Douleurs cranio-cervicales et chutes sans perte de connaissance chez un homme traité par AVK

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Douleurs cranio-cervicales et chutes sans perte de connaissance chez un homme traité par AVK

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Le 28 décembre 2011, vers 19 heures, un homme de 61 ans se plaint auprès de son épouse d'une violente douleur cervicale et crânienne, survenue à la suite d'un effort. Il aurait aidé un ami à pousser une remorque.

Auteur : Dr Christian Sicot / MAJ : 14/02/2020

Cas clinique

Après avoir pris un Efferalgan, la douleur est toujours aussi violente et son épouse appelle le SAMU. Le médecin régulateur lui conseillait de se rendre au Centre de Permanence des Urgences Médicales de sa ville. A 21 H 40, le patient est examiné par le médecin de garde "(...) Douleur cervicale suite à un effort. Pas de vomissement. Pas de déficit neurologique. Dans les antécédents, AVC sylvien gauche d'origine athéromateuse (2006), fibrillation auriculaire (2007), cardioversion électrique (2009), hyperthyroïdie (2009). Traitements suivis : Sintrom, Hémigoxine Nativelle, Cordarone.

A l'examen : douleur à la palpation du rachis cervical, surtout en rotation forcée à droite. Nuque souple. Absence de déficit neurologique, réflexes photo moteurs retrouvés et symétriques. TA 16/8. Au total, cervicalgie probable. Efferalgan codéiné, Tétrazepam. A revoir par le médecin traitant si la douleur persiste, (...)". Lors de l'expertise, le patient confirmera que, dans cette dernière éventualité, le médecin de garde lui avait conseillé de faire réaliser un "scanner".

Le 2 janvier 2012, le patient consulte son médecin traitant en raison, selon ses dires, de la persistance de la douleur. Pour le médecin, il s'agit d'une consultation habituelle pour renouvellement de l'ordonnance mais il ajoute qu'il aurait alors pris connaissance des cervicalgies, constaté une raideur cervicale et l'absence d'anomalies neurologiques. Il prescrit un collier cervical, du Niflugel et de l'Ixprim.

Le 3 janvier, le patient reconsulte son médecin traitant car la douleur est toujours aussi intense et, en outre, il se plaint de "vertiges et de chutes en avant". L'examen neurologique est normal et les chutes sont possiblement attribuées à des malaises vagaux liés aux douleurs ou à des effets indésirables dus au Tetrazepam. Le diagnostic de céphalée d'Arnold est évoqué. Du Solupred et du Lyrica sont ajoutés au traitement et des radiographies du rachis cervical sont prescrites. Le radiologue conclue : "Perte de la lordose physiologique. Absence de modification morphologique ou structurale. Pincements dégénératifs en C4, C5, C5-C6 et C6-C7".

Le 6 janvier, dans la matinée, en se rendant chez son médecin traitant pour lui apporter les radiographies demandées, le patient chute sur le parking et est amené, sur la chaise roulante de la secrétaire, dans le cabinet du médecin. Ce dernier décide d'hospitaliser le patient avec une lettre détaillée, insistant sur "l'intensité des céphalées en casque et l'existence de malaises à répétition, avec chute en avant, sans perte de connaissance" en concluant à "très probable névralgie d'Arnold".

A 18 H 30, le patient est admis aux urgences du centre hospitalier. Après un examen clinique -notamment neurologique- complet, l'urgentiste conclue : "Céphalée de type névralgie d'Arnold, intense sans signe infectieux en dehors d'une hyperleucocytose. Absence de signe de localisation. Hospitalisation pour traitement antalgique. Lyrica débuté au domicile mais dose optimale non atteinte. Orientation vers le service de neurologie".

Le 7 janvier, lors de l'examen par le médecin neurologue, les céphalées du patient étaient calmées par la morphine. L'examen neurologique retrouve des réflexes ostéo-tendineux très vifs aux membres inférieurs et diffusés avec un Babinski bilatéral. Compte tenu des antécédents de chutes sans perte de connaissance (3 au total) pouvant faire évoquer des drop-attacks et du syndrome pyramidal aux membres inférieurs, le neurologue prescrit un scanner encéphalique pour éliminer une pathologie de la fosse postérieure. Cet examen était prévu pour le 8 janvier au matin.  Mais avant même que cet examen soit réalisé, le patient fait un coma brutal, avec un score de Glasgow à 5, un myosis serré et une hypotonie des quatre membres. Le scanner, immédiatement pratiqué, met en évidence "une hémorragie méningée par rupture d'un anévrisme de la communicante antérieure avec inondation ventriculaire".

Le patient est transféré au CHU où est effectuée une embolisation de l'anévrisme avec mise en place d'une dérivation ventriculaire externe. Le 14 janvier (7 jours plus tard), apparaissent des signes d'éveil avec un score de Glasgow remontant à 9. 

