Les australiens suivent, depuis 2012, une cohorte longitudinale de plus de 19 000 personnes dont la majorité sont citoyens australiens de plus de 70 ans, et une partie est américaine de plus de 65 ans. Cette cohorte, appelée ASPREE, est destinée à évaluer sur le long terme l’évolution de santé de la population, et notamment sa dégradation avec l’âge. Quels enseignements peut-on en tirer ?
Les personnes enrôlées dans la cohorte sont toutes sans pathologie cardio vasculaire, sans déficit cognitif, ni problème de santé majeur.
Elle fait suite à une autre, créée en 1996 pour l’étude longitudinale de la santé des femmes nées entre 1921 et 1926. Une sous cohorte issue de ASPREE et appelée ALSOP se destine plus particulièrement à l’analyse des dimensions médicales et sociales associées à l’entrée dans la pathologie de ces citoyens et leur suivi sur le grand âge.
Les résultats originaux de cet essai longitudinal multicentrique ASPREE, menée dans 50 sites en Australie et aux États-Unis, sont une source d'information très importante sur les personnes âgées en bonne santé (Mc Neil, 2019), une des meilleures au monde disponible à ce jour.
L’analyse de la cohorte (Neumann, 2022) comble une lacune sur le cheminement de santé des personnes vieillissantes en bonne santé de 70 ans ou plus (a) vers des états pathologiques intermédiaires (événements cancéreux, accidents vasculaires cérébraux, événements cardiaques, incapacités physique, démences) (b) puis vers le décès.
Globalement, Neumann (2022) montre qu'après un suivi médian de 4,7 ans (3·6–5·7), 80,6% (soit 15 398) des 19 114 participants (âge médian 74 ans [IQR 71· 6–77·7]) n'avaient pas encore fait de transition vers aucun état pathologique.
Dans le détail, 90,3 % des hommes de 75 ans restaient en bonne santé pendant encore 4,4 années. Et même 84,7 % des hommes de 85 ans restaient en moyenne en bonne santé pendant encore 3,89 ans.
Pour les femmes, les pourcentages sont encore plus élevés. 93,3 % des femmes de 75 ans restaient en bonne santé pendant 4,6 ans et 88 % des femmes de 85 ans restaient en bonne santé pendant 4,2 ans. Ce résultat est même inhabituel car les études antérieures ont plutôt suggéré que les femmes ont tendance à vivre avec des périodes d'invalidité plus longues que les hommes. Il pourrait s’agir d’un biais de survivant sain, probablement dû aux critères d'entrée dans l'étude.
À partir d'un état de santé initial, le taux de transition le plus élevé se fait vers le cancer, suivi de l'invalidité ou de la démence, puis des événements cardiaques, des accidents vasculaires cérébraux et du décès.
Le taux de transition d'un état sain à un cancer est significativement plus faible chez les femmes que chez les hommes (risque relatif 0,59). Le taux de transition du cancer au décès est le plus élevé, suivi du taux de transition au décès par accident vasculaire cérébral et événements cardiaques.
Les 1 849 participants chez qui on a diagnostiqué un cancer incident, représentent finalement 27,1 % des décédés de la cohorte totale. Ce résultat contraste avec les registres de décès qui suggèrent que les décès par cancer ne représentent environ que 15 % des décès dans le monde.
Rappelons que classiquement, les principales causes de décès dans le monde comprennent les cardiopathies ischémiques, les maladies cérébro-vasculaires, les cancers de la trachée, des bronches et du poumon, le diabète, les maladies obstructives broncho-pulmonaires et les infections des voies respiratoires inférieures, une situation qui ne devrait pas changer avant au moins 2030.
Une invalidité ou une démence est survenue chez 4,8 % des participants, et les accidents vasculaires cérébraux et les événements cardiaques ont été les principales causes de transition vers l'invalidité ou la démence. Les événements cardiaques et les accidents vasculaires cérébraux représentaient moins de 5 % des événements enregistrés et représentaient 12,1 % des décès dans cette cohorte d'étude. Ce faible taux contraste avec la forte mortalité par cancers.
Ces résultat sur cette cohorte, bien résumés par plusieurs articles récemment publiés dans le Lancet (Michel 2022, Neumann, 2022) nous confirment l’amélioration globale de la qualité de vie et du vivre en bonne condition de la population des pays riches dans cette longue période de vieillissement qui s’étale maintenant sur plus de 25 ans.
Elle nous apprend aussi les modalités d’entrées dans les pathologies et les types de pathologies concernées ainsi que leur incidence sociale, notamment vers la dépendance, et nous donne des outils de prospective pour ajuster le système de santé à ce que nous allons massivement observer aux alentours des années 2030 et suivantes (Mathers 2020).