La mise en place d’une analgésie et/ou d’une sédation ne dispense pas d’un examen clinique préalable, consigné par écrit, qui servira de point de référence et guidera une éventuelle prise en charge en cas de problème. Comme pour tout geste médical, le rapport bénéfice/risque doit être évalué afin d’éviter de transformer une situation encore contrôlable en une situation où les effets iatrogènes sont lourds de conséquences. Ces actes doivent être réalisés par des professionnels, formés au sein de structures habilitées.
Un patient âgé de 80 ans, mesurant 1m60 pour 60 kg, non-fumeur, souffre d’un trouble du rythme traité par Rythmol® prescrit par un médecin cardiologue. Il a pour antécédents médicaux : glaucome, arthrose, herpès, zona et pour antécédents chirurgicaux : prothèse totale de hanche à gauche, appendicectomie.
Il consulte au centre dentaire pour une parodontite terminale (déchaussement dentaire) nécessitant l’extraction des dents résiduelles sur l’arcade. Son chirurgien-dentiste lui propose une réhabilitation totale par prothèses complètes supra-implantaires sur les arcades maxillaires et mandibulaires.
Le 13 février 2020, première intervention au cabinet dentaire mise en œuvre par le chirurgien-dentiste seul : début intervention à 9h20, sous anesthésie locale, 8 capsules de 1,7 ml contenant articaïne 40 mg/ml et 0,01 mg d’adrénaline/ml soit 544 mg (la dose maximale pour un patient de 60 kg est de 500 mg d’articaïne) d’anesthésique local. Deux incisives centrales mandibulaires sont extraites.
À 9 h 50 : l’intervention est interrompue par le chirurgien-dentiste en raison de "mouvements anormaux qualifiés de convulsion, perte de connaissance, difficulté à parler". L’épisode est spontanément résolutif en quelques minutes. Le patient revient à lui. Le praticien lui donne un verre d’eau + Glucopulse®.
À 10 h 10 : intervention des pompiers non médicalisés après régulation, qui notent des vomissements et relèvent : TA 11/7, fréquence cardiaque 68/min, SpO2 basse (67 %), corrigée en partie sous oxygénothérapie à fort débit.
Le patient est transféré au Centre Hospitalier pour prise en charge et bilan étiologique.
Lors de la prise en charge au Centre Hospitalier, le compte-rendu mentionne :
Un avis neurologique sollicité, propose la réalisation d’une IRM en externe, complétée par une consultation de neurologie afin de faire un bilan de cette "convulsion" postanesthésie.
Dans l’hypothèse, non écartée, d’un accident allergique, il est prescrit un corticoïde et un antihistaminique. Fin de la prise en charge au Centre Hospitalier.
Un "débriefing" aurait eu lieu au centre suite à la survenue de l’évènement, aucun compte rendu écrit n’en a été fait. Selon le chirurgien-dentiste, le bilan médical est rassurant, il relève chez le patient d’une anxiété ce qui le conduit à proposer la réalisation du geste chirurgical sous anesthésie locale et sédation consciente intra-veineuse confiée à un médecin anesthésiste (externe à la structure mais recommandé par un des chirurgiens-dentistes du centre, l’anesthésiste pratiquerait la sédation vigile au fauteuil depuis 2000).
Le 01/03/2020, Le médecin anesthésiste reçoit en consultation pré-anesthésique le patient. Le bilan anesthésique mentionne :
Aucune fiche d'information relative aux risques anesthésiques n'est communiquée au patient, aucun formulaire de consentement à la sédation vigile n’est signé par le patient.
L’IRM réalisée le 2 mars 2020 conclut : atrophie cortico-sous corticale sous et sus tentorielle et leucoaraïose. Probable séquelle d’infarctus capsulo-lenticulaire droit, ne s’accompagnant pas d’œdème péri-lésionnel ni d’effet de masse sur les structures environnantes.
Le 24 mars 2020 deuxième intervention au centre dentaire (début 9h00 fin 9h51).
À 9 h : préparation pré-opératoire du patient (pose d’un bandeau au niveau des yeux) + sédation consciente par voie intra-veineuse = Valium® 1 mg + Atarax® 100 mg en perfusion sur 5 minutes (la dose maximum ? chez le patient âgé est de 50 mg).
Par l’intermédiaire d’un oxymètre de pouls, la saturation en oxygène et la fréquence cardiaque sont surveillées . Il n’y a pas de surveillance de la tension artérielle.
À 9 h 10 : IVL peropératoire par perfusion de Perfalgan®+ Acupan®+ Profénid®.
À 9 h 15 : injection locale à la mandibule par le chirurgien-dentiste de 6 capsules d’anesthésie locale de 1,7 ml contenant articaïne 40 mg/ml et 0,01 mg d’adrénaline/ml soit 408 mg d’anesthésique locale. Réalisation de l’incision et décollement. Extraction de 10 dents. Curetage des alvéoles. Pose de 6 implants.
