Retrouvez l'analyse de la presse internationale sur le risque médical, réalisée par le Professeur Amalberti.
Les enquêtes britanniques montrent (sans surprise) que 43 % des passages aux urgences relèvent de la médecine générale.
D’où l’idée de créer un circuit de médecine générale aux urgences en Angleterre, avec des généralistes détachés pour cette fonction, certains à temps plein.
L’étude évalue le bilan de cette initiative. Elle est basée sur 42 entretiens semi-directifs avec des généralistes qui ont choisi ce mode d’exercice.
Quatre thèmes ressortent de ces entretiens :
Les auteurs soulignent l’urgence du recrutement de généralistes en Angleterre, les solutions proposées aux urgences n’étant que des "bouche trous" qui cachent le problème majeur du déficit national des effectifs médicaux.
Les feux survenant en salle d’opération entrent dans la catégorie des évènements indésirables qu’on ne veut plus jamais voir (les "never events"). Mais on ne connait pas vraiment leur fréquence.
Cette étude américaine propose un questionnaire de 25 questions adressé à 617 chirurgiens orthopédistes dans 18 CHU américains.
Le taux de réponse a été de 28 %, avec 172 réponses de chirurgiens :
Les auteurs insistent sur le besoin d’une (in)formation bien meilleure qu’elle n’existe pour les personnels de la majorité des blocs orthopédiques.
Des études récentes montrent que les comportements inacceptables entre professionnels (conflits ouverts, agressivité, impolitesses de tout ordre, manques de respect) ont :
La littérature nous montre aussi que ces comportements déviants entre soignants expliquent 40 % de la variance observée dans les résultats et stratégies cliniques (pour comparaison, les applications numériques, dossiers électroniques et autres, n’expliquent que 12 % de cette même variance).
Et les effets délétères de ces mauvais comportements vont bien au-delà. Ils ont des effets collatéraux importants sur les témoins de ces actes, avec un effet de de contagion, et menacent gravement le travail d’équipe. En quelque sorte, et au-delà de leurs effets immédiats, ces comportements installent une culture de banalisation de l’inacceptable pour tous, une invite à l’imitation contagieuse généralisée, et pérennisent et amplifient sur le long terme les défauts observés sur le court terme.
Les effets sur les patients (et leurs proches) témoins de ces comportements ne sont pas moindres ; des études montrent que ce sont les services où ces comportements déviants existent le plus qui sont aussi ceux où les incivilités des patients envers le personnel finissent aussi par être les plus fréquentes.
Les solutions pour modifier ces comportements ne sont pas aussi évidentes qu’on ne le croit. Il ne suffit pas de dire en réunion que l’on va y renoncer, ni même de faire partir une personne qu’on croit responsable… Ces comportements deviennent largement inconscients, partagés, ancrés dans la culture locale, et souvent aggravés par des facteurs externes comme le déficit en ressources humaines et techniques, avec un cercle vicieux qui rend ces lieux de travail conflictuels peu attractifs pour de nouveaux entrants.
Les auteurs insistent sur la nécessité de recherches à conduire sur le collectif, les outils du travail en équipe (comme les CRM ou TEAM STEEPS), la façon de communiquer positivement, avec un langage de gratitude, pour trouver des moyens d’arrêter en priorité la contagion dans les groupes et les cercles vicieux décrits précédemment.
Les problèmes mentaux, sous une forme ou une autre, touchent 1 citoyen américain sur 4, et coûtent 105 milliards US$ annuellement aux Etats-Unis. Le Covid a encore accentué ce phénomène.
C’est maintenant aussi une priorité de l’OMS à l’échelle mondiale.
On sait que les soins primaires sont clés pour diagnostiquer et prendre en charge ces patients.
En Angleterre, on considère que 40 % des consultations de médecine générale ont un contenu centré en totalité ou en partie sur des problèmes mentaux ; de même 30 à 50 % des patients atteints de troubles bipolaires ne sont pris en charges que par leurs médecins généralistes.
La prescription médicamenteuse est souvent l’outil de base de la prise en charge de ces patients, même si bien sûr cette prescription est associée à de l’écoute et à des conseils d’hygiène de vie physique et mentale.
Évidemment, les médicaments psychotropes génèrent un potentiel d’événements indésirables (EI), pour certains connus (effets indésirables anticipés) et pour d’autres aléatoires (mauvaise dose, oublis, etc).