Le 17 janvier, le patient ouvre les yeux à l'appel de son nom. Le sevrage de la ventilation artificielle est débuté. Le 26 janvier, le patient est extubé. Le 8 février, une dérivation ventriculo-péritonéale est mise en place. Le 28 février, le patient est transféré dans un centre de rééducation. A l’admission, il est conscient, désorienté mais répondant aux ordres simples, il mobilise ses quatre membres de façon spontanée, mais la marche reste très difficile. Au cours du séjour, l'amélioration est rapide. Les troubles de l'orientation temporo-spatiale disparaissent ainsi que l'incontinence urinaire et fécale. Le 14 mai, lors de sa sortie, le patient est capable de marcher 200 mètres sans aide technique, Il est autonome pour la toilette et l'habillement.

Expertise

Le 1er octobre 2012, jour de l'expertise, le patient se plaint de douleurs de la jambe droite, d'engourdissement de la main droite, de bourdonnements dans les oreilles et d'une vision trouble de l'œil gauche. Il se dit fatigable et limité pour la marche car il doit utiliser une canne. Il est autorisé à conduire sa voiture mais il ne peut faire que de petits trajets en raison de l'installation rapide de la fatigue et de troubles de la vue.

Pour l'expert, ces troubles sont "en rapport avec les modifications de pression au niveau du LCR liées à la présence d'une dérivation ventriculo-péritonéale. La nécessité de cette dérivation est, elle-même, en lien avec le traitement de l'hydrocéphalie secondaire à l'inondation intra-ventriculaire, elle-même imputable à la rupture de l'anévrisme de la communicante antérieure".

Assignation du médecin traitant par le patient (mai 2012) pour obtenir la réparation du préjudice subi.

Expertise (Novembre 2012)

L’expert, professeur de médecine légale, estimait que : "(...) Compte-tenu des éléments qu'il avait en sa possession, le diagnostic posé par le médecin de garde était justifié. Au terme de son examen et lors d'une consultation d'urgence, il n'était pas objectivement nécessaire de faire pratiquer des examens complémentaires.

En revanche, eu égard à la longueur évolutive, à l'absence d'amélioration et à la prise d'AVK, le médecin traitant et le médecin urgentiste auraient dû faire réaliser un scanner crânio-encéphalique. Le premier, en tant que médecin traitant du patient, connaissait précisément ses antécédents et n'avait jamais examiné le patient pour ce type de douleurs majeures et d'installation brutale. Il fallait éliminer une dissection artérielle ou une hémorragie méningée et ce, d'autant que les 2 et 3 janvier 2012, le patient décrivait des chutes et des vertiges.

Devant ce tableau clinique persistant chez un patient sous AVK, le médecin urgentiste aurait dû, lui aussi, faire rapidement pratiquer un scanner. Le médecin neurologue a posé l'indication du scanner en raison de l'existence des chutes et d'un syndrome pyramidal. Cet examen aurait dû et pouvait être réalisé en urgence dans le centre hospitalier. Pour des raisons non explicitées, il a été reporté au 8 janvier 2012 au matin.

Le médecin traitant et le médecin urgentiste n'ont pas mis en œuvre les moyens du diagnostic. Le médecin neurologue a parfaitement mesuré la nécessité de faire réaliser un scanner. Ce praticien n'étant pas présent le jour de l'expertise, les raisons pour lesquelles ce scanner n'a pas été fait en urgence, dès le 7 janvier 2012, ne sont pas connues.

L'absence de mise en œuvre des moyens diagnostiques par le médecin traitant et le médecin urgentiste ainsi que le retard à la réalisation du scanner le 7 janvier 2012 sont en lien direct et certain avec le préjudice allégué. Le scanner réalisé plus rapidement aurait permis de diagnostiquer l'hémorragie méningée liée à la fissuration de l'anévrisme le 28 décembre 2011 et aurait permis de faire mettre en œuvre, en extrême urgence, le traitement de l'anévrisme avant sa rupture. (...)".

Tribunal de Grande Instance (novembre 2015)

Pour le tribunal : "(...) Il ressortait de la chronologie de l'accident cérébral dont avait été victime le patient, et des recherches de l'expert, que le médecin traitant avait commis une erreur de diagnostic dès les premières manifestations du malaise, attribuant celui-ci à une névralgie, et qu'il avait poursuivi les jours suivants sans sortir de ce schéma de pensée, sans explorer les autres possibilités liées pourtant aux antécédents circulatoires de son patient, dont il avait connaissance. Si l'erreur initiale ne représentait pas en elle-même une faute, devant l'absence apparente de signes de paralysie partielle, recherchés lors de la consultation, la persistance tout à fait anormale de la violente douleur les jours suivants et l'apparition de signes manifestes d'un mal plus général (chutes, jambes ne portant plus) devaient forcément alerter le médecin et l'inciter à d'autres recherches.

