Retrouvez l'analyse de la presse internationale sur le risque médical, réalisée par le Professeur Amalberti.
On entend souvent dire que les sorties de plus en plus rapides des patients de l’hôpital sont plutôt à risques pour les patients, et surtout justifiées par des raisonnements médico-économiques.
Cette étude anglaise se propose d’analyser cette hypothèse sur une cohorte de 32 270 séjours hospitaliers de patients suivis après décharge pendant 6 mois (âge moyen : 64 ans).
Les résultats recherchent le type de corrélation existant entre durée de séjour et suites cliniques d’hospitalisation. Les données sont corrigées par l’âge des patients, le type de pathologie, le sexe, les comorbidités.
Les résultats ne sont pas ceux attendus par beaucoup de professionnels.
Le nombre global de réadmission à 28 jours est faible ou assez faible sur l’ensemble de la cohorte pour les durées de séjour courtes (1 à 3 jours) ; il est plus nettement important pour les patients ayant eu une durée de séjour plus longue (plus de 4 jours), et ce quel que soit l’âge.
Les patients hospitalisés plus longtemps ont un risque accru de ré hospitalisation (OR = 2.32 - 95 % CI = 1.86 - 2.88), et même de plusieurs ré hospitalisation sous 30 jours (OR = 6.17 -95 % CI = 5.11 - 7.45), et de décès à 30 jours et à 6 mois (OR = 2.52 - 95 % CI = 2.23 - 2.85).
La durée de séjour explique à elle seule entre 7,4 % et 15,9 % de la variance totale observée pour les réadmissions à 30 jours, et 9,1 à 10 % de la mortalité totale observée.
En conclusion, on observe un effet contraire à ce que beaucoup prédisent : le raccourcissement de la durée d’hospitalisation - toute données corrigées d’âge, sexe, pathologies -, s’associe à des suites d’hospitalisation plus favorables.
Mettre en place un "filet de sécurité" (safety netting) en cas de doute ou d’inquiétudes sur l’évolution des pathologies redoutées est devenu comme une bonne pratique recommandée. Il s’agit à la fois d’être conscient de ses propres inquiétudes et doutes en tant que professionnel, et surtout de mettre en place une série d’actions concertées, partenariales, avec le patient pour lui donner des éléments concrets et pertinents d’explication, d’auto-surveillance, et des critères qui devraient déclencher des demandes spontanées de consultation.
Dans la réalité, les pratiques du filet de sauvegarde restent fortement variables, et peuvent même se retourner contre la bonne intention du processus en alarmant à tort le patient surtout par le fait d’une communication inadaptée.
Les auteurs proposent une revue de littérature sur le sujet pour essayer de trier les meilleures approches et les meilleures recommandations en la matière.
Au total, 95 articles et documents sont inclus dans la revue. On y lit un certain consensus sur le besoin de particulariser le filet de sauvegarde à chaque patient, en fonction de son histoire personnelle, en donnant des informations dédiées :
A ce prix, l’idée de filet de sauvegarde et d’engagement du patient et du médecin sur l’évolution clinique se révèle une idée très efficace, au-delà même de ce que l’on peut espérer. Elle peut éviter les complications graves ou les repousse significativement.
L’article extrait 15 recommandations de cette revue de littérature sur les différents points cités précédemment.
Parmi ces recommandations, 3 éléments sont considérés comme péjoratifs d’un succès dans la mise en place du filet de sauvegarde :
L’autonomie opératoire accordée aux assistants des services de chirurgie (médecins qualifiés en post internat) s’est plutôt réduite dans le temps. On imaginait en effet qu’une autonomie trop grande accordée à ces juniors pourrait être source d’une dégradation de la sécurité du patient et d’un pronostic patient aggravé dans les suites opératoires.
Cette étude fait le point sur la question, et sa conclusion ne va pas dans le sens attendu.
Elle a été réalisée sur une cohorte de 1 319 020 interventions chirurgicales réalisées dans le réseau hospitalier des Vétérans aux Etats-Unis entre 2004 et 2019 dans tous les établissements qui ont vocation à fonctionner comme centres de formation.
L’analyse a posteriori compare le pronostic des patients entre trois sous-cohortes :
Les interventions sont appareillées et en tout point contrôlables entre les trois sous-cohortes (âge du patient, sexe, chirurgie, comorbidités). La mesure porte essentiellement sur la mortalité à 30 jours.
Sur les 1 319 020 interventions incluses, 138 750 ont été réalisées par des assistants seuls, 308 724 par chirurgiens séniors seuls, et 871 546 par des équipes ou l’assistant était supervisé par un sénior.
