Retrouvez l'analyse de la presse internationale sur le risque médical, réalisée par le Professeur Amalberti.
A la une ce mois-ci : les bonnes pratiques de médecine générale pour faciliter l'accès au patient, données anglaises sur le lien entre la qualité et le volume de passage aux Urgences, le sur-risque d'infertilité et de complications de grossesse des chirurgiens femmes, l'expérience australienne des registres de données médicales, suivi des événements indésirables après les vaccinations à ARN contre le Covid-19, la télémédecine pour les consultations chirurgicales...
Certains médecins généralistes canadiens en font plus pour leurs patients que leurs confrères, particulièrement pour leur donner un meilleur accès aux soins. Les auteurs appellent ces comportements des "déviances positives" et étudient leur acceptabilité par des entretiens semi-directifs conduits avec 70 autres médecins.
Un groupe de six médecins généralistes "déviants positifs" offrent par exemple un accès très rapide pour le premier rendez-vous, en moins de 2 jours.
On retrouve 7 pratiques "déviantes positives" chez ces médecins :
70 médecins ont été contactés par la suite pour réagir à ces pratiques, répartis en deux groupes (l’un qui a une moyenne de premier rendez-vous à moins de 7 jours, l’autre qui a une moyenne de premier rendez-vous supérieure à 7 jours).
Au total, 65 de ces 70 médecins ont réagi, avec sans surprise des opinions assez différentes de l’un au l’autre. Mais ces opinions se sont cependant révélées indépendantes du groupe auxquelles appartenaient les médecins.
La seule différence systématique a porté sur ceux qui donnent des rendez-vous à moins de 7 jours et qui ont déjà adopté pour 61 % d’entre-eux une vérification de ce rendez-vous par téléphone, mail ou SMS (contre 30 % pour ceux qui donnent des premiers rendez-vous à plus de 7 jours).
Cette étude rétrospective anglaise analyse, sur des données 2015-2016, le lien éventuel existant entre la (mauvaise) qualité de la médecine générale d’amont et le passage aux Urgences de l’hôpital.
Elle se réfère à 3 définitions de passage aux Urgences :
Le reste de l’étude utilise uniquement la première catégorie d’urgences et se concentre sur trois types de patients :
L’étude associe, à ces trois catégories de patients, sept données sur leur parcours récent en soins primaires récupéré sur les bases de données nationales (dernier rendez-vous, temps d’attente moyen du médecin, facilité d’accès à un médecin spécialiste via ce généraliste, opinion sur ce médecin généraliste dans les enquêtes de satisfaction, notamment le fait que ses patients les recommandent ou pas, suivi des protocoles recommandés pour les maladies chroniques, etc.)
Au total elle porte sur 7 521 cabinets médicaux de médecine générale.
Les résultats confirment que le volume de passage aux Urgences augmente avec la faible pratique sur 3 critères (délai de rendez-vous, qualité clinique du suivi des maladies chroniques, facilité de contact au téléphone), pour les cabinets médicaux qui performent sur ces critères, au moins 10 % moins bien que la moyenne des autres cabinets.
La différence finale de volume de passage aux Urgences pour les patients de ces cabinets médicaux "sous performants" reste cependant modeste avec simplement + 2,4 % par rapport à la moyenne des autres cabinets.
Étude basée sur l’enregistrement vidéo de 295 consultations de médecine générale en Angleterre (avec évidemment l’assentiment des patients et médecins).
Deux-tiers des consultations (192/295) contenaient des propos patients en lien avec la sécurité des soins, eux-mêmes pour moitié liés à des problèmes médicaux faisant l’objet de la consultation (242/516). Seuls un tiers des consultations (94/295) ont donné lieu à une documentation de ces problèmes dans le dossier du patient (certains pourtant en lien direct avec leur motif principal de consultation pour 105/516).
La pratique des généralistes varie toutefois beaucoup de l’un à l’autre (de quasi 0 % à 86,7 %).
Globalement, les généralistes notent plus facilement ces propos de patients pour :
La chance de noter ces points liés à la qualité et sécurité des soins (au sens large) décroit rapidement dès que le nombre de sujets et motifs de la consultation augmente.
Étude norvégienne sur 4 552 978 patients de médecine générale suivis par un registre national pendant l’année 2018.
