Cellulite pelvienne (ou gangrène de Fournier) post-opératoire.

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Cellulite pelvienne (ou gangrène de Fournier) post-opératoire. - Cas clinique

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Syndrome toxi-infectieux grave au décours d’une cure de prolapsus avec pose d'une prothèse non résorbable par voie vaginale : retard de diagnostic entraînant le décès de la patiente...

  • Chirurgien
Auteur : Christian SICOT / MAJ : 22/06/2020

Cas clinique

  • Juin 2012, patiente âgée de 60 ans, adressée en par son médecin traitant à un chirurgien gynéco-obstétricien pour une gêne pelvienne avec incontinence urinaire en rapport avec un prolapsus.  
  • Ce dernier retrouve un prolapsus de stade III au niveau antérieur et de stade II aux niveaux moyen et postérieur. Il propose à la patiente une intervention par voie vaginale (et non abdominale, en raison de l’importance de la cystocèle) avec pose d’une prothèse synthétique non résorbable.  
  • Lors de la consultation pré anesthésique, il est noté un rétrécissement aortique calcifié modéré, une HTA contrôlée par béta-bloquant et Triatec® , un poids de 60 kg pour 1m60 et un tabagisme actif à 10 cigarettes/jour. La patiente est classée ASA 2. Une rachianesthésie est proposée et acceptée par la patiente.  
  • jeudi 19 juillet, intervention précédée par une antibioprophylaxie par Céfazoline® (2g) : « Périnéorraphie antérieure et postérieure, TVT, intervention de Richter, Plicature de la paroi rectale antérieure» avec «Renfort prothétique type Prolift® antérieur et postérieur».  
  • Dès le soir de l’intervention et les jours suivants (à l’exclusion du 21 juillet où le chirurgien note « RAS » dans le dossier), la patiente est fébrile ( entre 38°5 C et 39° C). Selon sa famille, elle était fatiguée, avait un regard « un peu dans le vide » et se plaignait de douleurs dorsales, fessières et des membres inférieurs.  
  • Le 22 juillet, chute de la patiente alors qu’elle essaie de se relever des toilettes, après avoir été laissée seule par les infirmières.  
  • Le 24 juillet, le chirurgien note : «Fièvre à 38°4 C. Altération de l’état général avec difficultés à mobiliser les membres inférieurs ». Dans le dossier infirmier, il est écrit : « rougeur ++ du pubis » mais le chirurgien ne se rappelait pas l’avoir constatée. Par ailleurs, la famille dit avoir remarqué une odeur désagréable dans la chambre. Le bilan montre un syndrome infectieux important avec une CRP à 420 mg/l et une VS supérieure à 120 mm. Les leucocytes sont à 5700 / mm3. Le chirurgien fait appel à l’anesthésiste qui trouve la patiente « confuse ». D’un commun accord, il est demandé un scanner cérébral et abdominal, les deux praticiens s’orientant vers une étiologie neurologique : accident vasculaire cérébral ou hématome sous-dural consécutif à la chute en postopératoire. Dans son compte-rendu, le radiologue conclut que le scanner cérébral était normal mais qu’au niveau abdominal, « il existait un petit épanchement mixte, liquide et gazeux, dans le rétro-péritoine pré-sacré ainsi qu’au niveau périnéal, dans le tissu cellulo-adipeux fessier et dans l’espace cellulo-adipeux péri-rectal et sacré ». Le chirurgien note dans le dossier de la patiente : « scanner pelvien : hématome pelvien », expliquant ultérieurement qu’à son avis, l’image décrite correspondait à un hématome le long de la bandelette de Prolift® et qu’il avait considéré les deux scanners comme « normaux ». En concertation avec l’anesthésiste, il prescrivait un traitement associant du Solumédrol® « pour suspicion d’œdème cérébral » et de la Rocéphine® en maintenant la prophylaxie anti-thrombotique par Lovenox®.  
  • Le 25 juillet, sur les conseils d’un neurologue joint par téléphone, une IRM  est pratiquée, qui élimine le diagnostic de phlébite cérébrale, un instant évoqué. Néanmoins, une prescription de Mannitol était faite.  
  •  Les troubles de la conscience s’aggravent ainsi que les signes biologiques d’infection (leucocytose à 12900/mm3, CRP 436 mg/l) alors qu’apparaissent des signes d’atteintes rénale et hépatique. Localement, il existe un érythème du pubis et de la vulve (oedématiée) ainsi qu’un écoulement vaginal.  
  • Le 26 juillet, sur la demande de la famille qui a contacté un anesthésiste de leur connaissance, l’anesthésiste de la clinique accepte de transférer la patiente à l’hôpital public pour admission en service de neurologie (sans toutefois prendre d’accord avec les responsables).  
  • Aux urgences où la patiente n’était pas attendue, les médecins après avoir pris connaissance du dossier, examiné la patiente et demandé l’avis d’un gynécologue et d’un urologue, concluent rapidement à une « cellulite périnéale post intervention pour prolapsus ».  
  • Une antibiothérapie probabiliste associant Tazocilline® et Amiklin® est mise en route.   
  • Compte tenu de l’urgence à réintervenir mais en l’absence de place en chirurgie au centre hospitalier, le médecin des urgences téléphone au chirurgien de la clinique.  
  • Au terme de leur discussion, ce dernier donne son accord pour reprendre la patiente et la réopérer sans délai.  
  • Après avoir quitté les urgences entre 17 et 18 h, celle-ci arrive à la clinique entre 19h15 et 21h30 (avis discordants de la famille et de l’établissement).  
  • Mais le chirurgien, qui dit l’avoir attendue toute l’après-midi, avait alors quitté l’établissement.  
  • Ultérieurement, il explique avoir décidé de réintervenir le lendemain matin en prévoyant un éventuel passage en réanimation.  
  • Toutefois, le lendemain matin (avant la réintervention), il appelle le service de chirurgie du CHU pour lui proposer de prendre en charge la patiente puisqu’un transfert pour des séances d’oxygénothérapie hyperbare serait, de toute façon, nécessaire. Il lui est répondu que tous les blocs opératoires sont occupés et que, compte tenu de l’urgence, il doit opérer lui-même la patiente à la clinique avant de la transférer.  
  • Dès la fin de l’intervention, la patiente est transportée au CHU, intubée, ventilée et sédatée. A l’admission, un état de choc est constaté, nécessitant un remplissage vasculaire associé à la prescription d’amines pressives. Le scanner abdominal, réalisé dès que l’état de la patiente l’a permis, conduit à une nouvelle reprise chirurgicale en urgence avec débridement par aponévrotomie des deux cuisses et plusieurs incisions au niveau du périnée avec débridement des fosses ischio-rectales, de la loge pré-sacrée, des régions para-rectales et des régions inguinales, le tout associé à une colostomie.  
  • Des séances d’oxygénothérapie hyperbare sont débutées.  
  • L’évolution semble, dans un premier temps, lentement favorable, avec amélioration de l’état de conscience permettant l’extubation. Mais des complications infectieuses liées à la réanimation – notamment pulmonaires --surviennent, entraînant le décès de la patiente, le 19 août, dans un tableau de défaillance multiviscérale.

