Un accouchement dystocique : paralysie du plexus brachial du nouveau-né évitable ?

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Un accouchement dystocique : paralysie du plexus brachial du nouveau-né évitable ?

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  • Un nouveau-né à l'hôpital

Analyse de la prise en charge d'un accouchement dystocique chez une patiente primipare présentant une obésité modérée et un diabète gestationnel déséquilibré avec retentissement fœtal.

Auteur : Anaïs COHEN, Sage-femme responsable du secteur naissance - Hôpital Saint-Joseph (Paris) / MAJ : 03/06/2021

Cas clinique

Présentation du contexte et de la problématique

Mme F. est une patiente de 30 ans, enceinte de son premier enfant, suivie à la maternité depuis le terme de 15 semaines d'aménorrhée (SA).

  • Dans ses antécédents médicaux, sont relevés une obésité modérée, IMC = 32 (Indice de Masse Corporelle), et un épisode de pyélonéphrite aiguë.
  • Dans les antécédents familiaux, on note une hypertension artérielle chez son père.
  • Sur le plan gynécologique, son suivi est régulier depuis l’âge de 16 ans, le dernier frottis cervico-vaginal datant de moins d’un an est normal. Sur le plan obstétrical.

Déroulement de la grossesse

Mme F. a effectué sa première consultation à 15 SA à la maternité, et a exprimé le souhait d’un suivi en interne pour la suite. La sage-femme (SF) qui l’a reçue en première consultation a noté le diagnostic d’un diabète gestationnel très précoce, et l’a orientée vers un suivi physiologique à la maternité (suivi SF), avec un atelier en diabétologie prévu avant la prochaine consultation ainsi qu’une prescription d’auto-surveillance des glycémies capillaires pré et post-prandiales. L’échographie du premier trimestre est normale.

La deuxième consultation a lieu à 20 SA, sans particularité relevée, le diabète gestationnel est contrôlé avec un régime adapté. Mme F. poursuit sa surveillance des glycémies capillaires et consulte une diététicienne une fois par semaine.

La troisième consultation de suivi est faite à 24 SA +2j, le diabète est bien équilibré, et l’échographie du deuxième trimestre est normale, avec des biométries fœtales aux alentours du 30e percentile.

A la consultation de 28 SA +3j : l’examen obstétrical est normal, et le diabète bien équilibré dans l’ensemble avec quelques glycémies post-prandiales au-dessus de la normale.

A 33 SA +2j : l’échographie du troisième trimestre est normale, les biométries fœtales sont au 56e percentile. Mme F. présente une hauteur utérine à 35 cm (élevée pour le terme), et signale des vomissements et nausées depuis 3 jours. Son relevé de surveillance glycémique montre des glycémies capillaires très perturbées. Le diabète n’est plus équilibré avec le régime recommandé en début de grossesse. La SF réadresse Mme F. au médecin diabétologue.

Elle est admise en hospitalisation de jour le lendemain, avec introduction d’insuline rapide afin de rééquilibrer le diabète. Mme F. est reconvoquée une semaine après.

A 34 SA +3j : lors de l’hospitalisation de jour en diabétologie, Mme F. rapporte qu’elle saute certains repas, et qu’elle boit 3 à 6 litres par jour. Le diagnostic de diabète insipide est évoqué. L’insuline rapide est augmentée et elle est traitée par Minirin® (pour la régulation de l’eau du corps). A l’échographie de contrôle, on constate une suspicion de macrosomie, les biométries fœtales étant au 95e percentile.

Mme F. est hospitalisée dans le service des grossesses à haut risque (GHR) pour surveillance maternelle et fœtale. Elle y reste 4 jours et rentre chez elle, les glycémies étant aux objectifs demandés par le diabétologue, les entrées et sorties d’eau étant contrôlées et normales et la surveillance fœtale est normale.

A 35 SA +3 j : au cours d’une hospitalisation de jour en GHR programmée, la surveillance maternelle est satisfaisante, avec des glycémies équilibrées sous insuline, le Minirin® est arrêté. L’enregistrement du rythme cardiaque fœtal (RCF) est normal. Mme F. est autorisée à rentrer chez elle avec des rendez-vous bihebdomadaires aux explorations fonctionnelles, une consultation en diabétologie 1 semaine après, une échographie de croissance et un RDV avec un obstétricien à 37 SA.