La mortalité toutes causes confondues à 30 jours ne diffère pas d’une condition à l’autre. Les seules différences retrouvées concernent la durée d’intervention plus longue chez les assistants seuls que chez les séniors seuls (moyenne 80 minutes [50-123] chez les internes contre 70 minutes [41-114 chez les chirurgiens séniors ; P < .001), mais finalement plus courte que dans la condition où assistant et le sénior travaillaient ensemble (71 minutes [43-113] contre 73 minutes [45-115] ; P < .001).
La durée d’hospitalisation suit la même logique, égale entre suites opératoires d’un jeune assistant par rapport à un sénior (moyenne 4 jours), mais légèrement plus longue pour les patients opérés par une équipe assistant-sénior.
Les auteurs concluent que compte tenu de ces résultats, on devrait revenir sur plus d’autonomie accordée aux assistants, en fin de parcours de formation, ce qui leur permettrait de se préparer encore mieux à leur exercice futur.
La santé est un monde complexe, en continuelle évolution. Les ambitions ne manquent pas, mais sont loin d’être toutes compatibles voire réalistes.
On veut plus de performance, plus de qualité, plus de sécurité, à un coût maîtrisable. On veut aussi accompagner une innovation galopante, reconsidérer en profondeur le système. En même temps, les professionnels ont leur propre agenda social, en recherche de reconnaissance, de qualité de vie et de rémunération équivalente aux autres citoyens. Sans parler que les échelles de temps de toutes ces ambitions sont multiples et souvent en conflit.
L’article analyse la nature de ces conflits d’ambition, en propose une typologie et un cadre sinon de résolution parfaite, au moins d’atténuation des conséquences les plus fréquentes et les plus néfastes pour les différentes parties (patients, professionnels, innovations et système médical dans son ensemble).
Les auteurs proposent 4 recommandations :
En bref, il faut se donner des directions et ambitions dans toutes les directions utiles, mais il est presque aussi important de rester pragmatique et ancré dans la réalité du contexte, et d’accepter l’existence inéluctable des conflits entre ces ambitions.
On dispose aujourd’hui de cadres conceptuels pour mieux se préparer à identifier et gérer ces conflits ; il faut les utiliser.
EriK Hollagel a proposé, il y a déjà quelques années, l’existence de deux concepts opposés sur la sécurité :
Une des idées centrales de Safety 2 est que le monde du travail - particulièrement en santé - n’est ni stable ni prévisible, et encore moins gérable par un catalogue de procédures pré-établies ; il est plutôt chaotique, plein de surprises, de conditions non anticipées. L’intelligence de l’adaptation professionnelle de tous les instants devient une clé de voute de la sécurité réelle sur le terrain.
Évidemment, ces idées de Safety 2 plaisent beaucoup aux professionnels. Mais sont-elles vraiment applicables ?
C’est l’interrogation de ce point de vue proposé par des auteurs hollandais, et leur analyse sur le fond est plutôt réservée, sinon franchement négative… surtout si l’on s’en tient à une interprétation au pied de la lettre, simpliste, des idées de Safety 2.
Selon eux, Safety 2 peut très vite conduire à une dégradation globale de la qualité et de la sécurité, en excusant la non-conformité, et en affaiblissant progressivement les meilleurs standards scientifiques de Qualité et Sécurité valables pour tous (universels) au profit d’arrangements locaux hors standards qui seraient vus comme plus intelligents parce que plus faciles à pratiquer sur le terrain mais sans mesure réelle de généralisation possible.
Une belle discussion, et un vrai sujet. Le côté un peu démagogique de Safety 2 n’échappera à personne, mais pas plus que le côté un peu irréaliste et dogmatique de Safety 1 quand il s’agit de prôner des solutions quasi inapplicables sur le terrain.
Toute la question de fond est sur le mariage possible entre les deux approches, mais aucune contribution théorique significative ne va dans ce sens à ce jour.
Cette équipe Norvégienne nous réinterroge sur une idée de plus en plus mise en avant d’une médecine centrée sur le patient, mais finalement à géométrie très variable dans la réalité.
Les auteurs rappellent d’abord les cinq points qui devraient faire consensus quand on parle de médecine ou de soins centrés sur le patient :
Pourquoi est-ce aussi difficile dans la réalité ?
Le système dominant de la relation médecin-patient reste fondamentalement celui d’une relation paternaliste, qui voit le professionnel penser ce qui va être ‘le mieux’ pour le patient. On est presque en contradiction de base entre une telle culture et ce que doit être une médecine centrée sur le patient comme définie plus haut. La pression de la vie professionnelle fait aussi qu’on se donne rarement le temps nécessaire à construire et maintenir ce qu’exige en écoute réciproque cette médecine centrée sur le patient.
Au bilan, l’idée d’une médecine centrée sur le patient est vraiment de faire d’abord du patient un partenaire informé et largement autonome dans sa prise en charge, mais assuré d’un partenariat personnalisé et de confiance avec les professionnels de santé qui s’occupent de lui.
