Retrouvez l'analyse de la presse internationale sur le risque médical par le Professeur Amalberti. À la une ce mois-ci : les aides à la prescription médicamenteuse trop peu utilisées, le multi-usage des PROMS, le manque de professionnels de santé en Angleterre, comment améliorer l'adoption des recommandations de bonne pratique...
En dépit des recommandations, l’aide aux indications et prescriptions à l’hôpital n’est pas systématiquement utilisée. Des revues récentes sont disponibles sur l’utilisation des antibiotiques mais pas vraiment sur d’autres types de médicaments.
Le but de cette revue de littérature est :
Les résultats portent sur 21 articles publiés et considérés comme de qualité suffisante pour être retenus dans la revue.
Dans la majorité des cas, les interventions proposées pour favoriser les aides à la prescription (sous diverses formes) sont positives. 6 à 8 de ces études à contenu positif portent sur la pertinence de la prescription, 2 sur les taux d’erreurs (leur réduction) et les autres sur des points divers.
Pourtant, certains points semblent plus difficiles à améliorer par les aides actuelles. Il s’agit notamment de l’exactitude des doses prescrites et des contre-indications contextuelles des prescriptions, avec à la clé encore pas mal d’événements indésirables associés à ces deux facteurs. La raison est le temps (trop long) à leur consacrer, le temps d’accès, le temps de lecture, de balayage de listes trop longues, de contextes et de précautions à lire, si bien que les médecins sont tentés de les contourner, ou de surfer sur la documentation proposée pour aller "à ce qu’ils croient essentiel".
C’est d’ailleurs la principale recommandation des auteurs : penser en premier à l’ergonomie de consultation de ces aides en ayant en tête les vraies conditions d’une consultation, ne pas en faire des dictionnaires inutilisables faute de temps, ou pire forçant à mal les utiliser et finalement facilitatrices elles-mêmes d’erreurs surajoutées.
Tout le monde veut améliorer la sécurité chirurgicale. La récupération et la détection des complications en postopératoire est reconnue comme une excellente pratique (ce sont les solutions au terme maintenant bien connu de "failure to rescue"). Mais on sait que cette récupération est d’abord une question d’équipe, et les auteurs veulent de ce fait voir sa sensibilité à des variations de ratio des effectifs infirmiers/patients dans les services chirurgicaux.
Pour autant, l’étude va au-delà d’un simple calcul de nombre d’infirmiers par lit et s’inscrit dans un projet de recherche de Lausanne dit Projet de Recherche en Nursing (PRN).
L’étude porte sur 3 ans et 838 patients ayant eu une chirurgie programmée, colique et pancréatique. Le ratio infirmier/patient a fait l’objet d’un rapprochement de ces chirurgies en prenant en compte deux facteurs bien spécifiques :
Deux groupes de patients ont été formés, l’un avec un ratio favorable d’effectif infirmier défini par le PRN, l’autre avec un ratio défavorable.
La moyenne globale du ratio infirmier/demande patient est de 0,81 (pour un maximum de 1). Un total de 710 (84,7 %) patients ont eu un ratio plutôt favorable et 128 ont eu à subir un ratio plutôt défavorable (15,3 %). Les complications postopératoires non détectées et évolutives sont nettement plus fréquentes dans le cas de ratios défavorables.
Le groupe à ratio favorable a dégagé une marge financière nette par patient pour l’établissement de 1426 $ pour seulement 676 $ pour le groupe à ratio défavorable.
Les auteurs concluent qu’un ratio de 0,8 PRN serait suffisant pour optimiser le système mais que descendre en dessous crée un contre-effet par surcoût de l’hospitalisation.
Les PROMS (patient reported-outcome measures) sont devenus en quelques années un standard de l’implication du patient dans ses soins.
Le patient remplit (à domicile pour le cas le plus fréquent) une auto-évaluation répétée dans le temps de son état de santé (questions générales et ciblées sur sa pathologie), qui est transmise aux professionnels de santé et permet à la fois l’implication du patient et un suivi pathologique très pertinent pour détecter plus rapidement des complications, comme démontré dans beaucoup de publications.
La question posée par ces auteurs suisses concerne la multi-utilisation de ces résultats qui peuvent servir :
Les auteurs actent que ces multi-usages du même PROM pour des objectifs différents sont de plus en plus fréquents, ce qui est à la fois une bonne idée et une bonne rationalisation de l’usage des indicateurs disponibles, mais ils requièrent aussi une grande exigence dans la transparence pour tous sur ce multi usage, son organisation pour le recueil, sa diffusion et son utilisation par les différents acteurs.
Les recommandations de bonnes pratiques sont souvent mal suivies, au détriment des bénéfices que procure une médecine basée sur les preuves. Cette revue de littérature s’attache à comprendre quelles sont les bonnes formules pour inciter à une meilleure adhérence, particulièrement dans la facilitation d’adoption de ces recommandations (en utilisant en anglais la jolie expression de Knowledge brokers, "passeurs de connaissance").