L’ancienneté et la continuité de la relation patient-médecin traitant est notée par classes (1, 2–3, 4–5, 6–10, 11–15, et >15 ans).
Comparée aux relations récentes avec son médecin traitant (1 an), les relations plus anciennes réduisent très significativement les appels hors heures ouvrables dès une relation de 2-3 ans et beaucoup plus encore pour une ancienneté de 15 ans ou plus.
De même pour les visites aux urgences. Le risque de décès suit le même chemin.
Les auteurs soulignent l’importance de ce lien, dans la durée, au médecin traitant pour la qualité de la médecine pratiquée et les conséquences sur la santé du patient.
Étude américaine réalisée sur un panel de 692 chirurgiens femmes (âge moyen : 40 ans) ayant accepté de répondre à un questionnaire électronique de novembre 2020 à janvier 2021.
290 (42 %) des chirurgiennes ont subi au moins une grossesse non conduite à son terme, ce qui représente le double du taux de la population américaine. Ces chirurgiennes ont aussi moins d’enfants que leurs collègues masculins (1,8 vs 2,3, P < 0.001), sont plus souvent tentées de reculer leur désir d’enfant que leurs collègues masculins (450 sur 692 [65.0 %] vs 69 sur 158 [43.7 %]; P < 0.001), et sont plus tentées d’utiliser la procréation médicale assistée (172 sur 692 [24.9 %] vs 27 sur 158 [17.1 %]; P = 0.04).
Ces femmes chirurgiens ont plus de complications de grossesse que la population d’épouses des chirurgiens hommes (311 sur 692 [48.3 %] vs 43 sur 158 [27.2 %] ; P < 0.001), des chiffres qui restent plus élevés que la population générale même après ajustement sur toutes les dimensions possibles : elles ont aussi un taux de césarienne supérieure à la normale et un risque de dépression postpartum plus élevé.
Le seuil d’activité hebdomadaire de plus de 12 heures passées au bloc est aussi lié à plus de complications dans les grossesses.
Enfin, les troubles musculosquelettiques touchent plus cette catégorie de professionnelles.
On mesure avec cette étude la grande pénibilité de ce métier de chirurgien chez des professionnelles encore plus surchargées de tâches que leurs collègues masculins, y compris domestiques.
Les sociétés savantes et les autorités ont multiplié les registres de données médicales par spécialité. Les professionnels de santé notent ainsi beaucoup d’éléments sur ces registres. Cette étude évalue le bénéfice direct pour le patient.
La méthode utilise un auto-questionnaire proposé aux professionnels de santé supposés remplir plusieurs de ces registres médicaux dans 7 hôpitaux d’Australie (Etat de Nouvelle Galle du Sud).
97 médecins sur les 139 contactés ont répondu (70 %). 64 % d’entre eux confirment qu’ils informent des registres médicaux spécialisés (49 registres différents de tous ordres et spécialités). Les infirmières sont les personnels les plus sollicités dans l’information de ces registres (61 %), les directeurs sont les moins sollicités (8,1 %).
Moins de la moitié (48 %) disent utiliser "toujours" ou "souvent" le résultat de ces registres, et les informations qu’ils notent pour influencer leurs pratiques médicales.
Les personnels demandent massivement (87 %) du "temps de travail protégé" pour mieux remplir et utiliser ces registres. Plus de la moitié de ces personnels reconnaissent le potentiel d’apprentissage et de meilleure pratique dans l’utilisation de ces registres mais cela nécessite de la formation.
Le résultat est plutôt décevant selon les auteurs.
Que veut dire résilience pour un médecin généraliste, une étude au Royaume-Uni.
Les conditions de travail se détériorent progressivement pour les généralistes anglais ; la charge de travail augmente, et le nombre de professionnels diminue. Il est coutume de dire que le médecin généraliste doit faire preuve de résilience pour s’éviter le burnout. Mais que veux dire ce terme ?
Une étude sur 5 ans essaie de cerner son contenu. Vingt-sept généralistes anglais participants ont été inclus sur leur demande, après contact par les réseaux professionnels et sociaux puis rencontrés avec des entretiens semi-directifs.
Ces médecins donnent chacun leur définition de ce qu’est la résilience, qui, au final, recoupe largement ce qu’en dit la littérature sur le sujet. Ils reconnaissent cependant comme limite à ce concept qu’une forte résilience peut être perçue de l’extérieur comme une forme de défense et d’obstacle à la relation et au travail médical.
