Retrouvez l'analyse de la presse internationale sur le risque médical par le Professeur Amalberti. À la une ce mois-ci : suivi des plaintes chirurgicales, fréquence des événements indésirables en médecine générale, faux positifs dans les mammographies, données de santé et secret médical…
Les plaintes patients suite aux interventions de chirurgie restent nombreuses, soit qu’ils se plaignent d’erreurs, soit qu’ils ne trouvent pas le résultat clinique et/ou fonctionnel conforme à leurs attentes.
Cette étude finlandaise porte sur la période 2011-2015 sur les 8 901 réclamations et dossiers de plaintes patients reçus dans le registre de l’assurance nationale. Le taux de plaintes s’élève sur cette période à 6/1000 interventions, toute sévérité confondue, et à 2/1000 pour les plaintes indemnisées.
Ce taux tend à baisser sur les 5 années observées.
Les indemnisations concernent surtout la chirurgie orthopédique et la neuro chirurgie.
Revue de littérature et méta-analyse sur l’évaluation et le retour d’expérience sur le fonctionnement des Services publics d’aide médicale d’urgence incluant tous les articles publiés jusqu’à aout 2022.
L’analyse a identifié 3 183 articles portant sur le sujet de ces centres d’appel et d’intervention à domicile et dans la rue, dont 48 respectaient finalement les critères imposés par les auteurs en termes de qualité, méthode, traitement.
Il ressort assez clairement que les audits n’ont que des effets limités sur la transformation et l’amélioration des organisations de service d’aide.
Les retours d’expérience des professionnels directement impliqués semblent comparativement bien plus efficaces (que les audits). Ils améliorent la documentation et renforcent le suivi des bonnes pratiques ; ils sont même efficaces sur la qualité des gestes techniques (réanimation cardiaque notamment), sur la décision clinique, sur le temps "arrivée sur lieu de sinistre à l’hôpital", et in fine sur le taux de survie.
Mais il reste une hétérogénéité considérable des résultats d’une étude à l’autre portant sur les feedbacks des professionnels ; une hétérogénéité qui affaiblit la puissance des conclusions et de la méta-analyse.
Données extraites par détection de 7 critères précurseurs/annonciateurs d’événements indésirables (EI) - méthode des trigger tools - recherchés dans les dossiers de 2 institutions de soins dentaires américains.
Sur un total de 4 136 dossiers, tirage au sort d’un panel de 459 dossiers étudiés par deux spécialistes à l’aide des 7 critères annonciateurs d’EI.
51 dossiers sont positifs à au moins 1 critère. Le plus fréquemment, on retrouve :
40 % des EI ont été classés sévères et/ou persistants dans leurs conséquences.
La fatigue est le premier facteur contributif (31,5 % des cas) suivi par la non-observance des consignes par le patient (17,1 %) et par des problèmes de coordination entre collègues (15,3 %).
Ces auteurs rapportent les résultats d’une grande étude réalisée en 2018 portant sur les événements indésirables survenus pour 2 743 719 consultations de patient(e)s de plus de 18 ans effectuées dans 262 centres médicaux primaires de la région de Madrid.
L’analyse porte sur un panel tiré au sort de 1 797 dossiers patients de cette étude ; elle est confiée à des pairs.
La prévalence des événements indésirables (EI) sur ce panel est de 5 % (CI 4-6 %) dont 60,6 % sont mineurs, 31,9 % sont modérés, et 7,4 % considérés comme graves.
La consultation en soins primaires est à l’origine directe des EI dans 76,6 % (CI95 %:68.0 %‒85.2 %).
La nature des EI est médicamenteuse dans 53,2 % des cas (50.9 %‒55.5 %), avec en premier des erreurs de prescription. Les facteurs facilitants les plus cités sont le patient (80.6 %;CI95 %:71.1 %‒90.1 %) et la pression sur les tâches à faire (59.7 %;CI95 %:48.0 %‒71.4 %).
Le taux de 1 erreur pour 66 consultations, constaté dans cette grande étude, est plutôt supérieur aux études déjà publiées. Le taux d’évitabilité des EI reste très élevé, proche de 3 sur 4.