A 37 SA : l’échographie faite par un obstétricien montre un fœtus macrosome au 95e percentile (estimation du poids à 4000 g). Dans la conclusion, il est noté : indication à une maturation cervicale entre 38 et 39 SA selon le protocole du service. Il n’y a pas de trace de consultation de suivi dans le dossier à 37 SA.

La surveillance aux explorations fonctionnelles est poursuivie, et relève des glycémies équilibrées, et une hauteur utérine entre 35 et 37 cm. La patiente est vue à chaque fois par une sage-femme. La maturation est programmée à 38 SA +3 en accord avec la patiente.

Il n’y a pas notion d’entretien réalisé aux explorations fonctionnelles, avec un médecin, sur les bénéfices et risques de la maturation proposée dans le contexte de diabète gestationnel sous insuline avec retentissement fœtal.

Le jour de la maturation : Mme F. est accueillie par une sage-femme de salle de naissance. La hauteur utérine est mesurée à 37 cm, le RCF est normal, et le col est défavorable pour un déclenchement à l'ocytocine.

Le chef de garde indique par téléphone une maturation cervicale par dispositif intra-vaginal de Dinoprostone (Propess®). La prescription informatique est notée dans le dossier par l’interne de garde. La pose du dispositif a lieu vers 9 h 30.

La surveillance du RCF est réalisée régulièrement selon le protocole du service, dans le service de GHR où est prise en charge la patiente en attendant le début du travail. Mme F. se met en travail 15 heures après le début de la maturation.

Elle est admise en salle de naissance à 00 h 30 par une sage-femme, et l’analgésie péridurale est posée. Le col est alors effacé, souple dilaté à 2 cm, avec une présentation céphalique peu sollicitante. Le travail se déroule normalement, avec une dilatation harmonieuse, sans introduction d’ocytocine.

A 8 cm : la sage-femme note qu’il y a une bosse sérosanguine sur la présentation céphalique. Le début des efforts expulsifs se fait à 6 h 50, la présentation est notée engagée partie moyenne, avec bosse sérosanguine en partie basse. Le chef de garde est sur place.

A 7 h 00 : la SF constate avec l’obstétricien de garde une difficulté au dégagement du pôle céphalique ("aspiration de la face") suivie d’une dystocie des épaules. Le pédiatre de garde et l’anesthésiste sont immédiatement appelés.

La sage-femme effectue la manœuvre de Mac Roberts et une tentative de Jacquemier sans succès. Il y a une injection de trinitrine pour favoriser le relâchement utérin. Le chef obstétricien effectue une manœuvre de Jacquemier à son tour, sans succès.

Une deuxième sage-femme, venue en renfort, fait une tentative de manœuvre, puis le chef obstétricien lors d’une quatrième tentative parvient à dégager le bras postérieur puis le fœtus.
La naissance a lieu à 7 h 21. La délivrance est dirigée et complète, les pertes totales estimées à 400 ml.

Le pH au sang de cordon est à 6,75, les lactates à 20. L’enfant pesant 4500 g est né en état de mort apparente, score d’Apgar à 0, et est pris en charge immédiatement en salle de réanimation néonatale par l’équipe pédiatrique. L’intubation trachéale est réalisée sans délai. La ventilation est débutée.

A M2-M4 le cathéter ombilical est mis en place.
A M4 l’adrénaline est injectée, et le massage par compression thoracique est débuté.
A M5 la fréquence cardiaque est supérieure à 100.
A M7 une deuxième dose d’adrénaline est injectée pour bradycardie.
A M9 les compressions thoraciques sont arrêtées.

Le nouveau-né est transféré dans un service de réanimation néonatale à 1 heure de vie en hypothermie cérébrale.

Les suites de naissance seront normales sur le plan clinique pour Mme F.

Pour le nouveau-né, l’IRM cérébrale à 1 semaine de vie est sans anomalie, mais le bras gauche n’est pas mobile, ce qui est en faveur d’une paralysie du plexus brachial, suite aux complications de l’accouchement. Un suivi sera organisé afin de suivre son évolution sur le plan neurologique et sur la récupération ou non de l’usage de son bras gauche.

Méthodologie et analyse succincte

L’équipe médicale et la cadre du service ont souhaité une analyse de cette EIG dans le cadre d’une démarche de gestion des risques, car les conséquences de cet accident sont graves pour le nouveau-né et ses parents.

