Retrouvez l'analyse de la presse internationale sur le risque médical par le Professeur Amalberti. À la une ce mois-ci : résultats du suivi des décisions après analyse des EIG, défauts du système de soins en médecine générale, turnover des équipes de soins à domicile et baisse qualité des soins, analyse des soins oubliés ou mal réalisés en Ehpad...
L’analyse des événements indésirables graves (EIG) est une étape essentielle des politiques de sécurité du patient. Elle conduit logiquement à des décisions de corrections, de l’organisation, du soin, ou autres pour empêcher ces EIG de se reproduire.
Les auteurs se sont particulièrement intéressés, dans cette revue de littérature, au devenir de ces décisions. La méthode s’est articulée sur plusieurs points :
La revue de littérature regroupe 11 articles - qui sont eux-mêmes pour certains des revues de littérature - qui ont satisfait par leur qualité aux conditions d’inclusion. L’analyse des causes racines (root cause analysis - RCA -) est la méthode la plus souvent employée ; les méthodes de génération des recommandations restent par contre peu expliquées dans les articles ; un total de 4 579 recommandations a été émis sur ces 11 articles, très largement centrés sur des recommandations individuelles, et très peu sur des recommandations systémiques (moins de 7 % du total des recommandations émises). Le rattachement des analyses à des EIG précédents, à des recommandations précédentes issus des EIG passés ou à une hiérarchie de risques redoutés dans l’hôpital, reste tout aussi largement ignoré ou sous-exploité dans ces articles.
Au bilan, les auteurs constatent qu’en dépits d’une pratique généralisée d’analyse des EIG, la formulation et le suivi des recommandations en lien avec ces EIG demeure un point très faible qui cantonne souvent ces signalements et analyses des EIG à une démarche de conformité quasi-administrative sans bénéfice pour la sécurité du patient.
La littérature décrit depuis longtemps les problèmes d’accès aux soins. Mais les solutions d’amélioration sont souvent des préconisations générales ; elles restent en retrait, prenant mal en compte les problèmes plus personnels des professionnels de santé, et la complexité globale du système de soin.
L’étude proposée essaie de combler ce manque. Il s’agit d’une étude participative de terrain conduite dans le nord de l’Angleterre menée au sein d’une communauté locale. La méthode utilise l’immersion et les observations, les entretiens, et des focus groupes.
Le résultat le plus important pointe un paradoxe récurrent : la demande de soins, d’accès continue et rapide, aux généralistes créé et génère en même temps d’autres problèmes d’accès en les aggravant.
L’analyse combine toutes les solutions qui ont essayé de réduire les temps d’accès aux soins primaires pour des situations médicales dites d’urgence intercurrentes et ont affaibli en retour l’accès à un soin de qualité et de continuité en consommant les disponibilités (vacations dédiées, surcharge hors heures de travail) et les ressources humaines.
L’aspect le plus négatif de ce paradoxe est que les patients victimes des situations médicales les plus complexes et souvent les plus graves, demandant de l’écoute, encore mal formulées et mal comprises, paucisymptomatiques à leur début, ne trouvent plus du tout de voie d’accès dans le système de soins, souvent en majorant l’inégalité entre populations (niveau social, niveau d’éducation).
On sait que les professionnels ne respectent pas tous les gestes recommandés pour l’hygiène et la prévention médicale des infections. Mais on sait peu de choses de leurs représentations cognitives justifiant qu’ils respectent certains de ces gestes, et arbitrent négativement sur d’autres, pas plus qu’on ne connait précisément les conditions de travail qui influencent ces arbitrages (charge de travail, pression temporelle, etc).
L’étude porte sur les pratiques de prévention de 42 infirmièr(e)s observées en condition de soins effectuées lors de situations standardisées au simulateur (faisant varier les éléments de contexte, pression, charges, équipe, etc). Le protocole demandait aux participants de commenter leurs processus de pensées en revoyant la vidéo de la simulation. Les participants ont été catégorisées en 3 groupes en fonction de leur performance (excellente, moyenne ou basse).
Deux facteurs expliquent les différences entre groupes :
Les auteurs concluent sur l’utilité de cette connaissance pour mieux organiser des formations adaptées, particulièrement pour repenser une organisation du travail permettant de réduire et à tout le moins de guider les sacrifices observés dans le meilleur respect des règles de prévention infectieuse.
Les résidents de maisons de retraite sont parfois victimes de mauvaises prises en charge avec ces conséquences qui peuvent être sérieuses.