En effet, parmi les stratégies résilientes, arrivent en premier la réduction du temps de travail (et donc la moins grande disponibilité).
Ils insistent donc sur la nécessité de dépasser cette idée de résilience individuelle et de ne pas croire qu’elle résout les problèmes.
Il faut penser à d’autres mesures institutionnelles.
Les vaccins à ARN contre le Covid peuvent, comme tous vaccins, provoquer des évènements indésirables (EI). Cette étude américaine compare le risque d’EI entre des patients ayant reçu une seconde dose 21 jours après la première vs ceux ayant reçus cette seconde dose entre 22 et 42 jours après la première.
Les chiffres proviennent de la base de données nationale de vaccination.
Au total, l’étude porte sur 10 162 227 patients vaccinés du 14 décembre 2020 au 26 juin 2021.
L’analyse se limite à une typologie de 23 EI particulièrement graves (EIG) redoutés après la vaccination (infarctus du myocarde, AVC, thromboses de tous ordres, Guillain-Barré, myocardite/péricardite, embolies…).
Les données sont ajustées en sexe, âge, comorbidité, et - comme d’usage aux USA - race).
Les données finales portent sur 11,8 millions de doses de vaccins ARN dont 6,16 millions en première dose, 5,669 millions en seconde dose.
Le nombre d’AVC s’élève à 1 612 million de doses (pour ceux qui ont eu la seconde dose à 21 jours) vs 1 781 million de doses (pour ceux qui ont reçu la seconde dose plus tardivement). Il est de 935 millions Vs 1 030 millions pour le risque d’infarctus du myocarde, et de 4,8 Millions vs 5,1 millions M pour le risque anaphylactique. Aucune de ces différences n’est statistiquement significative.
Les auteurs concluent sur le fait qu’il faut continuer à surveiller mais qu’il n’y a pas de consignes particulières préférentielles sur le choix de l’intervalle entre les deux doses à donner aux patients.
Le désavantage de la zone d’habitation (du quartier et alentours) est un nouveau déterminant social de la santé qui pourrait nuire au bien-être fonctionnel des personnes âgées vivant en communauté.
L’étude évalue si l'espérance de vie active et la gravité des handicaps à terme diffèrent selon le type de quartier et alentours du lieu de vie, toutes données corrigées quant aux caractéristiques médicales et socioéconomiques individuelles.
Il s’agit d’une étude de cohorte longitudinale prospective (mars 1998 - juin 2020) portant sur 754 résidents non handicapés (au départ) âgés de 70 ans ou plus, vivant en communauté dans le centre-sud du Connecticut (Etats-Unis).
On mesure chaque mois le handicap dans 4 activités essentielles de la vie quotidienne (se baigner, s'habiller, marcher et se déplacer). Les scores de l'indice de privation de zone, une mesure socio-économique basée sur le recensement avec 17 indicateurs d'éducation, d'emploi, de qualité du logement et de pauvreté, ont été obtenus grâce à des liens avec l'atlas des quartiers. Ces scores de l'indice de privation de zone ont été dichotomisés au 80e centile de l'État pour distinguer les quartiers défavorisés (81-100) de ceux qui ne l'étaient pas (1-80).
Les 754 participants avait un âge moyen de 78,4 (5,3) ans et comptaient 64,6 % de femmes. Dans toutes les tranches d'âge de 5 ans entre 70 et 90 ans, l'espérance de vie active s’est révélée systématiquement plus faible chez les résidents des quartiers défavorisés par rapport aux quartiers non défavorisés, et ces différences ont persisté après ajustement des données.
À l'âge de 70 ans, les estimations ajustées (IC à 95 %) de l'espérance de vie active (en années) étaient de 12,3 (11,5 - 13,1) dans le groupe défavorisé et de 14,2 (13,5 - 14,7) dans le groupe non défavorisé.
À chaque âge, les participants des quartiers défavorisés ont passé un plus grand pourcentage de leur vie restante projetée handicapés, par rapport à ceux des quartiers non défavorisés, avec des valeurs ajustées (SE) allant de 17,7 (0,8) contre 15,3 (0,5) à l'âge de 70 ans à 55,0 (1,7) vs 48,1 (1,3) à 90 ans.