Les données analysées proviennent des éléments recueillis au préalable auprès des professionnels de santé qui sont intervenus dans la prise en charge : recueil réalisé lors d’entretiens individuels, analyse de documents et relecture du dossier par la cadre du secteur et les professionnels concernés.

Cause immédiate

Accouchement dystocique chez une primipare avec obésité modérée et diabète gestationnel sous insuline, avec retentissement fœtal, le fœtus étant suspecté de macrosomie au 95e percentile.

Causes profondes

 

Les conséquences pour la patiente sont nombreuses :

  • Un accouchement dystocique, qui a duré 20 minutes en situation d’urgence.
  • Le nouveau-né aura très probablement des séquelles lourdes, conséquences directes de l’asphyxie per-partale et des manœuvres obstétricales pratiquées lors de l'accouchement.
  • Le vécu peut être traumatisant pour la femme et son conjoint.
  • Le couple a exprimé le ressenti de ne pas avoir eu toutes les informations en anténatal pour appréhender et comprendre la situation rencontrée.
  • Le risque de dystocie des épaules n’a pas été clairement exposé à leurs yeux.

Après l’analyse de cet Événement Indésirable Grave (EIG), un focus sur les différentes barrières mises en place est réalisé pour déterminer celles qui ont fonctionné et celles qui ont été déficientes.

Dans ce cas clinique, les problématiques principales à prendre en compte sont l’orientation et la réorientation en cours de grossesse des femmes, pour leur suivi lorsqu’elles présentent plusieurs facteurs de risque de complications obstétricales, même lorsqu’ils sont découverts tardivement pendant la grossesse ; la prise en charge dans une filière spécifique des femmes obèses et la délivrance d’informations éclairées en amont d’une situation d’extrême urgence.

Analyse des barrières

Discussion - Pistes de réflexion et/ou d'amélioration

Orientation de suivi des patientes à risques

Le suivi des femmes enceintes en maternité est organisé en deux filières : grossesse physiologique (suivi sage-femme) ou grossesse à risques (suivi médecin).

De par le champ de compétences des sages-femmes limité à la physiologie, les femmes présentant des facteurs de risques de complication obstétricale doivent être orientées vers un médecin. Le diabète gestationnel avec retentissement fœtal est un facteur de risques de complication pour la grossesse et l’accouchement.

Dans cette maternité, le suivi du diabète gestationnel est organisé conjointement entre le service de diabétologie et le service des grossesses à risques.

La surveillance effectuée aux explorations fonctionnelles est une surveillance complémentaire au suivi de grossesse. La sage-femme effectuant cette surveillance doit rester dans son champ de compétences et demander l’avis à un médecin pour les conduites à tenir lors du suivi des grossesses pathologiques.

Concernant la surveillance des femmes obèses, la HAS recommande un suivi en maternité pour les femmes obèses, surtout en cas d’obésité morbide.

La surveillance de ces femmes enceintes dans une filière spécifique, les identifiant dans une filière de grossesses à risques est en cours de réflexion dans la maternité présentée.

Concernant l'information à donner à la patiente

L’information donnée aux femmes présentant un diabète gestationnel comporte plusieurs axes. Il faut aborder la grossesse, avec l’organisation du suivi et la surveillance materno-fœtale adaptée.

Il faut également aborder les risques qui découlent d’un diabète gestationnel ayant un retentissement fœtal, notamment les risques de malformation, de mort fœtale in utero, d'hypoglycémies chez le nouveau-né et de dystocie des épaules en cas de macrosomie suspectée.

Des feuilles d’information sont rédigées et sont normalement délivrées lors des consultations de suivi.

Le couple rapporte ne pas avoir mesuré entièrement les risques de complications à l'accouchement, par manque d’information en anténatal.

Conclusion

L’étude de cet EIG a permis de vérifier si des zones de vulnérabilité dans cette prise en charge pouvaient être corrigées.

Les barrières d’atténuation ont fonctionné mais en situation d’extrême urgence.

La dystocie des épaules est une situation obstétricale redoutée de toutes les équipes et toutes les barrières de prévention doivent être mises en œuvre en anténatal pour l’éviter.

Elles auraient permis une orientation de la parturiente dans la filière pathologique.

Pour aller plus loin