Défaut d'anticipation fatal au bloc opératoire

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Défaut d'anticipation fatal au bloc opératoire

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L’anticipation est une règle en anesthésie. Si le pire n’est pas certain, il est toujours possible et la rigueur constante doit permettre d’éviter des événements aux conséquences dramatiques.

Auteur : le Pr Jean-Claude Granry / MAJ : 30/06/2021

Anamnèse

Monsieur P., âgé de 58 ans, est admis en préopératoire dans une clinique chirurgicale pour une réparation arthroscopique d’une rupture de la coiffe des rotateurs concernant l’épaule gauche. Il présente à ce niveau des douleurs chroniques et intenses depuis plusieurs semaines, non calmées par les traitements médicamenteux (AINS). L’IRM a mis en évidence une rupture quasi-totale des tendons de la coiffe.

Lors de la consultation pré anesthésique réalisée une semaine auparavant (par un médecin Anesthésiste Réanimateur – AR - remplaçant), il est noté :

  • Obésité sévère (poids 120 kg, IMC non calculé)
  • HTA non traitée, pas d’antécédents anesthésiques
  • Critères d’intubation difficile (cou court et gros ; classe de Mallampati évaluée à 3 ; macroglossie)

A retenir que "le patient insiste pour avoir une anesthésie générale".


Le jour de l’intervention, admission du patient d’abord en SSPI pour une oxygénation par voie nasale ; injection de cefazoline (4 g intraveineux).

Après une heure, transfert du patient au bloc opératoire.

A l’arrivée, le patient est conscient mais très anxieux. La SpO2 est à 100 %. En raison des critères d’intubation difficile, il est prévu une vidéo-laryngoscopie (McGrath). Le matériel est installé mais non vérifié.

Après oxygénation au masque, l’anesthésie est débutée : injection de 450 mg de propofol, 50 mg de kétamine, 200 mg de célocurine. Lors de l’introduction du vidéo laryngoscope, celui-ci ne fonctionne pas. Plusieurs tentatives de ventilation au masque sont alors réalisées sans succès. Un masque laryngé est mis en place mais la ventilation à l’Ambu en O2 pur n’est pas efficace. Une tentative de laryngoscopie avec l’Airtraq est réalisée par une deuxième personne (IADE) appelée en renfort car le premier ne maîtrise pas la technique, mais l’intubation endotrachéale ne peut être effectuée. Le monitorage ECG objective alors une bradycardie associée à une élévation du segment ST.

Une injection d’atropine + adrénaline est réalisée immédiatement, suivie d’un massage cardiaque. L’intubation endotrachéale est réussie à la 4e tentative avec l’AirTraq (2e médecin AR). Le massage cardiaque externe et des injections d’adrénaline sont poursuivis mais on observe rapidement une tachycardie ventriculaire puis une fibrillation ventriculaire. Deux chocs électriques externes sont pratiqués permettant l’obtention d’une bradyarythmie.

A l’arrivée du collègue de l’USC : mise en place de l’adrénaline en pousse seringue, d’un cathéter artériel et pose d’une sonde vésicale. Le patient est ré intubé par voie nasotrachéale sous contrôle fibroscopique. Le patient présente une mydriase bilatérale aréactive (mais injections d’atropine). Le transfert vers le CHU de référence est organisé en réanimation chirurgicale.

Les manœuvres de réanimation sont poursuivies mais l’angioscanner et deux EEG successifs sont en faveur d’une hypoperfusion cérébrale majeure. Le patient décédera après 72 heures d’hospitalisation.

Le diagnostic retenu est celui d’une hypoxie majeure lors de l’induction anesthésique par défaut de ventilation efficace et "possible décompensation cardiaque avec troubles du rythme cardiaque, en lien probable avec l’hypoxémie majeure et l’hypotension induite par les drogues d’anesthésie".

Les conséquences sont dramatiques puisqu'elles aboutissent à la mort du patient pour une intervention a priori peu à risque. La famille envisage d'emblée le dépôt d'une plainte.

Analyse des causes

CAUSE IMMÉDIATE

Hypoxémie majeure par défaut de ventilation efficace lors de l’induction d’une anesthésie générale. Troubles du rythme cardiaque en rapport avec une souffrance myocardique non réversible malgré les manœuvres de réanimation habituelles.

CAUSES PROFONDES


BARRIÈRE QUI A DÉTECTÉ L'INCIDENT

  • Atténuation : aucune

BARRIÈRES QUI N'ONT PAS FONCTIONNE ET QUI ONT PERMIS L'INCIDENT

  • Prévention : absence de vérification des matériels sur place et absence de matériels adéquats (fibroscope, set de cricothyroidotomie). A noter que le point 5 ("Équipement et matériels sont vérifiés") de la check-list HAS "Sécurité du patient au bloc opératoire" n'a pas été renseigné.
  • Récupération : absence de briefing pré anesthésique et absence d'aide sur place lors de l'induction anesthésique.

Les pistes de réflexion et/ou d'amélioration

Sur la communication entre professionnels au sein de l'établissement de santé :

  • Organiser des réunions formalisées et régulières, pluriprofessionnelles pour l’étude des dossiers de patients complexes ou à risque.
  • Au cours de ces mêmes réunions, prévoir des séances de mise à jour des protocoles et/ou de rappel de ceux-ci (anesthésie du patient obèse, intubation difficile, prise en charge de l’arrêt cardio circulatoire ; utilisation de matériel spécifique - en particulier quand ils sont rarement utilisés).
  • Envisager des programmes de formation sur ces thèmes (séances de simulation).

Sur l'organisation du travail :

  • Présence systématique d’un chariot "Intubation difficile" lors de la prise en charge de patients identifiés à risque. Le contenu du chariot doit correspondre aux recommandations (SFAR) et l’équipe doit s’entraîner régulièrement à la manipulation des matériels et à leur vérification systématique.
  • La formation des professionnels doit également envisager la gestion des situations d’urgence en équipe au bloc opératoire. Les responsables institutionnels se doivent d’être partie prenante.
  • Les dossiers des patients vus en consultation par des médecins remplaçants doivent systématiquement être revus par les médecins AR titulaires de l’établissement.
  • Une aide doit être prévue lors de l’induction anesthésique d’un patient à haut risque.

Sur la qualité de vie au travail :

  • L’accompagnement psychologique des professionnels confrontés à ce type de situation doit être organisé.

Sur le respect de la volonté du patient :

  • Le patient doit être informé lors de la consultation pré anesthésique des différentes techniques envisageables en termes de bénéfices et de risques.
  • Si le patient insiste malgré les informations objectives apportées, il importe de respecter son choix.
  • Il est indispensable que tous ces éléments soient notés avec précision dans le dossier médical.

En conclusion

Dans ce type d’accident dramatique, tout doit être fait pour que des actions d’amélioration soient mises en place, concernant avant tout la formation (connaissances et compétences) mais aussi l’organisation du travail (facteurs humains, respect des protocoles, réunions briefing-débriefing…).

Pour aller plus loin

  • Anesthésie des patients obèses en dehors de la chirurgie bariatrique. J.E. Bazin Le Congrès Médecins. Les Essentiels ; 2012 SFAR
  • Intubation difficile et extubation en anesthésie chez l'adulte. Anesth Reanim. 2017 ; 3 : 552–571
  • Check-List « Sécurité du patient au bloc opératoire » - www.has-sante.fr