Cette évolution suppose une évolution de la culture de nos professions, qui est certes en transformation, mais encore loin d’être générale.
Cette équipe anglaise propose une revue de littérature sur les conséquences sur la santé des médecins généralistes anglais de la pratique en temps de Covid-19. 31 études sont incluses dans la revue.
Les effets de la Covid sur le travail ont été très important : choc du changement de pratique, exposition au risque, manque d’équipement protecteur, surcharge informationnelle avec des directives contradictoires multiples.
Finalement, les conséquences psychologiques sont nombreuses, surtout à type d’anxiété et de dépression, peur de contracter la Covid, perte de motivation et de satisfaction, et même traduction symptomatologique clinique de tous ordres.
Les généralistes femmes ont été plus touchées que leurs confrères masculins en fréquence ; mais ce sont les médecins les plus âgés qui ont été victimes des plus grandes conséquences en matière de stress et burnout. Le phénomène est mondial, et ses conséquences semblent partagées par tous les médecins généralistes de la planète.
Voici un article publié dans le BMJ open par une équipe Parisienne sur la mise en place de téléconsultations par les sages-femmes en période de Covid-19.
L’étude procède en deux temps :
Sur les 1 491 sage-femmes qui ont répondu à l’enquête, 88,5 % avaient pratiqué les téléconsultations et 65,8 % pensaient prolonger cette pratique dans le futur, signe explicite de leur satisfaction.
On compte parmi les facteurs favorables à ces pratiques de téléconsultation par les sages-femmes, l’âge plus avancé du professionnel (aOR : 0.40, 95 % CI : 0.28 to 0.58), le sexe féminin ta OR : 6.88, 95 % CI : 2.71 to 17.48), plutôt marié ou en couple (aOR : 1.67, 95 % CI : 1.10 to 2.52), et habitué à travailler en groupe professionnels de pratiques (a OR : 2.34, 95 % CI : 1.47 to 3.72).
Les premières motivations professionnelles à adopter la téléconsultation étaient de faciliter l’accès aux soins des patientes, d’assurer la continuité des soins en période difficile, sans oublier le maintien d’une activité rémunérée et la limitation des risques infectieux de contamination en période pandémique.
La revue Risques et Qualité vient de sortir un supplément dédié à la cybersécurité en santé, un sujet hélas de forte actualité.
Cette revue de presse reprend deux résumés d’articles chapeau à ces numéros - tous deux signés par le même policier spécialiste de la cybersécurité en santé - pour souligner la qualité globale du matériel publié et en vous inviter à accéder au contenu détaillé pour en découvrir plus.
Le premier article traite de mesures élémentaires permettant de réduire les risques associés à un incident de cybersécurité en milieu de soins. On y lit les différentes catégories de menaces visant les systèmes d’information, et la nature redoutée des cyberattaques.
Le premier risque est celui du phishing, mauvaise gestion des mots de passe, absence de sensibilisation, confort de la routine.
Tous ces risques sont pourtant maîtrisables avec des mesures adéquates décidées par le management et qui ne sont pas toujours très onéreuses.
La cybersécurité peut se résumer en trois mots : prévention, détection, contre-mesures.
L’article aborde quelques pistes de solutions permettant de réduire le risque. Outre les conséquences médicales, administratives et financières inhérentes à un incident de cybersécurité, n’oublions pas également les aspects légaux liés à la perte ou le vol de données à caractère personnel.
Un autre opus du même numéro spécial de Risque & Qualité sur la cybersécurité en santé.
L’auteur, spécialiste du domaine, rappelle que la bonne question à se poser en matière de cybersécurité à l’hôpital est "non pas SI vous subissiez une cyberattaque", mais "QUAND cela arriverait-t-il".
L’anticipation est clé pour se préparer à faire face à une situation de crise.
Comment anticiper ?
Notamment en mesurant les différents impacts d’une cyberattaque sur la disponibilité, la confidentialité, et l’authenticité de vos données.
L’analyse de risques est primordiale, tout comme le plan de sécurité, et le plan de continuité d’activités.
Il faut inventorier les actifs (les valeurs à protéger), préparez les check-lists, le plan de communication, les listes de contacts, vérifiez et testez vos back-up, définir clairement les rôles de chacun(e).
Il faut aussi recenser les partenaires externes pouvant apporter une aide, comme le fournisseur internet, une société de cybersécurité, les autorités et ne pas oublier les sous-traitants de la chaîne logistique.
Enfin, il faut aussi anticiper l’impact psychologique que peut engendrer une cyberattaque sur différentes catégories de personnel.
