Thrombose d'un pontage aorto-fémoral au cours d'une arthroplastie de hanche

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Thrombose d'un pontage aorto-fémoral au cours d'une arthroplastie de hanche - Cas clinique

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Pose d'une prothèse totale de hanche : les conséquences dramatiques d'un suivi post-opératoire inadapté...

  • Chirurgien
Auteur : La Prévention Médicale / MAJ : 17/06/2020

Cas clinique

  • En septembre 2004, un homme de 69 ans consulte un chirurgien orthopédiste pour des douleurs inguinales gauches en rapport avec une coxarthrose. L’indication d’une prothèse totale de hanche est posée et acceptée par le patient. Toutefois, ce dernier ayant subi un pontage aorto-bifémoral en 1999, le chirurgien orthopédiste préfère prendre l’avis du Dr Z… chirurgien vasculaire ayant réalisé cette intervention, en raison du risque potentiel lié aux différentes manœuvres destinées à luxer en arrière la tête fémorale et à la «nécessité d’interrompre l’Aspégic®».  
  • 1er octobre, le Dr Z… répond : « (…) Sa prothèse aorto-bifémorale fonctionne sans incident. Cliniquement, les anastomoses au niveau des aines ne posent pas de problème. Au doppler, on confirme le bon fonctionnement de la prothèse ; il existe une thrombose ancienne des fémorales superficielles avec une bonne compensation par le biais des fémorales profondes, les signaux au niveau des artères poplitées étant relativement bien modulés… Sur le plan vasculaire, il n’y a pas de contre-indication à son intervention sur la hanche, ni à l’arrêt des antiagrégants plaquettaires. Néanmoins, comme sa prothèse ne débouche que sur l’artère fémorale profonde, il y a un risque d’occlusion de la branche prothétique qui est peu important mais que j’ai quand même préféré signaler au patient (…)»  
  • Date d’arrêt de l’Aspégic® : non précisée.  
  • 28 octobre (jeudi) : intervention sans problème en position de décubitus latéral droit, par voie postéro-externe avec luxation de hanche postérieure et mise en place d’un cotyle cimenté avec implantation d’une tige fémorale cimentée. Traitement par Arixtra ® 2,5 mg, en SC débuté 7 heures après la sortie du bloc opératoire.  
  • 29 octobre, J1 (vendredi): le chirurgien orthopédiste part en congé jusqu’au lundi 1er novembre (week-end de la Toussaint). Il est remplacé par le Dr X…, chef de clinique. Il affirme « avoir vu » ce dernier avant son départ.  
  • Après-midi du 29 octobre, le patient est mis sous Loxen® en raison d’une poussée hypertensive (non documentée). La PA maxima revient à 14,5 mmHg dans la soirée.  
  • Nuit du 30 au 31 octobre (nuit du samedi au dimanche), apparition de troubles du comportement avec propos incohérents.  
  • 31 octobre, 8h00 (dimanche) la TA est à 21/10 mmHg.
  • 9h00, on lit dans le dossier : « (…) le membre inférieur gauche, opéré, est un peu marbré, plus froid que l’autre membre. Patient dit que c’est habituel → montré au Dr X... Bas de contention retiré... Désorienté, à la limite agressif. A été levé (…) »
  • 12h00, on lit dans le dossier « (…) Est au fauteuil, calme. Jambe gauche en déclive, violacée, froide. Dit qu’il n’a pas mal. Tâches sur le cou de pied et le métatarse du premier et du cinquième orteil gauche (…) :
  • 16h30, on lit dans le dossier « (…) Patient rallongé, jambe froide. Taille des tâches inchangée → vu par le Dr X… : pas de signes d’ischémie aiguë (…) »  
  • Nuit du 31 octobre au 1er novembre (dimanche au lundi de Toussaint): on lit dans le dossier « (…) Comportement confus. Discours incohérent. PA à 22/9. Membre inférieur gauche : état inchangé, jambe tiède, pied plus froid (…) »  
  • 1er novembre, 12h00, « (…) TA à 18/20 toute la matinée. Appel de l’anesthésiste de garde (voir prescription) (…) »
  • 15h00, vu par le cardiologue de la clinique, « (…) TA 14/9, poursuivre le traitement hypotenseur (…) »
  • 18h00 «(…) Se plaint de douleurs du pied droit et de l’épaule droite suite à épisode d’agitation d’il y a 2 jours. Jambe gauche tiède jusqu’au mollet, pied froid, pâle, remue la cheville mais pas les orteils. Tâches idem. Pouls pédieux non perçu. Le patient a l’impression que son pied s’engourdit → vu par le Dr X : petite entorse (…) »
  • 19h30, visite du chirurgien orthopédiste (rentré dans l’après-midi), « (…) Se plaint de douleur du membre inférieur gauche, essentiellement du pied, depuis le début de la journée. Il s’agit d’une ischémie subaiguë confirmée par un examen doppler. Pas de pouls perçu. Pouls capillaire nul. Perfusion avec Fonzylane® 800mg/j. A montrer au Dr Z… dès mardi matin (…) » A noter que l’examen Doppler, pratiqué avec un appareil de poche, n’avait intéressé que le pied, le pli inguinal et le creux poplité n’avaient pas été examinés.  
  • 2 novembre, 10h00, visite du Dr (chirurgien vasculaire) qui constate une parésie des orteils gauches, témoignant d’une ischémie sévère. Il prescrit une artériographie qui met en évidence une thrombose de la branche prothétique gauche.  
  • 2 novembre, 15h00, intervention par le Dr Z: « (…) Tentative de thrombectomie de la branche prothétique gauche. Echec. Pontage sus-pubien droit-gauche (…) » Les suites opératoires étaient simples, permettant le sauvetage du membre. Mais il persistait des séquelles neurologiques à type de paralysie motrice dans le territoire du sciatique poplité externe avec douleur neurogéne plantaire.