La revue porte sur tous les articles parus sur ce thème entre 2014 et 2022, avec une méthodologie solide. 16 articles satisfont à ces critères d’inclusion, dont 6 essais randomisés et 1 comparaison avant/après intervention. 14 des études sont intra-hospitalières. Le rôle des managers/organisations d’accompagnement s’avère clé :
L’engagement à apprendre le bon usage de ces recommandations suppose des boucles de feedback, audit, et bien sûr formation. Quand le discours et l’accompagnement des facilitateurs externes (les promoteurs et managers du bon usage) respectent les trois points clés précédents, ils sont efficaces et l’adhésion des médecins augmente significativement (résultat obtenu dans 10 des 16 études). Inversement, si les conditions d’accompagnement sont mal remplies, on peut observer peu ou pas d’effet (cas des 6 autres études).
Cette équipe américaine multisites propose une étude des déclarations d’événements non médicaux en ambulatoire comme ceux relatifs à des problèmes d’organisation, aux témoignages sur des prises de risques, à des jugements sur le système de soins plus que sur des incidents immédiatement associés au patient.
Le travail repose sur 145 procédures chirurgicales où des entretiens structurés avec les patients ont été conduits avant leur sortie et à 7 jours de distance postopératoire, couplés à des entretiens menés avec les professionnels de santé qui se sont occupés d’eux.
Au total 88 entretiens complets avec les patients et 126 avec les professionnels.
Les signalements concernant les dysfonctionnements du système ont été plus fréquents de la part de patients ayant une forte IMC (P=0,023), particulièrement avec le sentiment de manque de respect en postopératoire pour leur état physique (p=0,32).
Ils sont aussi plus nombreux pour des patients qui ont finalement dû être gardés en hospitalisation (p=0,4), et par les patients très stressés (P=0,019), mal dans leur vie. La qualité de l’équipe et l’écoute sont évidemment des facteurs favorisant ces signalements non médicaux.
Dans l’ensemble, les patients experts ont évalué ces événements avec une sévérité supérieure à celle donnée par les cliniciens. Inversement, la répétition de ces événements est jugée plus sévèrement par les cliniciens.
Le système de santé anglais est en très grave posture de manque de professionnels de santé, médecins et paramédicaux. Il y a en ce début 2023 environ 250 000 postes vacants entre le secteur des soins aigus et le secteur médico-social. Le manque en généralistes est particulièrement critique car ils sont les chefs d’orchestre du système pour prendre en charge et orienter les patients et ils représentent un goulet d’étranglement aujourd’hui très contraint.
Le nombre absolu (de médecins et de professionnels au sens large) n’est plus un bon indicateur pour aborder le sujet car la société change ses valeurs : le nombre absolu de généralistes s’est en effet accru de 9 % depuis 2015, mais le nombre d’équivalents temps plein a en fait baissé globalement (à cause des pratiques désirées de temps partiel), à un moment où la demande a augmenté par le fait du plus grand nombre de patients survivants et vieillissants (créant ainsi une demande de 450 000 nouveaux postes juste pour absorber le surcroît de travail lié à l’augmentation des services à la population à fournir). Le déficit s’est de ce fait considérablement aggravé.
Le système est maintenant face à une crise d’une telle amplitude que ses effets commencent à se voir à l’échelon national sur les indicateurs de santé de la population. Aucune solution n’a encore prouvé son efficacité.
Les registres AVC sont disponibles dans la majorité des pays occidentaux. Ils servent à améliorer le parcours de prise en charge des AVC. La partie faible de ces registres reste le manque chronique de renseignements sur la Qualité du parcours intra-hospitalier.
Ces auteurs australiens s’attachent particulièrement à la question des ressources disponibles, en lits spécialisés et RHS (ressources humaines spécialisées). L’étude porte sur le registre national AVC sur les admissions 2016-2017.
Les données de 52 hôpitaux sont associées aux données de ce registre pour un total de 22 832 patients inclus victimes de premier AVC ou AIT (moyenne d’âge 75 ans, 55 % d’hommes).
Dans les 42 hôpitaux métropolitains (20 977 patients), le temps moyen (données annuelles) à la thrombolyse après admission a été réduit significativement dans 500 cas (-15,9 minutes) avec la mise en place d’une organisation spécifique et un staff disponible et dédié à ces lits. De même on note une réduction des ré-hospitalisations à 90 et 180 jours pour les mêmes conditions de RHS.
Dans les 10 hôpitaux ruraux/régionaux (1 855 patients), la qualité du plan de soin à la sortie et la pertinence des orientations vers d’autres structures est associée à la qualité et aux ressources de l’accueil des AVC. Cependant, on ne note pas de lien à la fréquence de ré-hospitalisation pour ces hôpitaux.
Les auteurs recommandent d’inclure les informations sur les ressources RH disponibles dans les registres des AVC.
