Péritonite au décours d'une colectomie pour cancer recto-sigmoïdien

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Péritonite au décours d'une colectomie pour cancer recto-sigmoïdien - Cas clinique

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Une cascade de retards dans la prise en charge, entraînant le décès du patient.

  • Chirurgien
Auteur : La Prévention Médicale / MAJ : 17/06/2020

Cas clinique

  • Homme âgé de 73 ans au moment des faits (2011).  
  • Traité pour HTA par Tareg®. Notion d’un surpoids : 103 kg pour 1,80 m.  
  • Le 20 janvier 2011, coloscopie pour « rectorragies » intermittentes, apparues fin 2010 : plusieurs polypes coliques : 4 adénomes tubulo-villeux en dysplasie plus ou moins importante enlevés et une lésion suspecte de dégénérescence de la charnière recto-sigmoïdienne.  
  • Les biopsies pratiquées à ce niveau confirment l’existence d’un adénocarcinome bien différencié, infiltrant, au moins, en intra-muqueux. Le dosage de l’antigène carcino-embryonnaire est dans les limites de la normale (1,5 µg/l). Le scanner abdomino-pelvien et la radiographie thoracique ne décèlent pas de métastases à distance.  
  • Le 8 février, le patient consulte, en clinique, un chirurgien digestif qui lui confirme la nécessité d’une exérèse chirurgicale, si possible sous cœlioscopie. Le même jour, le patient signe un document reconnaissant qu’il a reçu une information satisfaisante concernant sa pathologie, la proposition thérapeutique et ses principaux risques.  
  • Le 15 mars, il subit une colectomie gauche partielle. « (…) Après une antibioprophylaxie par injection de 2 g d’Augmentin®, la libération du côlon et du rectum était amorcée par voie cœlioscopique. En raison de la morphologie du patient – en significatif surpoids--, l’intervention était terminée par une médiane sous-ombilicale. Le dysfonctionnement d’une pince à suture automatique obligeait à utiliser un deuxième chargeur sans que cela ne pose de problème technique significatif. L’étanchéité du moignon rectal était vérifiée avant la réalisation de l’anastomose colorectale avec une pince à suture automatique adéquate (…) » L’intervention était considérée comme s’étant déroulée sans problème.  
  • L’examen anatomo-pathologique confirme le diagnostic d’adénome lieberkuhnien « infiltrant focalement le tissu adipeux sous-séreux ». Absence d’adénopathies métastatiques sur la pièce opératoire.  
  • Le 15 mars, le soir de l’intervention, détresse respiratoire avec importante hypoxémie (étiologie?). Devant l’échec d’une ventilation non invasive au masque, le patient est sédaté pour être intubé et ventilé mécaniquement.  
  • En raison de cet incident, l’antibiothérapie par Augmentin (3 g/j), prévue pour 48 h, est poursuivie au-delà.
  • Le 18 mars au matin (J3), devant l’amélioration progressive des gaz du sang, le patient est extubé. Il émet quelques gaz mais se plaint de douleurs abdominales, parfois vives et son abdomen reste très météorisé. La lame de drainage abdominal ramène quelques centaines de ml d’un liquide séro-sanglant. On note une augmentation de la polynucléose à 18 200 /µl.  
  • Dans la nuit du 20 au 21 mars (J5-J6) vers minuit, le patient qui n’a pas émis de gaz et dont l’abdomen est toujours très tendu et algique, mais qui reste apyrétique, devient brutalement fébrile (39 3 °C), avec un aspect marbré des extrémités et un épisode confusionnel. Appliquant le protocole en vigueur dans la clinique en cas de pic thermique, le personnel infirmier réalise deux hémocultures et un examen cytobactériologique des urines (ECBU) mais ne prévient ni le chirurgien du patient qui était de garde, ni l’anesthésiste présent dans l’unité de soins continus (USC) de la clinique. 
