Une erreur de côté en chirurgie orthopédique

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Une erreur de côté en chirurgie orthopédique

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  • check-list au bloc opératoire

Une erreur de côté qui aurait dû être évitée si la check-list de sécurité au bloc opératoire, proposée par la Haute Autorité de Santé et définie comme Pratique Exigible Prioritaire depuis 2010, avait été utilisée comme il se doit…

Auteur : Bruno FRATTINI – Cadre Supérieur de Santé IADE – Expert en prévention des risques - MACSF / MAJ : 15/04/2022

Présentation du contexte

Mr F., 16 ans, chute lors d’une séance sportive au lycée, et plus précisément lors d’un match de volley-ball… Une mauvaise réception lors d’un saut en extension provoque un traumatisme de la cheville droite.

Ce jeune patient consulte aux urgences où une entorse grave du ligament latéral externe (LLE) est diagnostiquée. Une immobilisation plâtrée est proposée et réalisée : il s’agit d’une botte sans appui qui sera conservée 24 jours.

Dans les suites de cette immobilisation, des séances de rééducation proprioceptive de la cheville sont prescrites et effectuées, soit près d’une trentaine de séances.

Le jeune homme consulte son médecin traitant dans les suites des séances de kinésithérapie devant une instabilité douloureuse sans notion de récidive de l’entorse. Le praticien prescrit une échographie qui retrouve une probable rupture du LLE. Une Imagerie par Résonnance Magnétique (IRM) est également réalisée qui montre une rupture des faisceaux antérieur et moyen du LLE sur son versant malléolaire externe, sans lésion cartilagineuse.

Le jeune patient est alors orienté vers un chirurgien orthopédiste. Le praticien note lors de l’interrogatoire que Mr F. a été victime à plusieurs reprises d’entorses de la cheville droite, avec à chaque fois un traumatisme en varus.

L’examen clinique retrouve des douleurs diffuses péri-malléolaires externes, sans douleur interne associée à une laxité en varus. Pas de douleur sur le reste du pied. Les mobilités sont reconnues normales.

Le praticien propose alors une ligamentoplastie anatomique sous arthroscopie associée à une cure de conflit antéro-externe. Ce traitement chirurgical est retenu par le jeune patient et ses parents. L’information sur les risques et les suites opératoires attendus et potentiellement non attendus est donnée.

La consultation pré-anesthésique ne relève aucune contre-indication. Il est proposé de réaliser cette intervention sous anesthésie générale, protocole accepté par l’intéressé, ainsi que le principe d’un parcours ambulatoire.

On note dans le dossier qu’aucune dépilation, ni marquage du membre à opérer n’a été demandé.

Le jeune patient est admis en secteur ambulatoire, il est préparé pour l’intervention chirurgicale par l’équipe soignante, puis transféré vers le Bloc Opératoire par le brancardier.

A son arrivée au sein du plateau médicotechnique, il est installé en sas d’induction et accueilli par le Médecin Anesthésiste Réanimateur (MAR). Il bénéficie de l’entretien pré-opératoire attendu par l’infirmier de salle d’opératoire en présence du MAR : identité confirmée (bracelet d’identification), côté à opérer (Droit) confirmé, jeûne, allergies… Le 1er temps de la check-list est alors validé !!

Le jeune patient est installé en salle, l’induction anesthésique est réalisée, et après l’installation chirurgicale, le patient bénéficie de l’intervention chirurgicale.

L’intervention chirurgicale est réalisée sans difficulté, le malade est réveillé, et transféré en Salle de Surveillance Post-Interventionnelle.

C’est à ce moment que le jeune homme signale qu’il n’a pas été opéré du bon côté : "c’est normal que j’aie mal à la cheville gauche, alors que je devais me faire opérer de la cheville droite ?"…

Le chirurgien et le MAR sont alors prévenus de l’erreur de côté. La mère, qui a accompagné son fils, est immédiatement prévenue… le chirurgien reconnait les faits, explique que le geste n’a pas été interrompu en per-opératoire car la cheville gauche présente des lésions compatibles avec le diagnostic posé.

Le jeune homme sort le soir même, comme prévu, avec une botte de marche pour 45 jours. L’appui est autorisé, des antalgiques et une anticoagulation préventive sont prescrits pour une durée de 45 jours également.

Les consultations post-opératoires montrent une évolution favorable sur le plan local (cicatrices propres, mobilisation peu douloureuse…). 

Une médiation est organisée 3 mois plus tard…

Les suites montrent une hypoesthésie persistante de la face dorsale du pied… et le malade se plaint d’une instabilité de sa cheville lors des exercices sportifs…
Le jeune patient bénéficie d’une ligamentoplastie de la cheville droite réalisée par un autre praticien 2 mois plus tard, soit 5 mois après l’intervention précédente. Les suites seront simples avec une bonne évolution fonctionnelle.

Conséquences

Cette erreur de côté a eu comme conséquences :

  • Une inquiétude du patient, ainsi que des parents, sur les impacts de cette chirurgie inutile.
  • Un nombre de séances de rééducation plus important que prévu (30 au lieu des 10 prescrites initialement).
  • Une médiation à organiser pour un événement indésirable difficilement explicable au patient et à ses parents.
  • Un vif mécontentement des parents au vu des suites observées, et notamment une hypoesthésie persistante de la face dorsale du pied.
  • Une seconde intervention à organiser : les parents choisiront un autre praticien et un autre établissement, ce fait montrant la perte de confiance de la famille envers l’équipe qui a pris en charge le jeune homme.
  • Un second arrêt de scolarité (patient lycéen) considéré comme inutile par la famille.
  • A passé son bac 1 an plus tard, mais n’a pas pu passer son option sportive dans de bonnes conditions.
  • Une demande d’indemnisation engagée par la famille dans le cadre d’une procédure civile, qui aboutira à une condamnation en faveur du jeune patient.