Les effets indésirables attendus compliquent le suivi thérapeutique pour le médecin et encore plus pour le patient, ils favorisent le risque d’autres événements (notion de cascades d’événements y compris des événements somatiques multiples), sans parler de la conjugaison difficile de ces traitements avec le style de vie de ces patients mentaux comportant souvent des composantes particulières, addictives (tabac notamment) ou autres.
En dépit d’une fréquence de consultation plus élevée de ces patients en médecine générale (comparée à la population générale de même âge), les examens cliniques sont plutôt moins souvent pratiqués dans ces consultations et le risque de passer à travers un diagnostic somatique reste assez élevé. C’est une raison de plus pour prendre soin des prescriptions médicamenteuses.
Une évaluation récente du risque de prescription médicamenteuse en médecine générale chez ces patients au Royaume-Uni s’est appuyée sur 22 indicateurs de risques, 18 centrés sur l’indication de la prescription, et 4 sur le suivi. Les résultats montrent que 90,2 % des patients ont subi au moins un risque médicamenteux dans l’année, dont 9,4 % des risques substantiels.
Les recommandations sont nombreuses, mais ne suffisent pas à juguler ce risque, et sont particulièrement en difficulté dans leurs propres contradictions quand il s’agit de patients psychiatriques âgés où il faut manier des traitements assez antagonistes (même avec l’aide d’outils comme STOP/START - Screening Tool of Older Persons’ potentially inappropriate Prescriptions/Screening Tool to Alert to Right Treatment-).
Souvent, le fait de ne pas suivre une recommandation n’est pas une erreur, surtout si cette recommandation a été établie en silo isolément pour une pathologie, en ignorant les cas d’interactions autres d’autres pathologies, ce qui est le cas usuel.
La polymédication est évidemment la source maximale de problème. 23,1 % des patients psychotiques au Royaume-Uni reçoivent deux antipsychotiques, et c’est même le cas de 31 % des femmes enceintes psychotiques, alors que 12,8 % de cette même population souffre aussi de diabète, avec une prévalence accrue chez les jeunes de moins de 24 ans. Ces patients diabétiques et psychotiques ont 50 % de surrisque de mortalité par rapport aux populations témoins. D’autres effets collatéraux usuels concernent le niveau de vigilance, et les déficits cognitifs associés.
La meilleure prise en charge médicamenteuse de ces patients complexes repose sur une collaboration étroite et territoriale entre acteurs de santé, généralistes, pharmaciens, et infirmiers .
Le médecin généraliste est vu, au Royaume-Uni, comme le coordinateur de ce collectif, avec un rôle central à la fois dans la prescription et dans l’arrêt de la prescription.
Les autres acteurs étant clés dans l’aide à l’observance, la détection des contre-indications et à la surveillance des effets secondaires, l’équipe étant évidemment supposée se coordonner, partager l’information et se parler.
Ce collectif doit aussi avoir un sens pour le patient qui doit en connaître toutes les composantes et interagir en confiance et sécurité avec tous.
Étude rétrospective conduite dans un hôpital italien (Padoue) sur l’effet du Covid sur le signalement des événements indésirables (EI) par le personnel médical pendant les années 2019 et 2020. L’indicateur du nombre de signalement est ramené au nombre moyen de signalement d’EI pour 1 000 entrées.
Les données montrent qu’entre mars et mai 2020 et pendant la seconde vague Covid (octobre-décembre 2020), les signalements d’EI ont chuté de 27,94 %, passant d’une moyenne de 15 à 20/1 000 entrées selon les mois avant le Covid à des valeurs de 13/1 000 à 8/10 entrées pendant ces périodes Covid, pointant toute la fragilité de la logique de sécurité du patient en temps de crise (p=0.001).
La chute su signalement a été plus importante dans les services Covid (par rapport à des services sans patients Covid).
Les auteurs insistent sur la nécessité pendant les crises d’un accompagnement actif de cette démarche de signalement par la hiérarchie. La démarche collective dans ces périodes de grande vulnérabilité est un autre élément indispensable au maintien des pratiques de signalement.
On considère encore trop souvent qu’un séjour hospitalier raccourci est synonyme d’un plus grand nombre de complications et de résultats cliniques moins bons.
