Découvrez notre rubrique d'analyse du mois de la presse professionnelle sur le risque médical : la santé va (de plus en plus) mal aux USA, un plus grand volume chirurgical des hôpitaux clairement associé à une baisse des réadmissions et de la mortalité, 22 % des plaintes aux USA associées à des erreurs de diagnostic, erreurs médicales, interruptions et fatigue des professionnels...
En 2016, 27 % des citoyens américains considéraient la santé comme la priorité n°1 du pays. La question n’est pas nouvelle mais s’aggrave. En 2008, le problème principal était encore l’accès ; cette question de l’accès est toujours aussi intense, mais s’y rajoute en 2017 le fait que plus d’un quart des citoyens qui y ont accès ne peuvent pas payer les traitements prescrits. Les auteurs critiquent les indicateurs macro et nationaux des politiques publiques, qui paraissent paradoxalement attester que les USA ont le coût public de couverture santé le plus élevé du monde mais cachent deux réalités : le coût incroyable des prestations médicales et des traitements par rapport au reste du monde (le remboursement est une proportion du prix facturé par les professionnels), et la réalité profonde du désarroi des familles confrontées à une couverture de santé qui coûte aujourd’hui en moyenne 18,4 % de leurs revenus. Les auteurs plaident pour un indicateur inverse (l’index d’accès au soin, affordability index) qui soit construit autour du patient et de la part réelle des revenus nécessaires à la santé, et non un indicateur construit sur le coût facturé de la santé à l’état.
Emanuel E., Glickman A., Measuring the Burden of Health Care Costs on US Families , The Affordability Index, JAMA November 21, 2017 Volume 318, Number 19
Réduire les réadmissions à 30 jours après chirurgie est devenu un indicateur de Qualité majeur dans les pays anglo-saxons. Ces auteurs Américains ont analysé les données de Medicare pour calculer le taux de réadmission en fonction des volumes chirurgicaux des hôpitaux pour les interventions de chirurgie cardiaque (pontages), les lobectomies pulmonaires, les anévrysmes aortiques abdominaux et les prothèses de hanche. Les résultats portent sur 479 471 sorties d’hôpitaux après ces interventions effectuées par 3 004 hôpitaux. Le taux médian de réadmission à 30 jours est de 13,1 % (9,9-17,1 %). Les données ajustées montrent que les hôpitaux ayant le plus fort volume chirurgical (premier quartile) ont des taux de réadmissions à 30 jours significativement plus bas que les hôpitaux ayant le plus faible volume chirurgical (quatrième quartile) (12,7 vs 16,8 %, p<0,001), et qu’il en va de même pour la mortalité (12,7 vs 16,8, p<0,021).
Tsai T., Joynt K., Orav J., Gawande A., Jha A., Variation in Surgical Readmissions and Relationship to Quality of Hospital Care N Engl J Med. 2013 September 19; 369(12): 1134–1142. doi:10.1056/NEJMsa1303118
La commission Qualité Anglaise (Care Quality Commission - CQC), responsable de l’évaluation de la Qualité des soins des établissements et des professionnels de santé, avait développé depuis plusieurs années des outils reposant sur des scores agrégés d’indicateurs classiques de Qualité pour déterminer la priorité des visites de contrôle et inspections. L’approche n’a pas été très concluante (des établissements à problèmes et même objets de scandales n’avaient pas été identifiés par ces scores Qualité) et l’approche s’est avérée en plus trop onéreuse dans un climat de coupes budgétaires (les indicateurs quantitatifs nécessitent un investissement certain pour être établis, calculés et suivis). La Commission s’est donc tournée vers un nouvel outil basé, toujours sur des données agrégées (scores), mais issues cette fois des seules opinions de patients en combinant plusieurs canaux de remontées d’informations, y compris les réseaux sociaux (Patient voice tracking system). 456 hôpitaux ont été inclus dans le test de ce pilote, en incluant les résultats des inspections associées. Les résultats montrent une corrélation entre le score agrégé de jugement des patients et le résultat des inspections, qu’il s’agisse de jugements patients positifs (OR 0.23, 95 % CI 0.12 to 0.44) ou négatifs (OR 0.35, 95 % CI 0.16 to 0.76). Le nouveau dispositif est amené à se généraliser.
Griffiths A, Leaver MP., Wisdom of patients: predicting the quality of care using aggregated patient, feedback BMJ Qual Saf 2018;27:110–118
Analyse de la base de données des assureurs Américains (US National Practitioner Database) pour identifier les causes de plaintes entre 1999 et 2011. 13 682 des 62 966 plaintes indemnisées (22 %) sont liées à un problème d’erreur de diagnostic.
Si on compare avec les autres plaintes, ces plaintes associées à des erreurs de diagnostic ont des particularités : plutôt des hommes, plutôt des patients de plus de 50 ans, plutôt des professionnels de santé de moins de 50 ans, plutôt des pathologies plus graves avec des décès plus fréquents (1,8 fois plus grave).