Les auteurs concluent que ces carences dans les environnements pauvres en ressources pourraient potentiellement être comblées par des interventions sociales et de santé publique.
La transformation rapide du système de prestation de soins de santé et des services chirurgicaux aux États-Unis à la suite de la pandémie de Covid-19 est sans précédent.
Pour limiter l'exposition au Covid-19 et la transmission entre les patients et les cliniciens, des millions d'interventions chirurgicales électives ont été suspendues et ce contexte a obligé les chirurgiens à adopter la télémédecine pour les visites de soins chirurgicaux préopératoires, de suivi et d'urgence.
À l'été 2020, les soins chirurgicaux ont progressivement repris leurs activités habituelles, mais avec la résurgence des cas de Covid-19 à l'automne et à l'hiver, la suspension de la chirurgie élective a été rétablie dans certains États, les soins chirurgicaux ambulatoires continuant d'être dispensés par télémédecine.
Des changements substantiels dans la réglementation autorisant la télémédecine ont clairement facilité ce changement de pratique (notamment le remboursement des visites de télémédecine égal à celui d’une visite au cabinet depuis mars 2020).
En conséquence, les hôpitaux et les services chirurgicaux ont repositionné la technologie disponible pour proposer une prestation généralisée de soins par télémédecine. L’offre incluait des modalités de télémédecine synchrones (visites de télémédecine par vidéoconférence) et asynchrones (messages texte, courrier électronique, portail patient). La troisième modalité, la surveillance à distance des patients, a été la moins utilisée.
Ces modalités devraient être moins utilisées avec le retour à la normale de l’après Covid. Faut-il s’en réjouir ?
Certains proclament que la pandémie a permis de surmonter une résistance ancienne à l'adoption d'avancées numériques et technologiques majeures dans la prestation des soins de santé. Les données nationales récentes restent plus nuancées. Dans un rapport du Commonwealth, Mehrotra et ses collègues ont analysé 50 millions de visites ambulatoires (jusqu'au 1er octobre 2020) et ont constaté un rebond des visites ambulatoires qui a retrouvé et dépassé les niveaux pré-Covid-19 avec évidemment une baisse concomitante des visites de télémédecine.
Cette résurgence des visites en présentiel peut indiquer que la télémédecine ne peut remplacer le présentiel.
Ce rapport du Commonwealth suggère qu'elle reste considérée, à la fois par les patients et les cliniciens, comme une simple solution temporaire plutôt qu'un substitut permanent aux visites en présentiel, même avec un remboursement élargi.
Une visite de télémédecine entrave principalement la capacité du chirurgien à évaluer avec précision les résultats physiques chirurgicaux, y compris les signes vitaux, et réduit la communication personnelle et l'interaction avec les patients.
Pour autant, il est peu probable que cette modalité de prestation de soins de santé soit abandonnée en fin de pandémie.
La télémédecine présente des avantages distincts et peut potentiellement permettre un meilleur accès, une continuité des soins et une réduction des disparités. Elle peut avoir lieu immédiatement si nécessaire, minimise les frais de déplacement des patients et est découplée d'un emplacement spécifique puisque chirurgien et patient peuvent être n'importe où.
Cependant, la mesure dans laquelle la télémédecine remplacera ou, plus probablement, complétera les visites en personne à grande échelle dépend de 3 facteurs principaux :
Un plaidoyer d’un des grands maîtres mondiaux de la gestion psychologique des erreurs médicales tant pour le patient que pour le docteur (seconde victime).
Albert Wu suggère fortement de faire participer des patients à nos staffs et conférences sur le risque médical car cela change considérablement le contenu des discussions y compris techniques du congrès et de l’analyse des évènements indésirables.
Il suggère l’invitation systématique d’un patient champion (un représentant de patient qui a une histoire personnelle à partager) à toutes ces conférences. Les patients n’aiment pas en général ce rôle, ils n’aiment pas se livrer et il faut créer les conditions d‘accueil, d’écoute, et de mise en confiance qui vont faire un partage gagnant-gagnant avec l’assemblée que l’on organise.
Au final, Wu ne peut que regretter que cette pratique, recommandée par l’OMS, reste marginale, surtout hors des Etats-Unis et désigne ouvertement les corps médicaux comme trop défensifs.