Prise en charge difficile d'une urgence vitale la nuit

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Prise en charge difficile d'une urgence vitale la nuit

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Découvrez l'analyse systémique d'un retard de prise en charge d'une urgence vitale la nuit. Une femme de 78 ans est hospitalisée depuis 4 jours pour altération de l’état général (AEG)...

Auteur : Bruno Frattini, expert en prévention des risques / MAJ : 02/07/2019

Anamnèse

Madame L., 78 ans, est hospitalisée dans un service de médecine depuis 4 jours, pour altération de l’état général (AEG). Dans ses antécédents médicaux, on retrouve une valvulopathie gauche, générant une insuffisance cardiaque.

Vers 22H00, pendant son premier tour de soins, l’infirmier de nuit est appelé par l’aide-soignante qui travaille avec lui ce jour-là, car Madame L. a du mal à respirer.

Il se dirige immédiatement dans la chambre de la patiente et constate à son arrivée que la patiente est assise dans son lit en sueur et présente :

  • une gêne respiratoire angoissante, qui s’est visiblement installée rapidement, car il l’avait vu 20 minutes auparavant et elle ne se plaignait de rien,
  • une toux avec expectoration rosée et mousseuse,
  • une cyanose des extrémités (mains et lèvres),
  • la patiente ne décrit pas de douleur thoracique.

L’IDE demande à l’aide-soignante d’appeler le médecin des urgences, d’approcher le chariot d’urgence, et mesure les paramètres de surveillance attendus dans le cadre d’une prise en charge d’un patient en urgence, à savoir :

  • une tension artérielle à 183/98 mm de Hg,
  • une tachycardie à 135 pulsations par minute,
  • une température à 37,6° C,
  • une saturation en oxygène à 83 % en air ambiant,
  • une fréquence respiratoire à 30 par minute, avec des amplitudes superficielles abdomino-thoraciques et des battements des ailes du nez,
  • un score de Glasgow à 12,
  • des pupilles intermédiaires,
  • une glycémie capillaire à 1,22 g/dl,
  • une auscultation pulmonaire avec des râles crépitants.

L’aide-soignante revient avec le téléphone portable, et annonce à son collègue que les urgences ne répondent pas.

Il met alors en œuvre les mesures conservatoires suivantes :

  • mise en place du moniteur multiparamètre (tracé ECG, PNI et SpO2),
  • début d’une oxygénothérapie au masque à haute concentration avec un débit à 6 litres par minute,
  • il pose une voie veineuse périphérique, et prélève en même temps les tubes permettant un bilan standard (NFS, Hémostase, Iono, Troponine) et s’assure que le débit de la perfusion soit au minimum.

L’équipe paramédicale essaie de rappeler entre temps le service des urgences à deux reprises sans obtenir de réponse. Il est important de préciser que la procédure « Urgence Vitale » de cet établissement est rédigée selon ces modalités.

L’infirmier demande alors à sa collègue de descendre aux Urgences, 2 étages en dessous, pour aller chercher un médecin urgentiste.

Entre temps, la patiente perd connaissance et présente des signes de marbrures. Elle a toujours un pouls, mais la saturation en oxygène descend à 80 %. L’infirmier augmente l’oxygène à 10 litres par minute, et s’assure que la planche à massage cardiaque est bien présente dans la chambre.

Le médecin urgentiste arrive alors 2 minutes plus tard, son examen clinique et les éléments trouvés dans le dossier patient concluent à un œdème aigu pulmonaire (OAP).

Une injection de 20 mg de furosémide* est demandée et effectuée immédiatement. Il demande également :

  • la mise en route d’un dérivé nitré au pousse seringue électrique,
  • la pose d’une sonde urinaire à demeure pour quantifier la diurèse avec précision,
  • la réalisation d’une radiographie pulmonaire,
  • un prélèvement artériel pour faire une gazométrie,
  • que le prélèvement prélevé lors de la pose de la voie veineuse soit envoyé au laboratoire,
  • un ECG.

