Cancer intra-épithélial du canal anal sur une pièce d'hémorroïdectomie

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Cancer intra-épithélial du canal anal sur une pièce d'hémorroïdectomie - Cas clinique

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Le 26 août 2003, une femme de 43 ans consulte en urgence un chirurgien généraliste du CHU (en secteur privé) pour une « excroissance » et des douleurs anales. Ce praticien a été « recommandé » à la patiente par une de ses amies. Elle n’en a pas informé son médecin traitant.

  • Chirurgien
Auteur : La Prévention Médicale / MAJ : 17/06/2020

Cas clinique

  • Le diagnostic posé est celui de prolapsus hémorroïdaire avec thrombose.
  • Le 27 août, la patiente est hospitalisée et opérée: « Exérèse de quatre volumineux paquets hémorroïdaires à 1, 5, 9 et 11 h selon la technique du St MARKS Hospital ».
  • Le 28 août la patiente quitte l’hôpital.  
  • Le 9 septembre le compte-rendu anatomo-pathologique reçu par le chirurgien mentionne : « Néoplasie intra-épithéliale de haut grade. Marges d’exérèse chirurgicale atteintes latéralement et saines en profondeur. Il n’y a pas de signe d’atteinte virale associée, ni de micro-infiltration ».  
  • Elle revoit le chirurgien en consultation, à plusieurs reprises, jusqu’à la mi-octobre.  
  • Ce dernier l’informe des résultats anatomo-pathologiques en lui indiquant qu’il faudrait qu’elle se fasse surveiller mais sans préciser la stratégie de surveillance. Lors de l’expertise, il indique qu’en raison de l’éloignement du domicile de la patiente (plus de 100 km du CHU), il n’avait pas envisagé assurer cette surveillance. Par ailleurs, il n’avait pas demandé d’avis, notamment à un gastro-entérologue ou à un cancérologue sur la méthode et la périodicité de la surveillance. Un premier courrier contenant le compte-rendu opératoire avait été adressé au médecin traitant et, quelques jours plus tard, un second courrier avec le compte-rendu histologique.  
  • Le médecin traitant confirme, en cours d’expertise, qu’il avait « scanné » ce document dans le dossier de la patiente, mais « ne l’avait pas forcément lu » en raison de l’absence de consigne particulière du spécialiste.  
  • De son côté, la patiente dit qu’en l’absence de consigne spécifique, elle avait considéré que « sa pathologie était bénigne ».  
  • Après septembre 2003, elle revoit son médecin traitant à plusieurs reprises mais uniquement pour des problèmes concernant ses enfants.  
  • Ce n’est que le 7 décembre 2005 qu’elle le reconsulte pour une tumeur anorectale. La biopsie pratiquée par le gastro-entérologue auquel elle avait été immédiatement adressée, confirme le diagnostic de cancer du canal anal en raison du caractère épidermoïde de la lésion.  
  • La patiente est alors confiée à un radiothérapeute. La lésion est classée T3 : elle mesurait 2cm de haut, 1cm de large et 0,8cm d’épaisseur. Elle atteint la fourchette vaginale, occupait toute la hauteur du canal anal et remontait dans le bas-rectum. Un TEP Scan confirmait le caractère localisé de la lésion à l’anus avec, toutefois, une adénopathie pelvienne gauche. Du 9 janvier au 1er mars 2006, était réalisée une radiothérapie « transcutanée fractionnée classique » (dose délivrée : 45 Gy).  
  • Parallèlement, du 9 au 13 janvier, la patiente reçoit une première cure de chimiothérapie associant 5-FU, Cisplatyl® et Navelbine®.  
  • Une seconde cure de chimiothérapie a lieu du 6 au 10 février. Au décours de la radiothérapie sont constatées « une radio-épithélite et une radio-mucite de grade III ».  
  • L’examen clinique du 15 mars montre une disparition complète de la lésion et fait envisager la possibilité d’une endo-curiethérapie « en boucle » pour le surdosage nécessaire, selon le radiothérapeute, au contrôle de la maladie. Cette curiethérapie de surdosage est réalisée, avec une « chimio-sensibilisation par 5-FU », du 24 mars au 6 avril (dose totale cumulée : 68 Gy). Une nouvelle cure de chimiothérapie (5-FU, Mitomycine® ) est réalisée au décours.  
  • Dans les semaines suivantes se développe une nécrose périnéale surinfectée avec altération de l’état général (anémie à 3g /100ml d’hémoglobine), entraînant une hospitalisation en juillet pour transfusions sanguines et antibiothérapie.  
  • Le 15 décembre, constatation d’une sténose du canal anal associée à une radionécrose, traitée par 40 séances de caisson hyperbare.  
  • En février 2007, le radiothérapeute considère la cicatrisation comme presque complète. Toutefois, en raison de douleurs nécessitant le recours à la morphine et à la xylocaïne locale, associées à des pertes rectales, il était réalisé une colostomie iliaque gauche le 15 juillet.  
  • En février 2008, le radiothérapeute considère la maladie comme contrôlée (scanner Thoraco-Abdomino Pelvien normal).  
  • En janvier 2009, la patiente consulte un chirurgien universitaire, spécialiste de carcinologie digestive qui lui confirme que l’importance de la sclérose représente une contre-indication formelle à un rétablissement de la continuité.

Assignation du chirurgien généraliste et du médecin traitant par la patiente, en mars 2009, en réparation du préjudice qu’elle avait subi.