L’accréditation est un outil pensé pour l’amélioration de la qualité des soins. Pour autant, les verbatims et commentaires sont rarement analysés dans ces rapports d’accréditation, alors qu’ils révèlent souvent plus que les indicateurs formels.
L’agence d’accréditation australienne de la qualité et sécurité des soins aux patients âgés (Aged Care Quality and Safety Commission - ACQSC), a reconsidéré 500 accréditations de maisons de retraite accumulées dans les 8 dernières années en reprenant les matériels plus informels et traces de visites non répertoriées dans le rapport officiel.
Globalement, 37 % des rapports d’accréditation signalent des non-conformités importantes dans le champ du soin aux résidents et du respect des standards de prise en charge de proximité.
Une analyse plus en détail sur 65 sites vus récemment entre septembre 2020 et mars 2021 s’est centré sur 2 267 incidents recensés classifiés en 274 types de risques différents. 12 risques représentent 32,3 % du total des incidents, au premier rang desquels se trouvent la gestion et l’organisation de la prévention infectieuse, la gestion de la douleur, la gestion des téguments et plaies diverses (escarres particulièrement), et la gestion des restrictions et immobilisations.
De très nombreux risques - souvent mineurs - apparaissent dans le matériel recueilli sous toute ses formes (y compris informelles), tout en étant passés finalement sous silence dans le rapport officiel, avec le manque de bénéfice pour leur prise en compte locale.
Les auteurs insistent sur le besoin de penser le rapport d’accréditation différemment, comme un outil de partage et d’accompagnement plus large au-delà des indicateurs chiffrés, au-delà des recommandations officielles, avec plus de retour et de formation-sensibilisation des professionnels.
Les comportements jugés inacceptables des médecins peuvent prendre de multiples formes, colères et paroles décalées, mauvaise communication, rétention d’information, pas de jeu collectif, etc.
Une échelle a été développé au Canada pour détecter ces médecins.
La méthode a inclus un questionnaire de départ rempli par 712 infirmiers affectés par des rapports difficiles avec les médecins. Les résultats du questionnaire ont été analysés par 5 experts pour isoler les items les plus caractéristiques de description des attitudes inconvenantes. Un nouveau questionnaire basé sur ce premier travail a été adressé à 1 000 professionnels de santé (478 réponses), pour valider et consolider les dimensions pertinentes à retenir. En parallèle, les auteurs ont conduit une enquête de terrain avec 84 professionnels hospitaliers.
Ce sont au total 47 attitudes inconvenantes, regroupées en 9 catégories (6 principales, dont 1 subdivisée en 4 et une autre subdivisée en 2) qui ont été retenues proposer pour cette échelle psychométrique des comportements inacceptables.
Les défauts du système de soins sont connus pour impacter considérablement le travail en soins primaires et particulièrement celui des généralistes. Beaucoup de ces défauts seraient améliorables, mais ils sont en général mal hiérarchisés et perdus dans les priorités d’action.
L’analyse porte sur la période février-octobre 2021, réalisée en 2 temps.
62 généralistes ont d’abord été invités dans le cadre d’une revue delphi (nda : la méthode delphi est un outil standard d’enquête) à lister les défauts chroniques les plus graves du système de soin anglais (45 défauts listés).
Ce matériel a par la suite été présenté à un panel de 37 patients eux mêmes sollicités sur les défauts systèmes en utilisant la méthode delphi. Les défauts retenus en priorité devaient recueillir plus de 80 % de consensus dans chaque population puis en inter-population (généralistes et patients). 14 défauts systémiques ont été recueillis à ce niveau de consensus chez les généralistes, et leur proposition aux patients a conduit à une liste de 13 défauts reconnus comme prioritaires en intergroupe.
Les défauts les plus consensuels concernent les inexactitudes dans les dossiers médicaux, les retours d’analyse absents des dossiers, et la difficulté à adresser les patients dans des temps acceptables à des médecins spécialistes référents. Ces résultats sont partagés avec les autorités anglaises (NHS) pour cibler les priorités à corriger.
La continuité des soins est un besoin évident pour la qualité des prises en charges.
Cette étude rétrospective conduite à Hongkong tente d’évaluer plus concrètement le bénéfice dans le cadre des patients hypertendus. L’analyse porte sur tous les patients de soins primaires de 2008 à 2018 de la région en utilisant un index composite de la qualité de la prise en charge collective (fréquence des visites au cabinet et à domicile, quelle variété des professionnels concernés, quels soins reçus, quelles pathologies).
