Retrouvez l'analyse de la presse internationale sur le risque médical par le Professeur Amalberti. À la une ce mois-ci : l'intelligence artificielle pour suppléer le médecin, le manque de remplaçants médecins généralistes en Angleterre, une étude hollandaise sur le non-consentement en obstétrique, une étude chinoise sur les plaintes et compensations financières en obstétrique, la prévention des infections du site opératoire en Suisse...
Les patients fragiles, souvent âgés - mais pas toujours - sont de plus en plus éligibles à des interventions chirurgicales de confort ou thérapeutiques. On sait évaluer en préopératoire leur degré de fragilité, mais on mesure encore mal le bénéfice d’une stratégie préopératoire plus prudente.
L’étude s’inscrit dans un programme national américain (Frailty Screeeing Initiative - FSI).
Les auteurs essaient de corréler l’évaluation de la fragilité à la décision opératoire et la mortalité à 1 an.
Le protocole utilise une analyse longitudinale multisites avec une comparaison "avant-après" intervention d’une cohorte de patients américains, débutée en 2016. L’intervention demande aux chirurgiens d’évaluer en préopératoire la fragilité de leurs patients par une échelle de risques, le Risk Analysis Index (RAI). Les données ont été recueillies jusqu’en 2019.
L’analyse se concentre sur les patients ayant un RAI supérieur à 42 (signe de début de fragilité), et demande notamment aux chirurgiens de ces patients de pratiquer un bilan préopératoire étendu et multidisciplinaire, au minimum avec un généraliste, et sinon avec d’autres spécialistes.
Au total, la cohorte porte sur 50 463 patients suivis au moins 1 an en postopératoire (22 722 avant le début du protocole, 27 741 après). L’âge moyen était de 56,7 ans (16) avec 57,6 % de patients femmes. Les deux conditions sont rendues égales par les caractéristiques démographiques des patients, le score RAI et la variété des d’interventions (évaluées par un score mixte -Operative Stress Score).
La proportion de patients examinée par une équipe multidisciplinaire, au minimum un généraliste, avant intervention, s’est accrue considérablement dans la condition avec "après" intervention, passant de 9,8 % avant à 24,6 % (pour un avis du généraliste) et de 1,3 % à 11,4 % pour un avis de spécialistes (P<0,001).
La mortalité "avant-après" à 1 an a baissé de 4,2 % pour les patients à risques et fragiles mieux examinés en préopératoire.
Le journal Risques et Qualité a ouvert une remarquable rubrique dans laquelle on fait parler les grands auteurs de la sécurité du patient.
Ce mois-ci, Charles Vincent, l’auteur du protocole de Londres/grille ALARM, raconte la naissance de ces idées sur l’analyse des événements indésirables graves et leur évolution au cours du temps. Il est un pionnier parmi les pionniers et a commencé dès 1990 à penser ces problèmes via l’impact des erreurs médicales sur les patients, bien avant que l’académie de médecine américaine ne produise son célèbre rapport sur l’Erreur est humaine (To err is human).
C’est la fréquentation de James Reason, autre grand spécialiste de l’erreur et des accidents organisationnels (le modèle de fromage suisse), qui l’a conduit à penser, bien avant les autres, qu’on pouvait analyser les erreurs et les EIG en appliquant une grille qui reprenait 7 barrières de nature différente contribuant à la production finale de l’erreur.
La suite des travaux s’inscrit dans une approche systémique élargie, dans un travail souvent associé à celui de René Amalberti, d’abord en faisant évoluer la grille ALARM puis en donnant une perspective globale sur les défaillances du système de santé entier avec un pragmatisme de plus en plus grand dans ce qui est faisable et ce qui ne l’est pas (voir notamment le dernier livre : Safer Healthcare, strategies for a real word).
Cette période de révision est l’occasion de faire émerger une vision plus critique et plus scientifique, liée à l’apprentissage et à l’amélioration à l’échelle de l’organisation et du système.
Une intéressante étude de collègues californiens s’intéresse à de nouveaux systèmes de contact intelligents avec les patients pour suppléer, particulièrement en zones rurales, à un accès médical et à des demandes de conseils.
Ces systèmes peuvent proposer des réponses sur le fond et avec l’empathie nécessaire aux demandes des patients, réponses qui peuvent être validées par relecture de professionnels.
L’étude porte sur un dérivé du produit ChatGPT appelé AI chatbot, mis à disposition des patients en 2022 avec cet objectif sélectif de répondre à des demandes de patients.
Cet outil intelligent a appris l’empathie et la forme d’une base de réponses de médecins, puis a appris le fond sur une base de données médicales, de sorte à devenir de plus en plus autonome sur des questions qu’il n’avait jamais entendues auparavant.
Finalement, un corpus randomisé de 195 réponses aux patients proposées à la fois par des médecins et par cette machine a été par la suite soumis à des professionnels, qui devaient évaluer la qualité comparative de chaque réponse en double aveugle sur une échelle de 1 à 5 (pertinence, empathie).