L’auteur développe le lien entre nouveaux modes de management et promotion de la qualité et de la sécurité des soins.
Pour beaucoup, le management a une vision péjorative. Il a imposé aux soignants des logiques comptables et les a ensevelis sous les exigences bureaucratiques.
Si les maux sont réels, le diagnostic est erroné. L’organisation de la prise en charge d’un malade n’a plus grand-chose à voir avec ce qu’elle pouvait être il n’y a même pas dix ans. Les nouvelles options thérapeutiques, la possibilité dans de nombreuses maladies chroniques d’éviter l’hospitalisation, ont introduit de nouvelles questions de coordination. Les professionnels, médecins, infirmières, pharmaciens ont à coopérer pour que le patient ait un parcours de santé cohérent.
Face à ces évolutions, c’est tout un management sur le terrain qu’il convient de construire.
La régulation disjointe entre les directions et les équipes de soins (chacun opérant de manière distincte et sans coordination) conduit, lorsqu’elle existe, à un sentiment d’abandon et un manque de confiance des professionnels sur le terrain.
Une relation exclusivement descendante alimente également une perte du sens des missions, surtout lorsque le rapport hiérarchique impose un exercice régulier de reddition de comptes (les "fichiers Excel à remplir"), ou empêche l’autonomie de l’action locale...
L’enjeu d’une création de nouveaux modèles de management pour pallier cette situation est de taille. Il l’est d’abord en matière de qualité.
La non-qualité provient pour une grande partie (entre 50 % et 70 % selon les études) de défauts d’organisation, d’une mauvaise communication dans les ordonnances entre la ville et l’hôpital par exemple. Même lorsque l’erreur est jugée individuelle, elle est le plus souvent le résultat d’un dysfonctionnement organisationnel. Ce sont des dysfonctionnements organisationnels le long du parcours du patient qui engendrent le plus souvent les événements indésirables.
En cas de menace, la résilience requise est aussi organisationnelle. En parallèle, l’enjeu concerne également des questions économiques et d’attractivité. 25 % à 40 % du temps de travail quotidien des professionnels de santé est consacré aux rattrapages de défauts d’organisation.
Les méthodes et les outils de ces nouveaux modèles sont connus, travail collectif, et autres, mais leur bonne pratique est loin d’être spontanée et nécessite un apprentissage. Le paradoxe est que rien, aujourd’hui, n’est établi dans le domaine. On s’en tient souvent aux bonnes intentions. Il n’existe pas de cadre général qui permette de concevoir et mettre en place ces projets encore dispersés.
L’enjeu est mal perçu alors qu’une politique incitative serait nécessaire pour structurer ces démarches.
Le public concerné par ces formations est large, avec un accent particulier au niveau des membres des équipes de soins.
Certains établissements se sont déjà engagés dans cette voie en favorisant la création d’une dynamique collective pluri-professionnelle, les cadres de santé et les infirmiers y apparaissant particulièrement concernés.
Dans la même veine, il faut également évaluer et recruter les responsables hospitaliers (managers, médecins ou cadres de santé) sur leur capacité managériale, notamment sur leur aptitude à fédérer et à créer un climat psychologiquement serein au sein des équipes.
L’objectif est de rendre la démarche systématique. Former, évaluer et recruter les professionnels de santé et les managers hospitaliers en fonction de leurs compétences managériales constituent un ensemble.
Ces trois pistes n’éteignent pas le sujet. D’autres sont certainement à étudier, notamment au niveau de modes de paiement collectif incitant au travail d’équipe. C’est le management qu’il faut développer, mais un management de terrain centré sur le parcours du patient dans lequel les tutelles guident et accompagnent l’initiative locale.
Analyse de la base de données danoise des mammographies avec un recul de 12 à 14 ans (2004 à 2019) en recherchant plus particulièrement les faux positifs, et leurs conséquences chez ces patientes entrées dans le circuit de prise en charge des cancers du sein.
Au total, l’étude porte sur un panel représentatif de 1 170 femmes incluses âgées de 50 à 69 ans ayant une mammographie en 2004-2005 (sur un total pour le Danemark d’environ 30 000 mammographies annuelles).
