Retour d'expérience : dysfonctionnements logistiques à l'hôpital, prise en charge retardée

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Retour d'expérience : dysfonctionnements logistiques à l'hôpital, prise en charge retardée

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M. F. est emmené aux urgences par les pompiers, pour une suspicion de fracture luxation du coude droit.

  • Paramédical
Auteur : La Prévention Médicale / MAJ : 17/06/2020

Présentation du contexte

Il est tombé de sa hauteur, sur un chantier, en perdant l’équilibre (sol encombré). Il est tombé en arrière, sur la paume de la main. Le patient décrit alors une douleur vive au coude lors de la chute.

Ce malade est âgé de 42 ans, et ne signale pas d’antécédents médicaux particuliers lors de l’interrogatoire par l’Infirmier d’Accueil et d’Orientation (I.A.O.).

Lors de sa prise en charge par les Pompiers, Mr F. a bénéficié d’un déshabillage du membre supérieur et d’une immobilisation par une attelle afin de bloquer l’articulation pour éviter tout déplacement secondaire. La position antalgique a été privilégiée.

Le patient cote sa douleur à 5/10 sur une échelle EVA.

Le médecin sénior des Urgences qui prend en charge Mr F. examine le membre supérieur débarrassé de son attelle, et constate une déformation avec une augmentation de volume du coude (comparé au membre controlatéral).

Il recherche également des lésions associées :
- il ne trouve pas de lésions (fracture) au niveau du poignet,
- il ne trouve pas de lésions cutanées en regard de l’articulation lésée,
- il retrouve les pouls distaux, radial et cubital,
- il ne retrouve pas de temps de recoloration anormaux des extrémités,
- il ne retrouve pas de complications nerveuses : le patient ne présente pas de troubles sensitifs et moteurs des doigts de la main.

Le bilan radiologique confirme le diagnostic de luxation, et objective une fracture de la tête radiale. La réduction de la luxation est réalisée aux Urgences par le chirurgien de garde (sous Morphine* et Kalinox*), et remet en place une immobilisation. Il demande un scanner le lendemain pour déterminer précisément les lésions osseuses et ainsi orienter le traitement : orthopédique, chirurgical …

L’hospitalisation du patient au service Porte est proposé, pour la nuit, pour permettre d’adapter le traitement antalgique en attendant la décision thérapeutique.

Le lendemain, le scanner objective une fracture complexe de la tête radiale. La nature de la luxation (à partir de la radiographie avant réduction) fait craindre au chirurgien des lésions associées, et notamment une entorse grave du LLI. De plus, le patient est jeune, et du fait de son métier (plaquiste), le chirurgien pose l’indication d’une pose de prothèse radiale.

Ce type de prothèse n’étant pas en dépôt au sein de l’établissement, l’intervention est programmée pour le surlendemain. La fiche d’annonce d’intervention est réalisée par le praticien, envoyée au Bloc Opératoire pour commander la prothèse.

Le patient, qui a accepté le traitement chirurgical proposé, rentre à son domicile avec un traitement antalgique efficace.

Il se présente donc dans le service d’orthopédie, 2 jours plus tard. Il est installé dans sa chambre. Une heure après son arrivée, la cadre de santé du service vient lui expliquer que la prothèse n’a pas été livrée. Elle précise qu’il y a eu un défaut de transmissions d’informations entre l’hôpital et le fournisseur. Le malade, mécontent de ne pas avoir été prévenu, accepte de revenir le lendemain.

Le lendemain, à son arrivée, le patient est installé dans sa chambre. La cadre de santé vient l’informer que la prothèse arrivera dans la matinée, et qu’il sera opéré en début d’après midi.

A 14h15, la cadre de santé du Bloc opératoire vient voir le malade, pour lui annoncer que le matériel pour l’opérer ne sera pas disponible avant la fin de journée, contrairement aux prévisions. Elle explique que le cycle de l’autoclave ne s’est pas déroulé conformément aux règles de bonnes pratiques.