À 9 h 45 : injection locale à la mandibule par le chirurgien-dentiste de 8 capsules anesthésie locale de 1,7 ml contenant articaïne 40 mg/ml et 0,01 mg d’adrénaline/ml, soit 544 mg d’anesthésique locale. Il s’agit là d’un surdosage patent pouvant aboutir à un arrêt cardio respiratoire. Réalisation d’une Incision. Décollement. Extraction de 6 dents. Pose de deux implants supplémentaires à la mandibule.
À 9 h 55 : le patient se met à ronfler (preuve d’une somnolence liée à un approfondissement du niveau de sédation). Dans les minutes qui suivent, le chirurgien-dentiste constate que le champ opératoire devient brusquement exsangue (signe d’un bas débit sanguin, voire d’un arrêt circulatoire). Dans le même temps, le médecin anesthésiste constate une perte du signal au saturomètre, qu’il a interprétée dans un premier temps comme un problème technique d’appareillage lors de la pose d'un implant à la mâchoire inférieure. A ce moment, le médecin anesthésiste cherche un pouls carotidien qui est absent, il ôte le bandeau des yeux du patient et constate la perte de conscience.
Le médecin anesthésiste entreprend le massage cardiaque externe sur le fauteuil des soins dentaires après l’avoir mis en position horizontale, estimant que le fauteuil constitue un plan assez dur. Une ventilation manuelle oxygénée au masque est réalisée.
À 10 h 05 : Appel du SMUR, qui arrive à 10 h 14. Le patient, en arrêt cardio-respiratoire, est intubé par le médecin anesthésiste et mis sous assistance respiratoire. Injection de 3 mg d’adrénaline.
Transfert au service de réanimation du centre hospitalier. À l'arrivée, il est noté :
Un avis cardiologique est sollicité, qui ne conclut pas à une indication de coronarographie en urgence :
Le lendemain, la famille est informée de la situation. Compte tenu de l'état neurologique très inquiétant et du pronostic neurologique péjoratif, la famille fait part qu'elle ne souhaite pas d'acharnement thérapeutique.
Le patient décède le 26 mars 2020.
Décision d’administrer en association à un patient ayant un problème de rythme cardiaque sous Rythmol®, une dose d’Atarax® supérieure à la dose à ne pas dépasser (50 mg) en association à l’articaïne (association déconseillée) ce qui a pu majorer son trouble du rythme et induire le décès.
Il est important de mettre en évidence les barrières de défenses qui ont été déficientes.
Détection
Prévention : aucune mise en place de mesures de prévention pour ce type d’incident
Récupération
Selon le livre blanc "la sédation consciente par voie intraveineuse au cabinet dentaire" disponible sur le site du conseil National de l’Ordre des chirurgiens-dentistes.
1 - Les prérequis à la pratique de la sédation consciente par voie intraveineuse sont de disposer d’un environnement technique et monitorage de niveau 2 suivant :
2 - Concernant le monitorage, tous les pays pratiquant la sédation consciente par voie intraveineuse imposent une surveillance per et postopératoire. Les sociétés savantes recommandent ainsi pour ces techniques de sédation :
3 - Démarche qualité sécurité
4 - Bonnes pratiques de prise en charge
5 - Règles de traçabilité
Quel que soit l’acte réalisé en cabinet libéral ou en centre de santé, le praticien devra veiller à la mesure du rapport bénéfice/risque en évitant toute prise de risque pour le patient dans l’organisation des séances de mise en œuvre du plan de traitement, "primum non nocere".
Dans le cas présenté, les extractions auraient pu être réalisées arcade par arcade dans un premier temps puis, après un temps de cicatrisation, pose des implants par arcade avec pose de moins d’implants que prévus par arcade (4 au maxillaire et 2 à la mandibule) . Le temps de traitement aurait été plus long mais plus sécure compte tenu de l’âge et de l’état de santé du patient.
Sur le plan organisationnel, il est indispensable que soit mise en place dans les centres de santé une démarche qualité.
L’obligation faite par la loi d’encadrement des centres dentaires et ophtalmologiques du 19/05/2023, rendant obligatoire la création de comité de sécurité, permettra une acculturation à la qualité et à la gestion des risques, en n’omettant pas la création d’une charte de non sanction au sein des centres.
Pour aller plus loin
Le livre blanc de la sédation consciente par voie intraveineuse au cabinet dentaire. Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes.
Logiciel Seirich - Un outil pour évaluer et prévenir les risques chimiques dans votre entreprise - INRS (Recherche des fiches de sécurité des produits utilisés en cabinet).
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