Analyse

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Jugement

Expertise (novembre 2009)

 

  • L’expert, chef du département de chirurgie d’un centre régional de lutte contre le cancer, estimait que l’intervention pratiquée en urgence par le chirurgien pour thrombose hémorroïdaire était indispensable et avait été réalisée selon les données acquises de la science. Les suites opératoires avaient été simples. L’expert remarquait que la pièce opératoire avait  été adressée en anatomo-pathologie, ce qui n’est pas « une recommandation absolue de la Société Française de Gastro-Entérologie » et il avait été mis en évidence un cancer intra-épithélial dont les marges d’exérèse n’étaient pas en zone saine. Selon lui, « (…) Il n’existait pas de consensus dans la littérature sur la prise en charge des lésions intra-épithéliales découvertes sur une pièce opératoire d’hémorroïdectomie. Une reprise chirurgicale est impossible car elle risque d’entraîner une sténose du canal anal. Une irradiation paraît excessive sur une lésion intra-épithéliale. La majorité des auteurs conseillent donc une surveillance régulière par un gastro-entérologue ou un proctologue pendant, au moins deux ans, à un rythme, au minimum, biannuel (…) ».

 

  • L’expert rappelait que le chirurgien avait conseillé à la patiente une surveillance sans en préciser le rythme, ni les modalités. Vu l’éloignement de son domicile, il avait estimé ne pas avoir à lui imposer un tel déplacement pour la suivre. Par ailleurs, il reconnaissait ne pas avoir discuté de ce dossier avec d’autres collègues. Pour sa part, le médecin traitant avait reçu les informations en deux temps et, en l’absence de consignes particulières, il n’avait pas prévu de suivi particulier et ce, d’autant plus, qu’il avait déclaré en cours d’expertise avoir classé le document histologique « possiblement sans l’avoir  lu ». L’expert concluait que : « Le devoir d’information n’avait pas été respecté que ce soit au niveau de la communication entre les médecins ou de l’information délivrée à la patiente ».

 

  • Cette dernière avait eu connaissance des résultats de l’examen anatomo-pathologique de la pièce opératoire. Si elle a revu son médecin traitant entre 2003 et 2005, il s’agissait de consultations pour ces enfants. Elle n’avait pas fait, alors, référence à son intervention et ne s’était pas plainte de troubles particuliers avant décembre 2005. Pour l’expert, « (…) le traitement aurait probablement été différent si le cancer avait été diagnostiqué plus tôt. On s’interroge cependant sur les raisons ayant conduit la patiente à attendre avant de consulter, alors qu’il n’est pas acceptable de croire qu’elle n’ait pas eu de symptômes avant décembre 2005, compte tenu de l’importance de la tumeur lors de son diagnostic (…) » En ce qui concernait la prise en charge de la patiente sur le plan carcinologique, « (…) Celui-ci avait  été conduit dans une option conservatrice du sphincter. Ce dossier n’avait pas fait l’objet d’une concertation pluridisciplinaire. L’option d’une amputation abdomino-périnéale aurait dû être proposée d’emblée après une irradiation à doses préopératoires associée à une chimiothérapie contenant deux produits. Les chimiothérapies utilisées, le type d’irradiation et notamment la curiethérapie, le recours au caisson hyperbare n’étaient pas en accord avec les données acquises de la science à l’époque où la patiente avait été traitée. Ces traitements n’ont pas empêché la confection d’une colostomie définitive et ont entraîné avant sa réalisation, une pathologie iatrogène majeure. L’état actuel du périnée ne permet en aucun cas d’envisager un rétablissement de la continuité digestive et ce, de façon définitive. La réalisation d’une amputation abdomino-périnéale après une irradiation préopératoire, aurait certes imposé une colostomie définitive mais aurait évité à la patiente deux ans de soins douloureux… Un diagnostic plus précoce, qu’aurait permis une surveillance plus attentive, aurait comporté également une association radio-chimiothérapique, mais n’aurait pas forcément évité la confection d’une colostomie définitive (…) ».

 

  • IPP évaluée à 40 %.

 

Tribunal de grande Instance (juin 2012)

 

  • Se fondant sur le rapport d’expertise, les magistrats estimaient que le chirurgien et le médecin traitant n’avaient pas rempli le devoir d’information qui leur incombait vis-à-vis de la patiente et que cette faute avait directement entraîné un retard de diagnostic, le cancer n’ayant été diagnostiqué qu’au stade T3 : « (…) Le préjudice de la patiente, lié à ce défaut d’information s’analysait en une perte de chance de voir diagnostiquer son cancer  à un stade moins avancé et de subir un traitement moins lourd et moins invalidant (…) ».

 

  • Le chirurgien ayant déposé une demande en garantie à l’encontre du radiothérapeute en évoquant les reproches que lui avait faits l’expert, les magistrats  soulignaient que : « (…) La patiente n’avait pas souhaité mettre en cause ce dernier dont elle considérait qu’il était le seul à l’avoir réellement soignée … En outre, le radiothérapeute et la patiente avaient produit un ensemble d’articles publiés entre 2000 et 2005 qui n’étaient pas favorables à la solution chirurgicale de première intention proposée par l’expert et contredisaient l’affirmation de celui-ci selon laquelle les soins prodigués par le radiothérapeute n’auraient pas été conformes aux données acquises de la science (…) ». Pour ces raisons, ils déboutaient le chirurgien de sa demande de garantie.

 

  • Le tribunal jugeait que le défaut d’information imputable au chirurgien et au médecin traitant  avait entraîné, pour la patiente, une perte de chance d’un diagnostic plus précoce de son cancer, qu’il évaluait à 40 % et les condamnait  à l’indemniser  in solidum  (chacun pour moitié).

 

  • Indemnisation de 310 000 €.