Cette étude anglaise évalue ce risque sur 32 370 séjours hospitaliers (46,1% d’hommes, âge moyen 64 ans) effectués entre avril 2017 et mars 2019. Les données ont été ajustées en âge, sexe, pathologies, comorbidités.
Les réadmissions à 28 jours sont moins nombreuses pour les séjours les plus courts (avec les données corrigées de pathologies, âge, sexe, etc).
Inversement, les séjours les plus longs sont les plus exposés à un simple réadmission OR = 2.32, à des réadmissions multiples, OR = 6.17, et même à un surrisque de décès à 30 jours OR = 2.87 et à 6 mois, OR = 2.52.
La variation dans la durée du séjour initial explique à elle seule 7,4 à 15,9 % de la variance totale des raisons de réadmission et 9 à 10 % de la variance liée à la mortalité.
Ces chiffres démontrent sans ambiguïtés l’avantage clinique associé aux séjours hospitaliers les plus courts possibles (bien sûr pour toutes choses comparables, à pathologies et facteurs personnels identiques).
On ne sait toujours pas exactement comment la célèbre checklist de sécurité chirurgicale est réalisée concrètement dans l’intimité des salles d’opération, et en quoi ces modalités de réalisation conditionnent la qualité du travail en équipe des professionnels au bloc et le pronostic du patient.
Les auteurs proposent une revue de littérature sur le thème incluant tous les articles publiés sur le sujet jusqu’en 2000. Ils retiennent 300 articles couvrant au total 7 303 674 interventions concernant 2 480 748 patients.
Cette revue de littérature s’avère décevante dans son contenu.
Seuls 38 % de ces articles font état (plus ou moins) de la façon réelle dont ont été pratiqués les checklist ; beaucoup d’études signalent des différences selon les lieux/personnes dans l’exécution de la checklist time out pas respecté, etc), mais pour autant les conclusions vont presque toutes systématiquement en faveur d’un lien positif entre checklist, climat d’équipe et résultats patients ; pour le dire autrement, la plupart de ces études publiées relèvent du "crédo", tout en manquant de qualité méthodologique et de démonstration scientifique du lien précis avec qualité d’exécution de la checklist, résultat patient et qualité du climat d’équipe.
Une étude canadienne dans l’Ontario a cherché à établir le lien entre le ressenti de satisfaction globale dans la vie, et la réalité dans les mois suivants d’une demande de consultation aux urgences ou en ville relevant de la santé mentale.
L’étude porte sur un suivi de cohorte générale de la population canadienne (131 809 citoyens de plus de 18 ans) évaluée dans ses besoins de santé à dates répétées sur une période de 5 ans (Canadian Community Health Survey).
Les données sont ajustées par âge, sexe, antécédents relevant de la santé mentale, et comportements consuméristes du système de santé.
Les citoyens les moins satisfaits de leur vie et ceux qui ont les salaires les plus bas s’avèrent être effectivement beaucoup plus souvent demandeurs de consultations de santé mentale aux urgences (OR 3.71 (95 % CI 2.14 to 6.45) et en externe chez les médecins de ville (OR 1.83 (95 % CI 1.42 to 2.37).
La crise touchant les médecins généralistes au Royaume Uni est maintenant majeure.
Le déficit est dramatique (15 % de déficit, 1 poste sur 7 vacant à l’échelon national aujourd’hui, avec une dégradation qui s’accélère).
Les conditions de travail sont affreuses ; il faut recruter, et au-delà, convaincre les généralistes d’exercer et de ne pas démissionner ou partir vers d’autres activités. Le Covid a encore intensifié le problème.
Mais même en formant plus de médecins, ce qui est programmé, le délai pour combler le trou actuel se chiffre déjà à dix à vingt ans. Il faut donc penser des solutions intermédiaires qui ne reposent pas sur un renforcement des effectifs.
Les auteurs proposent trois lignes d’action pour garder la profession attractive, et réduire la fuite du métier.
On ne peut pas juste demander aux généralistes de suivre des protocoles, il faut redonner un sens à leur travail, un sens au colloque singulier installé dans la continuité avec chaque patient, à l’élaboration de stratégies personnalisées en utilisant la puissance des groupes de travail collectif et interprofessionnels quand c’est possible pour partager doutes et prises en charge, et la puissance des outils modernes notamment numériques comme alliés dans les cas compliqués, et non comme contraintes. Le contrôle doit aussi s’exercer sur une juste rémunération pour des conditions de travail plus difficiles dans les zones pauvres et isolées.