Étude anglaise réalisée avec les questionnaires de l’Ordre sur la satisfaction des jeunes médecins (General Medical Council), et celles du registre national des certificats de décès hospitaliers classant les hôpitaux anglais en relatif d’une moyenne nationale (Summary Hospital-level Mortality indicator).
Le croisement des deux bases veut tester si la satisfaction des jeunes médecins est impactée par le taux de mortalité de l’hôpital dans lequel ils travaillent. Le travail porte sur une sélection de 80 hôpitaux représentatifs, dont la mortalité varie de 0,69 à 1,21 (comparée à une base nationale de 1), et pour lesquels la satisfaction des médecins variait de 44,61 à 88,62 (sur une échelle de 100).
On retrouve une corrélation significative entre les gardes, l’accès à des médecins séniors, les rotations sur site, la satisfaction générale, le travail collectif et le niveau de mortalité.
Dans le cadre de la lutte contre les résistances antibiotiques, les autorités anglaises recommandent 7 critères d’évaluation clinique pour la prescription des ATBs chez les enfants présentant une toux (protocole STARWAVe clinical rule-CPR).
Les 7 critères sont :
STARWAVe regroupe les 7 facteurs pour déterminer 3 niveaux de risques :
Pour tester le suivi de ces critères, les auteurs ont conçu 64 cas cliniques fictifs répartis en 2 x 32 vignettes. Ils les ont présentés à 188 généralistes, en les tirant au sort de sorte que chaque généraliste devait répondre à 32 des 64 vignettes seulement. Les vignettes créaient des cas sollicitant un à plusieurs des 7 critères recommandés avec une représentativité des 3 niveaux de risque.
La question était toujours la même : prescririez-vous pour ce cas des ATBs et, si oui, dans quelles conditions de durée et de suivi.
Le but est de comprendre pourquoi les généralistes peuvent s’écarter de ces bonnes pratiques.
Les résultats attestent dans l’ensemble une bonne prise en compte de tous les critères et une meilleure évaluation des risques, sauf celui des pathologies limitées dans le temps. Pour la symptomatologie, les sifflements à l’auscultation, le contexte d’asthme ou les vomissements n’incitent pas à une sur-prescription, contrairement à la température élevée qui incite à cette sur-prescription.
Enfin, les vignettes incluant explicitement une pression parentale donnent clairement lieu à des sur-prescriptions.
Les auteurs concluent sur le besoin de continuer à former, expliquer et à répéter les consignes de bonnes pratiques en la matière.
La prévalence croissante des troubles psychologiques dans le monde moderne et le manque de spécialistes psychiatres pèsent fortement sur la patientèle des généralistes.
Une étude de la base de données américaines des soins ambulatoires et des consultations généralistes des adultes de plus de 18 ans sur la période 2006-2018 analyse l’évolution dans le temps des consultations pour motifs psychologiques et mentaux.
La base compte 109 888 consultations. Sur la période 2006-2018, la proportion de consultations pour cause mentale a augmenté de 10,7 % à 15,9 %. L’effet est particulièrement important pour les populations défavorisées (+ 40 %). L’étude note que les populations hispaniques sont bien moins sujettes à ces maux.
Cette incidence croissante demanderait, selon les auteurs, un aménagement urgent de la durée de consultation (qui nécessite pour ces cas d’être allongée) et de la rendre mieux rémunérée avec aussi une aide spécifique à la fois documentaire et dans les coordinations à mettre en place tant au niveau médical qu’à celui de la famille et des communautés aidantes.
Les discriminations affectant les chirurgiens femmes sont une priorité pour le collège de chirurgie américain.
Cette étude dresse un bilan entre janvier et juin 2020 sur 5 domaines potentiels de différences entre les chirurgiens hommes et femmes : les questions de considération et de réputation, le ressenti de discriminations clairement genrées, la perception de barrières à la pleine réalisation de son travail, le rapport à ses mentors et professeurs et le projet de carrière.
La méthode est basée sur des auto-évaluations par questionnaire.
L’étude porte sur 2 860 chirurgiens et 1 070 chirurgiennes inscrits au collège général de chirurgie américain, plus 536 chirurgiennes inscrites à un collège parallèle et spécifique "des femmes chirurgiens". Les caractéristiques démographiques sont équivalentes entre les groupes, sauf à mentionner que les chirurgiennes sont moins fréquemment mariées. Les membres du collège féminin de chirurgie sont plus jeunes que les membres du collège national de chirurgie et plus diplômées (formations complémentaires).
Les membres du collège de chirurgie, hommes et femmes, reconnaissent des points forts et des points plus négatifs dans la prise en compte renforcée des genres (discriminations, harcèlement, sanctions). Les chirurgiennes ne recherchent pas spécifiquement des mentors féminins, moins en tous cas que les hommes qui recherchent plutôt des mentors masculins. Par contre, elles écoutent plus facilement d’autres chirurgiennes quand il s’agit de plan de carrière, d’organisation sociale. Elles redoutent une situation de compétition entre elles et encouragent leurs collègues masculin à reconnaître leur biais de considération sur les genres et à les traiter comme leurs égaux.