Au total, 421 640 patients éligibles sont inclus. On compare les patients les moins aidés collectivement dans cette cohorte à l’ensemble des autres patients hypertendus. On observe un effet de réduction du risque cardiovasculaire pour la prise en charge collective des patients les plus graves (hypertension manifeste mal compensée, moins de 65 ans, index de comorbidité de Charlson significatif). Par contre l’effet est insignifiant avec les patients qui ont une clearance glomérulaire inférieure à 60 ml/ min/1.73 m2.
L’instabilité et le turnover des équipes de soins à domicile, bien plus élevés qu’à l’hôpital, est un fait redouté de tous les patients à domicile, qui voient se succéder des aidants et soignants pas toujours informés et coordonnés entre eux.
Les auteurs proposent une évaluation nationale de la qualité des soins associés à l’amplitude de ces turnovers. Les données médicales et de présence du personnel proviennent de la base nationale américaine Medicare-Medicaid. Elles sont combinées à des indicateurs de Qualité des soins. Au total, l’étude porte sur 1,06 milliard de vacations effectuées par 7,48 millions d’employés de 15 869 systèmes de soins à domicile recouvrant la période du second trimestre 2017 jusqu’au dernier trimestre 2019.
On mesure l’amplitude du turnover au pied des patients sur 90 jours en lien avec la qualité des indicateurs de qualité.
Les résultats portent sur un échantillon représentatif de la base de données. Pendant une semaine représentative "moyenne" (standard, pour la base de données), 15 % des effectifs infirmiers et 11,6 % de l’équipe administrative support sont embauchés en moyenne pour parer au turnover des équipes. C’est quasiment ce que l'on peut appeler le niveau "normal" de turnover et d’absentéisme.
Tout turnover de 10 % supérieur à ce standard des effectifs administratifs dans les deux semaines précédent une inspection se traduit par une augmentation significative des remarques/recommandations de l’inspection (+0,241 sur une échelle moyenne de 5,98 remarques).
Tout turnover de 10 % supérieur à ce standard des effectifs infirmiers s’associe à une baisse de qualité significative et une augmentation des plaintes et événements indésirables.
L’hypertension est une des pathologies les plus sensibles à la prise en charge médicale continue. Le simple contrôle régulier de l’hypertension détecte et réduit la mortalité.
Cette étude anglaise porte sur le suivi de la prise en charge en soins primaires d’une cohorte de patients hypertendus dans la banlieue nord de Londres pendant l’année 2019.
Au total 156 296 patients sont inclus. Le groupe ethnique des habitants noirs de ces banlieues est moins bien prise en charge, notamment avec une TRA moins souvent contrôlée que le groupe des habitants blancs [OR 0.87, 95 % CI = 0.84 to 0.91). Le groupe ethnique asiatique profite au contraire une meilleure prise en charge statistique que les autres groupes (OR 1.28, 95 % CI = 1.23 to 1.32). Sans surprise, les patients de plus de 50 ans sont globalement mieux surveillés, avec un surrisque d’absence de détection chez les plus jeunes.
Les programmes d’amélioration du parcours de l’opéré manquent d’outils et d’indicateurs pour mesurer la détection précoce des complications, qui conditionne une fraction significative de la mortalité péri-opératoire (Failure to Rescue).
Cette étude américaine propose un score agrégé de calcul ajusté des risques postoératoires (risk-adjusted cumulative cum- CUSUM) qui permet de détecter les services chirurgicaux jugés moins performants. Ce nouvel indicateur est comparé aux indicateurs ou/et procédures d’inspection déjà en service dans les hôpitaux des Vétérans pour le même objectif.
L’analyse porte sur 697 566 patients chirurgicaux des 104 hôpitaux du réseau américain des Vétérans. Les résultats ont été obtenus de janvier 2011 à décembre 2016 (60,9 ans en moyenne, 91,4 % hommes).
Sur cette période, les auteurs appliquent l’indicateur CUSUM par période de 4 mois, pour détecter les hôpitaux les plus à risques de faible détection et de surmortalité péri-opératoire à 30 jours.
Un total de 2 496 périodes de 4 mois est ainsi analysée par l’indicateur CUSUM dont finalement 33 % (930 périodes) vont s’avérées entachées de surrisque de péri-mortalité selon cet indicateur.
Quand on compare aux indicateurs classiques, on ne retrouve que 274 de ces 930 périodes qui avaient été détectées comme anormales par les indicateurs classiques. Le nouvel indicateur est donc plus sensible ; il permet des détections de services hospitaliers à surrisque bien plus précoces que les inspections ou indicateurs classiques.