L’opportunité de travailler en lien avec les communautés et l’interprofessionnel à l’échelle de territoires de santé, comme coordinateur d’une médecine vraiment intégrée, peut contribuer à cette notoriété et à un respect retrouvé. On doit aussi tout faire dans ces pratiques pour préserver une vraie qualité de vie aux professionnels, et les communautés peuvent les aider dans ce sens en reconnaissant ce besoin et en partageant mieux le risque inhérent au soin.
C’est un vieux débat, mais la médecine générale relève d’une expertise propre, qui va bien au-delà d’un simple agrégat, d’une simple somme de connaissances venant des différentes spécialités. Cet apport propre est encore trop négligé, et ne contribue pas assez à la reconnaissance de la spécialité. Là encore, les communautés sont les meilleures voix des besoins des patients sur l’importance et la spécificité de la médecine générale. Elles doivent s’employer à défendre ce système en recherchant de nouvelles voies de travail collectif et de compréhension mutuelle des besoins de chacun à l’échelle des territoires.
Des actions sont lancées sur toutes ces dimensions.
Demander l’avis du patient sur la sécurité de ses soins en médecine générale s’inscrit dans la démarche plus générale des PROMS (Patient-Reported Outcome Measurement).
Un tel questionnaire est déjà disponible et validé sous le nom de PREOS-PC (Patient Reported Experiences and Outcomes of Safety in Primary Care). Dans sa version complète, il comporte 5 thèmes avec plusieurs questions par thème sensées traduire l’opinion du patient sur son expérience de sécurité des soins en soins primaires. Dans la pratique, il s’est avéré souhaitable de le réduire pour le rendre plus facile à administrer dans les conditions réelles. Deux versions réduites sont testées dans cette étude.
La version originale longue a d’abord été remplie et évaluée par 1 244 patients de 45 cabinets de groupe de médecine générale anglais. 10 patients ont été interviewés plus en détail sur ce qu’ils considéraient essentiels à converser.
Les deux versions réduites ont été construites sur la base de ce retour, et de l’analyse du remplissage (compréhension, redondance, pertinence, fiabilité) des versions longues.
Les versions courtes ainsi élaborées ont été testées dans la suite sur une cohorte de 1 557 patients de 21 cabinets médicaux anglais.
Ces versions réduites sont limitées à 44 % de la longueur du questionnaire initial et ne comportent plus que 6 items.
Elles s’avèrent beaucoup plus acceptables par les patients tout en remplissant toutes les attentes en matière de validité, reproductibilité, et fiabilité. Elles sont maintenant conseillées par les autorités anglaises comme outils de routine de l’évaluation continu de la qualité et la sécurité des soins en médecine générale.
Les professionnels qui ont commis une erreur ou qui ont été directement impliqués dans un événement indésirable grave (EIG) sont souvent victimes de conséquences psychologiques désastreuses sur leur santé. Ces conséquences peuvent aussi modifier durablement leurs pratiques au détriment de leur patientèle (prudence excessive, refus de patients, etc).
On parle de phénomène de la "seconde victime", et la littérature plaide fortement pour une prise en charge rapide, institutionnelle de ces professionnels, qui limiterait les effets négatifs de ces événements traumatisants.
Une étude par questionnaire Pan-européenne (ciblée sur 82 institutions médicales dans 27 pays de la communauté + la Suisse), appelée ERNST (The European Researchers' Network Working on Second Victims), a évalué les protocoles mis en place dans les différents pays pour limiter l’impact de ces effets collatéraux de seconde victime des EIG.
Le questionnaire comportait 19 questions. 70 institutions sur les 82 ont répondu (85,4 %).
Sur ces 70 institutions, seulement 37 (37 %) avaient lancé des programmes de recherche sur le sujet, et à peine 17 possédaient une prise en charge officielle des "secondes victimes".
Les auteurs soulignent le travail restant à faire pour installer concrètement une politique européenne sur le sujet distribuée aux 27 Etats, en dépit d’un accord très générique sur l’intention de le faire.