La dissection aortique est un diagnostic difficile à poser. Devant toute douleur thoracique de survenue brutale, plusieurs causes doivent être systématiquement envisagées et écartées pour éviter que le pronostic vital de tout malade soit engagé. Dans ce cas clinique, l’analyse réalisée a posteriori montre qu’un traitement chirurgical n’a pu être mis en œuvre dans ce contexte d’urgence par défaut de diagnostic.
Une femme de 48 ans, aide-soignante, non-fumeuse, non-hypertendue, sans antécédents médico-chirurgicaux en dehors d’une obésité modérée (IMC= 30), est réveillée par une douleur très vive ; elle se lève pour trouver une position antalgique. Cette douleur siège dans le dos et dans la poitrine.et, brutalement, vers 9 h, elle se sent asphyxier et va sur son balcon pour avoir de l’air. Craignant une crise cardiaque, son compagnon décide alors de l’emmener aux urgences proches de leur domicile.
Admise dans la matinée, la patiente est prise en charge par l’infirmière d’accueil et d’orientation (IAO) qui note :
Patiente vue 25 minutes plus tard par l’urgentiste :
Une heure après son arrivée aux urgences, patiente admise en UHCD
Quelques minutes plus tard, la patiente active l’appel patient. L’IDE en charge du secteur note : "Patiente se plaignant de tâches blanches devant les yeux et de fourmillements à la main droite. PA stable 105/48 mm Hg."
Mise en place d’une voie veineuse périphérique avec NaCl à 0,9%, et administration d’1 g de paracétamol, de 100 mg de tramadol, et 1 g d’amoxicilline/acide clavulanique.
Trente minutes plus tard, PA 93/44 mm Hg sans modification de la FC qui reste entre 55 et 65 bpm. Patiente mise en position de Trendelenburg.
Résultats de la biologie prélevée :
Radio pulmonaire et thoracique :
"Discrètes opacités basales gauches, transparence normale du champ pulmonaire droit, absence d’élargissement significatif de la silhouette cardio-médiastinale, liberté des 2 culs de sac pleuraux."
En début d’après-midi, sortie de la patiente :
Le lendemain, alors que la patiente a très mal dormi (elle s’est levée et assise en dos rond au fauteuil), avec des douleurs dorsales persistantes, elle appelle son médecin traitant, lui explique ses symptômes. Un rendez-vous de consultation lui est donné pour le début d’après-midi…
En fin de matinée, la patiente tombe inconsciente, sans mouvements respiratoires autres que des gasps. Son compagnon la met en PLS et appelle le SAMU. Avec les renseignements donnés, il lui est conseillé d’entreprendre immédiatement un massage cardiaque.
Malgré l’arrivée des secours (sapeurs-pompiers puis SMUR), la patiente décède quelques heures plus tard, peu après son arrivée au CHU.
L’autopsie médico-légale retrouvera :
"Volumineux hémopéricarde en lien avec une dissection aortique, consistant en un faux chenal associé à des dilacérations de la paroi entre l’aorte et l’artère pulmonaire. Il existe, également, un hémothorax gauche. La dissection de l’aorte thoracique se poursuit sur l’aorte abdominale avec un faux chenal. Il existe un syndrome asphyxique avec des pétéchies palpébrales, une cyanose unguéale, une congestion polyviscérale. (…)."
Saisine de la Commission de Conciliation et d’Indemnisation (CCI) par le compagnon de la patiente pour obtenir réparation des préjudices subis
Le décès de la patiente est dû à une dissection aortique de type A (…) Les dissections de type A doivent être opérées systématiquement en urgence…
> Concernant l'établissement de santé
"(…) on ne retient aucune responsabilité de l’établissement de santé" (prise en charge paramédicale conforme).
> Concernant la prise en charge du médecin urgentiste
"(…) un diagnostic retenu de pneumopathie gauche sans élément probant et sans que l’éventualité d’une dissection aortique, bien que peu probable, n’ait été éliminée alors que la douleur dorsale n’était pas soulagée à la sortie du service. Il existait également un signe discret mais très évocateur, les paresthésies de la main droite, signalées par l’infirmière dans le dossier du patient. (…) Il manque le dosage des D Dimères qui a une forte valeur prédictive négative chez les patients considérés comme à bas risque de dissection aortique. Inférieur au seuil de 200 µg/l, il permet d’exclure le diagnostic. Dans le cas contraire, il doit conduire à l’angioscanner thoracique pour mettre en évidence ou exclure une dissection aortique ou une embolie pulmonaire, au moins proximale.
Pour résumer :
> Concernant la prise en charge du SAMU
"On ne peut retenir une quelconque responsabilité."
"La dissection de type A est une urgence chirurgicale. C’était le cas pour la patiente. Le traitement, urgent, relève d’un centre spécialisé en chirurgie cardiaque. En l’absence de traitement chirurgical, la mortalité est proche de 20% dans les premières 24 heures avec une progression du risque de 1 à 2% par heure à partir du premier symptôme, 30% les premières 48 heures et 50% à la fin de la première semaine.