Sur ce panel de 1 170 femmes, 454 femmes - à l’époque - ont été diagnostiquées à la mammographie comme positives, mais 272 de ces 454 se révéleront finalement être des faux positifs (60 % !!).
Le recueil des conséquences cliniques et psycho-sociales s’est fait par questionnaire à 14 dimensions remplies, adressé en 2019 à ces victimes de faux positifs (et aussi aux femmes ayant eu une bonne interprétation de mammographie positive détectant leur cancer, pour but de comparaison).
Toutes sont entrées dans la prise en charge de cancer du sein mais les femmes victimes de faux positifs rapportent en moyenne des conséquences psycho-sociales supérieures aux femmes prises en charge à juste titre, sauf en matière de valeur existentielle.
Inversement, les deux cohortes se distinguent par un effet dose-réponse différent. Les femmes réellement atteintes de cancer ont un effet dose-réponse plus intense et plus marqué que les femmes victimes de faux diagnostics.
Ces conséquences s’étalent dans le temps sur de très longues périodes et sont encore sensibles 10 après le faux diagnostic.
Elles sont suffisamment graves et fréquentes pour que les auteurs de cette grande étude nationale danoise aient décidé de remonter une alerte officielle au gouvernement sur la pratique de la mammographie.
Un intéressant article paru dans Health Affairs décrit les pratiques d’achat et de transfert de données médicales privées aux USA dans le cadre de l’activité commerciale de nombreux acteurs industriels.
Une nouvelle loi veut limiter ces pratiques.
L’étude part de l’analyse des sites web des hôpitaux américains et de leur système informatique, et constate que 98,6 % de ces sites - avec leurs données de santé, générales ou moins générales - font l’objet de transactions, d’achats, de copies plus ou moins légales, et de transferts de données à des réseaux sociaux, des entreprises, ou des gestionnaires de données qui vont les revendre, au point de constituer un marché - per se - quasi d’ampleur nationale.
Plusieurs de ces acteurs industriels externes sont aussi entrés dans un partenariat permanent avec l’hôpital, en procurant une source de revenus pour l’hôpital, mais aussi en justifiant leur propre présence sur le site web de l’hôpital comme partenaire associé, et en favorisant encore plus leurs mécanismes d’accès aux données sensibles de tous ordres, y compris le profiling des patients.
Évidemment, les patients ne sont pas au courant, et ne donneraient pas forcément leur autorisation à de telles pratiques, surtout quand elles touchent à leurs propres données de santé. ll faut dire que, même en étant beaucoup plus tolérante socialement à ces pratiques d’usage des données de santé (présentées pour le bénéfice de la science) que les populations européennes, la population américaine commence à sérieusement réagir aux abus. Le gouvernement a dû intervenir en promulguant cette nouvelle loi sensée réduire le risque.
Mais le sujet est devenu tellement sensible aux États-Unis, qu’il est presque hors d’atteinte tant ces usages se sont généralisés et qu’on assiste déjà à un fort contre-feu mis en place par les juristes et lobbystes de ces industries acheteuses de données.
Un sujet qui nous guette peut-être avec un décalage temporel en Europe…
Les régimes diététiques promettant une meilleure santé sont nombreux… mais pas toujours aussi efficaces que promis.
Les auteurs proposent une revue de littérature et une méta-analyse pour faire le point sur les connaissances scientifiques avérées en la matière.
L’analyse inclut toutes les publications jusqu’en 2021 utilisant une qualité élevée (protocoles randomisés), une documentation claire dans la pratique du régime proposé avec éventuellement une composante d’activité sportive, un suivi du niveau d’observance du régime prescrit, un suivi clinique étayé des conséquences observées (cardiologiques particulièrement, mais aussi de toutes les manifestations pathologiques intercurrentes associées directement ou non au régime, avec ou pas nécessité de faire appel à des traitements complémentaires), et enfin un suivi suffisamment long dans le temps des résultats (au minimum 9 mois).