Saisine de la CRCI le 22 octobre 2012 par les ayants-droit de la patiente pour obtenir l’indemnisation du préjudice qu’ils avaient subi.

Analyse

Ce matériel est réservé à un usage privé ou d'enseignement. Il reste la propriété de la Prévention Médicale, et ne peut en aucun cas faire l'objet d'une transaction commerciale.

 

Jugement

Expertise (mars 2013)

 

Les experts, l’un chirurgien libéral compétent en gynéco-obstétrique et l’autre anesthésiste-réanimateur  du CHU, estimaient  que : « (…) La patiente était décédée d’une cellulite pelvienne (ou gangrène de Fournier) post-opératoire. Celle-ci était secondaire à la pose d’une prothèse synthétique pour une cure de prolapsus. Cette prothèse Prolift® avait été retirée du commerce aux Etats-Unis en mars 2012 par son fabricant. Les chirurgiens en avaient été avisés  par un courrier du fabricant en juin 2012  faisant état d’un retrait à effectuer, en France, au plus tard en mars 2013. Le risque infectieux, grave mais exceptionnel, n’était pas la cause de cet arrêt de commercialisation (…) » (voir Commentaires). De l’avis des experts, « (…) Il ne pouvait être reproché au chirurgien d’avoir utilisé ce matériel  et il y avait un risque rare de gangrène gazeuse dans toute     intervention  chirurgicale du petit bassin (0,2 à 0,4 %) (…) »