Ces plaintes ont coûté 5,7 milliards de $ en compensation pour la période considérée, et leur coût dans le temps augmente plus vite que pour les autres catégories de plaintes.
Gupta A, Snyder A, Kachalia A, et al, Malpractice claims related to diagnostic errors in the hospital, BMJ Qual Saf 2018;27:53-60
Cette étude porte sur les interruptions de tâche et la fatigue, et leurs liens aux erreurs médicales. 36 urgentistes ont été observés pendant 120 heures. Toutes les tâches simultanées et interruptions diverses ont été codées, avec des tests sur la mémoire de travail à intervalle régulier. Les médecins ont aussi indiqué leur pattern de sommeil des dernières 24 heures. Les erreurs de prescriptions sont la variable retenue pour évaluer le risque induit, tout en prenant aussi en compte l’âge, la séniorité, la charge objective de travail et les repos effectués.
Les médecins seniors sont interrompus 7,9 fois/heure. 28 médecins ont réalisé 239 prescriptions sur les 120 heures d’observations, et ont été interrompus en moyenne 9,4 fois/heure pendant cette phase spécifique du travail. Les erreurs augmentent significativement en cas d’interruption ou de multitâches au cours de la séquence de prescription. Une dette de sommeil augmente de facteur 15 le risque d’erreur (RR 16.44; 95 % CI 4.84 to 55.81). Les solutions de protection des interruptions réduisent significativement les erreurs ; il n’y pas d’effet d’âge, ou de niveau objectif de charge de travail (nombre de patients aux urgences).
Westbrook JI, Raban MZ, Walter SR, et al, Task errors by emergency physicians are associated with interruptions, multitasking, fatigue and working memory capacity: a prospective, direct observation study, BMJ Qual Saf Published Online First: 09 January 2018. doi:10.1136/bmjqs-2017-007333
La prévention quaternaire est définie comme la prévention des erreurs médicales -surtout ici centrée sur les manquements éthiques, les surdiagnostics et la surmédicalisation- par la WONCA (la société Internationale de médecine générale).
Cet article ouvre le débat sur une intensification et une popularisation chez les collègues généralistes de cette nouvelle priorité dans leur pratique quotidienne. Le risque de surmédicalisation, sur-prescription et sur-traitement est devenu un risque majeur, peut-être même le risque majeur de notre pratique médicale. Une nouvelle définition est proposée : la prévention quaternaire est définie comme toute action visant à protéger les personnes/patients contre toute intervention médicale injustifiée qui apporterait plus de problèmes que de bénéfices.
Martins C., Godycki-Cwirko M., Heleno B., Brodersen J., Quaternary prevention: reviewing the concept European Journal of General Practice Vol. 24, Iss. 1, 2018
La chirurgie n’est pas seule concernée par le lien Volume des actes/Sécurité des soins. Cette étude porte sur l’hospitalisation des détresses cardiaques des patients de plus de 65 ans en lien avec le volume de patients traités par l’hôpital. Les données proviennent de la base Medicare US sur les années 2006-07. 4 907 hôpitaux inclus. Les hôpitaux ayant le plus petit volume de ces patients ont une mortalité supérieure aux hôpitaux à gros volume, ainsi qu’un taux supérieur de réadmission à 30 jours et de mortalité (80,2 % versus 87,0 % versus 89,1 %, p<0.001). Chaque augmentation de volume de 10 patients traités abaisse de 1 % le odd ratio de mortalité, et baisse de 2$ le coût par cas traité.
Joynt K., Orav J., Jha A., The association between hospital volume and processes, outcomes, and costs of care for congestive heart failure, Ann Intern Med. 2011 January 18; 154(2): 94–102. doi:10.1059/0003-4819-154-2-201101180-00008
La disparité de Qualité et Sécurité des soins est une évidence dans tous les pays et tend plutôt à augmenter que baisser.
Ces auteurs proposent un cadre pour analyser les déterminants locaux de ces disparités, les estimer en sévérité, et les réduire.
Le cadre est fondé sur trois phases : détection, compréhension et réduction de la disparité. Il articule quatre facteurs contributifs à la disparité : les facteurs propres aux patients, préférences locales et surtout groupes à risques (avec une insistance sur les disparités liées aux minorités raciales aux USA), les croyances et habitudes locales des professionnels de santé, et l’organisation et le maillage du territoire de santé, particulièrement sa culture d’organisation et sa coopération.
Kilbourne A., Switzer, Hyman K., Crowley-Matoka M., Fine M., Advancing Health Disparities Research Within the Health Care System: A Conceptual Framework, Am J Public Health. 2006;96:2113–2121. doi:10.2105/AJPH.2005.077628
Voici une étude Canadienne rétrospective 2012-2015 (province d’Alberta) sur la fréquence des soins de mauvaise qualité. L’étude est construite sur la base d’un indicateur comportant 10 items de soins reflétant la mauvaise qualité.