Le patient est de nouveau mécontent. Il demande QUAND il pourra bénéficier de l’intervention. L’ensemble de l’équipe soignante prend l’engagement de le prendre en charge le lendemain matin, en deuxième position dans le programme opératoire. Mr F. accepte de nouveau, mais en précisant qu’il souhaitait sortir pour dormir à son domicile la nuit prochaine, et que s’il n’était pas opéré le lendemain, il s’adressera à une autre équipe chirurgicale.

Le patient a pu quitter l’hôpital, avec l’accord du médecin anesthésiste en fin de journée, car il avait été prémédiqué. Il était accompagné par sa conjointe.

Le lendemain, il a pu bénéficier de son intervention chirurgicale. Il est sorti à J+3 de son intervention, avec des suites simples. Il doit poursuivre la rééducation précoce initiée durant son hospitalisation et bénéficier de soins infirmiers pour les soins locaux de sa cicatrice.

Le patient, malgré cette prise en charge retardée, est satisfait globalement de sa prise en charge et des résultats de son intervention.

Conséquences

Ce double report d’intervention est inhabituel pour ce service ; les répercussions suivantes ont été relevées :

- gérer le mécontentement du patient,
- un retard de prise en charge chirurgicale préjudiciable pour le patient en terme de gestion de la douleur,
- une double admission dans le service finalement inutile, synonyme de charge de travail pour les équipes soignantes (procédure administrative, réhabilitation de la chambre, …),
- une prémédication administrée inutilement,
- une prise en charge différée au bloc opératoire dans un contexte organisationnel difficile.

Méthodologie et analyse

Bien que cette erreur n’ait eu aucune conséquence pour le patient, ni vitale, ni fonctionnelle, le chef de service signale le dysfonctionnement à la cellule de gestion des risques. Il demande une analyse pour comprendre la génése de cette addition d’incidents, qui dans un autre contexte pourrait être préjudiciable pour le malade.

L’objectif de ce retour d’expérience est de comprendre leur mécanisme et d’éviter de renouveler ce type d’incident dans l’avenir.

Une analyse de risque a posteriori est donc réalisée.

Dans cette analyse, seuls les éléments contributifs à la recherche des causes conduisant à cette erreur seront recherchés. La méthode ALARM est retenue.

  • Les facteurs contributifs discutés en équipe :

Facteurs liés aux patients 

Le patient ne présente aucun antécédent médical et chirurgical.

Aucun facteur social ou familial n’est à signaler, pouvant influencer la prise en charge de cette patiente.

Le seul facteur à retenir est la fracture luxation du coude du patient.

Facteurs liés aux tâches à accomplir :

Concernant la commande des prothèses qui ne sont pas en dépôt au sein du bloc opératoire, la fiche d’annonce d’intervention, remplie par le chirurgien, permet au Chef du bloc opératoire de contacter le fournisseur pour obtenir la livraison de ce dispositif médical Implantable dans les meilleurs délais.

Dans le cas présent, la fiche d’intervention a bien été faxée au bloc, mais le fax était non opérationnel sans que cet état de fait soit détecté (toner d’encre vide). La demande n’a donc pas été réceptionnée …

Concernant le process de stérilisation : la prothèse et son ancillaire sont arrivés en fin de matinée. Devant l’heure de programmation de l’intervention, toute l’équipe s’est mobilisée pour stériliser l’instrumentation. La charge a été lancée dans l’autoclave … et tout le monde a oublié la coupure du courant mensuel dans le cadre des essais des groupes électrogènes de l’établissement.

Le cycle a été interrompu, générant un retard conséquent dans le traitement des matériels à stériliser.

Facteurs liés à l’individu (professionnel impliqué) 

Pour ces deux incidents, l’ensemble du personnel était parfaitement en adéquation avec les tâches confiées. Leur retour d’expérience était celui attendu pour exécuter ces missions.

Un élément à retenir néanmoins : l’équipe de stérilisation a focalisé sur le seul élément de planification de l’intervention chirurgicale, oubliant collectivement l’essai groupe électrogène pourtant annoncé, et réalisé selon un calendrier institutionnel établi, à savoir le premier mercredi de chaque mois.