  • Les examens pratiqués reviendront stériles (en dehors d’une hémoculture mettant en évidence un germe saprophyte cutané).  
  • Le 21 mars, vers 06 h 30, le patient est vu par un anesthésiste qui prescrit un scanner abdominal.  
  • Deux heures plus tard, le chirurgien l’examine et note un abdomen très tendu. Il fait poser une sonde naso-gastrique qui ramène un liquide fécaloïde abondant et constate que le liquide ramené par la lame abdominale est « louche ». Le scanner demandé par l’anesthésiste a lieu vers 13 h. Il objective un important pneumopéritoine, une collection intra-abdominale déclive et un important aspect inflammatoire des structures péri-rectales, le tout évoquant une péritonite par désunion anastomotique.  
  • Une heure plus tard, il est réalisé une opacification à la Gastrographine® qui confirme la fistule anastomotique par lâchage partiel de l’anastomose. Sans qu’on puisse en préciser l’heure, un examen écho-doppler est pratiqué pour éliminer une phlébite des membres inférieurs (?).  
  • A 19 heures, le chirurgien réintervient: « (…) Reprise de la médiane sous-ombilicale. Découverte d’une péritonite avec une collection prédominant dans la fosse iliaque droite et le flanc droit. Présence d’une colectasie intéressant le côlon droit et le côlon transverse justifiant une exsufflation avant la poursuite de l’exploration de la cavité abdominale. Confirmation d’une fistule anastomotique. Nettoyage de la cavité péritonéale et réalisation d’une dérivation colique d’amont en pratiquant une stomie en fosse iliaque gauche (…) ». L’opérateur ne juge pas utile d’explorer la cavité pelvienne « afin de ne pas majorer la déhiscence de la paroi colique ». La culture du liquide péritonéal mettait en évidence la présence d’entérocoques et de colibacilles.  
  • L’antibiothérapie pré-réintervention (3g/j d’Augmentin®) est complétée par de l’Oflocet® (400 mg/j) et du Tibéral® (1,5 g/j). A sa sortie du bloc, le patient, en état de choc septique, est admis dans l’USC de la clinique. Toujours sédaté, le patient est maintenu sous ventilation assistée. L’état de choc ne se corrige qu’imparfaitement malgré l’administration de Noradrénaline et de Dobutamine®. Une insuffisance rénale apparait (créatinémie à 23,4 mg/l).  
  • Le 23 mars au matin, environ 36 heures après la réintervention, le patient est transféré, compte tenu de la gravité de son état, dans le service de réanimation d’une clinique voisine. Le diagnostic d’admission est : « état de choc septique avec défaillance multiviscérale d’emblée sur péritonite stercorale ».  
  • Malgré la modification de l’antibiothérapie en fonction des résultats bactériologiques (Tazocilline®, Amiklin® puis Vancomycine®), l’état septique persiste. Un nouveau scanner ne montre pas de collection abdominale mais une pneumopathie bilatérale.  
  • A partir du 7 avril, apparait un ictère, vraisemblablement par cholestase bactérienne. Aucune amélioration n’est notée.  
  • Le 18 avril, un drainage par voie rectale d’une collection du Douglas est tenté en espérant un meilleur contrôle du sepsis.  
  • Mais le 19 avril, le patient décède, soit 28 jours après la réintervention.

