L’anticipation est une règle en anesthésie. Si le pire n’est pas certain, il est toujours possible et la rigueur constante doit permettre d’éviter des événements aux conséquences dramatiques.
Monsieur P., âgé de 58 ans, est admis en préopératoire dans une clinique chirurgicale pour une réparation arthroscopique d’une rupture de la coiffe des rotateurs concernant l’épaule gauche. Il présente à ce niveau des douleurs chroniques et intenses depuis plusieurs semaines, non calmées par les traitements médicamenteux (AINS). L’IRM a mis en évidence une rupture quasi-totale des tendons de la coiffe.
Lors de la consultation pré anesthésique réalisée une semaine auparavant (par un médecin Anesthésiste Réanimateur – AR - remplaçant), il est noté :
A retenir que "le patient insiste pour avoir une anesthésie générale".
Le jour de l’intervention, admission du patient d’abord en SSPI pour une oxygénation par voie nasale ; injection de cefazoline (4 g intraveineux).
Après une heure, transfert du patient au bloc opératoire.
A l’arrivée, le patient est conscient mais très anxieux. La SpO2 est à 100 %. En raison des critères d’intubation difficile, il est prévu une vidéo-laryngoscopie (McGrath). Le matériel est installé mais non vérifié.
Après oxygénation au masque, l’anesthésie est débutée : injection de 450 mg de propofol, 50 mg de kétamine, 200 mg de célocurine. Lors de l’introduction du vidéo laryngoscope, celui-ci ne fonctionne pas. Plusieurs tentatives de ventilation au masque sont alors réalisées sans succès. Un masque laryngé est mis en place mais la ventilation à l’Ambu en O2 pur n’est pas efficace. Une tentative de laryngoscopie avec l’Airtraq est réalisée par une deuxième personne (IADE) appelée en renfort car le premier ne maîtrise pas la technique, mais l’intubation endotrachéale ne peut être effectuée. Le monitorage ECG objective alors une bradycardie associée à une élévation du segment ST.
Une injection d’atropine + adrénaline est réalisée immédiatement, suivie d’un massage cardiaque. L’intubation endotrachéale est réussie à la 4e tentative avec l’AirTraq (2e médecin AR). Le massage cardiaque externe et des injections d’adrénaline sont poursuivis mais on observe rapidement une tachycardie ventriculaire puis une fibrillation ventriculaire. Deux chocs électriques externes sont pratiqués permettant l’obtention d’une bradyarythmie.
A l’arrivée du collègue de l’USC : mise en place de l’adrénaline en pousse seringue, d’un cathéter artériel et pose d’une sonde vésicale. Le patient est ré intubé par voie nasotrachéale sous contrôle fibroscopique. Le patient présente une mydriase bilatérale aréactive (mais injections d’atropine). Le transfert vers le CHU de référence est organisé en réanimation chirurgicale.
Les manœuvres de réanimation sont poursuivies mais l’angioscanner et deux EEG successifs sont en faveur d’une hypoperfusion cérébrale majeure. Le patient décédera après 72 heures d’hospitalisation.
Le diagnostic retenu est celui d’une hypoxie majeure lors de l’induction anesthésique par défaut de ventilation efficace et "possible décompensation cardiaque avec troubles du rythme cardiaque, en lien probable avec l’hypoxémie majeure et l’hypotension induite par les drogues d’anesthésie".
Les conséquences sont dramatiques puisqu'elles aboutissent à la mort du patient pour une intervention a priori peu à risque. La famille envisage d'emblée le dépôt d'une plainte.
CAUSE IMMÉDIATE
Hypoxémie majeure par défaut de ventilation efficace lors de l’induction d’une anesthésie générale. Troubles du rythme cardiaque en rapport avec une souffrance myocardique non réversible malgré les manœuvres de réanimation habituelles.
CAUSES PROFONDES
BARRIÈRE QUI A DÉTECTÉ L'INCIDENT
BARRIÈRES QUI N'ONT PAS FONCTIONNE ET QUI ONT PERMIS L'INCIDENT
Sur la communication entre professionnels au sein de l'établissement de santé :
Sur l'organisation du travail :
Sur la qualité de vie au travail :
Sur le respect de la volonté du patient :
Dans ce type d’accident dramatique, tout doit être fait pour que des actions d’amélioration soient mises en place, concernant avant tout la formation (connaissances et compétences) mais aussi l’organisation du travail (facteurs humains, respect des protocoles, réunions briefing-débriefing…).
Pour aller plus loin