Au total, 162 143 patients ont reçu au moins un soin de mauvaise qualité (soit 4 % des habitants de la province d’Alberta, ou 5 % des patients ayant eu au moins une consultation avec un médecin -essentiellement généraliste- pendant la période 2012-15 ou encore -et c’est pire-, 29,8 % des patients de plus de 75 ans). Les soins de mauvaise qualité, ou de mauvaise pertinence, concerne par exemple les prescriptions non recommandées d’imagerie (artério) ou de PSA. Parmi les facteurs les plus associés aux soins de mauvaise qualité, on trouve la sur-exposition des catégories socio-professionnelles élevées des patients, les consultations plus fréquentes auprès de spécialistes, le déséquilibre régional favorable au nombre de spécialistes par rapport au nombre de généralistes. La mauvaise Qualité est aussi associée sans surprise à des surcoûts.
Mafi JN, Parchman M., Low-value care: an intractable global problem with no quick fix, BMJ Qual Saf Published Online First: 13 January 2018. doi: 10.1136/bmjqs-2017-007477
McAlister FA, Lin M, Bakal J, et al, Frequency of low-value care in Alberta, Canada: a retrospective cohort study, BMJ Qual Saf Published Online First: 14 September 2017. doi: 10.1136/bmjqs-2017-006778
Cet article de réflexion fait un point sur un sujet régulièrement abordé depuis 20 ans, la qualité et la sécurité dans la pratique anesthésique. Les données considérées sont les données anglaises et américaines. La revue ne prétend pas à l’exhaustivité ; elle éclaire les points d’amélioration possible au niveau micro, méso et macro. Les domaines couverts incluent la sécurité du médicament, les changements dans la prise en charge des patients (notamment l’ambulatoire), les modifications des paiements, le vieillissement de la population, et le burnout croissant des anesthésistes. L’article montre que malgré des progrès indiscutables réalisés dans les 20 dernières années, les nouveaux défis peuvent amener des reculs de qualité et sécurité, et nécessitent en tout cas de se projeter sur une nouvelle pratique, avec notamment plus de technologie et plus de participation active du patient.
Peden C., Campbell M., Aggarwal G., Quality, safety, and outcomes in anaesthesia: what’s to be done? An international perspective, British Journal of Anaesthesia, 119 (S1): i5–i14 (2017)
La réanimation et les soins intensifs sauvent les vies. Mais elle coûte aussi très cher, et représente une souffrance sous-estimée pour les patients. Dans bien des cas, le traumatisme psychologique subi en soins intensifs pendant la phase aiguë reste présent bien au-delà de la sortie du service avec une réduction durable ou définitive de la qualité de vie. Ces constats interrogent la pertinence à engager ces soins au moins pour les patients les plus fragiles, particulièrement en période de restriction budgétaire. Il faudrait sans doute plus humaniser et moins techniciser ces patients fragiles éligibles pour les soins intensifs, et ceci ne peut sans doute se faire sans un débat entre médecins, patients et familles, et représentants de la société.
Montgomery H., Grocott M., Mythen M., Critical care at the end of life: balancing technology with compassion and agreeing when to stop, British Journal of Anaesthesia, Volume 119, Issue suppl_1, 1 December 2017, Pages i85–i89
La France a autorisé par décret la désignation de jeunes chefs de cliniques comme enseignants associés universitaires, particulièrement mais pas uniquement en médecine générale.
130 enseignants associés juniors ont ainsi occupé ces fonctions dans l’enseignement de médecine générale depuis 2007.
L’étude évalue cette pratique en 2014 par questionnaire. 95 juniors enseignants ont été contactés, 75 ont répondu (âge moyen 32 ans, 2,4 fille/1 garçon). Ils passent en moyenne 3 jours en pratique médicale surtout en cabinet de groupe/maison de santé avec autour de 50 consultations /semaine, 2 en enseignement (cours et accompagnement), et 0,5 en recherche (sur des thèmes très variés). Ce mélange s’avère extrêmement profitable à chacune des activités, et plus globalement à la maturité et la formation médicale de ces jeunes professionnels.
Barais M., Laporte C., Shuers M., Saint-Lary O., Frappé P., Diabo-Dina, Cross-sectional multicentre study on the cohort of all the French junior lecturers in general practice, European Journal of General Practice , Volume 24, 2018 - Issue 1 99-105
La coordination et le partage des taches peuvent réduire de façon forte le burnout des professionnels en soins primaires. Le modèle des maisons de santé est un bon exemple de ce type d’organisation.
L’étude porte sur le réseau de soins primaires des Veterans aux USA, avec 327 professionnels impliqués dans 23 structures collectives de soins primaires et mesure le lien entre la présence effective de 14 tâches récurrentes qui peuvent être réalisées seuls ou en coordination et coopération et le lien au risque de burnout. Les résultats montrent notamment que tout le temps de conseil aux patients, et d’éducation thérapeutique, quand ces actions sont réalisées sans coordination interne dans l’équipe et un partage entre professionnel devient un facteur significativement associé au burnout.
Primary Care Tasks Associated with Provider Burnout: Findings from a Veterans Health Administration Survey, Journal of General Internal Medicine, January 2018, Volume 33, Issue 1, pp 50–56