Saisine de la CRCI le 1er mars 2011 par les ayants-droit du patient pour obtenir l’indemnisation du préjudice qu’ils avaient subi.

Analyse

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Jugement

Expertise (octobre 2012)

 

L’expert,  -  exerçant  la chirurgie générale, viscérale  et urologique en libéral — estimait  que « (…) L’indication de la colectomie partielle était  justifiée et que  le principe d’une intervention sous cœlioscopie,  si les conditions locales le permettaient, étaient conformes aux données actuelles, d’autant que le patient, dûment informé, avait donné son accord. L’antibioprophylaxie était conforme aux recommandations,  mais la préparation colique avait été faite par un régime sans résidu durant la semaine précédant l’intervention alors qu’il était préconisé actuellement une vidange colique par lavement. Le chirurgien avait agi selon les règles de l’art. Il avait utilisé une technique standard avec rétablissement immédiat de la continuité.  L’incident survenu en peropératoire n’avait eu aucune influence néfaste,  compte-tenu des vérifications  faites par l’opérateur.

La cause de la survenue de la désunion anastomotique ne trouvait pas son origine  dans un défaut technique. Elle était très certainement multifactorielle en lien avec l’incident respiratoire qui s’était produit dans les heures suivant l’intervention et qui avait entraîné une hypoxémie, la majoration de l’aération digestive lors des tentatives infructueuses  de ventilation non assistée au masque avant réintubation et l’utilisation prolongée de fortes doses de corticoïdes préjudiciables  au processus de cicatrisation. Cet incident respiratoire d’explication non évidente, n’avait aucun lien avec le geste chirurgical. Par ailleurs, la colectasie sus-anastomotique d’origine indéterminée, découverte lors de la réintervention, avait pu majorer les troubles circulatoires au niveau de l’anastomose. L’ensemble de ces éléments, en rapport avec l’état antérieur du patient conduisait à considérer la survenue de la désunion anastomotique comme un accident médical non fautif.

En revanche, la gestion médicale de cette complication avait été défectueuse et avait entraîné un retard à une prise en charge adéquate, constitutif d’une perte de chance sérieuse d’éviter les conséquences délétères d’un choc septique irrécupérable conduisant progressivement au décès.

Aucun médecin n’avait été appelé au moment du choc septique, ni le chirurgien pourtant de garde, ni même l’anesthésiste présent  24 /24 heures dans l’USC.

Celui-ci n’était intervenu que 6 heures 30 plus tard et avait prescrit un scanner abdominal pour dans la journée.

Moins de 2 heures plus tard, le chirurgien avait examiné le patient et avait suspecté une fistule colique, notamment devant la modification de l’aspect du liquide recueilli  par les drains abdominaux (devenu louche). Malgré une aggravation significative de l’état du patient (tachycardie, désaturation en oxygène malgré l’oxygénothérapie,…),  il se  limitait à confirmer la demande de  scanner sans tenter d’en avancer la réalisation.

Cet examen était pratiqué vers 13  h. Une heure plus tard alors que le scanner était déjà très évocateur d’une fistule digestive, une opacification basse à la Gastrogaphine® était réalisée, qui confirmait, évidemment, la rupture partielle de l’anastomose colo-rectale.

L’intervention qui s’imposait ne débutait  que vers 19 h, soit 18 heures après les premiers signes en faveur d’un état septique préoccupant.

En outre, c’est seulement  après cette réintervention,  qu’était administrée une  poly antibiothérapie, au surplus inadaptée à la situation.

Dans les suites immédiates de la réintervention, bien que l’aggravation du choc septique ait conduit à une défaillance multiviscérale, ce n’est que le 23 mars, soit le surlendemain que le patient était transféré dans un  véritable service de réanimation  où était  mise en place l’antibiothérapie recommandée.

L’accumulation de ces retards incombait , à la fois, au personnel infirmier de la clinique qui n’avait pas averti le personnel médical dès la survenue de l’aggravation du patient,  mais aussi au chirurgien qui n’avait pas réagi avec diligence en ne précipitant pas la réintervention et en attendant encore 72 heures après la réintervention, avant de transférer le patient dans un service de réanimation plus adapté à son état que l’USC où il était hospitalisé (…) »

L’expert  estimait à 66 % la perte de chance du patient d’échapper aux complications qui avaient entraîné  son décès.

 

Avis de la CRCI (février 2013)

 

La CRCI retenait l’ensemble des conclusions de l’expert, en  estimant que la clinique et le chirurgien étaient responsables, chacun pour moitié, de la perte de chance ayant entraîné le décès du patient.

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