Analyse des causes

L’exploitation de la fiche de déclaration d’événement indésirable par le groupe de professionnels chargé de la veille a retenu leur attention : cette erreur de côté questionne les professionnels de santé du COVIRIS qui souhaitent connaitre les raisons qui ont conduit à cet incident, les comprendre et trouver éventuellement des actions de prévention à mettre en place pour éviter que cela ne se reproduise.

Une analyse de risque a postériori est donc réalisée par le gestionnaire de risques de l’établissement.

La méthode ALARM, recommandée par la Haute Autorité de Santé, est retenue pour ce presqu’accident.

Cause immédiate

Le patient signale une douleur à gauche alors qu’il devait se faire opérer du côté droit : erreur de côté objectivée en SSPI.

Causes profondes

Barrière qui a détecté l’incident

  • Atténuation
    C’est le patient qui s’est rendu compte, à son réveil, de l’erreur de côté...

Barrières qui n’ont pas fonctionné et qui ont permis l’incident

  • Prévention
    Pas de contrôle d’identitovigilance par les personnes en charge de l’installation du patient.
  • Prévention
    Transmission partielle (à une partie de l’équipe seulement) de l’information sur la permutation des patients par rapport au programme par le chirurgien..., ils pensaient que l’information circulerait…
  • Prévention
    Pas de marquage du membre opéré en amont de l’intervention = secteur ambulatoire + au moment de l’entretien pré-opératoire.
  • Prévention
    Ce ne sont pas les professionnels de santé qui ont réalisé l’entretien pré-opératoire, qui ont procédé à l’installation chirurgicale.
  • Prévention
    Absence de vérification terminale de cet item avant l’incision (temps 2 de la check list) comme le veulent les recommandations de bonnes pratiques de la Haute Autorité de Santé.

Barrières qui ont été respectées mais qui n'ont pas permis d'éviter l'incident 

  • Prévention
    Mention du côté à opérer sur la programmation du bloc opératoire
  • Prévention
    Mention du côté à opérer dans le dossier d’anesthésie du patient.
  • Prévention
    Vérification du côté à opérer lors de l’entretien pré-opératoire à l’arrivée au bloc opératoire.

Les pistes de réflexion et/ou d'amélioration

Le partage de l’analyse de l’incident à partir de la méthode ALARM a été retenu et évoque des actions correctrices concernant l’organisation des soins et surtout la communication entre professionnels de santé :

Organisation des soins

  • Les professionnels de santé qui ont vérifié les éléments du dossier doivent prendre le lead sur certains actes techniques, et notamment l’installation du patient.
  • Le marquage du côté à opérer doit devenir la règle pour les organes pairs. Lors des échanges entre professionnels, chacun a convenu que ce marquage ne devrait pas être nécessaire, mais si cela peut servir seulement une fois à récupérer des erreurs, il est important de le faire. La solution retenue par le groupe est que c’est le service de soin qui accueille le malade qui effectuera le marquage du côté à opérer selon des modalités qui seront précisées par un protocole, et surtout appliquées strictement et systématiquement. Un mode dégradé a été également retenu lors de l’entretien pré-opératoire en cas d’oubli du service.

Communication entre professionnels de santé

  • Sensibiliser de nouveau sur la valeur ajoutée du partage d’informations entre professionnels de santé et à partir de toutes les sources disponibles.
  • Sensibiliser de nouveau sur l’intérêt des 3 "time-out" préconisés par la Haute Autorité de Santé en répondant aux questions de la check list de sécurité au bloc opératoire, et ce quel que soit le contexte (retard dans le programme, prise en charge réputée simple…).
  • Sensibiliser sur les vulnérabilités induites par les charges de travail : les programmes chargés au bloc opératoire sont trop souvent synonymes de mode dégradé pour essayer de rattraper le temps perdu… Au contraire, une rigueur accrue doit être de mise pour activer l’ensemble des barrières de prévention connues et reconnues pour éviter tout événement indésirable.

Au final, pas de grandes révolutions, hormis le protocole de marquage du côté à opérer, mais des points à rappeler, et sur lesquels il convient de communiquer pour faire passer la culture de sécurité à travers la pédagogie de l’erreur.

En conclusion

Déclarer les événements indésirables associés aux soins pour les analyser, les comprendre et agir sur leurs causes afin d’éviter qu’ils ne se reproduisent.

Cette analyse montre une fois encore que le facteur humain reste au cœur de la gestion des risques. Prendre le temps de faire un "arrêt sur image" pour réaliser un briefing de la situation permet d’identifier les vulnérabilités et de détecter les éléments non conformes aux process de prise en charge.

Il convient de dire et redire que chaque minute accordée à une démarche de gestion de risques est un investissement qui rapporte beaucoup pour les patients. Et en seconde intention aux professionnels de santé car les impacts pour eux sont rarement neutres.

La communication entre professionnels de santé doit être une priorité, et on ne doit jamais hésiter à faire répéter et/ou partager les informations essentielles. Les méthodes de transmissions des informations doivent devenir des automatismes…