La patiente reprend conscience, va un peu mieux cliniquement.

Le médecin urgentiste appelle son confrère anesthésiste-réanimateur en charge du secteur de l’unité de surveillance continue (USC) pour l’informer de la situation et lui demander son avis sur la pertinence d’une ventilation non invasive (VNI).

Le médecin anesthésiste-réanimateur arrive rapidement auprès de la patiente avec une IDE de son secteur et un ventilateur de VNI permettant une ventilation en CPAP (Continuous Positive Airway Pressure), dispositif installé par l’infirmière.

Les soins prescrits sont réalisés et les premiers résultats des examens arrivent :

  • la gazométrie met en évidence une hypoxémie, un début d’hypercapnie, une acidose respiratoire,
  • la radiographie pulmonaire montre des opacités alvéolaires, floconneuses, bilatérales et symétriques.

La patiente s’améliore : sa saturation en oxygène remonte à 92 %, la tension artérielle descend à 155/90 mm de Hg.

Un transfert en Unité de Surveillance Continue (U.S.C.) est organisé. Le relais est pris alors par l’équipe médicale et paramédicale de l’unité de soins intensifs.

L’évolution du tableau clinique de Mme L. sera favorable et permettra un retour en service de Médecine à 48 heures de l’incident.

L’équipe paramédicale de médecine exprime alors son mécontentement, car cette attente dans ce contexte d’urgence vitale leur a paru très longue.

Après une enquête rapide, il s’est écoulé près de 15 minutes ou ils ont été seuls confrontés à cette patiente en détresse vitale.

Conséquences

Ce retard de prise en charge d’une urgence vitale a eu comme conséquences :

  • une perte de chance potentielle pour la patiente,
  • une gestion du stress difficile pour l’équipe paramédicale du service de médecine au moment des faits,
  • des professionnels inquiets par cet événement, verbalisant leur inquiétude sur la reproduction d’une telle situation,
  • un séjour en USC non programmé, qui de l’avis de l’équipe médicale aurait pu être évité si une prise en charge médicale immédiate avait pu être possible.

Analyse des causes

L’exploitation de la fiche de déclaration d’événement indésirable par le groupe de professionnels chargé de la veille s’est traduite par la décision de rechercher les causes qui ont conduit à cet incident, sans conséquence majeure pour la patiente, les comprendre et trouver éventuellement des actions correctrices à mettre en place.

Une analyse de risque a postériori est donc réalisée par le gestionnaire de risques de l’établissement.

Dans cette analyse, seuls les éléments contributifs à la recherche des causes de l’absence de réponse aux différents appels téléphoniques sont recherchés. Le contenu de la prise en charge paramédicale initiale et médicale ne sera pas abordé.

La méthode ALARM, recommandée par la Haute Autorité de Santé, est retenue.

Cause immédiate

La non réponse à l’appel téléphonique de l’équipe paramédicale de nuit du service de Médecine.

Causes profondes

Barrière qui a détecté l’incident

Atténuation : c’est la malade, en déclenchant l’appel patient qui a alerté de la dégradation de son état de santé.

Barrières qui n’ont pas fonctionné et qui ont permis l’incident

Récupération : le numéro d’appel pour les urgences vitales de l’établissement n’a pas répondu. Il n’y a pas de deuxième numéro d’appel en cas de non réponse du premier prévu dans la procédure de prise en charge des urgences vitales.

Atténuation : l’appel en renfort du cadre aurait permis à l’équipe paramédicale de ne pas se diviser. Le cadre aurait pu aller alerter le sénior des Urgences pour mobiliser une ressource médicale, voire paramédicale si nécessaire.

Prévention : absence de procédure de priorisation de remplacement des appareils défectueux en fonction de l’importance des numéros : les appareils en panne étaient remplacés dans l’arrivée chronologique des demandes.