Les évaluateurs ont préféré la réponse de la machine dans 78,6 % des cas. Les réponses des médecins sont en moyenne plus courtes que celles de la machine (52 [17-62] mots contre 211 [168-245] ; t = 25.4; P < .001).
La qualité sur le fond des réponses de la machine est notée en moyenne plus haute que celle des médecins, avec au total une considération que le système répond 3,6 fois mieux que le médecin sur le fond. Les mêmes résultats sont observés sur le versant empathie et forme de la réponse, au point que l’empathie est jugée près de 10 fois meilleure avec la machine qu’avec le médecin.
Ces résultats sont impressionnants, dans la lignée de la qualité des réponses du système ChatGPT quand il est appliqué à un univers bien défini. Le futur devra sans doute incorporer ce savoir, particulièrement à un moment de tension majeure des effectifs médicaux.
Le niveau de familiarité entre chirurgien et anesthésiste est un sujet récurrent dans les blocs. On parle souvent de querelles entre les deux, de méconnaissance réciproque mais on a aussi l’inverse avec de vraies complicités et amitiés. Cette étude canadienne explore le lien entre ce niveau de complicité et le résultat postopératoire de chirurgies digestives cancérologiques lourdes sur œsophage, pancréas et foie.
Le protocole utilise une méthode rétrospective 2007-2018 sur une cohorte de patients chirurgicaux. Le degré de familiarité entre anesthésiste et chirurgien est estimé par le nombre d’interventions lourdes qu’ils ont pratiqué ensemble depuis 4 ans.
Les résultats mesurent le pronostic chirurgical à 90 jours postopératoire.
Au total, 7 893 patients inclus avec un âge médian de 65 ans (66,3 % d’hommes). Les auteurs ont calculé la médiane de toutes les fréquences de travail commun entre les 163 chirurgiens et 737 anesthésistes composant les effectifs observés et en ont construit une référence, pour comparer après les cas de familiarité supérieurs à cette médiane et ceux inférieurs.
Globalement, la mortalité postopératoire sur ces chirurgies lourdes s’élève à 43 % à 90 jours.
Avant ajustement, on constate un lien linéaire entre degré de familiarité et conséquences positives à 90 jours (complications et mortalité réduites). Après ajustement, le lien persiste.
Chaque fois qu’un chirurgien opère une fois de plus avec le même anesthésiste, le risque de mortalité à 90 jours baisse de 5 %.
Les auteurs recommandent évidemment de favoriser ces circonstances d’appairage entre chirurgien et anesthésiste.
Les remplaçants jouent un rôle important dans l’accès aux soins anglais.
Cette étude descriptive réalisée entre 2019 et 2021 évalue l’utilisation des remplaçants en soins primaires en Angleterre sur la base de relevés nationaux hebdomadaires.
En 2019, environ 4,4 % des soins primaires anglais étaient faits par des remplaçants, mais avec une forte variation régionale (2,2 - 6,2 %). Toujours en 2019, 11,3 % des demandes de remplacements n’avaient pas trouvé preneur.
Entre 2019 et 2021, le nombre de remplacements a augmenté de 19 % et pire, le nombre de remplacements non assurés (n’ayant pas preneur) a augmenté de 54 %. Les cabinets médicaux mal notés et les plus petits étaient aussi ceux qui ont le plus utilisé de remplaçants ; la variabilité régionale reste importante.
Cette situation est particulièrement inquiétante et continue à s’aggraver.
Les services d’aides médicales urgentes sous une forme ou une autre gèrent les urgences primaires et secondaires dans la majorité des pays.
Cette étude anglaise propose une revue de littérature et une méta-analyse sur les bénéfices que ces entités d’aides médicales tirent du signalement et feedback des incidents dans les interventions réalisées (quelles leçons pratiques des erreurs, quelles modifications suite aux incidents ou accidents, etc.)
L’analyse a sélectionné initialement 3 183 articles dont 48 ont respecté in fine les critères d’inclusion. Le matériel décrit dans ces articles porte d’abord sur la façon de récupérer l’information sur les incidents (31 par audit, 3 par communication de pair à pair, 2 par analyse suite à un incident grave et 4 avec une combinaison des points précédents).
Dans l’ensemble, l’utilité des feedbacks pour faire changer le système et améliorer la Qualité des soins reste modérée. Ces feedbacks améliorent la documentation et l’observance des professionnels et, de façon nettement moindre, la qualité de la réanimation cardiaque, la décision médicale, les temps de parcours et, in fine, le taux de survie des patients.
On observe aussi une variation significative selon les jours de la semaine.
Mais les auteurs pointent aussi la faiblesse méthodologique d’une grande partie de cette littérature, particulièrement de l’hétérogénéité des protocoles. D’autres études plus rigoureuses sont nécessaires pour conclure vraiment sur l’effet de ces feedbacks.