Les doutes font partie intégrale de l’activité de diagnostic. Ils sont aussi une source de difficulté pour le professionnel (une sorte de remise en question à chaque fois sur sa propre compétence, de ce que l’on a mal compris, ce qu’on aurait pu faire, ce qu’on devrait faire) et une épine dans la relation avec le patient qui a tendance à nous juger sur les hésitations que l’on peut formuler, et qui bien sûr s’inquiète pour lui-même du flou laissé dans le diagnostic.
Ces doutes récurrents dans le travail médical, et les difficultés à les partager, peuvent devenir des facteurs de blocage et d’anxiété pour le médecin au point de démotiver de l’exercice de la profession ou d’être source de burnout.
Pourtant, travailler sur l’incertitude et le doute sont aussi les éléments les plus nobles et les plus indissociables d’une activité efficace de diagnostic. Il faut plutôt arriver à gérer ces doutes et en faire des alliés, et apprendre à communiquer sur eux.
Cet article écrit par des collègues australiens spécialistes de la communication et des sciences sociales appliquées à la médecine fait un point pédagogique sur les recommandations en la matière.
L’incertitude est partout à la base, chez le médecin comme le patient.
Le diagnostic est une activité complexe, fondamentalement collaborative, qui suppose de récupérer de l’information, auprès du patient (et d’autres personnes de son entourage parfois) et par l’intermédiaire d’examens directs et complémentaires.
L’incertitude émerge chaque fois que l’on a l’impression subjective que des faits observés demeurent inexplicables. L’excellence en matière de diagnostic demande précisément de passer par cette phase, de savoir s’interroger, douter, et aussi partager avec le patient le chemin de ses propres interrogations.
D’ailleurs l’incertitude est tout autant présente chez le patient qui vit avec des "choses" qu’il ne comprend pas, et qui souvent ont motivé justement sa consultation. Le doute et l’incertitude peuvent aussi atteindre le patient quand il a l’impression que certaines de ses plaintes n’ont pas été écoutées et traitées par le médecin.
Comment gérer cette incertitude positivement ?
On voit souvent des mécanismes de défenses qui rationalisent le sujet, réduisent l’incertitude en la détournant, en la masquant, mais l’idéal est plutôt de l’affronter, de la tolérer, de vivre avec comme une composante naturelle du travail médical.
Les jeunes médecins ne sont sûrement pas assez préparés à cette attitude. C’est même à tous les niveaux de l’enseignement médical et des praticiens que les acteurs ont des problèmes à exprimer cette incertitude, pourtant constitutive du travail quotidien.
Il faut ouvrir beaucoup plus des groupes de pratiques ; parler entre pairs de ses propres incertitudes devient une force et une valeur positive du diagnostic.
Il faut aussi penser à des ateliers de simulation et d’entraînement systématique de nos étudiants sur des cas concrets avec des jeux de rôles ; la littérature montre que l’enregistrement et le débriefing collectif de leurs pratiques orales font énormément progresser les étudiants.
Comment communiquer sur le sujet avec le patient ?
Le spectre de l’erreur de diagnostic ou de "diagnostic raté" est un frein de communication sur ses doutes au patient. Mais le résultat réel va plutôt dans l’autre sens : si l’on ne verbalise pas ses doutes, on communique implicitement sur une réassurance pour le parient qui sera interprétée secondairement comme abusive et associée à un mauvais diagnostic de départ, un excès de confiance, un manque de professionnalisme.
Il faut plutôt essayer de bien communiquer cette incertitude à la fois au patient et dans les notes que l’on consigne dans le dossier médical, et plutôt sous un format positif.
Le cadre théorique des probabilités Bayésiennes fournit une piste utile à ces communications réussies, en expliquant au patient qu’on va affiner l’incertitude que l’on ressent dans le temps au fil des examens et de l’évolution clinique, sans exprimer pour autant des hypothèses trop précises et inquiétantes. Pour le dire autrement, on précise la nature de l’incertitude (le symptôme ou les faits considérés comme incompris ou incongru dans le contexte) sans parler encore des diagnostics que l’on a en tête.
On s’évitera aussi de communiquer avec des pourcentages ou des adverbes qualificatifs (rarement, souvent, beaucoup…) car une grande fraction de la population des patients ne va pas comprendre ce que l’on veut dire vraiment, et cela est encore plus vrai pour dans la lecture des comptes rendus qui nécessitent presque toujours des explications secondaires en consultation.
On peut aussi communiquer sur l’incertitude par d’autres marqueurs positifs sans entrer dans une grande explication, par exemple le simple fait de dire au patient qu’on veut le revoir la semaine d’après ou dans deux semaines.
Au total, cette qualité du partage du doute est un pilier incontournable de la culture de sécurité du patient. Elle mérite d’être mieux enseignée, mieux pratiquée et mieux valorisée.