Prévention : absence de procédure dégradée prévoyant le remplacement de téléphone portable interne pour les numéros d’importance majeure.

Les pistes de réflexion et/ ou d’amélioration

Un groupe de travail a été constitué pour réviser la procédure de prise en charge des urgences vitales.

Les améliorations suivantes ont été proposées et validées par la Direction Générale 

La mise en place rapide d’un numéro dédié aux seules urgences vitales de l’établissement a été retenue. Ce téléphone sera un téléphone fixe, situé dans le PC des Urgences, téléphone avec une sonnerie spécifique permettant une reconnaissance auditive immédiate par l’équipe soignante présente, avec report de sonnerie dans les couloirs du service (pour le cas où aucun professionnel n’est présent dans le PC au moment de l’appel). Cette mesure devrait permettre une réactivité immédiate, sachant que le nombre d’urgences vitales reste modéré.

Dans la continuité de cette disposition, un plan de communication étendu à l’ensemble des services de soins est construit pour informer la totalité des équipes sur les situations éligibles à l’appel téléphonique de ce numéro.

Un mode dégradé est également décidé : en cas d’impossibilité de joindre, pour quelque raison que ce soit les urgences, le numéro de téléphone du sénior de l’Unité de Surveillance Continue (présent 24/7) est préconisé, et doit être maintenant appelé en seconde intention. Cette précision est intégrée dans la nouvelle version de la procédure.

La nuit, les équipes paramédicales sont dimensionnées à minima, et les professionnels de santé doivent être constamment postés dans leur secteur. Il est également recommandé, de joindre le cadre de santé de nuit lors de la prise en charge des urgences pour apporter une aide logistique et permettre une mise en œuvre rapide des mesures conservatoires. Cette précision est également intégrée dans la procédure.

Dans la continuité des discussions au sein du groupe de travail, il a été évoqué dans le cadre d’une approche systémique l’absence de procédure de gestion des postes téléphoniques au sein de l’établissement.

Plusieurs pistes ont été évoquées et confiées au DSI 

Revoir l’attribution des postes téléphoniques au sein de l’établissement, et les classer en tenant compte du critère opérationnel « permanence des soins » : une classification à 3 niveaux est proposée :

  • importance majeure dans la permanence et continuité des soins,
  • importance moyenne dans la permanence et continuité des soins,
  • importance mineure dans la permanence et continuité des soins,

Revoir la priorisation dans le remplacement des postes téléphoniques à partir de cette classification et poser des règles qui seront communiquées aux responsables de tous services, sans oublier les fonctions support.

Refaire un état des lieux sur le parc téléphonique pour mesurer la pertinence d’un investissement ciblé pour le remplacement des appareils proches de l’obsolescence afin d’anticiper les pannes potentielles.

En conclusion

La recherche de solutions organisationnelles devrait permettre d’améliorer et d’augmenter la fiabilité du process de façon efficiente avec peu de moyens complémentaires.

Afin de rester dans la démarche d’amélioration des pratiques, un suivi ciblé des prochaines urgences vitales dans les secteurs d’hospitalisation, de nuit mais également de jour, est mis en place, ceci afin d’évaluer les actions correctrices préconisées.

Une veille sera également mise en place pour déterminer si les téléphones manquants dits peu sensibles ont un impact sur le fonctionnement des secteurs impactés.

1 Commentaire
  • ERIC B 22/12/2020

    Bonjour, je suis choqué et profondément attristé que vous utilisiez encore cette "AEG" qui ne veut rien dire et ne sert à rien sauf mettre une étiquette inadéquate sur un patient en réalité sans diagnostic.
    Je sais bien, malheureusement, que les dossiers sont remplis de "syndrome de glissement " et autres "maintien à domicile difficile" qui cachent l'abandon de soin voire l'incompétence...
    Néanmoins, merci à la Prévention pour ces exemples analysés
    EB

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