Facteurs liés à l’équipe 

On doit retenir l’absence cette semaine là de la secrétaire du bloc opératoire, absence non programmée (maladie). Cet élément explique que le non fonctionnement du fax n’a pas été identifié rapidement.

Le non traitement de l’annonce d’intervention par la responsable du bloc opératoire peut également s’expliquer par une surcharge de travail conséquente, en lien avec cette absence : fonctionnement en mode dégradé.

On peut également noter l’absence du responsable de la maintenance technique : habituellement, avant toute coupure de courant programmée, il appelait les secteurs sensibles pour rappeler l’interruption de l’alimentation électrique générale. Cet appel téléphonique habituel n’a pas eu lieu.

Facteurs liés à l’environnement de travail 

L’équipe de stérilisation était en effectif normal, et surtout composée de personnel fixe, habitué aux procédures et habitudes institutionnelles.
La cadre du bloc opératoire était en surcharge de travail pour palier à l’absence de la secrétaire. Il faut également signaler que la transmission de la fiche d’annonce d’intervention pouvait être réalisée de 2 façons différentes : par fax, mais également par courriel selon un format PDF. Elle a reçu un nombre certain de fiches par courriel ; dans son fonctionnement, elle n’a pas songé à vérifier le fax.

Facteurs liés à l’organisation et au management 

Cette intervention chirurgicale a été rajoutée au programme opératoire dans le cadre d’une urgence relative. Elle n’a donc pas été, de ce fait, traitée dans le cadre du staff de régulation hebdomadaire. Ces urgences ne bénéficient pas de la même anticipation et de la même attention que les interventions chirurgicales programmées.

Cette analyse a mis en évidence la nécessité de faire un point quotidien avec chaque service chirurgical pour ce qui concerne les patients en attente d’une intervention. Le croisement des informations bloc opératoire - service d’hospitalisation devrait permettre d’obtenir une meilleure exhaustivité du programme opératoire des urgences.

Facteurs liés au contexte institutionnel 

Cet établissement de santé est organisé pour prendre en charge ce type de chirurgie.

  • En résumé : les facteurs contributifs suivants sont retenus

- Une intervention chirurgicale semi urgente, annoncée seulement par le biais d’un outil du système d’information.

- Un matériel de communication non opérationnel qui n’est pas détecté.

- Une secrétaire absente qui contribue à une surcharge de travail du cadre de bloc opératoire.

- Un responsable de maintenance absent, mais dans le cadre d’une planification.

- Une coupure d’alimentation électrique générale non prise en compte par le service de stérilisation.

- Un croisement d’informations non effectué entre services d’hospitalisation et bloc opératoire.

Les pistes de réflexion et/ou d'amélioration

L’analyse de cette situation a conduit les professionnels médicaux, paramédicaux et techniques à réfléchir sur les points suivants :

  •  faire tous les matins un point avec les responsables des services d’hospitalisation pour croiser les informations et établir avec plus de précision les programmes opératoires d’urgences, sans oublier de balayer également les 48 heures suivantes.
  • revoir le process concernant les coupures de courant programmées : est-il licite de prévenir les secteurs sensibles, alors que le service technique n’a pas toujours les moyens de le faire de façon pérenne ?
  • revoir le process d’annonce des interventions urgentes, et surtout voir quel outil de communication il convient d’utiliser pour éviter tout dysfonctionnement.
  • revoir le process de stérilisation et mesurer la pertinence de rajouter un item « coupure de courant ? » avant de lancer tout cycle d’autoclave. Sachant que dans un contexte normal, sans urgence, ce facteur peut générer une charge de travail inutile (repréparer la charge avant une nouvelle stérilisation).

Conclusion

Un ensemble de petits détails qui ont conduit à différer une intervention chirurgicale à 2 reprises.

Mais sans aucune conséquence pour le patient … si ce n’est 2 allers-retours domicile-hôpital.

Cet exemple a montré à l’ensemble des acteurs touchés par cet incident l’importance du travailler ensemble, l’importance d’une approche systémique dans la construction des process.

Et surtout, et encore, être plus que jamais vigilant lorsque l’on est en surcharge de travail, car les modes dégradés peuvent générer des dysfonctionnements importants.