Les consentements des patients font maintenant partie des pratiques médicales usuelles. Cette étude hollandaise porte sur le consentement des parturientes pendant le travail.
Elle s’attache particulièrement à :
La méthode est rétrospective sur 5 ans, utilisant une enquête auprès d’un échantillon de femmes ayant accouché dans les 5 dernières années en Hollande. Ces femmes ont été recrutées via les réseaux sociaux, les influenceurs et les organisations privées intéressées au sujet. Le questionnaire recense 10 procédures habituelles dans le travail et l’accouchement. On demande si ces procédures ont été proposées, si l’on a demandé un consentement et, si c’est le cas, si le consentement a été suffisant, ou mal compris, ou jugé insupportable d’une manière ou d’une autre.
Au total, la cohorte porte sur 13 359 femmes ayant rempli le questionnaire, dont 11 418 répondaient finalement aux critères d’inclusion de l’enquête.
Les oublis de demande de consentement portent surtout sur l’administration d’ocytocine en post-partum (47,5 %), et l’épisiotomie (41,7 %). Des refus de consentement n’ont pas été respectés pendant le travail (2,2 %) et l’épisiotomie (1,9 %). Les informations et explications fournies sont considérées moins exactes quand il n’y a pas eu de consentement. Les femmes multipares ont moins de problème de non-consentement que les primipares. Il y a une grande hétérogénéité d’interprétation sur le caractère plus ou moins inacceptable de ne pas avoir un consentement.
Dans le contexte d’une pression sur les lits hospitaliers grandissante, la gestion de la sortie devient un critère clé. Tout retard pénalise tout le système.
Les Pays-bas ont mis un protocole de sortie optimisée, basé sur l’utilisation d’une grille utilisée lors de la visite journalière au pied du patient (le DoCS, Day of Care Survey).
L’étude quantifie et analyse les raisons des décharges tardives sur un échantillon représentatif tiré au sort de 782 décharges survenues entre 2019 et 2021 dans les hôpitaux de la région d’Amsterdam.
Sur ces 782 dossiers, 94 (12 %) patients avaient finalement été déchargés le jour-même. Au total, ce sont 145 patients (21 %, 1 sur 5) qui étaient considérés avec une déchange tardive. Pour 100 d’entre eux, la raison du retard de décharge était externe à l’hôpital, surtout le manque de place en établissement de convalescence. Les patients qui sont déchargés en retard en rapport des critères de la grille utilisée sont plutôt plus âgés (> 75 ans). Pour les autres, 45 patients sortis de façon tardive, la raison est plutôt interne à l’établissement, essentiellement le retard de visite de sortie par le clinicien traitant du patient dans le service.
Ces deux raisons des retards de décharges font aujourd’hui l’objet aux Pays-bas d’interventions spécifiques pour améliorer la performance du système et la gestion globale des lits.
Une étude chinoise sur les plaintes et compensations financières en obstétrique basée sur les données nationales du service de santé chinois. Les données recouvrent la période de 2013 à 2021.
Au total, 3 441 dossiers de plaintes en obstétrique compensés à hauteur de $139 875 375. Le maximum de plaintes remonte à 2017, puis a décliné depuis. Sur les 2 424 hôpitaux poursuivis, 8,3 % (201) étaient classés comme à risques, pour la multiplication des poursuites dont ils étaient l’objet.
Les décès représentent 53,6 % des cas, les complications sans décès 46,6 %. Le plus commun des cas étant la mortalité infantile à l’accouchement (29,8 % des cas). L’indemnité globale est en moyenne plus élevée pour les décès que pour les blessures (mères et enfants cumulés), mais cette donnée globale masque des réalités différentes puisque dans le détail le handicap est mieux indemnisé que le décès chez le nouveau-né. Les erreurs anesthésiques, au demeurant rares (1,4 % du total des plaintes) sont les erreurs les plus chères et les mieux indemnisées.
Les causes principales sont classiques, liées aux erreurs pendant le travail, à la surveillance à la naissance, aux césariennes. Les hôpitaux du centre de la Chine et les hôpitaux secondaires sont les plus exposés.
Au total, on retrouve les chiffres déjà connus du reste du monde. La Chine ne fait pas exception, y compris dans la recherche de compensation de la part des victimes.
La prévention des risques infectieux chirurgicaux est un sujet classique de sécurité du patient. Le climat de sécurité d’un service est souvent cité comme un élément important de cette prévention réussie.
Cette étude suisse associe la connaissance sur le risque infectieux avec le climat de sécurité des services. 2 974 personnels médicaux de 54 hôpitaux (soit 38 % des répondants contactés) ont rempli un questionnaire sur le climat de sécurité et sur leur connaissance en matière de risques infectieux.
L’engagement personnel dans des mesures actives de prévention, et l’attente que les autres professionnels soient aussi exemplaires en la matière sont significativement associés au climat de sécurité (P<0,5) ; par contre la connaissance spécifique sur la liste et le contenu détaillé des mesures préventives ne l’est pas.