Pénalités financières pour réduire les soins non pertinents... pas sûr que ce soit efficace

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Pénalités financières pour réduire les soins non pertinents... pas sûr que ce soit efficace

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Le concept de "soins de faible valeur" ou de "faible pertinence" (Low-Value Care) recouvre tous les traitements qui n’ont pas de démonstration de bénéfice prouvé pour la santé, voire qui sont sources d’inconvénients et d’événements indésirables potentiels (EI). 

Auteur : le Pr René AMALBERTI, Docteur en psychologie des processus cognitifs, ancien conseiller HAS / MAJ : 16/01/2023

Soins de faible valeur : une proportion importante

Selon plusieurs études conduites en Australie, Canada, Espagne, Brésil, et États-Unis, 25 à 30 % des soins pratiqués entrent dans cette catégorie et peuvent atteindre, dans les pires cas, 80 % pour certaines procédures de soins. 

Les campagnes nationales de réduction de ce risque sont nombreuses, au premier rang desquelles on trouve l’initiative "choosing wisely" des Américains (Glaziou 2013) et celle du "too much" des Anglais (2015). Elles visent en premier les niveaux micro et méso des pratiques et comportements quotidiens et s’appuient sur les bases de données des collèges, les audits et les feedbacks personnalisés. 

Des campagnes pour réduire les pratiques de faible valeur

De nombreuses actions "top-down" des directions de la santé ont été engagées, avec toutes les incitations financières du paiement à la performance pour abandonner des pratiques de faible valeur (Disinvestment strategies) en les pénalisant. 

Un premier point faible dans ce cas est souvent l’unicité de la procédure s’appliquant à des contextes d’exercices totalement différents (comme le salariat versus l’exercice libéral), mais il existe bien d’autres obstacles à l’efficacité du concept.

A titre d’exemple, l’evidence based intervention (EBI) disinvestment program (Anderson, 2022) visait 17 pratiques à faible valeur médicale, avec deux objectifs complémentaires : 

  • soit l’arrêt complet de ces pratiques, 
  • soit leur réduction d’au moins 25 % en volume.  

Des résultats décevants

En comparant des procédures non ciblées par les pénalités de paiement et celles ciblées, l’amélioration constatée des comportements s’avère extrêmement limitée avec une réduction d’à peine 0,1 % en volume des procédures non pertinentes.

Ce (très faible) résultat ne fait que corroborer bien d’autres résultats déjà publiés. On reconnaît aussi que toutes ces interventions sont complexes dans leur mécanisme de calcul de la pénalité et sont régulièrement sujettes à des manipulations pour en réduire l’impact négatif.

Plusieurs points peuvent l’expliquer (Patey, 2022) :

  • Une première difficulté, souvent citée, reste le focus financier premier de ces initiatives, avant même de débattre sur le focus clinique et le bénéfice réel attendu pour le patient, sous toutes ses formes (objectives et subjectives). Le résultat est d’ailleurs bien meilleur quand l’incitation est doublée d’un accompagnement du collège concerné avec des explications et des guides entre pairs sur les pratiques professionnelles, au point que certains considèrent que ces guides provenant des collèges sont plus efficaces que le mécanisme de paiement à la performance pour faire changer un comportement déviant.
  • Une autre difficulté reste de tracer la réalité des pratiques et leur évolution. Les outils disponibles dans ces approches top-down n’ont souvent pas la finesse nécessaire pour faire la part de l’immense variété des contextes de prescriptions et de patients.
  • Plusieurs exemples de réduction des pratiques non pertinentes soulignent aussi l’importance clé d’un accompagnement global seniorisé de l’évolution des pratiques par des pairs, souvent issus du même collège, capables sur une longue période de porter conseil, feedbacks, benchmark et aussi motivation pour un alignement professionnel (exemplarité).
  • Enfin, la façon d’organiser et d’utiliser le feedback financier des (dé)incitations de pratiques - particulièrement à l’hôpital -, reste souvent "perdue" dans l’étage de directions sans véritable concertation et débriefing avec les acteurs de terrain, ni actions réelles de mise en place de formations souvent nécessaires en accompagnement de ces changements de pratiques

Les meilleurs résultats publiés dans la littérature, qui peuvent aller jusqu’à 48 % de changements des pratiques (Grimshaw 2020), s’obtiennent par un accompagnement des pairs et un mixte de démarches top down et bottom-up avec une forte participation, un benchmark de proximité et une implication active des acteurs médicaux chez qui on voudrait voir modifier les pratiques.

Les seuls contrôles par audits ou par indicateurs externes ne suffisent pas ni à faire bouger les pratiques, ni réellement à vérifier l’ampleur et la durée dans le temps des changements.

Sources
- Anderson M., Molloy A., Maynou L., Kyriopoulos I., McGuire A., & Mossialos E. (2022) - Evaluation of the NHS England evidence-based interventions programme: a difference-in-difference analysis - BMJ Quality & Safety.
- Glasziou P., Moynihan R., Richards T., & Godlee F. (2013) - Too much medicine; too little care - Bmj, 347.
- Grimshaw J. M., Patey A. M., Kirkham K. R., Hall A., Dowling S. K., Rodondi N., ... & Bhatia R. S. (2020) - De-implementing wisely: developing the evidence base to reduce low-value care - BMJ quality & safety, 29(5), 409-417.
- Levinson W., Kallewaard M., Bhatia R. S., Wolfson D., Shortt S., & Kerr E. A. (2015) - "Choosing Wisely": a growing international campaign - BMJ quality & safety, 24(2), 167-174.
- Patey AM, Soong C  (2022) - Top-down and bottom-up approaches to low-value care - BMJ Quality & Safety Published Online First: 14 December 2022. doi: 10.1136/bmjqs-2022-014977