En fait, « (…) Le dommage résultait dans l’absence de prise en compte de la symptomatologie du 19  au 24 juillet, de l’absence de diagnostic de la cellulite du 24 au 26 juillet alors que tous les éléments de diagnostic étaient présents et de l’absence de réalisation d’un geste chirurgical le 26 juillet au retour du centre hospitalier qui devait être réalisé quelles que soit les conditions horaires.

Le 24 juillet, le compte-rendu du scanner abdominal décrivait bien ʺun épanchement GAZEUXʺ dans le rétro-péritoine et le pelvis. Cette constatation associée à un syndrome biologique infectieux important ainsi qu’à des douleurs pelviennes et des membres inférieurs, devait faire immédiatement penser à une cellulite grave, expliquant la confusion mentale et imposant une réintervention en urgence. En effet, la mortalité en cas de cellulite pelvienne, varie de 16 à 25 %, mais elle est d’autant plus élevée que la prise en charge chirurgicale est tardive  Or, le diagnostic évoqué par le chirurgien et l’anesthésiste a été celui d’accident vasculaire cérébral sans aucune  justification clinique, diagnostic, en outre, maintenu  malgré la normalité du scanner cérébral , et ayant même conduit à la prescription d’un corticoïde puissant en IV  qui ne pouvait qu’aggraver  la cellulite (…) »

Dans la survenue de cet accident médical fautif, les experts évaluaient  à 75% la responsabilité du chirurgien et à 25 % celle de l’anesthésiste. En revanche, ils ne relevaient aucune anomalie dans l’organisation de la clinique.

De même, ils estimaient que la prise en charge de la patiente au centre hospitalier  avait été adaptée en soulignant notamment «  une réelle confraternité pour le chirurgien qui a été contacté par téléphone pour savoir s’il était d’accord pour reprendre en charge sa malade ». 

 

Avis de la CRCI (mai 2013)

 

« (…) Au regard des examens radiologiques et biologiques réalisés le 24 juillet, le diagnostic de cellulite devait être posé. Il est établi que le chirurgien et l’anesthésiste n’ont pas tiré de conséquences des signes cliniques présentés par la patiente (écoulement vaginal, douleurs, rougeurs sur le pubis, hyperthermie..) et n’ont pas remis en cause le diagnostic neurologique évoqué. Ce comportement n’est pas conforme aux règles de l’art et aux données acquises de la science. Le décès de la patiente est directement imputable à ce retard de diagnostic et, par conséquent à ce retard de prise en charge (…) »

La CRCI estimait que la responsabilité du chirurgien était engagée  à hauteur de 75 % dans le décès de la patiente et celle de l’anesthésiste à hauteur de 25 %.

Commentaires

Dans un communiqué de presse publié le 5 juillet 2012, le laboratoire fabricant de la prothèse  utilisée dans cette observation avait annoncé l’arrêt de sa commercialisation, ainsi que celle  d’autres produits voisins : « (…)  Ces produits ne font pas l’objet d’un rappel  et nous continuons à faire totalement confiance à leur innocuité et à leur efficacité. La décision d’arrêter la distribution de ces produits est liée à leur viabilité commerciale face  à l’évolution actuelle de la dynamique du marché (…) » (référence 5). Des chirurgiens gynéco-obstétriciens ont  fortement contesté cette décision  prise unilatéralement  (références  5, 6).

A noter la publication  en 2010, d’une observation d’ « Erosion rectale d’une prothèse pour cure de prolapsus vaginal (Prolift®) ». Cette complication est survenue 5 mois après l’intervention pour prolapsus et s’est manifestée par des saignements dus à une ulcération sus-anale. Lors de la réintervention par voie transanale, la prothèse « visiblement trop longue », a pu être mobilisée jusqu’en tissu sain puis localement réséquée (référence 7).

A priori, la complication rapportée  par cette publication  n’apparaît pas avoir de lien avec l’observation présentée

Références

http://www.em-consulte.com/en/article/744148

http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21272434

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