Les cause de décès sont multiples : extension du processus avec possibilité de dysfonction valvulaire aortique de type insuffisance aortique, rupture intra-péricardique avec tamponnade, survenue d’un accident vasculaire cérébral par atteinte des vaisseaux céphaliques, ischémie coronarienne, digestive, périphérique…
La mortalité postopératoire à 30 jours est comprise entre 10 et 35% selon les séries avec une survie de 74% à un an et de 63% à 5 an.
L’absence de diagnostic lors du passage aux urgences est constitutif d’une perte de chance pour la patiente, de ne pas décéder qui peut être chiffrée à 50% car la dissection était très importante, se poursuivant sur l’aorte descendante et abdominale avec des suites postopératoires prévisibles complexes (…)."
La Commission considère que la réparation des préjudices incombe au médecin des urgences, à hauteur de 50% des dommages subis.
Dans cette observation, le diagnostic de dissection aortique était particulièrement difficile car, outre sa rareté, les facteurs favorisants habituels n’étaient pas retrouvés : sexe masculin, HTA, tabagisme.
Mais, devant une douleur thoracique de forte intensité (EVA≥ 6) et persistante, le diagnostic de dissection aortique aurait dû être évoqué au même titre que les 4 autres diagnostics (syndrome coronarien aigu, embolie pulmonaire, péricardite, pneumothorax) d’autant que le diagnostic retenu (pneumopathie aiguë) ne correspondait pas au contexte clinique
"(…) Pour confirmer (ou éliminer) le diagnostic de dissection aortique, il faut réaliser en urgence une échographie transœsophagienne, ou un angio-TDM ou une angio-IRM dès que le patient est stabilisé.
L'échocardiographie transœsophagienne multiplanaire a une sensibilité de 97 à 99% et, couplée avec une échocardiographie en mode M, a une spécificité proche de 100%. Elle peut être réalisée au lit du patient en moins de 20 minutes et ne requiert pas d'injection de produit de contraste.
Cependant, l'angio-TDM est généralement l'imagerie de première ligne, car elle est souvent disponible plus rapidement et plus largement que l'échocardiographie transœsophagienne. La sensibilité de l'angio-TDM se situe entre 90 à 100% et la spécificité de l'angio-TDM est de 87 à 100%.
L'angio-IRM a une sensibilité et une spécificité proches de 100% pour la dissection aortique. Mais cet examen prend du temps et est peu adapté aux urgences. L'angio-IRM est au mieux utilisée lorsque la dissection est suspectée chez des patients stables et qui ont une douleur thoracique subaiguë ou chronique.
L'aortographie reste une éventualité si une intervention est envisagée. En plus d'identifier l'origine et l'extension de la dissection, la sévérité de l'insuffisance aortique et l'extension aux grosses branches de l'aorte, l'aortographie permet de déterminer si un pontage coronarien concomitant est nécessaire.
Une échocardiographie cardiaque doit être effectuée pour rechercher une insuffisance aortique et donc établir si la valvule aortique doit être réparée ou remplacée simultanément.
L'électrocardiographie (ECG) est presque toujours effectuée. Cependant, les signes vont du tracé normal à franchement pathologique (en cas d'occlusion aiguë d'une artère coronaire ou d'insuffisance aortique), cet examen n'est donc pas d'une grande aide diagnostique pour la dissection elle-même.
La CK-MB (créatine kinase-MB) et la troponine sérique permettent de distinguer une dissection aortique d'un infarctus du myocarde, sauf lorsque la dissection provoque l'infarctus du myocarde.
Un chirurgien cardiothoracique doit être consulté rapidement pendant l'évaluation diagnostique (…)."(2)
"(…) En cas de dissections de l'aorte ascendante, la chirurgie est pratiquement toujours indiquée en raison du risque de complications potentiellement mortelles. La chirurgie implique une circulation extracorporelle bien que le traitement endovasculaire puisse être utilisé dans certaines circonstances lorsque les patients ne sont pas candidats à la réparation à ciel ouvert.
Le but de la chirurgie est de fermer l'entrée du faux chenal et de reconstituer l'aorte avec une interposition prothétique. En cas d'insuffisance aortique sévère, celle-ci doit être traitée par une réparation des valves ou un remplacement valvulaire aortiques.
Les suites chirurgicales sont meilleures avec un traitement précoce et agressif. La mortalité est d'environ 20%. Les facteurs prédictifs d'un mauvais résultat sont :
Références
(1) Reconnaitre une douleur thoracique qui nécessite des soins urgents - AMELI - 27 octobre 2023
(2) Farber M A, Parodi E P - Dissection aortique - Le Manuel MSD version professionnel de la santé - Décembre 2024
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