de fatigue et stress font basculer la cognition vers un mode plus impulsif. Ceci explique que les prescriptions inappropriées d’antibiotiques dans le cadre des syndromes inflammatoires des voies supérieures soient bien plus fréquentes l’après-midi.
Un courant de recherche actif s’intéresse maintenant à agir sur les pratiques par les modifications de routines. Ces travaux s’appuient sur la théorie dite ‘duale’ qui inclut tout autant la partie réflexive consciente que les automatismes.
Elle a été appliquée récemment au Royaume-Uni à la prise en charge de certaines nouveautés concernant le diabète de type 2 en pratique de médecine générale, et qui changent les habitudes de prises en charge.
En 2015, une nouveauté est en effet apparue et recommandée par les autorités sur le marché anglais dans le traitement du diabète de type 2 : un outil d’autogestion visant à gérer à la fois le cholestérol, la tension et le taux d’hémoglobine glyquée (hbA1c).
Dans la théorie, cet outil DUK IP (Diabete UK information Prescription) s’approprie par paliers, avec :
L’étude s’est intéressée aux questions suivantes :
Les résultats montrent d’importantes différences dans l’appropriation de l’outil ; la majorité des généralistes reconnaissent une valeur ajoutée, particulièrement dans le dialogue et la coopération installée avec le patient. Les professionnels rapportent aussi plusieurs sources de mauvaises ou non utilisation par le patient (comorbidités, niveau d’éducation, dextérité, démence, manque de motivation) sans oublier le temps nécessaire à entrer dans l’application.
La majorité des professionnels étaient plutôt motivés dans cet usage de nouvel outil, mais sans avoir un vrai plan en tête. Tous sauf un ont apprécié les alertes remontant sur le dossier patient. Ils disent avoir utilisé l’outil sur un mode assez automatique, particulièrement au-delà de 3 mois d’utilisation. Par contre, ils se disent aussi très sensibles aux priorités concurrentes, aux autres demandes du patient, aux autres solutions d’autonomisation du patient (documents, autres approches). Les actions d’accompagnement qui ont agi sur le contexte ont facilité l’acquisition des routines.
On sait ces comportements influencés par les marqueurs présents dans l’environnement (on parle d’"affordance"). Par exemple, le lavage des mains est facilité par la vue du savon liquide bien en évidence ; on peut jouer sur ces marqueurs pour orienter et construire les habitudes médicales. C’est ce qui a été fait avec le nouvel outil sur le diabète en associant systématiquement la mise en place de l’outil avec un patient à des conditions déclenchant des habitudes (des alertes informatiques) ou d’autres habitudes déjà en place (notamment la discussion sur les habitus avec le patient), afin d’utiliser le déclenchement de l’un pour mieux obtenir l’autre.
Au total, une voie moins rationnelle que l’enseignement classique, qui d’ailleurs ne s’y oppose pas, et qui semble promise à de nombreux développements dans le cadre d’une pratique rapidement évolutive.