Au lieu de quoi, il était resté sur son idée pour invoquer des malaises vagaux ou une intolérance à un médicament, c'est-à-dire sans investigations sérieuses, et n'avait demandé un examen radio que sur les vertèbres et la colonne. Il ne pouvait ainsi prétendre que le radiologue n'avait rien vu non plus, alors que celui-ci avait simplement réalisé l'examen demandé. Il en était de même en ce qui concernait l'hôpital, qui avait suivi le dossier monté par lui.

Comme les demandeurs le rappelaient, la faute d'un médecin ne pouvait être excusée par celle d'un autre. On suivra donc l'avis de l'expert quand il retenait que le médecin traitant n'avait pas prescrit les recherches supplémentaires que l'état de la science imposait (scanner), et qui auraient permis, chez le patient, le diagnostic d'un anévrisme qui pouvait être pris en charge en temps utile, avant sa rupture survenue quelques huit jours plus tard. (...)".

En conséquence, le Tribunal :

"DECLARE le médecin traitant entièrement responsable de la survenance de la rupture d'anévrisme ayant touché le patient le 8 janvier 2012,

DIT donc qu'il doit en réparer les entières conséquences,

CONDAMNE ainsi le médecin traitant à payer 106 143 € dont 31 000 € au patient, 4 000 € à son épouse et 71 143 € aux organismes sociaux".

Appel du jugement du TGI déposé par le médecin traitant et le patient.

Cour d'Appel (octobre 2018)

Les magistrats rappelaient que : "(...) La spécificité du système juridique français, établissant une dichotomie entre les juridictions judiciaires et les juridictions administratives, a entraîné présentement, semble-t-il, la saisine du seul ordre juridictionnel judiciaire pour mettre en cause le diagnostic du praticien libéral et non le diagnostic du praticien hospitalier devant les juridictions administratives. En tout état de cause, en matière de responsabilité délictuelle, si plusieurs responsables ont contribué à causer le dommage, la victime peut s'adresser à n'importe lequel des co-responsables et lui réclamer l'intégralité de sa créance, chacun des co-responsables devant réparer le dommage pour le tout, quitte à se retourner ensuite contre ses co-obligés. Dès lors, la faute d'autres praticiens n'a aucune incidence sur la recherche de la faute reprochée au médecin traitant.

En l'espèce, l'expert judiciaire, a conclu sans ambiguïté que la persistance d'une céphalée survenue à l'effort chez un homme de plus de 50 ans dans un contexte particulier, celui d'une anticoagulation, imposait un scanner en urgence dès le 6 janvier 2012. Il convient d'ailleurs de rappeler que le 28 décembre 2011, le patient a consulté un médecin autre que son médecin traitant, et que ce dernier a évoqué la réalisation d'un scanner cérébral et a précisé au patient que si les douleurs persistaient, il convenait de revoir rapidement un médecin. Ainsi, le diagnostic fait par le médecin traitant n'était pas conforme aux données acquises de la science. Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a retenu une faute à l'encontre du médecin traitant.

Cependant, il ressort d'une erreur de diagnostic une incertitude qui tient au fait qu'il ne peut être certain que si l'erreur n'avait pas été commise, la guérison, ou au moins une amélioration de l'état du patient, aurait pu être obtenue mais aussi une certitude qui tient au fait que si l'erreur de diagnostic n'avait pas été commise le patient avait des chances de guérison ou d'amélioration et que la faute l'a privé de cette chance. Cette perte de chance ouvre alors droit dans la proportion de celle-ci à la fraction correspondante des différents chefs de préjudice une fois évalués.

Comme le rappelle l'expert judiciaire, la réalisation d'un scanner aurait permis de faire le diagnostic d'anévrisme et de mettre en œuvre la prise en charge adaptée dont l'embolisation avant la rupture, cette thérapeutique adaptée ayant généralement pour but d'éviter que survienne l'accident générateur de séquelles. Il s'en déduit que l'absence de mise en œuvre des moyens du diagnostic par le médecin traitant est en lien direct et certain avec le préjudice allégué par le patient. Compte-tenu des risques neurologiques des traitements d'anévrisme cérébral, la perte de chance du patient doit être fixée à 80 %. Le jugement déféré sera réformé en ce sens.

Indemnisation de 110 729 € dont 52 215 € pour le patient, 1 600 € pour son épouse et 56 914 € pour les organismes sociaux. (...)".

Commentaire

Dans le cadre de ses recommandations concernant la prise en charge des "Céphalées aiguës et chroniques chez l'adulte et l'enfant" et plus particulièrement dans les situations d'urgence thérapeutique, le Collège des Enseignants de Neurologie conclut qu'en pratique :

  • Toute céphalée brutale doit faire suspecter une cause vasculaire et, en premier lieu, une hémorragie sous-arachnoïdienne
  • Toute céphalée progressive doit être gérée comme une hypertension intracrânienne
  • Toute céphalée fébrile doit être gérée comme une méningite

 L'observation présentée confirme, si besoin était, le bien-fondé de la première de ces recommandations