Au total, 40 articles sont retenus pour l’analyse finale en remplissant les critères recherchés.
Ils regroupent l’expérience de 35 548 participants impliqués dans 7 régimes différents :
Le régime méditerranéen s’avère les plus efficace - mais avec une évidence statistique modérée - pour retarder mortalité, complications cardiaques chroniques, infarctus du myocarde, risques d'AVC, (OR 0.72, 95 % 0.56 - 0.92).
Le régime limité en graisse prouve aussi une certaine efficacité sur le risque cardiaque et la mortalité, même si elle reste aussi modérée. D’ailleurs, sur ces deux points (mortalité et prévention des risques cardiaques chroniques), l’effet de ce régime s’avère équivalent au régime méditerranéen.
Les 5 autres régimes ne démontrent pas de bénéfice sur la santé, ou un bénéfice marginal.
Les États-Unis autorisent l’entrée sur le marché de médicaments qui ne sont pas autorisés dans la plupart des autres pays riches.
Cette pratique nourrit, entre autres pratiques, le coût infiniment supérieur des médicaments en Amérique par rapport au coût dans les autres pays riches.
L’analyse se centre sur 206 nouvelles autorisations données aux États-Unis entre 2017 et 2020, dont 47 ont été rejetées par les autres pays riches sur la base d’un ratio bénéfice-coût défavorable et seulement 5 d’entre elles finalement refusées par la FDA (l’agence américaine du médicament). Le coût moyen de ces drogues rejetées était de $ 115 281/patient/an, et 36 d’entre elles étaient à utilisation oncologique.
Sur les 42 acceptées par la FDA (et refusées ailleurs), certaines ont quand même vu leur mise sur le marché parfois repoussée de plusieurs mois aux États-Unis.
Les auteurs recommandent à la FDA de mieux s’inspirer des procédures des autres pays et s’aligner sur ce qui parait être de bon sens dans l’analyse coût-bénéfice, et peut-être mieux résister aux lobbies, particulièrement quand la position des États-Unis devient singulière par rapport aux décisions des autres pays et agences.
Près de 6,5 millions de Canadiens n’ont plus de médecin de famille, ni d’infirmière spécialisée, faute de professionnels disponibles. Et ce chiffre est passé de 4,5 millions à 6,5 millions en moins de 4 ans (2019-2023).
La situation varie selon les provinces mais elle reste préoccupante partout :
Les pauvres, les minorités, et souvent les plus fragiles, sont concernés en premier. Le Covid a accéléré cette détérioration générale de l’accès aux soins avec un effet ciseau entre le nombre de médecins qui ont arrêté leur exercice (3 % ont arrêté dans les 6 premiers mois de la pandémie) et la demande qui s’est accrue.
Ces patients déshérités basculent vers des modes de consultations virtuels (télémédecine), ou viennent aux urgences déjà sur bondées. 17 % renoncent et finissent par consulter d’autres professionnels accessibles (pharmaciens, spécialistes) ou encore, pour 3% d’entre eux, chiropracteurs et naturopathes. Mais ces pratiques alternatives sont souvent plutôt payantes et restent à charge.
Les autorités du Canada tentent de répondre au problème en mettant en place de grandes équipes interprofessionnelles (le test porte sur 18 équipes ), qui sont chacune censé couvrir un secteur géographique défavorisé.
De leur côté, les citoyens souffrent en rebond des problèmes des professionnels, de leur perte de sens, de motivation, de plaisir à travailler ; 67 % disent encore que leur médecin les connaît mais 90 % de la population Canadienne est maintenant prête à accepter un médecin qu’ils n’ont jamais vu et qu’ils ne connaissent pas.
Enfin, la pénétration de l’informatique dans les pratiques médicales voudrait s’imposer (réseau sociaux, messagerie, vidéo, web, audio, et plus encore) mais ne rassure pas encore. Il n’y a que 18 % de Canadiens qui l'ont utilisée au moins une fois (dans cet objectif médical). Les enquêtes soulignent la peur de la population d’être client finalement de sociétés privées, et d’avoir leurs données personnelles captées par des sources qu’ils ne maîtrisent pas.