Assignation du chirurgien orthopédiste, du chirurgien orthopédiste remplaçant, de l’anesthésiste-réanimateur et du cardiologue par le patient, en mars 2007, en réparation du préjudice qu’il avait subi

Analyse

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Jugement

Expertise  (juin 2007)

 

Les experts, professeurs des universités,  l’un chirurgien orthopédiste, l’autre chirurgien vasculaire, estimaient que le patient avait été victime, dans les suites de la mise en place d’une prothèse totale  de hanche gauche, d’une obstruction de la branche gauche de la prothèse aorto-bifémorale dont il était porteur depuis 5 ans. Cette obstruction avait nécessité, après échec d’une désobstruction, la réalisation d’un pontage sus-pubien permettant à partir de la branche prothétique droite, la revascularisation du membre inférieur gauche. Cette complication vasculaire avait laissé persister des complications neurologiques déficitaires à type de paralysie dans le territoire du sciatique poplité externe avec douleur neurogène plantaire retentissant sur la fonction du membre inférieur gauche. Pour les experts, « (…) Ces séquelles n’étaient pas dues à la survenue de l’obstruction prothétique fémorale elle-même, mais à la durée de l’ischémie du membre inférieur gauche et, en particulier au défaut de vascularisation notamment musculaire et des troncs nerveux périphériques, fonction du délai écoulé avant la revascularisation obtenue, après rétablissement de la circulation fémorale gauche (…) ». IIs excluaient toute responsabilité de la mise en place de la prothèse totale de hanche dont le résultat clinique était bon et qui ne faisait l’objet d’aucune plainte de la part du patient. Ils rappelaient que toutes les précautions préopératoires requises en fonction des antécédents vasculaires du patient avaient été prises par le chirurgien orthopédiste et le chirurgien vasculaire. Par ailleurs, le patient avait été informé du risque éventuel de complication vasculaire. En revanche, il existait un retard évident au diagnostic et au traitement de l’obstruction vasculaire : « (…) Le début de traduction clinique, indiscutablement évocatrice des troubles vasculaires, peut être fixé à la matinée du 31/10 (9 h)…Le diagnostic a été méconnu, faute d’être évoqué jusqu’au retour et à l’examen du chirurgien orthopédique le 01/11 à 19 h 30... L’attitude diagnostique  et  la prise en charge thérapeutique adaptées ont été faites par le chirurgien vasculaire dès son premier appel le 2/11 à 10 h (…)

Les experts reprochaient au chirurgien remplaçant d’avoir commis une erreur diagnostique et surtout de ne pas s’être donné les moyens de faire le bon diagnostic, en soulignant l’importance des douze premières heures dans la récupération clinique des lésions ischémiques nerveuses : « (…) La sémiologie d’ischémie aiguë le 31/10 vers 12 h ne laissait aucun doute quant au diagnostic. Un examen clinique simple que tout médecin non spécialisé doit savoir faire (palpation des pouls fémoraux) aurait mis en évidence l’obstruction de la branche gauche de la prothèse. Avant de rejeter ce diagnostic, il aurait dû en faire état à ses collègues  anesthésistes et surtout au Dr Z …  qui était de garde le 31/10 et  le 01/11 (…) »

Concernant l’anesthésiste, ils s’étonnaient que : « (…) Ses seules prescriptions aient été en rapport avec l’état d’agitation de l’opéré … sans que le diagnostic d’ischémie aiguë ait pu être envisagé !!! (…) »

Au cardiologue, ils reprochaient : « le caractère lacunaire de son examen », estimant qu’ « (…) Un tel spécialiste ne pouvait pas méconnaître le diagnostic d’ischémie aiguë,  si  l’examen du membre avait été pratiqué (…) »

Quant au chirurgien orthopédiste, si les experts reconnaissaient  qu’il avait évoqué le diagnostic d’ischémie aiguë, il n’en avait pas reconnu la gravité, ni l’urgence du traitement, « (…) L’examen Doppler dont  il fait état n’a été qu’une caricature en n’examinant pas  l’artère fémorale, examen de base d’un Doppler artériel des membres inférieurs (…) ». Ce faisant,  il avait retardé  de plus de 12 heures la prise en charge effective de cette ischémie par le Dr Z…

IPP estimée à 16 %

 

Tribunal de Grande Instance  (février 2012)

 

Pour les magistrats, « (…) Force était de constater que les 4 médecins mis en cause, avaient chacun commis une faute à l’égard d’un patient âgé et fragile,  en n’établissant pas ou tardivement le diagnostic d’ischémie aiguë… Néanmoins, le plus impliqué était le Dr X…, chirurgien remplaçant qui  dès le départ assurait le suivi  du patient pendant l’absence du chirurgien orthopédique et n’ a pas été en mesure d’établir immédiatement le diagnostic, de sorte que sa part de responsabilité sera fixée à 50 % …Le médecin anesthésiste qui achevait sa garde et n’a examiné qu’une seule fois le patient pour une pathologie sans rapport direct avec la complication ischémique, a une responsabilité moindre, pouvant être fixée à 10 %... Quant à la part du chirurgien orthopédique et du cardiologue, il n’y a pas lieu de la fixer dès lors que ceux-ci ne le demandent  pas et que la compagnie d’assurances représentée aux débats n’est pas recevable à le faire pour eux (…) »

Indemnisation de 49 441 € dont 10 441 € pour la CPAM en remboursement des dépenses de santé induit par la mauvaise prise en charge.

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